66. Mauvaise humeur du matin

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Miléna

J’observe le plafond depuis au moins une heure, lovée contre Maxime qui dort comme un bébé. C’est fou que tout ce qui se passe en ce moment ne bouleverse pas son sommeil. J’aimerais avoir autant d’assurance que lui quant à l’avenir, mais je ne parviens pas à me sortir de la tête qu’il devrait vraiment prendre le temps de poser les choses et de réfléchir réellement à la situation. Lui et moi, c’est tout beau, tout neuf, c’est l’euphorie d’un début de relation. Et quand tout ça s’estompera, que restera-t-il ? Je suis la première depuis sa femme, est-ce qu’il ne s’imagine pas des choses après trois années de solitude ?

Tout ceci me prend vraiment trop la tête. Je dépose un baiser sur la joue de mon châtelain et me lève doucement alors qu’il tente de me retenir dans son sommeil. Il est vraiment trop tout, mon Monsieur Intense. J’ai encore du mal à comprendre ce qu’il peut me trouver. Et tout autant de mal à comprendre comment Florence a pu le quitter. Sa façon d’être avec moi est toujours juste, agréable et réconfortante. Il a tout de l’homme parfait, j’ai l’impression d’avoir trouvé en lui celui qu’il me faut. Et cela rend le retour de sa femme encore plus compliqué à vivre pour moi.

Casanova est allongé devant la porte de ma chambre et se redresse lorsque je sors après m’être habillée. Je le gratifie de quelques caresses avant de descendre et lui ouvre la porte-fenêtre de la cuisine pour qu’il puisse sortir avant de m’atteler à la préparation du petit déjeuner. A défaut de dormir, je vais avoir tout le temps de préparer un bon repas pour la famille De la Marque, matriarche inclue. Et quand les enfants débarquent dans la cuisine, les yeux encore ensommeillés, tout est prêt et la musique est allumée en fond. Je suis surprise de les voir m’embrasser pour me saluer avant de s’installer comme si de rien n’était. Il semblerait qu’ils aient moins de difficultés à s’adapter à cette situation loufoque que moi. Maxime débarque quelques minutes après eux, vêtu d’une chemise anthracite qui me donne envie de le déshabiller dans la seconde. Je souris quand il approche pour me dire bonjour, et tombe malheureusement sur le regard de sa femme qui arrive à sa suite. Mon premier réflexe est de tourner la tête et je sens ses lèvres se poser sur ma joue. Son regard interrogateur me fait mal au cœur, mais je n’arrive pas à être à l’aise dans ce truc bizarre où nous nous trouvons. C’est trop compliqué, trop incertain. Et je n’ai pas envie de me mettre les petits à dos. Si Lili semble un peu sur la réserve, Tom, lui, s’est tout de suite impliqué corps et âme avec sa mère.

— J’ai préparé le petit déjeuner, installez-vous, dis-je alors que Florence embrasse les enfants avant de venir déposer un baiser sur la joue de Maxime qui, surpris, ne réagit pas.

— Merci Miléna, dit Lili. Tu fais des pancakes trop bons !

— Oui, merci à vous, ajoute sa mère. La parfaite femme d’intérieur.

Le ton méprisant qu’elle utilise ne devrait pas me faire aussi mal, mais c’est vrai que depuis mon arrivée en France, je ne suis bonne qu’à ça. Le journalisme et la réflexion, c’est un peu mort pour moi. Je n’ai que cette traduction historique à faire, et c’est usant et frustrant à la fois.

— J’aime faire plaisir aux enfants, que voulez-vous ? Et à leur père aussi. Les pancakes, ça marche à chaque fois. Mais je vous en prie, aujourd’hui on devait cueillir les groseilles avec les enfants et en faire de la gelée, je vous laisse ma place, ne puis-je m’empêcher de lui proposer.

Moi aussi, je peux être désagréable, et si elle attaque de bon matin, je risque de vite perdre mon calme habituel.

— Oh mais oui, quelle bonne idée ! Cela me donnera du temps pour renouer le lien avec eux ! Vous êtes parfaite, ma petite.

— Essayez juste de ne pas brûler le château, marmonné-je avant de sourire en voyant Casanova venir se frotter contre ses jambes.

Je devrais être jalouse qu’il fasse ça, mais ce chien est futé, et je me demande s’il n’a pas compris qu’elle ne l’aimait pas et qu’il fait exprès pour l’enquiquiner. Il faudra que je pense à lui donner plus de récompenses, si c’est ça, surtout que la voir grimacer de la sorte me donne envie de rire.

— Les enfants, vous avez besoin d’aide pour vous préparer ? Tom, tu veux que je vienne choisir tes habits du jour avec toi ? Ce matin, c’est moi qui vous dépose au centre aéré, dit-elle en adressant un sourire à Max qui a un air dubitatif qui ne trompe pas.

