35. Les pierres des instants dorés

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Maxime

Ces derniers jours ont été une série de petits plaisirs disséminés tout le long de mes présences à la maison. C’est fou comme une petite discussion peut tout changer. La communication, il n’y a que ça de vrai, en réalité. Et j’ai l’impression que le choix que nous avons fait d’aller lentement était le bon. Parce que c’est un peu comme revivre ses premières amours, là. On se cache, on se papouille, on se fait des caresses, on se lance des regards, et tout le jeu, c’est de ne se faire surprendre par personne, et surtout pas par les enfants. Et à ce petit jeu là, nous commençons à être très forts. Et très joueurs aussi. D’ailleurs ce soir, pendant le repas, je me challenge et je n’arrête pas de faire semblant de resserrer un boulon qui maintient le pied de la table afin d’avoir une occasion de me pencher vers ma jolie Arménienne et de lui faire une petite caresse sur ses cuisses au passage.

— C’est quand même étrange que ça se desserre comme ça, le pied, ce soir. Je crois qu’il faudra que j’utilise un vrai outil demain matin et que je profite du weekend pour tout bien resserrer, affirmé-je alors que mon doigt traîne sur son genou.

— Ça, c’est parce qu’on a que des vieux meubles, répond Lili en se penchant à son tour, me forçant à retirer rapidement ma main.

— Techniquement, ça ne peut pas se dévisser autant, Papa. Il faut deux forces opposées, donc la table devrait bouger plus que ça, me dit mon fils le plus sérieusement du monde. Tu ne devrais pas t’inquiéter, si tu l’as resserré, on est tranquilles pour un moment.

— Il faudra peut-être que tu étudies le phénomène, alors, et que tu m’expliques comment ça se fait que je doive toujours y revenir. C’est étrange, tu ne trouves pas ? Mais pas désagréable pour autant, ajouté-je en faisant un sourire entendu vers Miléna.

— Tu devrais demander à Miléna, elle bricole plus que toi à la maison, rit ma fille, moqueuse.

— Ah oui, c’est sûr que là, elle déchire, comme vous dites, vous, les jeunes.

— Ça ne se dit plus, ça, Papa ! T’es trop vieux pour comprendre le langage des jeunes, continue-t-elle. Elle gère, Miléna.

J’observe avec amusement l’air perplexe de la jolie brune qui n’a pas l’air de comprendre toutes nos expressions.

— Alors, tu déchires ou tu gères ? Tu en penses quoi ? Qui a raison, ma fille ou moi ?

— Heu… Vous m’avez perdue, mais… Je me range du côté des filles, toujours. Désolée, Maxime, s’excuse-t-elle en tapant dans la main de Lili qui, elle, me tire la langue.

— Alors, dis-je sur un ton dramatique, toi aussi, tu trouves que je suis un vieux schnock ? La vieillesse est un naufrage et je suis déjà au crépuscule de ma vie. Quel désespoir…

— Un vieux quoi ? Bon sang, je ne comprends vraiment rien à vos expressions. Vous êtes bizarres, vous, les Français !

— Ouais, on est chelou, dis-je en accentuant mon accent digne de ce que j’imagine être le langage des petites racailles de banlieue, mais visiblement sans succès car mes deux enfants éclatent de rire.

— Chelou ? D’accord, vous êtes ce que vous voulez, tant que vous riez comme ça. Moi, ça me va. Schnock ou pas, tu es apparemment aussi un comique, Maxime.

— Ne t’inquiète pas, une fois les enfants au lit, je te donnerai des cours approfondis de langue française. La langue n’aura ainsi plus aucun secret pour toit ! Je le jure !

— Il va falloir plus d’une soirée, Papa, tu sais, me dit Tom alors que Miléna a visiblement compris le sous-entendu et se retient de rire.

— Bon, eh bien, je ferai l’effort, soupiré-je en soufflant théâtralement. Allez, fini de rire, c’est l’heure d’aller au lit. Allez vous préparer, j’arrive pour le bisou du soir et vous border !

