28. J'ai accepté par erreur ton invitation

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Miléna


Mais qu’est-ce qui m’a pris d’accepter cette invitation ? A quel moment est-ce que j’ai pensé que c’était une bonne idée ? Depuis hier soir, les mots de Marie me passent encore et encore en tête. Je suis en train de faire tout le contraire de ce que nous avons pu nous dire il y a quelque temps. Et je me retrouve là, pendant que les enfants sont à l’école et Maxime au boulot, devant ma maigre penderie, à me demander ce que je vais bien pouvoir mettre. Du grand n’importe quoi. A quel moment est-ce que j’ai pu vriller comme ça et accepter alors que je m’étais promis de ne pas craquer ? Alors que je me disais encore et encore que je n’en avais pas le droit, que je n’étais pas prête, que je ne devais pas ?

Il faut que je me calme. Un restaurant, ça n’engage à rien, non ? On peut y aller en toute amitié. Des amis qui se roulent des pelles, parfois… Qui s’attirent et se cherchent… Qui crèvent d’envie de craquer. Enfin, pour ma part en tous cas, c’est certain. Maxime a des mots qui me touchent, et il a repoussé la petite Nina. Enfin, petite… Jeune et bien formée, magnifique et toute apprêtée.

Dans mon ancienne vie, j’étais comme elle. Toujours bien habillée, bien coiffée, un peu maquillée. Là… A part une crème pour le visage, je me retrouve au naturel et marquée par deux mois de voyage en classe hyper éco. Je me sens plutôt moche, mais je me dis qu’il m’apprécie sans jamais avoir vu la Miléna d’Arménie. En attendant, j’en suis encore à me demander comment je vais bien pouvoir m’habiller. Maxime ne m’a pas dit à quel genre de restaurant nous allions, et ça me stresse d’être totalement à côté de la plaque. J’adore la seule robe que j’ai, mais elle est longue et très décontractée. Je me dis qu’avec un peu de fil et une aiguille, je pourrais la ceinturer. Je pourrais même utiliser un peu de tissu pour faire une vraie ceinture, qui sait ? Toujours est-il que je n’ai même pas de chaussures classes, juste des ballerines… C’est vraiment la galère, cette situation. Et mes pensées sont vraiment très superficielles, aussi.

Je pars donc à la recherche d’une boîte de couture, ce qui s’avère être une nouvelle galère. Heureusement, après un moment de fouilles, j’ai l’intelligence d’aller regarder dans le placard près de la machine à laver et trouve mon bonheur. Ça m’embête vraiment de modifier cette robe, mais je me dis que ceinturée et raccourcie, elle peut vraiment être canon pour un restaurant.

Je suis douchée et j’ai coiffé mes cheveux lorsque Maxime rentre du boulot, pas très tard, ce soir. J’ai enfilé mon bas de jogging et un débardeur, et j’essaie de ne pas lui sauter dessus pour lui demander ce que j’ai en tête depuis tout à l’heure. Au lieu de cela, je le salue d’une bise appuyée sur la joue alors qu’il me sourit et attrape une mèche de mes cheveux.

— Ne te moque pas, je fais comme je peux. Tu n’imagines pas comment j’ai fait pour qu’ils ne soient pas lisses, ris-je.

— Cela te va très bien en tous cas. Tu es prête ? me demande-t-il sans sourciller en voyant le jogging.

— Non, mais je n’ai plus grand-chose à faire. Est-ce que je peux abuser de ta gentillesse ? J’aurais éventuellement besoin de… Fouiller dans ton armoire pour te piquer une veste qui sera dix fois trop grande pour moi ?

— Euh, si tu veux… Tu m’intrigues, là. Tu vas en faire quoi ?

— Eh bien, la mettre, voyons ! me moqué-je. Que veux-tu que j’en fasse ? Et si éventuellement tu avais une ceinture… Je ne dis pas non. Je ne te demande pas de chaussures à talon, je n’ai pas repéré chez toi une tendance à t’habiller en femme.

— Suis moi, je vais te donner ça. Tu es bizarre, mais si ça te fait plaisir, ça me va.

