13. Jardin de l'abandon

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Maxime

Un petit buzz discret retentit et me sort de la rêverie dans laquelle je m’étais plongé. Je regarde l’horizon et notamment la vue sur la mer à peu de distance qui s’offre à moi depuis mon petit repaire dans cette tour en pierre qui a résisté à toutes les épreuves du temps pour continuer à se dresser et dominer notre domaine. Je me demande si tous mes ancêtres ont comme moi profité de cette petite pièce ronde où les meurtrières ont laissé place à de grandes fenêtres qui donnent l’impression d’être dans une tour de contrôle. L’ameublement est minimaliste, j’y ai juste mis un grand canapé en tissu noir, bien large et confortable, une petite table basse et je peux y passer des heures, à écouter le bruit du vent et des oiseaux qui viennent me tenir compagnie.

Le buzz retentit à nouveau et je me lève pour me diriger vers l’interphone que j’ai fait installer il y a quelques mois. Je décroche et c’est Lili qui est à l’autre bout du fil.

— Oui, Lili, tu as besoin de moi ?

— Oui, Papa, tu avais dit qu’on ferait du jardinage après le déjeuner, on t’attend !

Je soupire, je serais bien resté ici à méditer et me reposer, mais j’ai en effet promis à mes enfants qu’on planterait des fleurs et quelques légumes, et je tiens toujours mes promesses auprès d’eux.

— J’arrive. Dis à ton frère de mettre ses habits de jardin et fais de même. Je vous rejoins dans cinq minutes.

— D’accord, j’y vais. Dépêche-toi, hein ?

— Cinq minutes, le temps de tout refermer ici.

Je coupe la conversation et clos en effet les fenêtres et volets que j’avais ouverts avant de descendre le petit escalier étroit aux marches inégales. Cette tour était vraiment un élément défensif au douzième ou treizième siècle et ces marches sont typiques des mécanismes de défense qui donnent un avantage aux assiégés. L’escalier est en colimaçon et tourne sur la gauche quand on descend, autre signe de cet aspect défensif. En effet, si j’avais une épée à la main, je pourrais l’utiliser de ma main droite et avoir un avantage sur celui qui monterait et qui serait obligé d’utiliser sa main gauche ou de taper dans le mur. Dans certains sièges, ce sont ce genre de détails qui font toute la différence, et moi, j’adore vivre dans une demeure autant chargée d’histoire.

Lorsque j’arrive en bas, Emilie et Tom m’attendent déjà, tous les deux vêtus d’habits pas très neufs et d’un beau chapeau de paille. Avec eux, j’ai la surprise de voir Miléna qui arbore elle aussi un chapeau de paille et surtout, un sourire à tuer. Elle est ravissante, vêtue de son jean moulant et d’un tee-shirt que je n’ai encore jamais vu sur elle et qui porte la mention “no pasaran!” autour d’un poing dressé.

— Vous venez jardiner aussi ?

J’attire mes enfants vers la petite cabane où il y a tous les outils et je suis content de voir qu’elle nous suit sans se départir de son magnifique sourire.

— Les enfants m’ont proposé de vous accompagner. J’espère que ça ne vous dérange pas. Et puis… J’ai des mains magiques. Vous vous souvenez, je suis manuelle ? me lance-t-elle en me gratifiant d’un clin d’œil.

Pourquoi la simple mention de cette conversation m’excite autant ? Peut-être qu’après trois ans de célibat, il est temps de passer à autre chose ?

— Aidez-moi donc à prendre le matériel. Lili et Tom, prenez les graines. Je pense qu’à quatre, on peut tout prendre d’un coup et aller directement au coin potager.

— Qu’est-ce que vous allez planter ? Il n’y a plus de gel à cette époque dans votre pays ? continue Miléna en récupérant des outils.

— Des tournesols ! s’écrie Lili. C’est trop beau comme fleur ! Et je veux qu’ils deviennent plus grands que moi !

— Ce serait plus utile de mettre des légumes, je trouve, dit mon fils, toujours aussi sérieux.

— C’est vrai que les légumes, c’est utile. Et ça fait toujours plaisir de les voir pousser et les cueillir. Mais les tournesols, c’est joli aussi. On a du travail alors, s’il faut planter tout ça. Vous jardinez souvent, tous les trois ?