— Déjà ? grimace Lili en se levant malgré tout pour aller faire un câlin à notre jolie Arménienne.

A peine les deux ont disparu pour se rendre dans leur chambre, je me penche vers Miléna et viens m’emparer de ses lèvres humides au léger goût de chocolat. Quoi de meilleur qu’un baiser ainsi aromatisé ?

— Elle était vraiment bonne, la mousse, dis-je en me relevant. N’hésite pas à en refaire !

— Il en reste au réfrigérateur, cachée derrière le pot de crème, sourit-elle. Je voulais la garder pour moi, mais je suis faible, je partage.

— Alors, je vais faire très vite avec les enfants ! J’arrive, ne disparais pas avant mon retour, il n’est pas encore minuit !

C’est un peu devenu le jeu de nos soirées que nous passons à nous bécoter tout en travaillant sur la traduction du grimoire. Souvent, lorsque la grande horloge sonne les douze coups de minuit, nous nous arrêtons et elle va se coucher, me laissant tel le prince charmant, seul et sans sa Cendrillon. On avance bien mais pour l’instant, rien de vraiment transcendant. Beaucoup de textes en vers, une description du quotidien sous le règne du Hutin. Ce n’est pas inintéressant, mais nous n’avons toujours pas trouvé de trace du trésor.

— Bonne nuit Lili. Tu as passé une bonne journée ? C’est bien, les soirées avec Miléna, hein ?

Chaque soir, j’essaie de revenir avec elle sur ce qu’il y a eu de positif dans sa journée afin de l’aider à voir le bon côté des choses et à améliorer un peu la confiance qu’elle a en elle.

— Oui, elle était cool, cette journée, mais je préfère le soir. Tu crois que Miléna, elle aime bien vivre avec nous ?

— J’en suis sûr, oui, elle ne parle plus de partir, tu vois. Allez, à demain ! conclus-je en l’embrassant avant d’aller voir mon fils.

— Bonne nuit, le Savant Fou. Tu as réussi à faire un truc complètement extraordinaire aujourd’hui ?

— Je crois que je me suis fait un copain, Papa. Enfin, je sais qu’on ne se fait pas des amis si vite, mais je l’ai aidé en sciences et du coup, il est venu s’ennuyer avec moi pendant la récréation. On a discuté un peu…

— Eh bien, demain, je te fixe comme objectif fou de faire la démarche d’aller lui parler. Défi accepté ?

— Je vais essayer, oui. Bonne nuit, Papa. Tu feras un bisou à Miléna de ma part ?

— Bien sûr, mais juste un seul. Il ne faut pas abuser des bonnes choses !

Lorsque je redescends pour livrer le bisou promis, je ne trouve pas notre invitée dans le salon. Le manuscrit est ouvert et Miléna a laissé ouvert le document où nous mettons la traduction. Je vois qu’elle s’est arrêtée sur une phrase qui parle d’une pierre d’une couleur ocrée, source de toutes les richesses. Il est indiqué que l’on peut trouver cette pierre sous les aiguilles dorées. Je crois que je sais où elle est partie et je me précipite à l’extérieur où je la trouve en effet devant la Tour de l’Horloge en train de l’observer et de chercher cette pierre d’une couleur un peu différente.

— Avant toute chose, il faut que je tienne ma promesse faite à Tom. Tu es prête ?

— La promesse faite à Tom ? Heu… Oui, d’accord, je suis prête, rit-elle. C’est quoi, cette promesse ?

Je la soulève dans mes bras sans répondre et la serre contre mon torse afin de l’embrasser avec une passion qui grandit chaque jour. Et vu comment elle y répond, je ne pense pas être le seul à devenir de plus en plus accro à ces moments que nous partageons avec un plaisir non dissimulé quand nous ne sommes que tous les deux.

