29. Se mettre à table

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Maxime


Ce petit dîner était vraiment une bonne idée, j’ai l’impression d’être redevenu un jeune homme qui découvre les jeux de séduction. Ce “date” comme disent les américains quand ils évoquent ces rendez-vous à connotation amoureuse alors qu’il n’y a pas vraiment de relation encore, me fait vraiment plaisir. Surtout avec une femme magnifique comme Miléna. Je ne peux m’empêcher de l’observer et de détailler tout ce qui me plaît chez elle. A commencer par sa fierté et le fait qu’elle est un peu gênée de ne pas pouvoir participer aux frais. J’adore aussi sa créativité. Quand je vois ma veste qu’elle a adaptée à sa tenue, et ma cravate qui lui sert de ceinture, je me dis qu’une femme capable de transformer les objets du quotidien ainsi est forcément un trésor qu’il faut conquérir et conserver.

Depuis son arrivée dans ma vie, elle a déjà vraiment tout bousculé. Mon quotidien qui était plan-plan et très routinier a pris de nouvelles directions, à commencer par ces soirées passées à traduire le manuscrit qu’elle m’a permis de trouver dans l’armoire, ce don fait par mon père à travers le temps. Et puis, encore plus incroyable, pour la première fois depuis que mon épouse a disparu, je me mets à penser à une autre femme, à espérer aller plus loin avec elle alors que je ne me l’étais encore jamais permis jusqu’à présent.

En face de moi, elle détaille le menu avec la même attention qu’elle doit porter aux documents qu’elle utilise pour faire ses articles, il me semble. Je n’ai pour ma part pas encore ouvert le mien, trop occupé à observer tout ce qui fait son charme physique qui m’attire autant que ses qualités de caractère et de personnalité. Son petit nez un peu retroussé, son sourire éclatant, ses magnifiques yeux de la couleur de l’océan. Je la trouve tout simplement parfaite, mais je dois passer un peu trop de temps à la scruter car elle relève la tête et m’interpelle.

— Maxime ? Tu as choisi ce que tu allais prendre ? Si tu ne parles pas de la soirée, ça risque d’être un peu long, tu sais ?

— Oh désolé, j’étais juste en train de me dire que j’ai de la chance d’être ici avec toi. Cela me fait tellement plaisir, si tu savais. Il faut juste que je parvienne à ne pas me laisser déconcentrer par toi, c’est tout.

J’ouvre le menu et décide rapidement de ce que je vais commander afin de pouvoir reprendre ce qui fait le succès de cette soirée pour moi, à savoir, l’observation de mon invitée.

— Arrête, rit-elle en refermant le menu. C’est très flatteur, mais… Bon sang, je peux être honnête avec toi ?

— Bien sûr, énoncé-je alors que dans ma tête, je me dis que je préfèrerais rester dans mes rêveries si plaisantes et qu’elle me mente et m’avoue être super heureuse aussi d’être avec moi.

— Je n’ai jamais… Enfin, Je n’ai jamais dîné en tête à tête avec un homme, en fait. Je veux dire… Je n’ai connu que Vahik, pour être honnête, et on s’est mis ensemble sans passer par les rendez-vous. Alors, ça me fait un peu bizarre d’être là avec toi, en sachant que toi comme moi, on… On aimerait aller plus loin. Enfin, je crois, bafouille-t-elle avant de rire, visiblement mal à l’aise. Tu bois ce que je veux dire ?

— Je bois tes paroles, oui, m’esclaffé-je en entendant son lapsus. Et je te confirme que oui, j’aimerais aller plus loin et je suis ravi de te faire découvrir l’inconfort d’un premier rendez-vous. Alors, je te propose un truc tout simple. Ce soir, on se laisse porter, on oublie le reste, on ne pense pas à l’après. On est dans le présent, un homme et une femme qui ne se connaissent pas beaucoup et qui vont profiter d’un bon repas pour mieux se découvrir. Je te recommande d’ailleurs leur poisson. Délicat et plein d’épices, un peu comme toi.

— Je crois qu’il me faut finalement un verre de vin, rit Miléna en s’éventant avec le menu. Et je vais suivre ton idée, pour la soirée comme pour le plat. Je te fais confiance.

La commande est vite passée et alors qu’un silence s’installe à nouveau, je me penche vers elle et pose mes mains sur les siennes qui jouent nerveusement avec les couverts.

— Tu n’aimes pas le silence, je me trompe ?

— Non, tu as raison. Mon cerveau part dans tous les sens si je ne suis pas occupée à discuter.

