36. Multiplier les contacts

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Miléna

J’enlève mon pull en soupirant et le noue autour de mes épaules. Il fait beau et chaud. J’avais pourtant entendu dire que dans le nord de la France, il faisait toujours froid. Il faut dire que la Française avec laquelle j’échangeais au lycée était du sud, et pour elle, Lyon, c’était déjà le nord de la France. Autant dire que Calais est sans doute le Pôle Nord dans sa tête.

Il va vraiment falloir que je demande à Marie si elle peut me trouver quelques vêtements moins chauds. Ça me met mal à l’aise de chercher encore davantage la charité, mais en ce début Juin, les températures grimpent et mes pulls sont trop épais pour que je puisse les supporter. Si la brise était fraîche lorsque nous sommes partis du château, les rues de Lille sont agréables à fouler et retiennent la chaleur que déverse le soleil en cette fin de matinée.

— J’ai l’impression qu’il m’a donné mille infos et que je ne me souviens plus de rien, soupiré-je en attrapant machinalement la main de Maxime avant de la relâcher brusquement. Pardon…

Je ne sais pas pourquoi je réagis comme ça. Pourquoi je m’emballe en lui prenant la main, pourquoi je panique en changeant d’avis. Du n‘importe quoi, ridicule dans le sens moins agréable que nos “papouilles”, comme il dit. Qui a inventé ce mot trop mignon ? J’adore !

— Moi, ce que je retiens, c’est qu’il faut qu’on trouve des preuves de ce que tu as vécu et subi en Arménie. Et qu’il faut le faire vite. Tu as une idée de comment on pourrait faire pour en récupérer ?

Maxime m’a trouvé un avocat pour m’aider à obtenir le droit d’asile, et il a même pris sa journée, encore une fois, pour m’accompagner. Je me sens d’autant plus coupable qu’il fasse ça parce qu’il m’arrive d’entendre les enfants se plaindre de ne pas passer assez de temps avec leur père.

— Attends, tu as bien dit “on” ? dis-je en m’arrêtant au beau milieu du trottoir.

— Ben oui… Enfin, si tu veux bien de mon aide… Je ne veux pas m’imposer non plus… Mais j’ai très envie de vivre ça aussi avec toi.

— Tu es du bon côté de la barrière, tu en as, de la chance, ris-je en glissant finalement ma main dans la sienne. Merci, ça me touche que tu veuilles encore m’aider alors que tu fais déjà beaucoup.

— Eh bien, je sais que cela va me rapporter beaucoup de câlins et de baisers. Ce serait bête de ne pas en profiter, tu ne crois pas ?

— Tu y auras droit même sans m’aider avec ça, arrête. Tu le sais, j’espère, hein ?

— Je m’en doute, mais ça fait du bien de te l’entendre dire. Et pour revenir aux preuves, tu as quelqu’un qui peut t’envoyer des documents ou pas du tout ?

— Je ne sais pas, je… J’ai peur de faire prendre des risques aux personnes que je pourrais contacter, tu vois ? Ou de vous faire prendre des risques à vous, d’ailleurs. Je sais que certains membres de l’organisation ont été arrêtés, mais… C’est dangereux, tu ne crois pas ? Imagine que mes amis soient sous surveillance ?

— Ils ne peuvent pas tout contrôler, tu sais. Il faut juste faire attention et ça ira. Parce que si tu ne le fais pas, l’avocat a été clair. Tu n’auras aucune chance de rester en France et d’avoir les papiers.

— J’ai laissé des papiers chez ma meilleure amie, Ovsanna… Je pourrais la contacter avec une fausse adresse mail, et puis… Donner l’adresse de ton travail pour les recevoir ? J’en sais rien, marmonné-je. J’ai l’impression d’être dans James Bond, c’est nul, mais t’es plus mignon que Daniel Craig ou Pierce Brosnan.

— Si tu veux, je prends ma voiture de James Bond, je fonce en Arménie, récupère tout ça, et on finit sur une plage à Cuba en train de faire l’amour en oubliant tout le reste.

— Non, surtout pas l’Arménie, Maxime Bond. Trop risqué. Tu crois que je peux l’appeler sans risque ? Pardon, j’aurais dû demander tout ça à l’avocat, tu ne peux pas tout savoir, ris-je nerveusement alors que nous descendons dans le parking souterrain où la voiture est garée.