— Bon, j’interprète un peu, mais il m’a dit de te faire un bisou. Tu pourras lui dire que c’est fait. Tu es venue essayer de trouver la pierre ocrée ?

— Je doute que ton fils pense à ce genre de bisous, en effet, pouffe-t-elle. Oui, je suis là pour ça, mais… Je crois qu’il va me falloir des lunettes, parce que je ne la trouve pas.

— Je pense qu’elle n’est pas forcément à l’extérieur, dis-je en me positionnant derrière elle, mes bras croisés autour de sa poitrine pour la serrer contre moi en regardant au-dessus de son épaule la façade de la Tour. Et si elle y est, tu crois qu’elle pourrait toujours être d’une couleur différente après tout ce temps ? En plus, à cette heure-ci, on ne voit pas grand-chose, ajouté-je alors que mon regard se pose sur son décolleté.

— C’est peut-être moins marqué, mais j’imagine qu’elle a vieilli différemment quand même, non ? Tu crois que ça pourrait être à l’intérieur de la tour ?

J’adore la façon dont elle roule légèrement les “R” quand elle parle français et suis complètement déconcentré par la naissance de la poitrine que je devine et qui est mise en valeur par la pression légère vers le haut que j’exerce en dessous de ses seins.

— À l'intérieur de quoi ? demandé-je, troublé.

— Maxime, concentre-toi, voyons ! Tu veux le trouver, ce trésor, ou non ?

— Je crois que je l’ai déjà trouvé, le trésor. Pourquoi faut-il continuer à chercher ?

— Tu as trouvé le trésor ? Vraiment ? me demande-t-elle en se retournant dans mes bras, incrédule.

— Mais oui, Cendrillon, et je ne vais peut-être pas le laisser partir à minuit ce soir, si tu vois ce que je veux dire.

— Attends, c’est moi le trésor ? s’esclaffe-t-elle. Je ne vaux pas un euro, je te coûte même de l’argent, je n’appelle pas ça un trésor, moi !

— Eh moi, je dis que ces deux yeux de la couleur de l’océan ont plus de valeur que n’importe quel écu, et que si on pouvait les vendre, on serait rapidement millionnaires ! Il n’y a pas que l’argent qui fait le bonheur, Miléna, les jolies femmes aussi.

— Un vrai prince charmant, sourit-elle presque timidement. Tu es toujours comme ça ou c’est pour avoir droit à un bisou supplémentaire ?

— J’avoue que ça fait des années que je n’ai pas été comme ça… Tu me fais dire plein de bêtises, tout est de ta faute, tu sais ?

— Très bien, je veux bien être fautive, ça me va, me dit-elle avant de m’embrasser tendrement.

Je ne résiste pas à la tentation de poser mes mains sur ses fesses et de l’attirer encore plus contre moi alors que nos langues se saluent et se découvrent. J’adore ces instants où nous sommes tellement proches que c’est un peu comme si nous ne faisions qu’une seule entité. Je crois cependant que je veux aller trop vite et la mets mal à l’aise car elle finit par me repousser, l’air un peu gêné.

— J’ai fait quelque chose de mal ? demandé-je, inquiet.

— Non, non. Mais on a toujours une pierre à trouver, et tu profites un peu trop de ma culpabilité !

— Je pense qu’il va falloir qu’on continue à traduire un peu. Il va sûrement y avoir d’autres indices dans le texte. Ce n’est pas possible autrement. On rentre pour avancer un peu ?

— D’accord, mais seulement si on sort la mousse au chocolat pour se donner du courage avec le latin.

— Si on sort la mousse... Et les bisous ! Il faut au moins ça pour avoir du courage, ris-je.

Nous rentrons dans le Château, bras dessus, bras dessous, comme un couple tout à fait normal. La magie s’arrêtera à minuit, comme tous les soirs, mais à cet instant, je m’en moque totalement. Le bonheur se conjugue parfois simplement au présent.

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