Je le suis au premier étage jusqu’à sa chambre sans relever son regard interrogateur, et souris quand il m’ouvre son armoire. Bon, on est sur des vêtements d’homme, mais j’arrive à tomber sur une petite veste noire assez fine que je devrais pouvoir utiliser. Pour les ceintures, c’est plus compliqué, et j’en viens à lui piquer une cravate noire qu’il valide, encore plus intrigué. Je dépose un nouveau baiser sur sa joue et file dans ma chambre pour m’habiller. Un joli nœud avec la cravate au niveau de la taille, les manches de la veste repliées sur mes bras, resserrée dans le dos grâce à une pince à papier trouvée dans le bureau de la bibliothèque, et un bouton fermé sous la poitrine, la robe raccourcie… Je suis plutôt satisfaite de l’image que je renvoie dans le miroir. C’est sûr que ce n’est pas la tenue la plus sexy possible, mais c’est mieux que le jogging que j’avais il y a encore quelques minutes.

Quand je descends, je tombe nez à nez avec les enfants qui sont en train de dire bonjour à Marie, arrivée entre-temps. Ils me détaillent tous les trois de la tête aux pieds avant que Lili ne vienne me faire un câlin.

— Votre père n’est pas encore descendu ?

— Non, mais vu comme tu es jolie, il ne devrait pas tarder, me dit la jeune fille.

— Merci ma belle, souris-je alors que la nounou débarque à son tour dans l’entrée, son sac à la main, prête à partir. Bonne soirée, Nina, à demain !

C’est le moment que choisit Maxime pour descendre les escaliers, et je me gifle intérieurement pour ne pas baver comme un Saint-Bernard. Il a enfilé un chino bleu marine bien taillé, une chemise cintrée blanche avec des motifs fins de la même couleur que le pantalon, une veste ajustée et des chaussures en daim. Sexy et classe, j’en reste bouche bée. J’entends Nina souhaiter bonne soirée à tout le monde et la porte claquer sans avoir pu détourner mon regard de l’homme qui est gratifié du même genre de câlins que j’ai reçus il y a peu par sa fille.

— T’es trop beau, mon Papa !

— Merci ma Puce. Il fallait que je fasse honneur à la femme qui parvient à me faire sortir au resto en tête à tête pour la première fois depuis plus de trois ans quand même ! Et j’ai bien fait car elle est magnifique !

— C’est vrai que vous êtes très élégants, tous les deux, intervient Marie en regardant son fils avec tendresse.

— Tu es prête ? me demande-t-il alors que son regard appréciateur me donne chaud.

— Je suis prête, oui, souris-je en déposant un baiser sur le front de Lili. Bonne soirée les enfants.

— Merci pour le babysitting, Maman. Je ne sais pas encore à quelle heure on va rentrer, mais n’hésite pas à prendre mon lit si tu es trop fatiguée.

— Et tu comptes dormir où, toi ? lui demande-t-elle avant de grimacer. Oui, bon, d’accord… Bonne soirée à vous.

Je suis Maxime qui vient d’embrasser les enfants et sa mère, et nous montons dans sa voiture. C’est un sentiment étrange qui s’empare de moi, à cet instant, entre excitation et appréhension. La pointe de culpabilité qui me quitte lorsque je suis seule refait son apparition, et, comme une vieille habitude, je joue avec la bague pendue à mon cou. Je ne peux m’empêcher de penser à Vahik, et ça me gêne pour Maxime. Je me sens tiraillée entre le passé et le présent, et j’ai beau me dire que je dois profiter, tourner la page et vivre tout simplement, que j’ai droit au bonheur et à une nouvelle vie, j’ai du mal à me reconnecter avec le présent. D’ailleurs, le trajet se passe dans un quasi silence. Je crois que Maxime est aussi nerveux que moi. Est-ce qu’il culpabilise par rapport à sa femme ? Est-ce qu’il regrette de m’avoir invitée ?

L’air frais lorsque je sors de la voiture me fait du bien et me ramène à la réalité. Je glisse mon bras sous le sien avec la satisfaction de m’afficher avec un tel homme, et le plaisir de sortir un peu du château, même si c’est pour me retrouver à Calais. Il ne s’est pas moqué de moi, le restaurant est vraiment classe et je me dis que j’ai bien fait de faire un effort quant à ma tenue.

