53. Mon amour, reste !

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Maxime

Nous ressortons tous ensemble du poste et j’ai au moins la satisfaction d’avoir pu faire libérer Miléna, ce qui n’était pas gagné. Je reste un peu sur la réserve, ne sachant pas si elle revient au château pour mieux préparer son départ ou si elle est vraiment d’accord pour rester avec nous. Peut-être aussi que son expérience avec les policiers l’a un peu déstabilisée ? En tous cas, elle reste silencieuse à mes côtés, ce qui contraste énormément avec l’agitation des enfants derrière et leurs discours sur cette matinée un peu folle.

— Tu as vu comme on a bien mené l’enquête ? s’enthousiasme Lili. On est plus forts que Sherlock Holmes !

— Oui, c’était trop bien ! Tellement mieux que l’école ! On a résolu le mystère rien qu’en utilisant notre cerveau. Quel talent !

— Oui, et on a même pu aller à la police. Trop classe. Tu as vu comme Papa a parlé aux policier s? Même sans uniforme, c’était génial !

— Oui, mais sans nous, il n’aurait rien fait. Il serait sûrement encore en train de se lamenter dans son canapé, indique mon fils.

Je hausse les sourcils et retiens le sourire qui commence à apparaître sur mon visage car ils m’amusent tous les deux. On a l’impression que les événements du matin sont pour eux comme une aventure digne de super héros, une aventure à laquelle ils ont en effet pleinement participé, et je suis content de ne pas les avoir mis à l’école et de leur avoir demandé de m’aider.

— Comment tu te sens ? demandé-je à Miléna alors que nous approchons du château. Pas trop bouleversée par ce passage au poste ?

— Un peu embarrassée, plutôt énervée par le traitement reçu, et… Vraiment désolée, surtout. Je ne voulais pas… Enfin… C’est compliqué.

Je préfère ne pas répondre tout de suite car les enfants se sont arrêtés de parler et écoutent tous nos échanges. Je n’ai pas envie de les impliquer plus que ça dans la discussion que je souhaite avoir avec elle et je préfère attendre de me retrouver en tête-à-tête afin d’évoquer ce départ pour le moins précipité. J’avoue que je suis déjà content qu’elle réponde à mes questionnements.

J’entre dans le parc du château dont la majesté, une fois de plus, parvient à me calmer et à me rasséréner. Je me gare et nous descendons tous de la voiture. Une fois encore, mes enfants se précipitent sur Miléna pour lui faire un câlin.

— Ne nous quitte plus, s’il te plaît, demande ma fille en se pressant contre elle. Si toi aussi tu nous abandonnes, il ne restera que Papa. Il est cool mais ce n’est pas pareil, tu sais ?

— Tout ça ne dépend pas que de moi, vous savez. J’aime beaucoup être ici, avec vous, mais je ne peux pas te promettre quelque chose sans en être sûre, Lili, soupire Miléna. Je suis désolée, je ne voulais pas vous faire de la peine, les enfants.

— Lili, Tom, et si vous alliez à l’intérieur et vous préparer pour retourner à l’école après le déjeuner ? J’ai besoin de parler avec Miléna, entre adultes. J’ai bien compris que vous vouliez qu’elle reste, mais il faut aussi respecter ce dont elle a envie et ce qu’elle peut faire ou pas, vous ne croyez pas ? Vous n’aimez pas quand on vous impose quelque chose, c’est un peu pareil pour elle. Et il faut qu’on discute tous les deux. Tu viens, Miléna ? demandé-je en lui montrant la Tour de l’Horloge.

— Pourquoi entre adultes ? Nous sommes grands, nous pouvons comprendre, explique Tom en nous regardant l’un après l’autre.

— Je ne doute pas que tu puisses comprendre, mais il y a beaucoup de choses qui ne sont pas de votre ressort et j’ai besoin de ce temps avec elle, tu comprends, Super Tom ? Le temps des super héros est terminé, il faut passer au temps de la diplomatie, maintenant.

— Tu parles de diplomatie, on n’a pas notre mot à dire, c’est plutôt une dictature, ici, soupire-t-il en entrant dans la maison, suivi de Lili.

Je ne relève pas sa remarque et les laisse rentrer dans le château en grommelant puis je me tourne vers Miléna, toujours debout près de la voiture, son gros sac à la main.

— Tu veux bien venir ou ce n’est pas le moment ? Et si tu veux aller ranger ton sac, tu peux y aller, hein. Je ne suis pas un aussi méchant dictateur que ça.

— Allons-y, je te suis, me dit-elle en déposant son sac. Direction ton bureau informel, Monsieur le dictateur.

