69. Le choix de la Mama

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Maxime

— Monsieur, il y a une dame pour vous à l’accueil qui demande à vous parler.

Je lève les yeux de mon ordinateur, regarde la petite jeune qui remplace Yasmina pendant ses congés d’été et soupire. Ce n’est pas une heure pour venir voir quelqu’un qui travaille et qui finit sa journée dans même pas dix minutes.

— Et qui est cette dame ? Elle veut quoi ?

— Eh bien… Elle dit qu’elle est votre mère, en fait, mais que je ne dois pas l’ébruiter.

Je hausse un sourcil. Ma mère ? Et pourquoi est-ce que cela ne devrait pas s’ébruiter ?

— Ce n’est pas ce que vous venez de faire, cependant ? Si c’est bien ma mère, faites la donc entrer et ne la faites pas patienter pour rien dans le hall, voyons !

Je sais que je ne suis pas tendre avec elle, mais Yasmina et son professionnalisme me manquent. Sa remplaçante n’a pas grand-chose pour elle, à part d’être présente… Pas très courageuse, pas très maligne… Je pense que notre DRH ne l’a recrutée que pour ses yeux d’un marron profond qui semblent toujours rêveurs.

— Bien Monsieur, je vous l’amène. Je veux dire… Je la fais entrer, bafouille-t-elle en sortant.

— Oui, et ensuite, vous pourrez partir et nous laisser. Je fermerai les bureaux, ne vous inquiétez pas.

— Bien Monsieur, bonne fin de journée alors. A demain.

Je profite qu’elle s’éclipse pour enregistrer le rapport sur lequel je travaillais en me disant que ce travail est de moins en moins enrichissant. Le port est de plus en plus sécurisé et les solutions que je propose fonctionnent, mais les gens utilisent désormais des canots gonflables pour traverser, se mettant ainsi plus en danger qu’avant. Et mon rapport très positif signifie que désormais, plus de gens meurent en mer. Quelle réussite. Et c’est devant mon air dépité que ma mère se présente et vient m’embrasser sur la joue.

— Bonsoir maman. Tu t’es perdue à Calais ? demandé-je en souriant.

— Bonjour mon Maxou. Tu as l’air fatigué, mon chéri. Tout va bien ?

— Tout va bien, j’ai des résultats formidables… affirmé-je de manière un peu désabusée. Je réussis tellement bien que des gens meurent en mer plutôt que de passer par le port. Un beau succès, non ?

— Je vois que c’est la grande forme, soupire-t-elle en s’asseyant de l’autre côté du bureau. Pourquoi tu ne démissionnes pas ? Tu vas encore me dire que je radote, mais ce projet de chambres d’hôtes, il en est où ?

— Parce que ça paie bien et ça me permet de vivre dans un château qui coûte une fortune à entretenir. C’est déjà une bonne raison, ça, non ? Et pour la chambre d’hôtes, il n’y en a pas assez, il faudrait tout rénover pour que ça devienne rentable…

— C’est en cours, non ? Avec Miléna, vous pourriez tout faire en quelques semaines, au deuxième étage, tu ne crois pas ?

— Miléna n’est pas décoratrice, elle est journaliste. Si elle le fait, c’est par plaisir, pas pour que je quitte mon boulot.

— Elle était journaliste, ce n’est plus le cas. Son diplôme ne vaut rien ici, je pense. C’est dommage, mais c’est comme ça. Bref. Comment ça va avec Florence ?

— Comme si c’était le diplôme qui faisait la femme… Des fois, Maman, tu me donnes l’impression d’être d’une autre époque, me moqué-je. Et pour Florence, tu devrais lui demander, non ? On ne se parle pas et on s’évite, c’est mieux pour tout le monde.

— C’est dommage… Tu as espéré tellement longtemps qu’elle revienne, et les enfants sont tellement contents d’avoir retrouvé leur mère.

— J’ai espéré des nouvelles jusqu’à ce que je me fasse une raison et que je me soigne. Maintenant que ça va mieux, je ne veux pas retomber dans les mêmes travers qu’avant. Florence et moi, c’est fini, Maman. Et pour les enfants, ils se demandent si elle ne va pas repartir, franchement, il y a mieux comme relation.

— Tu crois qu’elle fera une seconde fois l’erreur ? Je pense qu’elle a compris, non ? Ce serait tellement plus simple pour les enfants si vous vous remettiez ensemble…

Je la dévisage un instant et comprends pourquoi elle est venue me voir au boulot. Elle est en mission rabibochage. Et, en vraie guerrière, elle va déployer une à une toutes ses armes. J’hésite entre éviter ses questions, au risque qu’elle revienne à la charge à un autre moment moins opportun, et lui répondre de manière pas très agréable. Finalement, j’opte pour une réponse plus maîtrisée mais que j’espère claire quand même :

— Florence n’est pas une personne stable. Ce n’est pas comprendre qui est important, c’est juste qu’elle devrait suivre un traitement psy, ça irait mieux. En tous cas, je ne vois pas en quoi ça serait plus simple…

— Oh je t’en prie, chéri, réfléchis-y quand même. Un divorce… Déjà, dans la famille, ça ne s’est jamais vu. Mais plus que ça, ce sont des frais, des disputes, une séparation de biens… Et puis c’est aussi une question de garde pour les enfants… Tu veux vraiment perdre leur garde ? Ne les voir qu’un weekend sur deux ? Tu es vraiment prêt à ça pour une… Enfin, pour ton amourette ?