— C’est vraiment superbe, ici, lui dis-je doucement alors que nous entrons.

— Ce qui est vraiment superbe, c’est la femme qui est à mon bras, répond-il, charmeur. Je suis content que tu aies accepté mon invitation, ça fait du bien de sortir et de laisser un peu de place à la séduction. Parce que je te préviens, c’est ce que je compte faire, ce soir.

Le sourire qu’il m’adresse est à la fois rayonnant et le témoin d’un véritable plaisir à être en ma compagnie. Il a pris en assurance depuis sa proposition, hier soir, et j’essaie de masquer ma nervosité, de mon côté. J’ai toujours été plutôt sûre de moi, mais j’avoue que depuis que j’ai commencé à voyager, je suis sur une totale ambivalence. D’un côté, j’ai du mal à réaliser que j’ai traversé tous ces pays pour atterrir ici, mais je prends réellement conscience de la force que j’ai eue. De l’autre, quand je regarde mon parcours, je ne comprends pas qu’après tant d’années à lutter pour me faire une place dans le monde du journalisme, toutes ces recherches, tous ces articles, je ne sois plus qu’une jeune femme fragile et prête à plier à la moindre galère.

— J’ai fait comme j’ai pu, avec les moyens du bord, ris-je en regardant ma tenue. Je suis contente de ne pas te faire honte, j’avais peur de ne pas réussir à faire quelque chose de convenable pour un restaurant.

— C’est plus que convenable, chère Madame, dit-il, cérémonieux, en tirant ma chaise afin que je puisse m’installer à ma place. Je vous rappelle que ce soir, il faut vous faire plaisir, alors prenez vraiment tout ce que vous aimez. Je ferai envoyer la note au Châtelain, ajoute-t-il en me faisant un clin d'œil avant de s’asseoir en face de moi.

Je souris alors que le serveur dépose la carte devant moi et ne bronche pas, même si je n’ai jamais vraiment été du genre à me laisser offrir le repas. Vahik détestait m’inviter au restaurant. Très classique, il voulait toujours payer quand je voulais faire moitié-moitié. Là, pour le coup, sans un sou en poche, je ne vais pas pouvoir faire grand-chose.

— Je te remercie, et je ne vais rien dire puisque je ne peux pas faire autrement, mais sache que je ne me suis jamais fait offrir le restaurant, lui dis-je en ouvrant la carte. Je préfère le partage, normalement.

— Eh bien, il faudra juste que tu trouves le moyen de payer ta part autrement. Ou que tu acceptes que ça me fait plaisir de t’inviter, je te laisse choisir. Tu veux boire quelque chose ? Je sais que le vin a un effet positif sur toi, et je veux mettre toutes mes chances de mon côté, ce soir, exprime-t-il, taquin.

— Tu veux vraiment me faire boire ? Je ne te félicite pas ! Je prendrai peut-être un verre pendant le repas, oui, mais de l’eau me suffira en attendant. Tu sais déjà ce que tu vas prendre ? Je veux dire, autre qu’un baiser une fois que j’aurai bu, tu vois ?

Je lui fais un clin d’œil avant de me plonger dans le menu. Le stress d’avant rendez-vous me quitte peu à peu, Maxime me met à l’aise, même si j’ai bien peur qu’il attende davantage de ce rencard que moi. Ou qu’il ait une idée précise de la suite, quand, pour ma part, je suis perdue entre ce que je devrais et ne devrais pas faire. Pour le moment, je me suis convaincue que discuter n’engage à rien, et j’ai vraiment besoin d’en apprendre davantage sur lui. C’est vrai, il doit connaître quasiment toute ma vie depuis que je lui ai parlé de ce qui m’a amenée ici, depuis qu’il a lu mon courrier pour ma demande d’asile. Autant dire que je me suis mise à nue devant lui, au figuré, alors qu’il reste assez discret sur sa propre vie. Si cette soirée permet au moins d’en découvrir un peu plus sur cet homme, ce sera déjà ça. Pour la suite… Qui vivra verra...

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