34. Le ridicule qui fait du bien

9 minutes de lecture

Miléna

Je pose le téléphone en souriant bêtement et retourne à la cuisine pour me rasseoir sur mon tabouret, devant mon café à présent froid. Elle est toujours là, enchaînée, posée à côté de ma tasse, et mon regard est happé par le scintillement de la lumière sur le petit diamant qui l’orne. Encore une fois, j’attrape la chaînette entre mes doigts et joue machinalement avec en me replongeant dans mes pensées. C’est beau d’avoir la volonté d’avancer, de tourner la page, de passer à autre chose, mais ce n’est pas si évident que ça. J’ai voulu faire la maligne en l’enlevant pour montrer à Maxime que j’étais prête à le faire, mais maintenant qu’elle n’est plus là, que je ne suis plus envoûtée par ses beaux yeux verts très attentifs à moi, je suis moins sûre de moi.

Un soupir m’échappe lorsque je me lève à nouveau. Rien de mieux quand on a la tête trop pleine que de poser ses maux. L’écriture, c’est ce qui m’a toujours permis de me soigner. Je récupère ma tasse et file m’installer devant l’ordinateur du salon. En quelques clics, je me retrouve sur le blog que je tiens et constate que j’ai eu quelques visiteurs. Je ne sais pas comment ils sont tombés sur mon site, mais ça me fait plaisir d’être lue. C’est sûr que c’est à moindre échelle comparé à mon ancien site internet, et l’envie de retourner me promener dessus et de poursuivre mes articles engagés me reprend, mais je me l’interdis et débute un nouvel article sur celui de la réfugiée inconnue. On est davantage sur un journal intime, soyons honnêtes. Je ne peux pas vraiment faire de recherches, mener des enquêtes, interviewer des gens. Alors je couche mes pensées, encore et toujours. Juste pour le plaisir ou comme une thérapie personnelle.

Je ne réfléchis donc pas et commence à taper ce qui me passe par la tête, comme un brouillon qui me permettra d’organiser un peu plus mes pensées et donc ce que je publierai. Les sujets qui reviennent sont toujours les mêmes. Vahik, que je ne nomme pas, et Maxime, les enfants, le château. Aujourd’hui, le grimoire n’est pas posé sur le clavier, seulement mes tourments. Je dois avoir l’air d’une dépressive, d’une bipolaire, d’une dingue, parce qu’à la relecture, je passe du coq à l’âne, de l’excitation à la peine, de l’envie au chagrin. Franchement, si j’avais autre chose à faire, ce que j’ai écrit partirait à la corbeille tant c’est brouillon. Mais, comme mon emploi du temps est plutôt vide, je modifie, supprime, corrige jusqu’à avoir quelque chose qui me plaît à peu près.

Après être allée me préparer un nouveau café, je me réinstalle devant l’ordinateur pour une dernière relecture. Je crois que cette idée de relation d’adolescents colle plutôt bien à mon état d’esprit. J’ai l’impression d’être une vraie gamine bourrée d’hormones lorsque je parle de Maxime.

“Mon châtelain est vraiment trop mignon. Aujourd’hui, je lui ai fait une proposition totalement stupide, et il n’a même pas ronchonné. Il a juste validé, et a scellé cet accord d’un baiser presque timide qui me fait penser aux premiers baisers que l’on échange dans la cour de l’école, cachés derrière un buisson. Sauf que là où je grimaçais, à l’époque, aujourd’hui j’avais envie qu’il m’emmène derrière ce buisson pour que l’on passe toute la récréation à se bécoter”.

Ridicule, non ? Je n’arrive toujours pas à réaliser qu’il a accepté ce plan foireux. Vahik n’aurait jamais été d’accord, lui, et cette pensée me traverse alors que mes yeux se posent à nouveau sur ma bague, posée près du clavier. Quand nous avons commencé à sortir ensemble, il m’a clairement dit que l’idée d’attendre le mariage avant de coucher ensemble ne lui plaisait pas. Pourtant, dans sa famille encore plus que dans la mienne, la religion est importante, et c’est une tradition à laquelle ses proches tenaient. Ils s’imaginaient tous qu’on se marierait rapidement, d’ailleurs, mais nous voulions prendre notre temps. Vahik trouvait toujours quelque chose pour repousser ce foutu mariage, quand j’y repense.

