18. Au cœur de la famille

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Miléna

— Tom, tu as fini dans la salle de bain ? Ta sœur attend la place.

— Oui, j’arrive !

Les enfants sont un peu sur les nerfs, ce soir, et j’espère que ce n’est pas ma présence qui les met dans cet état. Lili et Tom n’ont pas arrêté de se chamailler, de la sortie de l’école au moment où le petit sosie de Maxime est monté pour prendre sa douche. Je me demande si l’absence de leur père n’est pas compliquée à vivre pour eux. Il faut dire que, du peu que j’en ai vu, il travaille beaucoup. Sans compter l’absence de leur maman. Ajoutez à cela la particularité du petit et une réfugiée arménienne qui s’incruste, et vous obtenez un mélange très électrique.

— Ne touche pas à mes figurines, Miléna.

Je me tourne vers lui en levant les mains en l’air pour lui signifier que je n’en ai pas l’intention, et souris en voyant ses cheveux mouillés tout ébouriffés. Il a vraiment une bonne bouille qui donne envie de le couvrir d’amour et de tendresse. Même avec ce regard accusateur dont il me gratifie chaque fois que je fais une bêtise ou qu’il pense que je vais en faire une.

— Elle est jolie, ta chambre. Je crois que je n’ai jamais vu autant de livres dans une chambre d’enfants. Et ces figurines sont superbes. Tu devrais aller te coiffer avant que Lili ne s’enferme dans la salle de bain.

Il fait demi-tour alors que je vais frapper à la porte de la chambre de Lili, qui me dit d’entrer. La pièce est plus petite, mais elle semble l’avoir bien investie. C’est son refuge et ça se voit.

— Ton frère se coiffe et tu peux y aller. Je vais finir de préparer le dîner, tu nous rejoins quand tu as terminé ?

— Pourquoi c’est toujours lui qui passe en premier, même pour la douche ?

En voilà une bonne question, et c’est pour moi. Magnifique. Je m’assieds à côté d’elle sur le lit et lui souris.

— Je ne suis pas sûre que ton frère passe toujours en premier, tu sais ? Enfin, pour la douche, oui. Mais tu es la grande sœur, tu es plus… Comment je pourrais dire ça ? Plus autonome ? Plus capable de faire de choses ? Et puis, je crois que ton frère a besoin d’avoir des habitudes, non ?

— Oui, mais moi aussi des fois, j’aimerais bien que les gens s’adaptent à moi plutôt que l’inverse. Ce soir, par exemple, on pourrait avoir un dessert au chocolat même si ce n’est pas le bon jour pour Tom ?

— Il faut que tu en parles avec ton Papa, de tout ça. Moi, je ne peux pas faire grand-chose, tu sais. Je vois bien que ce n’est pas facile pour toi, mais tu t’en sors bien, et puis tu es une super grande sœur !

— Merci Miléna. Si tu peux lui en parler aussi, ce serait bien. Et j’aimerais vraiment du chocolat ce soir, tu sais ?

— Je lui en parlerai alors, promis. Et pour le chocolat… Moi aussi, j’ai envie de chocolat, tu sais ? Allez, file te doucher, souris-je en caressant ses jolis cheveux ondulés.

Je lui fais un clin d’œil et sors de sa chambre pour tomber sur Tom qui met ses vêtements dans le panier à linge.

— C’est bon pour toi ? Qu’est-ce que tu fais avant le repas, Tom ?

— Oui, c’est bon. J’ai remis le savon à sa place, tout va bien. Et je fais ce que je fais tous les jours, je lis pour apprendre toujours de nouvelles choses. Tu savais que la peau des cochons n’avait pas toujours été rose ?

— Ah oui ? Elle était de quelle couleur alors ?

— Eh bien, ils étaient bruns avant. Ils ont perdu leurs poils quand ils ont été domestiqués. C’est fou ce que le manque de liberté peut faire sur la nature, tu ne trouves pas ?

— Tu as raison. C’est comme pour les moutons. Tu savais qu’avant d’être domestiqués, ils n’avaient absolument pas besoin d’être tondus ?

— Non ! Il faut que je trouve un livre sur ça ! Tu en sais des choses intéressantes, toi !

— Quelques unes, oui, souris-je. Allez, je mets la table et tu viendras vérifier avant de manger, ça te va ? Je crois que je suis prête à essayer toute seule, tu me donnes une chance ?

— Oui, tu m’as appris quelque chose, tu as le droit à une erreur ! sourit-il, taquin.

— Oh, c’est vilain de tout de suite croire que je vais faire une bêtise, ris-je. N’embête pas ta sœur, d’accord ? Je vous appelle quand c’est prêt.

Je sors de la chambre avec un sourire plaqué sur le visage. Ces enfants sont formidables et surprenants. Tom me montre un peu d’intérêt et ça me fait vraiment plaisir, quand Lili commence à se confier et m’offre un peu de sa confiance.