— On pourra lui envoyer un mail, si tu veux, mais je crois qu’il n’y a pas trop de risques à ce qu’elle te transmette les documents. Personne ne saura que ça vient d’elle.

Mon cerveau tourbillonne dans tous les sens en se demandant la meilleure façon de faire pour assurer la sécurité de tous. Il a beau dire ce qu’il veut, il ne s’est pas retrouvé nez à nez avec des hommes armés cherchant à le tuer, lui. Je prends conscience que je suis en train de paniquer alors que j’entends une voix derrière moi me demandant de me pousser. Je me suis arrêtée au beau milieu des escaliers et mon cerveau a monté un mur entre le monde et moi en quelques secondes. En bas des escaliers, Maxime m’observe avec un mélange de curiosité et d’inquiétude, je crois. Je le rejoins rapidement et le devance dans le parking avant qu’il ne me rattrape et m’arrête près de sa voiture.

— Excuse-moi, je veux juste prendre toutes les précautions possibles pour éviter les ennuis. Je n’ai aucune envie que… J’en sais rien… J’ai déjà causé une mort, ça suffit comme ça, non ?

— Arrête de dire ça, Miléna. Je te l’ai dit, personne n’est mort à cause de toi. Les méchants, ce sont les mafieux, pas toi. Tu as besoin de la protection de la France, c’est tout. Tu verras, ça ira bien.

J’acquiesce et attrape la main qu’il me tend avant de me presser contre lui. Le phare dans la tempête. Même au beau milieu d’un parking souterrain peu accueillant, me retrouver là, dans ses bras, sait calmer mon esprit torturé. Et réveiller tout ce qui peut l’être. La tendresse pour cet homme, l’attirance que j’éprouve pour lui, le besoin d’être près de lui, en contact avec son corps… Et bien d’autres choses qui me font penser que je suis bien dans la galère, d’ailleurs.

Je noue mes mains derrière sa nuque et l’embrasse autant pour le remercier que pour faire taire mon cerveau. Il anesthésie mes maux et mon cerveau aussi bien qu’il réveille mes sens.

— Merci, Maxime. Pour tout. Pour aujourd’hui, pour ces dernières semaines… Pour ton soutien. C’est… Inespéré. Et ça fait un bien fou.

— De rien, Miléna, c’est normal. Depuis que tu es arrivée, c’est comme si le soleil s’était à nouveau mis à briller. Je te dois bien ça pour ce petit miracle.

Je n’ai pas vraiment l’impression d’être un soleil dans sa vie, mais c’est mignon de sa part.

— Pourquoi est-ce que tu dis ça ? Qu’est-ce que j’ai fait, au juste ? lui demandé-je en m’installant dans la voiture.

— Dès que je te vois, je souris. Dès que je te touche, je frémis. Tu vois, je crois que je suis déjà conquis. Tel le soleil, tu éblouis ma vie. C’est pas un miracle, tout ça ?

Je m’arrête alors que j’étais en train de mettre ma ceinture et me tourne vers lui pour l’observer. Il a l’air tout à fait sincère et l’amoureuse des mots qui sommeille en moi est vraiment touchée par ce qu’il vient de dire. Je me penche pour l’embrasser à nouveau. Je ne sais même pas quoi répondre à ça. Et lui me sourit simplement en démarrant la voiture, comme s’il ne venait pas de me dire que j’étais importante pour lui, qu’il s’attachait à moi… Comme si c’était tout à fait normal d’exprimer ses émotions et ses sentiments de la sorte.

— Excuse-moi, je me suis un peu laissé emporter, Miléna, je ne veux pas te brusquer. C’est juste qu’il fallait que je te dise que je suis content que tu sois entré dans ma vie. Et comme je n’ai pas trop envie que tu en ressortes tout de suite, on va tout faire pour trouver ces preuves que cet avocat nous demande.

— Ne t’excuse pas, c’est très beau ce que tu m’as dit. Et puis… C’est plutôt réciproque, en fait. J’étais vraiment mal en arrivant au château, et tu m’as accueillie chez toi comme si… Je ne sais pas, tu m’as fait confiance et ça me touche. Et tu es là, toujours, quand j’ai besoin. Un vrai roc alors que je suis carrément bancale. Tu me fais beaucoup de bien, sache-le.

