30. La nuit est fraîche

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Miléna

Je sors de la voiture et souris en observant le château éclairé par la Lune. Le tableau est magnifique, d’autant plus que toutes les lumières sont éteintes à l’intérieur. Mon sourire s’agrandit encore en levant les yeux vers le ciel étoilé. La nuit est dégagée et seuls quelques fins nuages passent paresseusement devant cette boule lumineuse qui éclaire un peu le jardin et le bel homme qui vient me rejoindre. Le vent est un peu frais et je resserre les pans de la veste que j’ai empruntée à Maxime en m’adossant contre la voiture.

— Je pourrais passer des heures à regarder le ciel, c’est tellement apaisant.

Et en contraste total avec le fait que je n’apprécie pas le silence plus que ça. Je vivais dans un centre urbain en Arménie, et Vahik ne jurait que par la ville, où les lumières empêchent de voir les étoiles et de profiter de la magie du ciel nocturne. Je n’allais pas souvent à la campagne, mais quand c’était le cas, je savourais le paysage et ces moments de silence, ces instants où je me sentais toute petite face à l’Univers. Cela m’a toujours permis de relativiser mes pensées et mes maux, à me poser et réfléchir à tout ce qui me prenait la tête au quotidien.

Mon regard retrouve celui de Maxime, plus occupé à m’observer qu’à profiter du paysage. Je crois que je pourrais le surnommer Monsieur Intense, tant son regard est pénétrant chaque fois qu’il se pose sur moi. J’ai l’impression qu’il cherche à lire tout ce qui me passe par la tête, à comprendre chacune de mes pensées, chaque micro-expression qui passe sur mon visage. Et il me passe bien trop de pensées pour qu’il puisse tout comprendre. J’aimerais que mon cerveau se déconnecte. Je voudrais arrêter de réfléchir à tout, tout le temps, et juste être capable de profiter du moment.

Déconnecter… C’est ce que j’ai envie de faire, là, tout de suite, et je ne réfléchis pas en allant me blottir contre lui.

— Merci pour cette sortie, ça fait du bien d’avoir l’impression que tout est normal, même quelques heures.

Il m’entoure alors de ses bras et je sens sa barbe bien taillée venir caresser ma joue tandis qu’il resserre son étreinte contre moi.

— C’est moi qui devrais te remercier. C’est la première fois depuis trois ans que je passe une soirée en aussi charmante compagnie, avec une femme merveilleuse et qui me fait autant rêver que cette voûte étoilée pourrait le faire.

Je lève les yeux vers le ciel avec ce sourire qui ne me quitte plus, et caresse doucement sa joue de la mienne.

— Tu n’as pas perdu la main, tu sais encore comment parler aux femmes pour les séduire, ris-je en déposant un baiser dans son cou.

— Cela tombe bien car c’est l’objectif que je me suis donné pour ce soir. Séduire la plus jolie des femmes qu’il m’ait été donné de voir depuis si longtemps que je ne me souviens pas en avoir vu une plus belle.

Il ponctue sa phrase de petits baisers qu’il dépose sur mon front, sur mes paupières, sur mes joues avant de saisir mon menton entre ses doigts afin de tourner mon visage vers lui. Le regard qu’il me porte est à nouveau tellement intense que j’ai l’impression qu’il me consume de l’intérieur. Il semble hésiter à renouveler ce baiser qui nous a tant fait plaisir la dernière fois. Déconnecter, c’est ce que je voulais, alors je fais le pas de plus, c’est moi qui viens presser mes lèvres contre les siennes et savoure ce doux contact que nous ne tardons pas à appuyer tous les deux. Maxime me serre davantage contre lui et nos langues se cherchent, se trouvent et se taquinent durant un temps qui me paraît à la fois durer un trop court moment et une éternité.

Lorsque ma bouche quitte la sienne, le souffle me manque et je ris en me disant qu’il sera définitivement Monsieur Intense dans mon cerveau un peu tordu. Qui surnomme comme ça l’homme qu’il… L’homme qu’il quoi, d’ailleurs ? Convoite ? Je ne convoite personne… Je ne suis pas prête à ce genre de choses. Alors pourquoi je meurs d’envie de recommencer ? Pourquoi est-ce que j’ai envie d’aller plus loin ? Et qu’est-ce que cela fait de moi ? Définitivement, les silences ne sont pas faits pour moi.

— On va voir ce que donne cette traduction, alors ? lui demandé-je en déposant un léger baiser sur sa joue.

— Quelle traduction ? me demande-t-il, un peu perdu. Miléna… Tu es vraiment sublime, tu sais ? ajoute-t-il avant que je ne puisse répondre et sa bouche retrouve la mienne, comme irrémédiablement aimantée vers la mienne.

Je ne peux que me laisser faire. Que dis-je, participer à ce délicieux moment, quand bien même j’avoue moins le savourer que le précédent, mes pensées étant un peu trop éparpillées.

— Le grimoire, le passage secret, le trésor, Maxime, ris-je en me détachant un peu de lui. Tu sais, le truc caché ici depuis de nombreuses décennies. Tu vois ?

— Je ne vois que toi, là, mais j’entends ce que tu dis. Il faut le temps que ça arrive à mon cerveau, tu sais. Tu prends toute la place dans mes petites cellules grises, là.

— Tu es vraiment très romantique, le taquiné-je, mais fais attention à ne pas trop en faire, quand même.

