67. Les mousquetaires aux pinceaux

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Maxime

Qu’est-ce que ça fait du bien quand une réunion de fin de journée est annulée ! Même quand on le sait à la dernière minute, ça fait toujours plaisir. Je suis content car ça veut dire qu’on va pouvoir avancer avec Miléna sur la traduction et enfin savoir à qui appartient l’épée que nous avons trouvée dans le souterrain. On est sûr désormais qu’il s’agit d’un proche du Hutin, ce qui donne le quatorzième siècle pour l’ancienneté de l’artéfact. Je n’en reviens pas que nous parvenions à autant avancer dans notre enquête. Cela nous prend un peu de temps, c’est sûr, mais en même temps, c’est super agréable de progresser dans nos connaissances. Et que dire du temps passé avec la jolie Arménienne !

Arrivé au château, je profite de la douceur ambiante pour m’arrêter quelques instants sur le pont au-dessus des douves. Je m’appuie sur le petit muret et je regarde les nombreux poissons dans l’eau et surtout les canards qui barbotent et nagent tranquillement le long des murs du château. Il y a quelques abeilles qui butinent les fleurs, des mouettes qui passent dans le ciel. C’est fou comme tout est calme, tranquille. On est loin de la ville, ici. Loin des dispositifs anti-migrants et des ordres de mon patron. Ici, rien ne peut m’arriver. Quoique…

— Papa ! Tu es déjà là ! s’écrie ma fille dans mon dos avant de se jeter sur moi.

J’ai juste le temps de me redresser un peu et déjà je la sens sur mon dos. Je passe mes mains sous ses jambes et elle m’enlace et me couvre de bisous, pour mon plus grand plaisir.

— Coucou ma Lili. Tu vas bien ? Quelle énergie, dis-donc ! Et ton frère, il est où ?

— Oui, ça va, je m’ennuie, j’ai fini mes devoirs de vacances. Tom est avec Maman dans la cuisine, il lui fait une crise, rit-elle.

— Ah oui ? Tu es forte, dis-donc. Et pourquoi est-ce qu’il lui fait une crise ? demandé-je en la reposant doucement au sol. Maman ne sait pas gérer ses sautes d’humeur ?

— Ben, elle a pas été là pendant trois ans, Tom a grandi, on ne l’achète plus avec du jus de fruits ou une glace, maintenant. Il veut pas faire ses devoirs, lui. Et elle s’acharne.

— Ah mince, elle n’a pas essayé le chocolat ?

— Je lui ai proposé de l’aider, mais elle m’a dit qu’elle gérait, que ce n’était pas mon rôle, que c’était elle, la mère. Je sens que la soirée va être galère.

— Tu sais que ce n’est pas à toi de gérer ça, hein ? J’y vais et si tu veux, après, on peut aller faire un petit tour avec Miléna ?

— Je suis montée la voir pour lui proposer d’aller se promener avec Casanova, mais elle a dit qu’elle voulait finir de nettoyer les murs pour pouvoir peindre demain.

Je suis surpris qu’elle se soit mis à ces travaux à cette heure-ci, mais je n’insiste pas auprès de ma fille plus que ça. Main dans la main, nous entrons dans le bâtiment et nous dirigeons vers le salon où j’entends ma femme s’énerver.

— Bon sang, Tom, ça suffit maintenant ! Tu me fais tes exercices, sinon je t’interdis de lire ton livre de la soirée, c’est clair ? Arrête ton cinéma et fais un effort !

— Eh bien ! Qui veut interdire la lecture à un enfant ? C’est le comble, dis-je en souriant. Tom, tu as décidé de faire ton malin avec ta mère ou quoi ?

— J’ai pas envie de les faire, c’est tout. Je sais déjà tout ça, je perds du temps, ça me gonfle.

— Reste poli, s’il te plaît. Tu crois qu’on fait toujours ce qu’on aime ? Qu’on ne perd jamais de temps ? Pourquoi tu ne fais pas une étude des questions posées en faisant ton travail ? Et toi, m’adressé-je à ma femme, on dirait que tu as perdu la main, non ? Tu sais bien qu’avec Tom, rien ne sert de crier.

— Ça fait une heure que j’essaie calmement, tu gardes toujours ton calme, toi, peut-être ? Ah non, j’oubliais, tu as toujours une nounou pour t’occuper de lui.

— Tu devrais prendre des cours avec Miléna, elle s’adapte à lui et ça marche. C’est comme ça qu’on fait, n’est-ce pas, petit chenapan ? Fais donc ta page d’exercices et après, tu me diras où tu en es du livre sur l’éducation canine, et notamment si tu as compris comment on pouvait le faire aboyer sur commande. On fait ça, mon Grand ?

— Je peux aussi faire les exercices demain en plus, non ? J’ai vraiment pas envie aujourd’hui, Papa, s’il te plaît…

Je jette un oeil à ma femme qui a l’air révolté à l’idée de ne pas lui imposer de faire sa dose de devoirs du soir, et cela me motive à aller dans le sens de mon fils.

— C’est vrai que ça pourrait attendre demain, commencé-je alors que ma femme fulmine à ses côtés, mais moi, je te mets au défi de les finir avant que l’horloge sonne. Tu crois pouvoir faire ça ?

— Je te rappelle que je suis super intelligent, Papa, me dit-il après avoir jeté un œil à la pendule. Bien sûr que je peux. Et je peux aussi repérer quand tu détournes le truc pour m’obliger à faire quelque chose que je n’ai pas envie de faire, tu sais ? Mais bon… Je vais les faire, ces trucs trop nuls et inutiles.

— Et voilà, montre que tu es le plus intelligent et que tu sais éviter les conflits ! Et n’oublie pas que j’attends tous tes conseils pour éduquer Casanova.

