68. Voldemort dépasse les bornes

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Miléna

Je ferme rapidement ma page Internet en voyant débarquer Florence dans le salon et fais mine de chercher une recette de gâteau tout en rassemblant mes papiers. Je préfère autant la jouer discrète avec mon blog, et je n’ai aucune envie qu’elle s’immisce dans ma vie. Quoiqu’elle pourrait voir que j’aime Max, je crois que je parle suffisamment de mon châtelain sur mes articles pour que ce soit clair, même si je doute que ça lui importe réellement.

Florence m’ignore royalement, ce qui ne me dérange absolument pas, soyons honnête, et s’installe dans son fauteuil, son téléphone à la main. Comme nous nous évitons sciemment d’ordinaire, je me demande bien ce qu’elle fiche ici, et comprends le sous-entendu. Madame la châtelaine veut être dans le salon et je suis censée déménager. Si je ne vais pas dans une pièce où elle se trouve, sauf lorsque nous nous retrouvons pour les repas avec Maxime et les enfants, je ne vais pas changer de pièce pour lui faire plaisir. Gentille, Miléna, mais pas non plus du genre à se laisser écraser. Il ne faut pas pousser, surtout que mon amoureux lui a bien fait comprendre qu’elle n’était pas la bienvenue ici, et que si elle restait, ce n’était que pour les enfants. Enfants qui jouent dehors avec Casanova après leur journée au centre aéré, alors qu’elle s’enferme ici. Logique.

J’ai vraiment du mal à comprendre ce qu’elle fiche. Elle joue la petite femme parfaite, cherche à reprendre sa place auprès des petits, mais tout ça n’est pas très clair à mon goût. Lili et Tom m’ont proposé de faire une séance d’éducation canine avec eux et j’ai refusé pour lui laisser la place, pour qu’au final elle vienne dans le salon plutôt que de profiter de cette occasion de se rapprocher d’eux.

Je sens son regard sur moi lorsque je me lève après avoir glissé mon dossier dans l’un des tiroirs du bureau, mais je ne lui adresse pas un mot et file à la cuisine pour commencer la préparation du dîner. Maxime avait une réunion en fin d’après-midi et il n’est pas encore rentré, j’espère qu’il ne tardera pas trop, parce que j’ai besoin de sa présence dans ce milieu à demi-hostile. C’est vrai, je ne sais plus trop si c’est lui ou moi qui joue le tampon avec Florence. Nous sommes peut-être finalement chacun le tampon de l’autre. Tantôt c’est moi qui essaie de calmer les choses lorsqu’il s’énerve contre elle, tantôt c’est lui qui apaise les tensions quand elle me cherche et me trouve. Honnêtement, je ne sais pas comment les enfants font pour vivre dans cet environnement pesant, même si nous essayons au maximum d’éviter ces moments d’égarement devant eux. Elle est quand même très douée pour nous pousser à la faute et nous obliger à nous contenir en leur présence. Oui, je l’avoue, elle m’énerve. Je me demande si j’ai déjà éprouvé ça pour quelqu’un d’autre, je veux dire, à ce point-là. Parce qu’en plus de me prendre pour une bonne, de me déprécier devant Max et les enfants grâce à de charmantes piques qui me donnent envie de devenir violente, elle joue encore à l’aguicheuse avec mon châtelain. Elle a changé de stratégie, c’est beaucoup plus discret, finement amené, mais c’est bien là. Une main posée sur la sienne à table en se remémorant les premiers mots de Lili, un compliment lâché à droite à gauche, un petit haut qui met bien en valeur sa poitrine… Une torture pour moi qui assiste à tout ça sans pouvoir m’en extirper. Heureusement que c’est moi qui partage les nuits de Maxime et reçois ses attentions, sinon je crois que j’aurais déjà plié bagages.

Je soupire en mettant le plat au four et le programme pour les quarante-cinq minutes de cuisson recommandées. En plus de tout ça, ne pas travailler commence vraiment à me peser. Heureusement que je me suis lancée dans la rénovation du deuxième étage, et j’avoue que j’y passe pas mal de temps. Une journaliste qui finit peintre en bâtiment, sympa comme reconversion. Sans compter la partie femme d’intérieur. Bon sang, si j’avais imaginé un jour en arriver là. Heureusement qu’il y a Max et les deux petites bouilles trop mignonnes que j’observe sur la terrasse, en train de s’acharner à apprendre à leur chien à se lever et s’asseoir selon leurs ordres. Ils ont du boulot, parce que Casanova a l’air plus décidé à faire la sieste qu’autre chose.

Je finis de nettoyer mon bazar en me demandant si Max m’a envoyé un message pour m’avertir de l’heure à laquelle il rentrerait, et file au salon pour vérifier si c’est le cas. Florence, assise au bureau, lève un regard surpris à mon intention lorsque j’entre, et je constate qu’elle a vraiment poussé le bouchon, cette fois.

— Ça va, je ne vous dérange pas ? Vous voulez que je vous ouvre ma boite mail aussi, tant qu’on y est ? lui demandé-je en regroupant brusquement mes papiers pour les récupérer.