Je me dépêche de descendre et vais vérifier les lasagnes en pleine cuisson avant de m’atteler à mettre la table avec soin. Tom est extrêmement méticuleux et je sais que ça ne sera pas parfait. Cela peut-il seulement l’être si ça ne vient pas de lui ? Toujours est-il que je m’applique et prends le temps de tout vérifier. Je finis par redresser la tête et tombe sur les beaux yeux verts de Maxime, en train de m’observer depuis l’entrée de la salle à manger.

— Ne te moque pas, et ne me déconcentre pas, j’ai marqué des points avec ton fils, je voudrais ne pas trop en perdre avec la table, souris-je.

— Je ne me moque pas, tu fais ça très bien, mais tu sais que ça ne sera jamais exactement comme il veut ?

— Je me doute, mais j’essaie un minimum. Ça ne te fatigue jamais de toujours devoir t’adapter à lui ? lui demandé-je doucement.

— C’est mon fils, je n’ai pas le droit d’être fatigué. Et puis, si moi, j’abandonne, ou je n’essaie pas, qui va le faire ? Il n’a plus sa mère, il n’a que moi. Et on doit faire avec.

J’hésite à profiter de ce moment pour lui parler d’Emilie. Maxime rentre du travail, il doit avoir autre chose en tête que de devoir se poser des questions sur sa fille et ce qu’il fait avec ses enfants. Mais le chocolat me revient en mémoire et je me dis que c’est l’occasion ou jamais.

— Il n’a pas que toi, il a sa sœur aussi. Et elle, elle fatigue, tu sais ? Le dîner est presque prêt.

— Elle fatigue ? Vraiment ? Pourtant, elle ne dit jamais rien, c’est étrange.

— Je crois qu’elle n’ose pas. Je ne me permettrais pas de te juger, tu fais ce que tu peux seul avec tes deux enfants et tu fais beaucoup, mais je crois que Lili se sent un peu oubliée face à Tom. C’est vrai que beaucoup de choses tournent autour de lui, et j’ai bien compris qu’il fallait que ce soit comme ça pour qu’il se sente bien. Mais vous ne pouvez pas vivre que pour lui, tous les deux…

J’espère vraiment qu’il ne va pas mal prendre ce que je lui dis, et je parle sans trop réfléchir, comme je ressens les choses. Maxime m’observe en silence et son soupir me fait paniquer. Est-ce que je suis allée trop loin ?

— Enfin, oublie, continué-je précipitamment, je ne suis là que depuis une semaine, je ne connais rien ou presque de votre vie de famille. Je voulais juste que tu saches que Lili m’a dit qu’elle avait l’impression de toujours passer après son frère, et qu’elle aimerait un dessert au chocolat ce soir, même si ce n’est pas le jour…

— Non, tu as bien fait de me le dire parce que parfois, je ne pense pas à tout ça. C’est bien qu’elle t’ait parlé, Lili, c’est qu’elle t’apprécie. Et pas de souci pour le chocolat, tu sais. Tom aime bien les habitudes, mais il comprend aussi quand on en change. Il suffira de lui expliquer.

— C’est si terrible que ça si Lili et moi on prend du chocolat alors que Tom mange son yaourt ?

— C’est juste un changement, et il n’aime pas. Depuis le départ de ma femme, c’est encore pire qu’avant. Il faut juste s’adapter, ne pas oublier de lui expliquer, c’est tout.

J’acquiesce et lui souris en sortant de la salle pour retourner en cuisine et sortir les lasagnes du four alors qu’il m’a suivie.

— Oh, au fait, je suis désolée d’avance si Tom te demande des livres sur les moutons. Il m’a parlé des cochons domestiqués et je lui ai parlé d’eux, du coup… J’ai réveillé sa curiosité déjà bien vive.

— Tu es une experte en moutons ? rit-il. On ira à la bibliothèque pour en prendre un, s’il le faut. Ou on ira voir des sites sur Internet, ce n’est rien, ça, j’ai l’habitude ! Le moindre mot peut le lancer sur des semaines de recherches !

C’est peu dire. Une fois à table, Tom nous raconte mille et une choses sur les cochons, après m’avoir reproché plusieurs erreurs sur le dressage de la table. Lili reste, une fois de plus, en retrait, mais lorsque Maxime dépose un yaourt au chocolat devant elle, le sourire qu’elle lui lance vaut presque le coup face au grognement de Tom. Leur père est doué pour désamorcer les bombes, et je prends conscience de la nécessité de parler avec le petit, que tout est entendable pour lui tant que c’est expliqué, même s’il ne semble pas vraiment comprendre pourquoi c’est important pour sa sœur. Cette entorse aux habitudes a le mérite de l’arrêter dans son élan, il ne mobilise plus la conversation, ce qui permet à Maxime de discuter avec Emilie de sa journée à l’école.