— Avant, on le faisait avec Maman, répond ma fille, mais maintenant, c’est Papa qui fait tout. Et des fois, il râle, mais sinon, ça pousse bien. Papa, c’est le champion des tournesols et des fleurs. Il fait des miracles, comme le dit Nina.

— Elle dit ça ? Vraiment ? J’essaie juste de faire plaisir à tout le monde, c’est tout.

— Vous êtes donc vous aussi doué de vos mains, Maxime ? J’ai hâte de voir les miracles à l’œuvre…

Elle me cherche ou quoi ? Le petit sourire en coin qu’elle arbore en me disant ça me laisse penser que oui et que je ne rêve pas, qu’elle est vraiment en train de mettre des sous-entendus un peu coquins sous ses propos.

— Je peux vous dire que mes doigts sont capables de faire chanter tous les petits oiseaux que je charme et toutes les fleurs qui se font butiner.

— Je vois, me dit-elle en riant après avoir réfléchi quelques secondes à mes propos. Enfin, je crois que je vois. Pas toujours faciles à comprendre, les sous-entendus, quand ce n’est pas sa langue maternelle, vous savez ?

Les enfants se sont éloignés un peu de nous et je me permets de lui répondre en faisant attention à ce que ma voix ne porte pas trop.

— C’est vrai, parfois j’oublie, malgré votre joli accent, que le Français n’est pas votre langue maternelle. Ne vous inquiétez pas, la prochaine fois, je vous dirai de manière plus claire comment j’ai envie de vous caresser. Mais pour l’instant, c’est la terre qu’il va falloir remuer.

— Mon Dieu, Maxime, s’esclaffe Miléna en rougissant clairement sous mon regard. Vous n’avez pas votre langue dans votre poche, c’est… Agréable.

— Ah si vous saviez où j’ai envie de mettre ma langue, avoué-je alors qu’elle rougit encore plus. Bref, ce n’est pas le moment de penser à tout ça, désolé de vous importuner avec mes désirs de mec frustré. C’est… Inconvenant.

— Inconvenant ? J’ai peur de ne pas avoir tout compris, vous m’excuserez. Mais vos désirs ne sont pas si désagréables que ça à entendre, me dit-elle en me faisant un nouveau sourire avant d’accélérer le pas pour rattraper les enfants.

Nous rejoignons Lili et Tom et j’admire la jolie brune se saisir d’une bêche et retourner le terrain pour le préparer à recevoir les petites graines que ma fille glisse dans la terre. Je suis vraiment de plus en plus conquis par la grâce qu’elle dégage à chacun de ses gestes. Et alors que je m’approche d’elle pour essayer de renouer la conversation, mon téléphone sonne. Je me débarrasse de mes gros gants et je parviens à décrocher avant que la sonnerie ne s’arrête. C’est Nicolas, mon chef, qui cherche à me joindre alors que nous sommes en weekend.

— Bonjour Maxime, désolé de te déranger à cette heure, mais j’ai besoin de toi au port.

— C’est samedi, Nicolas, je suis avec mes enfants, tu sais bien que je ne suis pas disponible, voyons !

— Ecoute, je suis toujours arrangeant si besoin, et tu le sais. Je ne t’appellerais pas si ce n’était pas important. On a besoin de toi ici, c’est non négociable. Je te laisse une heure pour t’arranger pour tes gosses, je t’attends dans mon bureau.

— Je vais voir avec ma mère, mais si elle n’est pas dispo, tu ne me verras pas, je te préviens.

— Au prix qu’on te paie, tu pourrais être un peu plus reconnaissant. Je ne t’appelle pas tous les weekends, à ce que je sache.

— Oui, chef. A tout à l’heure, chef.

J’insiste lourdement sur le mot “chef” avant de raccrocher, en colère contre lui et son manque de considération pour ma vie en dehors du boulot. En même temps, je suis déjà dans le mode professionnel et essaie de comprendre ce qui a pu se passer avec les migrants pour que ça nécessite ma présence en ce beau samedi.

— Chef ? Un problème avec le… Boulot, c’est ça ? me demande Miléna en approchant.