Cette… Dinde ? Oui, je reste polie, a joué la petite curieuse et fouillé dans mes affaires, j’y crois pas ! Dans ce dossier se trouvent tous les documents pour ma demande d’asile, articles traduits inclus, et elle ne s’est pas gênée pour y mettre son nez.

— Je voulais juste vérifier que vous ne mentez pas à Maxou. Le pauvre ne pense qu'avec son entrejambe en ce moment…

— Et ça ne vous regarde pas du tout. Ça ne vous a pas intéressée pendant trois ans, ce n’est pas parce que vous revenez que vous pouvez vous en préoccuper !

— Eh bien, quel énervement ! Vous avez quelque chose à cacher ?

— Une certaine intimité, c’est tout. Vous n’avez pas à fouiller dans des documents qui ne vous concernent pas. J’y crois pas, vous n’avez vraiment aucune gêne !

— Je suis chez moi, ici. C’est ma maison, mon pays. Si vous n’êtes pas contente, rien ne vous oblige à rester.

Et c’est reparti pour un tour. Sauf qu’en plus, là, elle y ajoute une nouvelle touche. Moi, voleuse de mari et, qui plus est, réfugiée. Quelle honte j’ai à l’ouvrir, sérieusement ! Pauvre… Ah, bon sang, qu’elle m’énerve !

— De ce que j’ai compris, mais bon, je ne suis qu’une pauvre petite réfugiée, cette maison est celle de votre mari. Enfin, de votre futur ex-mari, il me semble, puisqu’il demande le divorce. Futur ex, c’est bien ça ? Alors, je n’ai aucune obligation à rester, c’est vrai, mais j’en ai envie, et lui aussi. Pas de chance pour vous, il fallait vous réveiller plus tôt.

— On verra bien qui l’emportera à la fin, je n’ai pas dit mon dernier mot, énonce-t-elle sèchement.

— Qui va emporter quoi ? tonne la voix de Max qui débarque dans le salon.

Eh bien, on peut dire qu’il tombe à pic. Ou pas… J’aimerais autant qu’il n’assiste pas à ce genre de scènes, il est déjà suffisamment énervé contre sa femme.

— Laisse tomber, c’est la version féminine du combat de coqs, marmonné-je. Et elle se croit tout permis pour ça.

— Ta dulcinée se permet de me manquer de respect, Maxou. C’est inadmissible et si tu laisses passer ça, c’est que tu n’es plus l’homme que j’ai connu.

— Oh ça va, hein, Princesse de mes ovaires ! C’est vous qui êtes allée fouiller dans mes papiers ! m’énervé-je en la pointant du doigt. Vous feriez mieux d’arrêter de jouer la sainte, on sait tous ici qui est l’emmerdeuse !

Je vois mon Châtelain porter son regard de l’une à l’autre, un peu perplexe. Mais cela ne dure pas car il comprend vite ce qu’il se passe.

— Eh bien, Florence, tu te rends compte de ce que tu es en train de faire ? J’ai peut-être l’obligation de te garder ici pour l’instant, mais ça ne veut pas dire que tu peux te rendre partout. Si tu recommences à fouiller dans nos affaires, je te consigne dans ta suite et à la cuisine, c’est clair ? Et Miléna, tu sais ce qu’on va faire ce soir ? Je t’emmène au resto. Tu mérites bien ça.

— Non mais, comment tu me parles ? s’indigne son épouse, visiblement surprise de la véhémence de son ton. Jamais, tu ne pourras m’enfermer, c’est n’importe quoi.

— Je te parle comme tu le mérites, répond-il en s’approchant dangereusement d’elle. Je ne suis plus l’homme que tu as connu, comme tu dis, j’ai ouvert les yeux sur ta mesquinerie, sur l’objet unique de tes préoccupations, à savoir toi, rien que toi. Et c’est fini, tout ça. Alors, tu ferais mieux de te taire avant que je ne me décide à te mettre dehors. Et le reste se gèrera entre nos avocats.

Eh bien, on peut dire qu’il a le chic pour casser l’ambiance. Ou calmer les choses ? Je ne sais plus trop, là, parce qu’en attendant, Florence la boucle et j’ai une minute pour souffler.

— Un resto, tu dis ? lui demandé-je finalement en attrapant sa main pour qu’il en termine avec le regard tueur qu’il lance à sa femme. Tous les deux, tu veux dire ?

— Oui, tous les deux, répond-il alors que tout son être se détend maintenant qu’il porte son attention vers moi. Florence s’occupera des enfants et toi et moi, on va se prendre un peu de bon temps, en amoureux.

— Non mais t’es sérieux ? se réveille finalement le diable. Donc tu fais ta vie et je dois me débrouiller avec les enfants ? J’ai peut-être un avis à donner, non ?

— Ecoute, ça fait trois ans que tu ne t’en es pas occupée. Une soirée, ça ne te tuera pas. Merci chère épouse, ajoute-t-il, sardoniquement.