Le chien est en train de renifler et lécher les pieds de mon épouse qui fait tout pour le repousser, ce qui nous fait rire tous les trois.

— Eh bien, dis-je, c’est marrant, la vie de famille, non ?

— Magnifique, oui…grommelle Florence. Il va falloir lui acheter une niche. Un chien, c’est fait pour vivre dehors, pas pour se promener dans toute la maison toute la journée. Il m’a fichu de la terre partout dans la cuisine, ce matin. Tu me diras comment lui apprendre à ne pas rentrer dans la maison au passage, Tom, ok ? Il fait un peu trop ce qu’il veut, ce chien.

— Casanova, c’est pas un chien comme les autres ! S’il dort dans la niche, s’emporte Lili, moi, je dormirai avec lui !

— Lili, la réprimandé-je gentiment. Ne t’énerve donc pas. Tu as bien vu qu’il dort dans la maison et est le pacha de notre petit royaume ?

— Sauf que Maman, elle revient et elle veut tout changer, ici ! Elle a déjà bougé les meubles dans le salon sans nous demander notre avis. Maintenant, elle veut mettre Casanova dehors. C’est nul.

— Ah oui, c’est nul, ça. Écoute, on va remettre les meubles à leur place, parce que Maman n’est plus chez elle, ici. Et ensuite, on va les fixer au sol pour qu’ils ne bougent plus. Et, Florence, la prochaine fois qu’il te prend une telle lubie, sache que tu risques de finir la soirée à l'hôtel. Ce serait bête, hein ?

Je sais que je l’attaque un peu sournoisement, mais pour une fois que Tom et Lili sont d’accord avec moi, j’en profite un peu, j’avoue.

— Eh bien, je vois d’où notre fils tient son caractère. Je ne pensais pas à mal, c’est juste que je voulais avoir une place pour mon bureau, mais si vous voulez que je l’installe dans la cave, dites-le, surtout, soupire-t-elle.

— Mais non, Maman, mais t’as de la place dans ta chambre pour ton bureau, intervient Tom en posant son cahier de vacances devant elle. J’ai fini.

— Oui, Tom a raison. Tu as toute la place qu’il faut dans ta suite. Tu sais, les choses ont changé ici en trois ans. Le monde ne s’est pas arrêté de tourner parce que tu étais partie.

— Je vois que votre discours est bien rodé, marmonne Florence en grimaçant. Ta nounou personnelle m’a tenu le même genre de discours.

— En parlant d’elle, et si nous montions voir ce qu’elle fait ? Je suis sûr qu’elle va être couverte de peinture, si elle a commencé. Ça doit être marrant à voir, ça. On y va, les jeunes ?

— Oui ! Et puis, ça lui fera de la compagnie, me dit ma fille en attrapant Casanova par son collier. Allez viens, on va voir Miléna. Mais interdiction de mettre ta truffe dans la peinture !

Ma femme est dans une colère noire et je me demande si elle va réussir à se contenir ou si elle va exploser devant les enfant. Après un effort que l’on peut qualifier sans aucun doute de surhumain, elle se contient et nous adresse un faux sourire tandis que nous montons les marches. Quand on arrive au deuxième étage, je constate qu’ici aussi, il y a du travail, mais ça n’a pas l’air d’avoir freiné Miléna qu’on entend chantonner toute seule dans la suite juste au-dessus de la mienne.

— Coucou ma Chérie ! Devine qui voilà, m’écrié-je en ouvrant doucement la porte. Ce sont les trois Mousquetaires ! On est à la recherche de notre D’Artagnan !

— Il me semble que vous êtes quatre, il va falloir retourner à l’école, Maxime, sourit-elle en posant son éponge dans la bassine. Tu es rentré tôt, dis-donc.

— Oui, une réunion qui s’est annulée. Et je voulais découvrir le mystère de l’épée, mais je vois que tu as d’autres projets ! Tu vas rafistoler tout le château comme ça ?

— J’aime me rendre utile, que veux-tu. J’ai besoin de me défouler, et ces murs sont l’idéal. Je peux arrêter pour aujourd’hui, pas de souci pour moi. A moins que vous vouliez m’aider tous les trois.

— Ah ah ! Tu vois que j’avais raison ! Nous sommes les trois mousquetaires ! En garde ! dis-je en attrapant un pinceau et en le tendant vers Miléna. Les enfants, aidez-moi, sortez les armes ! Un pour tous et tous pour un !

Lili se prend tout de suite au jeu et attrape l’éponge, mais au lieu de se mettre de mon côté, elle fait un bon et se retourne, aux côtés de Miléna.

— Désolée, Papa, mais on appelle ça le Girl Power, rit-elle.

— Max, tu joues à un jeu dangereux, il me semble que la peinture et toi, vous n’êtes pas vraiment amis, sourit Miléna en récupérant un pot qu’elle ouvre.

— Tom, aide-moi ! Tu ne vas pas me laisser tout seul, si ? Un pour tous, et tous contre un, ce n’est pas possible !

— Papa, moi, je vais jouer le rôle du Cardinal Richelieu et aller lire tranquillement dans mon coin. Débrouille-toi !

Il se marre et s’éloigne un peu, amusé de la scène. Il me surprendra toujours par ses références, surtout à son jeune âge, mais pour lui, c’est tout simplement normal.

— Bien, dis-je théâtralement, vous ne me laissez pas le choix. Comme le dirait Godefroy de Montmirail, Montjoie ! Saint Denis ! Que trépasse si je faiblis !

Et je me lance à l’assaut armé de mon pinceau et même Tom se joint à nous quand nous nous retrouvons à nous chatouiller et à rigoler comme des fous. Cela fait du bien, ces petits moments en famille.

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