— Et dans quelle direction était-il parti, alors ? Je suis curieux de voir ce qui te préoccupe tant. Tu sais que je ne le montre peut-être pas autant que toi, mais moi aussi, je suis un peu nerveux. C’est la première fois que je sors comme ça, au restaurant, avec une jolie femme depuis le départ de mon épouse.

— Tu n’as vraiment eu aucune nouvelle d’elle depuis qu’elle est partie ? Je n’arrive pas à comprendre comment on peut faire ça à sa famille…

— Oh tu sais, elle doit être trop occupée à sucer tout l’argent de son patron… Dans tous les sens du terme, ajouté-je plus amèrement que je ne le voudrais.

— Sucer tout l’argent ? s’esclaffe-t-elle. Vous avez des expressions bizarres, en France. J’ai… L’impression que tu ne t’en es toujours pas remis, de ce qu’elle a fait.

— Personnellement, je crois que j’ai fait le deuil de ma relation avec elle, mais ce qui me mine, c’est que les enfants, à chaque fois qu’ils parlent d’elle, font comme si elle venait juste de s’absenter.

— Et tu n’as vraiment rien vu venir ? Je veux dire… Il devait bien y avoir des signes, non ? Comment elle était avec les enfants ? Pardon… Je suis trop curieuse, je sais…

Je soupire et profite que le plat arrive pour me ressaisir un peu. Les deux truites braisées ont l’air d’être succulentes et je laisse le serveur remplir nos verres de vin avant de répondre.

— Bon appétit, Miléna. Tu vas voir, tu vas adorer. Et pour revenir à ta question, bien sûr que si, je l’ai vue venir, sa trahison. Mais pas son départ, non. Cela faisait des mois qu’elle faisait des heures supplémentaires, qu’elle allait à toute sorte de séminaires en soirée, les weekends. Et à chaque fois que je la touchais, elle prétextait une indisposition, un malaise, un excès de stress. Notre relation était vouée à l’échec, tu sais ? Mais quand on ne veut pas voir, on ferme les yeux et on regarde ailleurs. Je n’ai jamais avoué ça à personne, même pas à ma mère dont je suis proche, mais cela faisait longtemps que tout était mort entre nous.

— Et ta mère, elle l’appréciait ? me demande-t-elle en s’emparant de ses couverts. Bon appétit à toi aussi.

— Pas du tout, avoué-je encore, résolu à ne pas lui cacher mon passé. Elle trouvait qu’elle abusait de ma gentillesse, qu’elle ne m’avait épousé que pour la particule et le Château. Tu sais, Florence n’était vraiment pas une bonne personne. Et je ne regrette pas son départ plus que ça. Il faudrait que je puisse savoir maintenant comment on fait pour demander un divorce pour abandon du domicile conjugal… Ou un truc dans le même genre. Il faut absolument que je le fasse autant pour moi que pour les enfants. Cela leur permettra peut-être de tourner la page…

Je n’en reviens pas de tout ce que je lui raconte. Moi qui ne suis pas habitué à parler de moi, qui aime bien garder mes soucis au fond de moi, je suis en train de mettre sur la table mes souffrances les plus intimes.

— Je comprends mieux pourquoi ta mère a peur que je cherche à avoir des papiers grâce à toi, rit-elle doucement. Qu’est-ce qui t’a plu, chez elle, alors ? Je veux dire… Ce n’est pas rien de décider de se marier et de faire des enfants avec une femme…

Je reprends un verre de vin et la ressers aussi avant de continuer dans le déballage de ce qui est à l’origine de mon mal-être depuis quelque temps.

— Si je te dis qu’elle avait un beau cul, tu vas me trouver vraiment stupide, non ? Parce que pour le reste, une soirée un peu arrosée, on finit dans sa voiture. Un coup vite fait non protégé. Et bien sûr, elle tombe enceinte. Alors moi, le grand benêt que je suis, je la demande immédiatement en mariage. Et me voilà avec une épouse sur les bras. Mais aussi avec un bébé merveilleux qui toujours aujourd’hui me donne le sourire et espoir en l’avenir. Lili est le plus beau des accidents qui auraient pu m’arriver.

— Tu as des enfants merveilleux, sourit-elle avec une réelle tendresse dans la voix et le regard. Il ne faut pas regretter ce qu’il s’est passé avec ta femme, juste tourner vraiment la page. C’est toujours plus facile à dire qu’à faire, c’est sûr, surtout quand on est rongé par la colère… Ou la culpabilité. Mais malgré le chagrin et tout le négatif pour toi, il y a deux magnifiques enfants qui, eux, te comblent et ça se voit, même si tu travailles beaucoup trop à leur goût.