— Tout ça pour emmener ta nounou au restaurant ? grogne-t-elle. Tu ferais mieux de proposer une sortie familiale, plutôt que de ne penser qu’à ton service trois pièces !

— Tout ça pour emmener la femme que j’aime au restaurant, oui. On y va, ma Chérie ?

— Je te suis, peu importe où on va, j’ai besoin d’un break, ce soir, dis-je en reprenant mon dossier. Je vais me changer, les enfants sont sur la terrasse, si tu veux aller les voir. Florence, le repas est dans le four, la nounou a fait son boulot même si elle couche avec le patron.

Je dépose un baiser sur la joue de Max qui ne se fait pas prier et sort en même temps que moi pour aller voir les petits. Je me dépêche d’aller me changer après un brin de toilette. Florence a vraiment abusé, mais je me suis un peu emportée. Je crois qu’aucune personne ne m’avait autant horripilée que cette femme qui me pense opportuniste alors qu’elle est l’exemple même de la nana sans aucune limite, qui se permet tout et n’importe quoi pour arriver à ses fins.

Quand je redescends, Maxime m’attend déjà dans l’entrée. Nous échangeons un regard complice et j’apprécie qu’il prenne le temps de me détailler de la tête aux pieds.

— Je crois que je n’ai jamais été aussi contente que tu me proposes de faire quelque chose que tu devras payer pour moi, plaisanté-je alors qu’il m’ouvre la porte d’entrée.

— Ne serait-ce que pour revoir la tête déconfite de l’autre mégère quand je lui ai dit qu’elle allait devoir s’occuper de ses enfants, je le referais tous les jours si c’était possible, rit-il.
— Je ne suis pas du genre violente, mais je crois que j’ai eu des idées meurtrières, soupiré-je en montant dans la voiture. Je te jure, elle m’a mise hors de moi à fouiller dans mes papiers. Surtout pour cette excuse stupide, comme si je te mentais et cherchais à profiter de toi.

— Oh, mais tu profites de moi, elle n’a pas besoin de fouiller pour le découvrir, ça. Elle n’a qu’à me demander ! Et moi aussi, je profite de toi tous les soirs ! Et tous les jours aussi !

Je m’arrête dans mes mouvements et fronce les sourcils en l’observant. Son sourire me dit qu’il plaisante, ou du moins qu’il y a du second degré, mais une fois encore, il faut que je déchiffre.

— Tu veux bien profiter de moi, vite fait, là, avec un baiser ? Je crois que j’en ai bien besoin, là.

— Je suis à ton entier service, ce soir, ma Belle, m’indique-t-il en profitant d’un arrêt pour répondre à ma demande de la plus passionnée des façons.

Oh bon sang, il pourrait me faire oublier de respirer, avec ses baisers. En tous cas, je n’ai plus cette dinde en tête, au moins le temps que dure ce rapprochement. Malheureusement pour nous, un klaxon retentit derrière et nous sommes obligés de nous séparer.

— Je n’aurais pas dû perdre mon calme comme ça, mais elle est douée… J’espère qu’elle sera plus cool avec les enfants. Je peux… Je peux te poser une question ?

— Oui, bien sûr que tu peux. Je t’ai déjà empêchée de parler ?

— Non, souris-je, mais tu es la seule personne que je n’ai pas envie de déranger avec mes questions. Tu sais, déformation professionnelle. Niveau procédure de divorce, tu en es où ? Ton avocat sait que Voldemort est de retour ?

— Oui, je lui ai dit. Il a transmis au juge tous les documents. On attend une date de convocation, désormais. Ça ne devrait plus tarder, mais les délais sont longs, malheureusement.

— Je suis désolée de te dire ça, mais je ne suis pas sûre qu’elle survive jusqu’à cette convocation. J’ai envie de la jeter du haut de la tour, ou… De la noyer dans les douves, de l’enfermer dans le souterrain. J’hésite, franchement.

— Tu crois que ça ne l’a pas calmée, ma petite colère de tout à l’heure ?

— Je n’en sais rien, j’ai l’impression qu’elle est revenue pour bien te pourrir la vie, en fait.

— En tous cas, elle ne pourrira pas notre soirée. Et tu verras, tout va finir par s’arranger.

On verra bien, en effet. En tous cas, nous convenons que le sujet Florence devient aussi interdit que de prononcer le nom de Voldemort pour la soirée. Un dîner en amoureux, comme si tout était normal, comme un couple ordinaire. Pas de questions de papiers, de femme ou de divorce. On ne parle même pas des enfants ou presque, pour être honnête. Maxime me raconte son parcours scolaire, me parle de son père, de ses amis d’enfance partis à droite à gauche en France, et je fais de même de mon côté, me dévoilant encore un peu plus. C’est un peu un rencard, même si nous avons déjà passé le cap suivant. Et ça fait un bien fou de pouvoir lâcher prise, de ne pas avoir à se contenir, de pouvoir juste échanger avec lui. Une vraie pause dans le quotidien, un moment de bonheur tout simple autour d’un bon repas ponctué d’un fondant au chocolat délicieux.

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