Je soupire et me dis que je ne sais pas vraiment comment aborder la question de son départ avec elle. Je sais qu’il faut qu’on en parle, qu’il faut qu’on se comporte en adultes responsables, mais là, à l’instant, j’ai surtout envie d’aller me réfugier sous la couette et oublier tous les problèmes du quotidien. Parce que clairement, en m’abandonnant ainsi, elle a ravivé la douleur que j’ai ressentie après le départ de mon épouse. Et je me remets trop en question. Nous montons en silence les escaliers qui mènent à la pièce ronde et nous restons quelques secondes en silence, debout chacun d’un côté du canapé, sans vraiment savoir comment aborder la question.

— Miléna, je… me lancé-je finalement avant d’hésiter. Je n’ai pas vraiment réfléchi, ce matin, en fait. Et je me suis lancé à ta poursuite en ne pensant qu’à moi et à mes envies, mais je ne veux pas que tu te sentes prisonnière ici. Si tu veux repartir, je suis prêt à t’aider à faire le nécessaire pour te trouver un nouvel endroit où tu pourras être hébergée. Je ne veux pas que tu te sentes obligée de rester pour les enfants ou pour me faire plaisir.

— Tu dis n’importe quoi, Maxime, arrête. Je n’ai jamais décidé de partir parce que je ne voulais plus être avec vous. Je vous l’ai expliqué dans ma lettre, tout ce que je veux, c’est que vous soyez en sécurité, et je pense que ma présence peut être dangereuse pour vous. Tu peux penser ce que tu veux sur la mafia, sur la sécurité, la France et je ne sais quoi, je reste persuadée que ce type n’est pas net.

— Et donc, tu comptes fuir à chaque fois qu’un type louche se pointe dans ta vie ? Je comprends que tu aies dû partir de l’Arménie, mais ici, on est en sécurité, non ? Et avant de nous quitter comme ça, peut-être que tu aurais pu nous demander notre avis ? Et si on a envie de le prendre, ce risque ?

Je réalise que mon ton est beaucoup plus accusateur que ce que j’aurais souhaité, mais je n’arrive pas à me contrôler. J’ai tellement eu peur de la perdre, tellement été blessé par son départ sans nous prévenir que je n’arrive pas à contrôler les trémolos que j’ai dans la voix.

— Tu as raison, je n’aurais pas dû partir sans en parler avec vous, mais… Je n’aurais jamais réussi à partir. Sincèrement, je n’imaginais pas que Tom soit aussi heureux de me retrouver, mais je savais que la nouvelle serait difficile pour Lili. Je ne voulais pas d’au revoir plein de larmes, et… Bon sang, je suis désolée, Max, je ne voulais pas te blesser, j’ai juste peur pour vous, termine-t-elle dans un murmure sans oser me regarder dans les yeux.

Je me rapproche d’elle et comble l’espace qui nous séparait pour la prendre dans mes bras. Elle s’y blottit en m’enlaçant, nichant sa tête dans mon cou. Je suis content de retrouver sa chaleur contre moi alors que je pensais l’avoir perdue à tout jamais et je réalise toute l’importance qu’elle a pris dans ma vie.

— Miléna, tu sais que j’ai cru te perdre et ne jamais te revoir ? Et que… Cela m’a brisé le cœur… Je… En fait, le problème, si c’en est un, c’est que je pense que même si ça ne fait pas si longtemps que ça qu’on se connaît, j’ai déjà développé beaucoup de sentiments pour toi. Et je n’ai pas envie de te laisser t’échapper, quel que soit le risque.

— Quel que soit le risque ? Max, on ne parle pas d’une gifle ou d’une insulte, enfin ! Tu te rends compte qu’on parle de mafia ? C’est justement parce que je tiens à vous que je ne veux pas vous mettre en danger !

— Et moi, je te dis que la mafia, ici, en France, ne peut pas grand-chose. Je ne dis pas qu’on est cent pour cent en sécurité en France, mais si tu as changé de pays, c’est aussi pour te protéger, non ? Tu veux qu’on aille voir Lorik et qu’on le questionne sur ce type qui t’a fait si peur ? Cela te rassurerait peut-être ? En tous cas, je suis content que tu sois là, tout contre moi, Miléna. Tu es tellement mieux là que toute seule sur la route ou au poste de police. Le reste, ce n’est pas si important que ça, si ?

— Mais… Max, soupire-t-elle, tu prends ça tellement à la légère, c’est fou ! Tu vois le nombre de personnes qui sont ici illégalement ? Qui te dit qu’il n’y a pas, dans ces personnes, des gens malintentionnés qui sont là pour finir le travail ? Ils n’ont eu aucun scrupule à tuer Vahik, et s’ils s’en prennent à vous ? Je… Je ne supporterais pas de vous perdre, je vous aime trop pour ça, tu comprends ? Je veux juste que vous soyez en sécurité...

— Mais moi aussi, je t’aime, Miléna ! C’est pour ça que je ne veux pas te perdre ! commencé-je brusquement avant de m’arrêter tout de go, réalisant ce que je viens de dire.