— Oui, je dois y aller. Il faut que j’appelle ma mère pour garder les enfants. Je ne sais pas si elle sera disponible.

— Je suis là, si vous avez besoin. Enfin, les enfants jardinent, je peux gérer si vous voulez.

— Euh… C’est gentil, mais je ne veux pas vous imposer ça. Et je ne sais pas pour combien de temps je vais en avoir.

J’hésite à accepter, c’est sûr, je ne sais pas comment elle sera avec les enfants, mais ai-je vraiment le choix ? Et ma mère accepterait-elle de venir alors que la jeune femme est présente et disponible ?

— Laissez-moi être utile, Maxime. Je vous promets de veiller sur eux. On va finir de jardiner, goûter, et puis, on préparera un bon dîner, si vous n’êtes pas rentré. Vous pouvez me faire confiance, je vous assure.

La proposition est tentante, et au fond de moi, je lui fais déjà confiance. Mais il reste encore un obstacle.

— On peut essayer, oui. Demandons-leur si ça ne leur pose pas de problème, si vous voulez bien.

Elle opine et j'attire l’attention des enfants en tapant ma petite truelle sur mon seau.

— Bien, les jeunes, je dois m’absenter un petit peu pour un problème au travail. Miléna va s’occuper de vous, comme ça, vous ne serez pas tout seuls.

— Quoi ? Pourquoi tu dois partir ? C’est le weekend, Papa ! Y en a marre de ton travail, soupire Lili alors que Tom nous regarde tour à tour, Miléna et moi.

— Je ne sais pas, Nicolas ne m’a pas dit. Mais si ce n’est pas important, je reviens vite. Je n’ai pas beaucoup le choix, tu sais, Lili ?

— Tu nous laisses avec une inconnue ? Tu crois vraiment qu’on va être bien avec elle ? Tu sais que les babysitters, maintenant, elles passent des entretiens d’embauche et doivent donner des références ? Miléna, elle a des références ? intervient finalement mon fils.

— On s’en fout des références, le coupe sa sœur. On va pouvoir s’amuser sans Papa et sans Mamie ! Tu te rends pas compte de la chance qu’on a ?

— Non mais tu ne te rends pas compte, toi, des risques d’avoir une babysitter non qualifiée ? Et si l’un de nous s’étouffe ? Tu connais les statistiques des professionnelles maltraitantes ? Alors une femme qu’on connaît depuis quatre jours ?

— Tom, je n’ai pas de références, moi. Et je n’ai pas fait l’école des papas, rétorqué-je, agacé. Et tu vois, je m’en sors.

— Il n’y a pas d’école pour les papas, tu le sais bien, soupire mon fils en levant les yeux au ciel.

— Je n’ai pas le temps de discuter de toute façon, tranché-je brusquement. Vous restez ici avec Miléna, un point c’est tout.

— Allez, Tom, ça va. Je suis là, moi. Si Miléna a un problème, on est grands, on peut l’aider, intervient Lili.

— Tu as des références ? Tu sais t’occuper des enfants ? lui demande à nouveau mon fils, alors que je la sens un peu en retrait.

— Des références ? lui demande Miléna en fronçant les sourcils. Je gardais les enfants de mes voisins quand j’étais plus jeune… Et… Je m’occupais de mon cousin aussi, de temps en temps. Je ne suis pas une professionnelle, mais je n’ai jamais eu de problème avec les enfants.

— Bien, c’est vendu, dis-je. Merci Miléna, ça me sauve la vie. Et vous verrez, ajouté-je en me tournant vers mes deux enfants, vous allez adorer ! Je me sauve. Je vous aime !

Je ne les laisse pas protester davantage, adresse un petit sourire à Miléna et les plante au milieu du jardin pour me précipiter vers ma chambre afin de me changer. Je ne sais pas si c’est une bonne idée de les abandonner avec cette étrangère dans tous les sens du terme. Mais c’est elle qui a demandé à se rendre utile et quel meilleur moyen que de s’occuper de mes enfants pendant que je suis au travail ? De toute façon, non seulement je n’ai pas beaucoup le choix, mais surtout, je sens au fond de moi que je peux vraiment lui faire confiance. J’espère que je ne le regretterai pas.

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