Elle se lève et remonte avec les enfants, ce qui semble être le signal pour mon amant de venir coller son torse contre mon dos et m’embrasser tendrement dans le cou.

— Elle a l’air de prendre son rôle à cœur, hein ? Au moins, ça nous laisse un peu plus de temps juste tous les deux.

— Pourquoi ils vont au centre aéré ? Je suis là, moi. Elle bosse, Florence ? lui demandé-je en me libérant aussi délicatement que possible de ses bras pour aller me resservir un café.

— C’est eux qui aiment y aller, ça leur fait avoir des activités avec des camarades de leur âge. Mais c’est vrai que comme tu es là, il faudra leur demander s’ils préfèrent rester ici comme au début des vacances.

— Laisse tomber, ça me laissera plus de temps pour jouer la femme d’intérieur, marmonné-je en commençant à débarrasser la table.

— Miléna, pourquoi tu prends les choses comme ça ? me demande-t-il en revenant à la charge pour un calin.

Parce que j’ai la sensation de tout perdre, là. C’est totalement égoïste, n’est-ce pas ? Pourtant, après avoir perdu toute ma vie, mon travail, ma relation amoureuse, mes amis, mon pays, je devrais être blindée. Mais avec Florence qui revient ici, j’ai la sensation de ne plus avoir ma place, quand bien même Maxime m’assure du contraire. Déjà que cette place était minime et bancale… Je ne sais même pas comment j’arrivais à me satisfaire de jouer à la petite femme d’intérieure. C’était toujours mieux que rien, j’imagine. La vérité c’est que mon travail me manque, que je me sens totalement inutile et que je ne sais pas quoi faire de ma vie. Voilà donc ce que me renvoie le retour de Florence. Pas très glorieux.

— Pour rien, j’ai mal dormi, je ne dois pas avoir les idées très claires, soufflé-je en me laissant enlacer.

— J’aimerais tellement pouvoir rester ici toute la journée afin de ne pas te laisser seule avec elle, ma Chérie. Si ça ne va pas, tu m’appelles et je débarque, d’accord ?

— Je crois que c’est déjà suffisamment le chaos dans ta vie sans qu’en plus tu ne perdes ton travail, non ? Ça va aller, je l’évite, elle m’évite, et tout le monde est content. J’aimerais débarrasser une chambre du deuxième et commencer à nettoyer pour éventuellement rénover, tu en penses quoi ? Ça te dérangerait ?

— Non, mais tu es sûre que c’est ce que tu as envie de faire ?

— Que veux-tu que je fasse d’autre ? Ça m’occupe, et j’aime bien ça, au moins je sers à quelque chose.

— Si tu veux, me répond-il, pas convaincu mais pris par le temps pour vraiment discuter sur cette question.

— Allez, va bosser, comme vous dites, tu vas être en retard lui, dis-je en lui lançant un sourire que j’espère convaincant avant de déposer un baiser sur sa joue. A ce soir.

— A ce soir, ma Chérie, répond-il en attrapant mon menton entre ses doigts pour déposer un vrai baiser sur mes lèvres. Ne te fatigue pas trop car ce soir, je compte bien te montrer qu’il y a au moins un autre endroit où tu peux servir à quelque chose.

Je lui fais un clin d’œil sans lui répondre, presque vexée de n’être finalement bonne qu’à ça. Je sens que l’humeur matinale n’est vraiment pas la meilleure possible, aujourd’hui, et que je suis trop à fleur de peau pour envisager les choses positivement. J’ai l’envie folle d’aller me terrer sous mes draps ou de me perdre dans un coin du domaine, voire de fuir loin de tout ça pour me protéger. Mais j’ai fait une promesse et je ne compte pas la briser, quand bien même c’est difficile pour moi.

Une fois les enfants passés me souhaiter une bonne journée et partis avec leur mère, je monte le volume de la radio et m’installe sur la terrasse pour bosser un peu sur la traduction, Casanova toujours dans les parages couché à mes côtés. Il fait bon, mais le temps est chaud et devrait virer à l’orage. Espérons que le ciel ne reflète pas trop mon humeur, mais j’ai bien peur que ce soit le cas, car tout espoir de voir Madame De la Marque passer sa journée loin d’ici se fait la belle quand elle débarque sur la terrasse à son tour et s’installe, une tasse de thé à la main, sur la chaise face à moi. Je fais mine de ne pas la voir et de ne pas m’occuper d’elle, mais c’est mort, toute ma concentration a quitté la place.

— Le château n’est pas suffisamment grand pour vous épargner ma présence ? lui demandé-je finalement en gardant le nez sur le cahier récupéré dans le souterrain.

— Eh bien, j’ai l’impression qu’on va devoir passer pas mal de temps à cohabiter, je me demandais si on ne pouvait pas essayer de faire plus ample connaissance. Pourquoi êtes-vous toujours aussi agressive avec moi ? C’est quand même vous qui avez réussi à mettre Maxou dans votre lit, c’est déjà un beau succès, non ?