Mon cerveau a voulu entendre ce qu’il voulait bien, mais elle a parlé de manière générale sur nous trois alors que moi, en bel imbécile que je suis, je me mets à nu devant elle et lui dévoile mes sentiments. Je m’étais pourtant promis de ne pas craquer, de ne rien dévoiler, mais de la voir ainsi me rejeter pour soi-disant me mettre en sécurité, je ne le supporte pas.

Miléna se redresse et plonge ses yeux plus franchement dans les miens. J’ai du mal à distinguer ce qu’ils expriment à cet instant, mais elle semble plutôt indécise.

— Tu… Quoi ? Tu me dis ça pour que je reste ? Tu… Max, bafouille-t-elle avant de poser brusquement ses lèvres sur les miennes.

Le monde extérieur et ses menaces disparaissent alors de nos esprits tandis que nos corps s’étreignent et nos langues se rencontrent et se retrouvent. J’ai l’impression que ses mains se pressent contre moi autant qu’elles peuvent et je fais de même sur elle. Aucune rationalité dans ce baiser, aucune peur non plus. Juste la réalisation d’un sentiment trop longtemps refoulé, juste un homme et une femme qui se découvrent et se déclarent. Quoique… Je suis le seul à vraiment m’être déclaré, en y réfléchissant bien, et je parviens, en exerçant toute ma volonté, à m’écarter un peu de ma jolie brune.

— Je ne dis pas ça pour que tu restes, je dis ça parce que c’est vrai, Miléna. Je… Tu comprends mieux pourquoi je m’en fous de ne pas être en sécurité ? Même si ça peut paraître fou, je crois que je ne peux plus vivre sans toi.

— Et moi, c’est parce que… C’est parce que je t’aime et que j’aime tes enfants, que j’ai peur de vous mettre en danger.

J’ai l’impression que le monde cesse de tourner et que nous voilà arrivés dans un univers parallèle où rien n’existe que l’amour. Mais si ces sentiments sont partagés, pourquoi est-il si difficile de nous entendre et de nous mettre d’accord sur ce qu’il faut faire ? Nous séparer, ce n’est pas la solution, si ?

— Aimer, c’est toujours se mettre en danger, non ? C’est admettre que ce qui arrive à l’autre, à celui qu’on aime, peut aussi nous toucher… Je ne sais pas comment te rassurer, Miléna, parce que tu as peut-être un peu raison, on est toujours un peu en danger, où qu’on soit. Mais j’ai envie de te proposer un marché. Quel que soit le danger, on est plus forts si on est ensemble pour l’affronter, tu ne crois pas ? Alors, tes mafieux, on ne va quand même pas les laisser gagner et tout détruire, même cet amour que nous commençons seulement à découvrir ?

— Je ne veux pas partir, Maxime, je t’assure. Je voudrais juste que… Que rien ne vous arrive par ma faute. Je ne me le pardonnerais jamais. Promets-moi d’être vigilant. Ne prends pas tout ça à la légère, je… Il faut vraiment que tu fasses attention, Vahik et moi on était suivis, tu vois ?

J’hésite sur la conduite à tenir. J’ai failli faire semblant de me retourner pour me moquer un peu et lui montrer qu’il n’y a personne qui me suit, mais j’ai eu un éclair de lucidité et je réalise enfin vraiment et totalement à quel point la mort de Vahik l’a traumatisée, à quel point elle est inquiète pour nous. Je n’ai pas connu la mort, ni le traumatisme de l’exil, c’est sûr que c’est compliqué pour moi de me mettre à sa place, de comprendre à quel point cette peur doit être viscérale, mais il faut que je fasse un effort, il faut que je comprenne, sinon, autant arrêter là tout de suite notre histoire qui n’a aucun avenir. Je sais que je veux lui en donner un de futur. Je sais que je veux qu’elle reste à nos côtés et qu’elle va avoir besoin d’être beaucoup rassurée. Cela ne va pas être facile, mais il faut que j’y arrive.

— Je vois, finis-je par dire en lui caressant doucement les cheveux. Je te promets de faire attention. Si tu veux, on pourra même s’acheter un chien de garde, faire installer des caméras ou des tours avec des gardes, tout ce que tu veux en fait. Mais reste. Je t’en supplie, reste et trouvons les moyens de vivre en sécurité à deux. A quatre même avec les enfants. Reste avec nous, on a besoin de toi, ici.

— Je… D’accord, mais… Oui, d’accord. Et puis, je crois que les enfants aimeraient bien avoir un chien, tu sais ? rit-elle.

Je suis content de la sentir se détendre ainsi dans mes bras. Pas sûr que le chien soit suffisant pour apaiser toutes ses peurs, mais il pourra aider. Et au point où j’en suis, je prends tout ce qui peut nous permettre de continuer à nous aimer et vivre cet amour à deux. Et maintenant que les enfants semblent autant vouloir la présence de cette magnifique femme à mes côtés, peut-être que je vais enfin pouvoir entreprendre les procédures de divorce afin d’être totalement libre ?

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