Je soupire et me remets dans la lecture, plutôt que de repartir dans des pensées qui vont encore venir davantage me perturber. Plus le temps passe, et plus j’ai l’impression que ma réalité n’était pas si idyllique que ça avec lui, c’est fou. Est-ce que mon cerveau cherche à m’aider à tourner la page ?

“Est-ce que j’ai l’air ridicule d’être impatiente qu’il rentre du travail ? Parce que c’est vraiment le cas. Déjà, parce que ce grand château est un peu flippant quand on est seule dedans, mais aussi et surtout parce que je me suis habituée à sa présence, que j’aime voir son regard se poser sur moi, son sourire s’agrandir le matin quand il me voit arriver dans la cuisine. Et j’aime par-dessus tout quand il m’enlace et pose ses lèvres sur mon front. Ridicule, hein ? Vous savez ce que signifie, un baiser sur le front ? C’est techniquement un geste protecteur et qui se veut rassurant. Tout ce qu’il me faut. Et c’est là que je me demande si mes sentiments pour lui ne sont pas biaisés par le fait qu’il m’ait sortie de la galère, qu’il prenne soin de moi et me donne de l’attention”.

Me retrouver à nouveau face à mes pensées me tire une grimace. Ça ne peut pas être que ça. Quand on a des sentiments pour quelqu’un, c’est bien plus que cette sensation de calme et d’apaisement. Ce constat me donne envie de tout remodifier, mais je n’ai pas le temps de m’y mettre parce que j’entends une voiture se garer devant le château. Je clique donc sur “publier” et me promets de revenir sur tout ça plus tard.

J’ai à peine le temps de me déconnecter et d’effacer l’historique que la porte claque et les enfants débarquent dans le salon. Lili me salue d’une franche accolade comme elle en a pris l’habitude, et Tom me fait un signe de tête en ouvrant déjà son cartable.

— Vous avez passé une bonne journée, les enfants ? leur demandé-je en glissant mon collier dans la poche de mon jean.

— Madame Labbé a fait deux erreurs de français aujourd’hui, répond le jeune garçon. Je ne vois pas pourquoi je dois aller en classe avec une ignare comme elle.

— Tout le monde fait des erreurs, tu sais. Parfois, la fatigue, le stress, l’inattention… Et puis, l’école, ce n’est pas seulement pour les cours, c’est aussi pour être avec les autres, se faire des amis. C’est peut-être même le plus important, tu sais.

— J’ai pas d’amis, moi. Ils disent tous que je suis un intello et personne ne veut me parler.

— Faut dire que tu es un intello, l’attaque sa sœur. Non, mais franchement, qui lit Le Bourgeois Gentilhomme pour le plaisir à la récré ?

— Bon, les enfants, on arrête de se disputer et de dire des bêtises, et allez faire vos devoirs. On me paie pour que vous les fassiez, alors la détente, ce sera pour plus tard, nous interrompt Nina qui vient d’entrer dans la pièce.

— Bonjour Nina, dis-je poliment en jetant un œil à Tom qui fronce les sourcils. C’est l’heure du goûter avant les devoirs, il me semble. Un peu de repos après une journée d’école, ça ne leur fera pas de mal.

— Jusqu’à preuve du contraire, c’est moi qui gère les devoirs et les goûters, ici, répond-elle sèchement. Et je les ai prévenus pour les devoirs. C’est tout de suite et pas dans cent quinze ans !

Eh bien, on dirait que Nina s’est levée du pied gauche aujourd’hui, et me voilà reléguée au rang de plante verte dans cette maison. A nouveau. Magnifique. Surtout qu’on dirait bien que Tom n’est pas très fan de la décision de sa nounou, et je commence à suffisamment connaître Lili pour savoir qu’elle a besoin de ce break avant d’attaquer les devoirs.

— Bien… C’est vous qui décidez, mais ces enfants sont suffisamment intelligents pour faire deux choses à la fois. Je vais vous chercher le goûter alors, dis-je en faisant un clin d’œil aux petits.

Je ne laisse pas le temps à Nina de me contredire et file à la cuisine. Je reviens rapidement au salon et dépose un plateau avec trois tasses de chocolats chauds et des cookies sur la table basse. Nina est déjà installée entre les enfants et plus personne ne bronche. Je déteste sa façon de faire avec eux, mais je ne me permets pas une remarque et me contente de faire acte de présence. Et de contourner un peu son règlement strict au passage.

— Je ne vous propose rien j’imagine, Nina ? lui demandé-je en prenant une tasse.

— Si je pouvais juste faire mon travail, en paix, ce serait déjà bien.