— Moi, agressive ? ne puis-je m’empêcher de relever. Je ne le suis qu’en réponse à votre comportement. Quand je vous ai demandé comment vous vous sentiez hier, vous m’avez envoyé balader. Vous avez passé le repas, hier soir, à m’envoyer des méchancetés. Je devrais être gentille de mon côté ?

— Vous m’avez volé mon mari, c’est normal que je sois un peu à fleur de peau, non ? Mettez-vous à ma place. Maxou, c’est toujours mon époux, que je sache. Et avec qui il couche ? Avec vous… Ce n’est pas une situation normale, ça.

— Oh bon sang, arrêtez deux minutes votre petit jeu, Florence, soupiré-je. Vous êtes partie, je veux bien être gentille, mais n’abusez pas non plus. Trois ans, enfin ! A un moment, il faut quand même se remettre en question. La vie ne s’est pas arrêtée de tourner, ici, pendant que vous viviez la vôtre sans vous soucier de votre famille.

— Vous savez quoi ? Vous n’êtes rien qu’une belle distraction pour Maxou, mais il va finir par se rendre compte qu’avec moi, on peut reprendre notre relation comme au début. Il risque de me surveiller un peu, surtout au début, mais franchement, les enfants seront mieux à grandir avec leur maman que déchirés entre deux logements différents ? Et lui, avec sa femme plutôt qu’avec une étrangère dont il pensera toute sa vie que l’attraction est dûe à ses papiers ? Franchement, je me demande pourquoi vous n’acceptez pas les choses et pourquoi vous ne me laissez pas la place ? Ce serait mieux pour tout le monde. Et si c’est de l’argent qu’il vous faut pour repartir sur de bonnes bases ailleurs, on peut s’arranger. Mais le bonheur de toute une famille dépend de votre obstination, vous réalisez ça, n’est-ce pas ?

Elle sait taper où ça fait mal, et mon envie de l’insulter combat celle que j’ai de me mettre à pleurer bêtement. J’essaie de rester stoïque, mais après le vase fissuré, c’est l’armure qui en prend un coup.

— Maxime a confiance en moi, et c’est ce qui vous manque cruellement, Florence. Après ce que vous avez fait, jamais il ne pourra vous faire confiance de nouveau. Et ce n’est pas à moi de décider, mais à lui. Que je sache, ce n’est pas moi qui vais dans sa chambre sans autorisation pour essayer de lui sauter dessus, c’est lui qui vient me rejoindre pour me prendre dans ses bras et me dire combien il m’aime. La seule raison pour laquelle il ne vous met pas dehors, c’est Tom et Lili, et vous le savez très bien, sinon vous ne feriez pas ce genre de tentative désespérée. Et le pire, c’est que je suis certaine qu’il a peur de se tromper en vous laissant rester pour eux, parce qu’il sait ce que ça fait de vous voir partir et il ne veut pas qu’ils revivent ça.

— Vous avez l’air tellement sûre de vous et de lui, soupire Florence, apparemment résignée. Si c’est vraiment le cas, je vous propose un petit test. Éloignez-vous de lui, laissez-moi un peu de place. S’il résiste malgré ça, je m’avouerai vaincue et il sera tout à vous. Mais le cas contraire, cela vous montrera que ce n’est pas votre place ici. Il faudra vous résigner à partir, mais je vous promets qu’on ne vous laissera pas tomber car vous avez été là quand Maxou en avait besoin. Qu’en pensez-vous ?

Je reste silencieuse un moment en la jaugeant du regard. Mon objectif est simple, je refuse de perdre la face devant elle. Autant je suis prête à baisser les armes avec Max, autant je ne m’avouerai pas vaincue devant elle, même si je suis bien loin d’être aussi assurée qu’elle ne semble le penser.

— C’est déjà ce que je fais, Florence, dis-je finalement en me levant tout en récupérant mes affaires sur la table. Et c’est à moi qu’il a demandé de venir dormir avec lui avant-hier, c’est moi qu’il a rejointe hier soir dans sa chambre, et c’est vous qu’il évite. Je suis désolée de vous dire ça, et vous pouvez penser ce que vous voulez de moi, mais j’en ai discuté avec lui, je lui ai même dit qu’il serait peut-être bien de retenter l’expérience avec vous. Je n’y peux rien s’il n’en a pas envie. Sur ce, je vous souhaite une bonne journée, occupez-vous bien.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre et m’engouffre dans la cuisine avant de filer au premier sans m’arrêter. Je crois que je vais aller m’occuper en vidant et nettoyant une chambre au-dessus, cela me permettra de penser à autre chose et m’évitera d’avoir des envies de meurtre. Elle m’agace, mais qu’est-ce qu’elle m’agace !

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