— Tu as raison, mais le travail, c’est quand même le meilleur moyen de fuir le quotidien, non ? J’ai pris de mauvaises habitudes, je crois.

— Les habitudes, ça se change, si on en a envie, sourit-elle. Mais tu as raison, se plonger dans le travail évite de penser à sa vie personnelle…

— Parce que toi aussi, tu as connu ça ? demandé-je, surpris. Je croyais que c’était le grand amour avec ton fiancé.

— Ça l’a été, oui, soupire-t-elle après avoir gardé le silence quelques secondes. Et puis on a grandi, on a changé… Je crois qu’on s’est connus trop tôt, que nous sommes devenus adultes ensemble, mais pas main dans la main. Vahik avait du mal avec mon métier, tu sais ? Il me soutenait, au début, mais j’ai toujours voulu aborder des sujets qui fâchent, des injustices, des thèmes un peu dangereux dans notre petite société chrétienne et fière de ses valeurs. Ça, ça lui plaisait moins, et plus il me le reprochait, plus je travaillais, en fait… Je crois que mon cerveau veut ne garder que le positif de tout ça et cherche à effacer les disputes, les menaces de séparation et tout ce qui fait que je n’aurais sans doute pas été heureuse dans ce mariage, et lui non plus.

Suite à ses propos, un nouveau silence s’impose naturellement entre nous deux. J’ai l’impression que nous venons de nous mettre tous les deux plus à nu qu’on ne pourra jamais le faire en ôtant nos vêtements. Sachant que c’est compliqué pour Miléna de faire face à ces pauses gênées, je fais un effort sur moi-même et reprends la parole.

— On fait bien la paire, tous les deux, ris-je doucement. Deux abimés de l’amour qui se retrouvent à parler de leurs ex pendant un rencard, on est forts, il n’y a pas à dire.

— C’est vrai, tu as raison, sourit-elle. Mais ils font partie de nous et ont participé à ce que nous sommes aujourd’hui, alors ils ont un peu leur place ici quand même, tu ne crois pas ?

— Honnêtement ? Je suis content de t’avoir un peu expliqué ma situation, mais je pense que ma femme n’a plus le droit d’avoir une quelconque place dans ma vie. Je vais la rayer au plus vite de mon existence et il va bien falloir que mes enfants s’habituent à vivre sans elle. Elle ne reviendra plus, maintenant, c’est sûr.

— C’est dommage pour les enfants, mais ils ont un Super Papa et une grand-mère qui les aime pour s’occuper d’eux, c’est déjà énorme.

— Ils t’apprécient beaucoup, tu sais. Si un jour quelque chose devait arriver entre nous, je pense qu’ils ne le prendraient pas mal. Pas que je doive faire ma vie en fonction de leurs caprices, mais jamais je ne me remettrai en couple avec une femme qui ne pourrait pas les rendre heureux.

— Je les apprécie beaucoup aussi. C’est moi qui ai déboulé dans votre vie, et pourtant vous avez tout chamboulé dans la mienne déjà bien en bazar, rit-elle. Oh, au fait, je change de sujet, mais j’ai un peu traduit le grimoire, ce matin, et je suis tombée sur un passage qui parle de la Tour de l’Horloge et, je crois, de souterrain. Tu savais qu’il y avait un chemin qui reliait la tour au château de l’époque ?

— Impossible, rétorqué-je. Tu as vu la salle ? Tu veux qu’il parte d’où ce chemin souterrain ? Il faut que tu me montres ce passage dans le manuscrit dès ce soir. Mais d’abord, je te conseille une petite douceur en dessert. Je suis de ceux qui pensent qu’il ne faut jamais laisser une jolie femme sur sa faim.

— Va pour un dessert, et je plaide coupable, je prends toujours un café gourmand pour avoir droit à plusieurs petites douceurs, murmure-t-elle sur le ton de la confidence. Et il va me falloir de la caféine si on repart sur de la traduction en rentrant.

— On peut partir sur autre chose de plus excitant, si tu le souhaites, dis-je, sautant sur l’occasion pour renouveler mon désir de faire évoluer notre relation.

— Parce que chercher un trésor n’est pas assez excitant à ton goût ? Je trouve ça passionnant, moi !

Eh bien, il y a encore du chemin à parcourir pour la mettre dans mon lit, on dirait, car clairement, on n’est pas sur la même longueur d’onde, là. Elle est à fond dans la recherche du trésor alors que moi, je suis plus en mode drague et séduction. Quand je vois comme elle est jolie, quand je constate comme elle est charmante, je suis incapable de me plonger dans une quête où le résultat est plus qu’incertain. Je crois que pour l’instant, mon Graal, c’est elle.

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