— Ah, vous avez pris de bonnes résolutions alors, ne puis-je m’empêcher de sortir avant de me dire que j’aurais dû me taire.

— Vous voulez dire quoi par là ? J’ai toujours bien fait mon travail et personne n’a jamais rien eu à me reprocher.

— Evidemment, je dois avoir mal compris, excusez-moi, Nina, lui dis-je alors que les enfants croquent dans leur cookie. Je vous laisse travailler, je vais aller préparer le dîner. Travaillez bien, les enfants.

Je m’éclipse en cuisine avec la satisfaction de la voir contrariée. C’est moche de ma part, je sais. Aucune solidarité féminine, pour le coup. J’ai honte. A moitié.

Le ridicule de mon article me revient en mémoire quand je souris comme une nouille en entendant la porte d’entrée claquer une nouvelle fois. Et je plonge le nez dans le réfrigérateur pour qu’il ne voit pas que je souris comme une ado quand il entre dans la cuisine. C’est du grand n’importe quoi. Ne l’entendant plus, je me retourne et m’écrase contre lui avant d’éclater de rire.

— Eh bien, tu es secrètement un ninja ? Je ne te pensais pas si près de moi !

— Un ninja ? Mais non, je suis entré par la porte en marchant, tout simplement, rit-il avant de se pencher en avant, d’attraper ma main et de me faire un baise-main des plus romantiques.

— Quelle classe, cher Monsieur. Je ne suis pas sûre que les ados d’aujourd’hui savent ce que c’est, ça, souris-je en déposant un baiser sur sa joue. Tu n’es pas arrivé en retard cet après-midi, c’est bon ?

— Si, mais ce n’était pas ta faute, sourit-il. Si j’avais su qu’il y avait tous ces manifestants, j’aurais pris le temps de faire plus de bisous avant de partir.

Il joint le geste à la parole et m’enlace tendrement. J’adore sentir ses mains se saisir de mes hanches alors que ses lèvres viennent s’emparer des miennes. Je noue mes mains sur sa nuque et réponds à son baiser avec ferveur. Comme une ado qui n’aurait pas vu son petit ami depuis deux heures. Ridicule, peut-être, mais terriblement agréable.

— Des manifestants ? Contre la fermeture du port ? lui demandé-je sans m’éloigner.

— Non, pour qu’on laisse partir les migrants qui le souhaitent et qu’on héberge ceux qui restent. Moi, je suis pour leur deuxième objectif, par contre le premier, je suis contre. Je ne veux pas que les jolies femmes comme toi puissent s’enfuir !

— Tu veux héberger plus de monde ? ris-je. Il va falloir que j’attaque les rénovations au deuxième étage rapidement, alors.

— Mais non, tu sais bien que tu me suffis amplement pour l’instant. Quoique… Je commence déjà à être en manque de bisous. Tu sais où il y en a ?

Je crois que je n’arrive pas à retenir le sourire ridicule, cette fois. Je suis totalement grillée, mais je m’en fous.

— Juste là, je crois, chuchoté-je en montrant ma bouche de mon index. Et donc, techniquement, là aussi.

Je viens poser mes lèvres sur les siennes et lui fais de petits bisous appuyés avant de me retrouver collée contre le réfrigérateur. Il est impatient, Monsieur Intense, parce que sa langue vient jouer avec la mienne et je sens ses mains glisser dans mon dos, sous mon haut. Les hormones sont en ébullition et la tension est palpable. Un vrai délice que j’aimerais prolonger davantage, mais nous nous séparons brusquement en entendant Lili appeler son père depuis le salon.

— Le Ninja est attendu, je crois, souris-je en rajustant mon chemisier.

— Des fois, le Ninja aimerait être juste un peu plus tranquille. Vivement que les enfants soient au lit et Nina partie. J’ai hâte d’avoir ma nouvelle dose de traitement rapidement.

Je souris en l’observant sortir de la cuisine. C’est vrai, c’est ridicule, cette hâte d’être seuls, non ? Il n’imagine même pas à quel point j’en ai envie. Je crois que la discussion de ce midi était la meilleure décision possible. Je suis rassurée qu’il l’ait bien pris, mais aussi plus sereine en sachant qu’il a conscience que je ne suis pas prête à aller plus loin, pour le moment. Même si, soyons clairs, l’envie de lui est là, elle aussi. L’ado a envie d’aller plus loin. Il faut juste que la tête suive.

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