— Viens, suis-moi dans ma chambre et je vais te montrer que je ne suis pas que romantique, rétorque-t-il en me prenant par la main.

Cette fois c’est moi qui mets un peu de temps à mettre en ordre mes pensées, et nous entrons dans le hall du château avant que je ne freine des quatre fers.

— Attends, attends, s’il te plaît. Je… On devait… Enfin, tu bouscules le planning, là, bafouillé-je, beaucoup moins sûre de moi que je pouvais l’être dans cette voiture où je me disais que j’avais le droit, que si j’en avais envie, je pouvais le faire.

— Je bouscule quel planning ? Ce n’est pas grave, si ?

Bien sûr que non, ce n’est pas grave. En soi. Mais moi, ça me fait paniquer. Je me disais qu’il me restait un peu de temps avant de devoir prendre une décision ferme et définitive sur la suite des événements. Et lui veut précipiter les choses. Et je ne sais pas comment faire en sorte de ne pas le blesser. J’ai beau y réfléchir, je crois que même l’humour ne suffira pas.

— Tu plaisantes ? Tu avais l’air tout excité par ce passage secret, souris-je en l’attirant vers le salon où j’ai laissé le grimoire.

— Tu dois bien te rendre compte que si je suis excité, là, ce n’est pas pour ce vieux grimoire, quand même. Tu… commence-t-il à hésiter soudain. Tu n’as plus envie de venir avec moi ? Tu… Je me suis trompé sur tes intentions ?

— Je… Ce n’est pas ça, Maxime, je t’assure que… Enfin, c’est compliqué, soupiré-je en me laissant tomber sur le canapé. S’il te plaît, ne le prends pas mal, c’est juste que… Il faut aller doucement, tu vois ?

— Oui, je vois, je ne suis pas con non plus, répond-il un peu sèchement. On va se concentrer sur le grimoire, ça vaudra mieux, vu que c’est ce que tu as envie de faire.

Je crois que je dois être la femme la plus douée pour rafraîchir l’atmosphère. C’est sûr que Nina ne souffle pas le chaud et le froid, elle, contrairement à moi. Est-ce qu’il se rend compte du bagage que je trimballe ? Ou alors, il ne réfléchit plus que pour le sexe ? Peut-être même qu’il n’y a que ça qui l’intéresse ?

— Je t’en prie, Maxime, ne le prends pas comme ça, soufflé-je sans oser le regarder. Ce n’est pas toi, le problème, c’est moi…

— Oui, oui, bien sûr que c’est toi le problème. Je ne vois pas de quoi tu parles quand tu dis que je ne dois pas prendre les choses comme ça. Je me suis imaginé des trucs, c’est tout. Restons comme avant, ça vaut mieux pour tout le monde, non ? Et attaquons-nous à cette traduction pour en savoir plus sur ce chemin secret. Enfin, si ça ne te dérange pas trop que je sois là aussi.

Je l’observe attraper le grimoire et les feuilles que j’ai griffonnées pour se plonger dedans, visiblement blessé. J’ai follement envie de me murer dans le silence et de lâcher l’affaire. En soi, il a raison, ça vaut mieux pour tout le monde, je crois. Je ne veux pas lui faire davantage de peine, je ne veux pas bousculer encore davantage cette famille à laquelle je me suis attachée. Qui sait où je pourrais être dans une semaine, un mois ? Ma situation est irrégulière, d’ici à ce qu’on me renvoie en Arménie, il n’y a qu’un pas. Et je ne vivrai pas bien longtemps là-bas. Cependant, même s’il a sans doute raison, le voir ainsi déçu, et réfléchir à ce que je ressens à l’idée de ne pas avancer un peu avec lui, me force à reprendre la parole et à davantage m’expliquer.

— Maxime, je suis désolée. Je ne voulais pas te blesser, c’est juste que tout est compliqué dans ma tête. Je… Mets-toi une seconde à ma place, s’il te plaît. Il y a quelques mois, j’étais en Arménie, j’allais me marier, je pouvais sortir, vivre ma vie, envisager l’avenir. Aujourd’hui, tout ça est remis en question. Je demande juste un peu de temps, j’ai besoin…

Je soupire et me rends compte que je suis en train de tripoter la bague accrochée à mon collier, geste que Maxime n’a pas manqué non plus.

— Oui, je comprends. Tant qu’il est là, je n’ai pas ma place. J’ai juste du mal à lire entre les lignes, je pensais… Non, rien. Explique-moi un peu ce que tu as trouvé, ça vaut mieux.

Je crois qu’il a raison. Tant que je n’aurai pas fait le deuil de Vahik, accepté qu’il est mort et réussi à me défaire de ma culpabilité, passer à autre chose me paraît impossible. Alors, plutôt que de me perdre dans des explications sans queue ni tête, de faire plus de mal que de bien, je réponds à sa demande et lui montre ce que j’ai découvert dans le grimoire. La température est bien redescendue et je suis l’iceberg. J’ai bien fichu le bazar, là, et je ne suis pas très fière. D’ailleurs, je finis par prétexter être fatiguée et m’excuse encore une fois avant de monter me réfugier dans ma chambre. Ça vaut mieux, pour ce soir au moins. Ne reste plus qu’à trouver la solution à cette situation qui ressemble à une montagne à gravir, et ce n’est pas en enquêtant que je vais voir les réponses apparaître comme par magie. Comment fait-on pour tourner la page quand on est la cause de la mort de l’homme qu’on aime ?

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