— Un vrai roc ? C’est vrai que je suis dur, mais je ne pensais pas que ça se voyait autant, répond-il en éclatant de rire.

Je mets un petit temps avant de comprendre son allusion et ris à mon tour, luttant pour ne pas jeter un coup d’œil à sa braguette. Je ne sais pas si je lutte contre mon envie d’enlever la main que j’ai posée sur sa cuisse ou, au contraire, de la remonter plus haut pour pouvoir moi-même juger de l’effet que je peux lui faire.

— Ça, c’est tout de suite beaucoup moins mignon, tu sais ? Mais… C’est flatteur quand même, j’avoue !

— Désolé, je ne sais pas ce que j’ai aujourd’hui. Je crois que le rendez-vous avec l’avocat m’a un peu stressé et que j’ai besoin de décompresser un peu. Tu ne m’en veux pas ?

Est-ce que je lui dis que ça m’excite un peu ? Non… Bon sang, j’ai vraiment l’impression d’être une ado coincée dans un corps de femme. Les hormones qui dansent la zumba et la timidité qui me bloque plus que de raison. Ou la raison qui fait ressortir ma timidité ?

— Bien sûr que non, je ne t’en veux pas. Si je n’ai pas ri immédiatement, c’est juste parce que je n’ai pas tout de suite compris à quoi tu faisais référence. Les barrières de la langue, tu vois ?

— Moi, je trouve que ta langue est plus invitante que bloquante quand même, sourit-il en continuant ses jeux de mots que je trouve à la fois bêtes mais aussi excitants.

C’est sûr que l’Arménie et la France s’entendent plutôt bien, globalement. Et encore davantage quand les langues se trouvent. J’aime beaucoup nos petites retrouvailles discrètes, nos caresses sous la table, nos baisers volés. Mais je sens bien que Maxime finit toujours très frustré. Il n’est pas très fan de mon côté Cendrillon et j’ai peur qu’il se lasse rapidement et ait besoin de plus. Pour être honnête, je commence à vraiment ressentir ce besoin, moi aussi. J’essaie de passer le cap, j’y réfléchis grandement, mais ce n’est pas évident de franchir la marche qui me sépare de cette nouvelle relation.

Nous passons le reste du trajet à discuter de tout et de rien, sans oublier les allusions que Maxime glisse dans la conversation dès qu’il le peut. Il saute sur la moindre occasion et j’ai l’impression que c’est sa façon d’extérioriser la frustration, ce qui fait grimper ma culpabilité à un stade supérieur le concernant. C’est vraiment un sentiment de merde, la culpabilité. Une émotion qui m’habite un peu trop, tout le temps.

Quand nous arrivons au château, je file m’installer sur l’ordinateur et me crée une nouvelle adresse mail afin de contacter Ovsanna. J’ai une envie folle de l’appeler, d’entendre sa voix et de pouvoir blablater en arménien pendant une éternité, mais je me dis qu’il vaut mieux éviter de prendre trop mes aises.

— Voilà, soupiré-je alors que Maxime se poste derrière moi, me tirant un frisson en posant ses mains chaudes sur ma nuque. Il n’y a plus qu’à attendre qu’elle me réponde. Je n’ai pas donné d’adresse encore, je ne sais pas si mettre celle du château est une bonne idée. Pour le reste… J’espère que les documents que j’ai laissés chez elles suffiront. Je lui ai aussi demandé les articles qui ont sans doute été publiés sur l’affaire. Peut-être que mon nom est cité, je n’en sais rien…

— Rien ne peut t’arriver au Château, ne t’inquiète pas. Et si elle envoie des documents, c’est déjà bien, ça ne pourra que t’aider pour ta procédure. Allez, viens manger, je nous ai préparé un bon déjeuner.

Je le suis à la cuisine sans lui répondre. Je ne sais pas si c’est moi qui suis trop inquiète, ou lui qui est trop crédule, mais je crois que nous ne serons jamais d’accord sur les risques liés à cette affaire. J’essaie de mettre tout ça de côté, surtout que nous avons l’occasion de déjeuner en tête à tête. Pas besoin de se cacher, pas besoin d’éviter les contacts ou de les limiter à sous la table. Juste profiter l’un de l’autre… Comme deux ados… Peut-être un peu plus, qui sait ? L’envie est là, en tous cas. Vraiment très présente. Il va falloir que je me décide à monter sur la marche suivante.

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