Lorsque l’heure d’aller au lit est annoncée, la jeune fille me gratifie d’un câlin appuyé que je prends volontiers, avant de monter avec son père. Tom me souhaite bonne nuit de loin et les suis alors que je débarrasse la table. Je suis en train de faire la vaisselle lorsque le maître des lieux me rejoint dans la cuisine.

— Ça a été, le coucher ?

— Oui, j’ai eu le droit à un gros câlin de Lili. Comme quoi, le chocolat, ça fait son petit effet. Tu en as pris aussi, non ?

— Ben oui, ris-je. Si je pouvais, j’en mangerais en entrée, en plat et en dessert, tu sais ? Le chocolat… Y a rien de mieux.

— Et ça me donne droit aussi à un gros câlin ou ça ne marche qu’avec les enfants ? me demande-t-il en s’approchant de moi.

— Je suis désolée, c’est le vin qui me rend câline, moi, souris-je en lui faisant un clin d’œil.

— Ah oui ? C’est seulement quand tu es bourrée que tu t’intéresses un peu à moi, alors. Je t’offre un verre ? demande-t-il avec un air taquin qui me rappelle celui de son fils de tout à l’heure.

— Tu as réfléchi à ce que tu pouvais me donner à faire ? lui demandé-je pour changer de sujet. Parce que j’ai peut-être une idée, moi.

— Tu as une idée ? Une idée coquine ou une vraie idée ?

J’en ai, des idées qui n’ont rien de sérieux. Mais je n’ai aucune envie de payer mon séjour ici avec du sexe.

— Une vraie idée, je ne compte pas te remercier autrement que par quelque chose d’honnête, tu sais ?

— Et c’est quoi, cette idée honnête, alors ? Arrête tout ce teasing, je veux savoir !

— Désolée, c’est mon côté journaliste qui ressort, soupiré-je en m’asseyant sur le plan de travail près de l’évier. J’ai entendu ta mère parler de Bed and Breakfast, en fait, et je me disais que je pourrais peut-être t’aider à rénover une chambre ou deux…

— Tu t’y connais en travaux ? Il y a tout à refaire, tu sais, l’électricité, la plomberie, la déco… Et je n’ai vraiment pas de temps à y consacrer, même si ce serait bien de rénover cette belle propriété.

— Je ne suis pas une professionnelle, mais Vahik et moi, on a acheté notre maison dans un sale état et j’ai un peu touché à tout. Il était très manuel, il m’a montré plein de choses. Je peux essayer, au moins ? J’ai fait ma curieuse en regardant la suite à côté de la mienne, le parquet est en bon état, il a besoin d’un coup de propre et d’être ciré. Les murs, je connais. Bref, tu peux y réfléchir au moins ?

— Je veux vraiment que tu comprennes que je ne t’héberge pas en échange d’un quelconque service. Si tu veux le faire, vas-y, fais-toi plaisir. Mais si tu préfères rester à paresser au lit ou à faire des promenades, ça m’ira aussi. Tu es libre, ici, tu décides pour toi-même.

— Ça, ça vaut bien un câlin.

Je souris et descends du plan de travail pour approcher de lui. Un peu timidement, gauchement, mais je finis par l’enlacer alors qu’il n’a eu aucun mouvement de recul.

— C’est compris, continué-je sans bouger, ma joue contre son épaule. Et je veux que tu comprennes que si je veux faire des choses, c’est autant pour te remercier que pour m’occuper. Je ne suis pas le genre de personnes à rester au lit ou à me promener toute la journée. J’ai besoin de bouger, d’être active…

— Tu ne fais rien pour me calmer, en tous cas. Et le pire, c’est que ça ne me déplait pas. Ma mère pense que tu cherches à me charmer pour les papiers. Dis-moi qu’elle se trompe, Miléna.

Je mets un temps à assimiler ses paroles et recule finalement, un peu abasourdie par ses propos. Marie pense vraiment ça ? Elle avait pourtant l’air si gentille avec moi. Pourquoi est-ce qu’elle va s’imaginer ça ?

— Pour les papiers ? Vraiment ? Je… Tu crois vraiment que je suis capable de ça ? De te manipuler, de faire pareil avec les enfants, pour des papiers ? Je sais que je suis désespérée, mais pas à ce point, quand même ! Jamais je… Non, bien sûr qu’elle se trompe ! Voilà une raison de plus de ne surtout pas faire de bêtises, tu vois ? Ça vaut mieux comme ça… Bonne nuit, Maxime.

Je fuis la cuisine rapidement et vais m’enfermer dans la chambre. Je peux comprendre qu’on se pose des questions, forcément, une étrangère qui pourrait avoir une relation ici, avec un Français… Mais déjà, il n’y a aucune histoire, aucune relation, et je n’ai même jamais imaginé faire une telle chose. Ce n’est pas moi, jamais je ne pourrais en arriver là. Si jamais quelque chose se passe, ce sera parce que j’en aurai envie, parce que je suis prête et qu’il m’attire. Ce ne sera certainement pas un calcul pour obtenir le droit de rester en France.

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