— Une quoi ? Finis ta pensée, l’attaqué-je. Je suis curieux de savoir comment tu vois Miléna. Je peux te dire qu’on est loin d’une simple amourette ! Et qui te dit que je n’aurai pas la garde principale des enfants ? J’ai le boulot, la maison, l’argent alors qu’elle n’a rien…

— J’allais la qualifier d’amourette. Ne me prête pas des intentions que je n’ai pas, Maxime, me dit-elle, le regard dur. Tu sais bien que je n’ai rien contre Miléna, mais je pense aux enfants, chéri. Ils ont besoin de leurs deux parents. Et ensemble, c’est encore mieux. Si ton père et moi avions divorcé à la moindre dispute, je peux t’assurer que tu ne nous aurais pas connus ensemble.

— C’est vrai qu’on ne divorce pas chez les “De la Marque”, dis-je en prenant un ton pédant. Mais les temps ont changé, Maman. Elle nous a abandonnés pendant trois ans ! Tu te rends compte que tu as plus fait pour les enfants ces derniers mois que leur propre mère ?

— Oui, je sais Maxou, soupire-t-elle. Mais… Tout le monde a le droit à une seconde chance, non ?

— Mais non, Maman. Quand le fil est cassé, c’est irréparable. Et là, tout ce que je te demande, c’est de me laisser vivre ma vie tranquille. Je sais que c’est difficile à entendre, mais je pense qu’on est tous mieux sans elle dans notre quotidien.

— Tu ne peux pas dire ça, voyons ! Regarde Tom, il est tellement aux anges de l’avoir retrouvée.

— Oui, mais de quoi est-il content ? D’avoir renoué avec le passé et ses vieilles habitudes ? Certainement. De la proximité de sa mère pour les activités ou les discussions ? Absolument impossible. Elle considère son fils comme une simple distraction, ne l’écoute pas raconter ses aventures, essaie de l’abrutir devant la télé. C’est ça, être une bonne mère ? Pour moi, c’est du gâchis pas possible, tout ça.

— Maxou… Tu es sûr que c’est la bonne décision à prendre ? Elle a juste besoin de temps pour réapprendre à être mère, et puis, Tom est un peu particulier, quand même…

— Après avoir critiqué la femme qui partage ma vie, tu dénigres mon fils ? Ton petit-fils ? C’est magnifique, tout ça. Pour une conne qui ne sait pas ce que c’est d’avoir des enfants ! Franchement, il y a mieux pour grandir dans de bonnes conditions ! Maman, ouvre les yeux, Florence est dangereuse pour les enfants !

— Jamais je ne dénigrerai Tom, enfin ! Qu’est-ce que tu racontes ? Je veux juste dire qu’il faut apprendre à le connaître, à s’occuper de lui ! Qu’il faut du temps pour le cerner, c’est tout ! Tu es fou ou quoi ? Je suis juste perdue, je… Je ne veux pas que tu fasses une erreur que tu pourrais regretter, chéri.

— Ce que je regrette, c’est de ne pas avoir demandé le divorce plus tôt. Florence est folle, elle n’a jamais voulu avoir d’enfants, et ne veut pas les assumer ou s’en occuper. L’erreur, je l’ai faite il y a longtemps, et il faut que je corrige tout ça désormais.

— Très bien… Si tu es sûr de toi, je te soutiendrai, chéri, mais… Non, je te soutiendrai, c’est tout.

— Il n’y a pas de “mais”, Maman, la coupé-je en parlant en même temps qu’elle. Oui, c’est ça dont j’ai besoin : ton soutien, ton amour, et le reste, laisse-moi gérer. Florence est dans l’incapacité totale de s’occuper des enfants. Au plus vite le divorce sera prononcé, au plus vite je serai débarrassé d’elle.

— Et au plus vite tu la remplaceras par Miléna, c’est ça ? Et les enfants, qu’est-ce qu’ils vont penser ?

— Que j’ai enfin trouvé celle qui pouvait me rendre heureux. Non mais, c’est fou, on dirait que tout le monde a oublié à quel point on se disputait avec Florence avant son départ. C’est quand même mieux pour les enfants de grandir dans une famille heureuse qu’avec des parents qui passent leur temps à se disputer, non ?

— Oui, oui, bien sûr… Mais vous auriez déjà dû consulter un conseiller conjugal à l’époque. Elle n’est pas partie pour rien, non plus. Enfin, j’imagine…

— Elle est partie parce qu’elle pensait que ce type qu’elle se tapait allait lui proposer une vie facile, faite de luxe et de détente. Aucun conseiller ne peut contrer ça. D’ailleurs, il vaudrait mieux qu’elle disparaisse de nos vies à tous vu tout le bordel qu’elle crée.

— Tu ne peux pas dire ça, chéri, elle reste la mère de tes enfants !

— Oui, malheureusement, on ne peut rien faire à ça. Allez, Maman, tu peux être fière, tu as exprimé tes inquiétudes, tu n’as plus à être responsable si ça foire. Mais ça ne va pas foirer, je te le promets. Une rencontre avec une femme comme Miléna, ça n’a pas de prix. C’est une expérience unique dans une vie. Tu es venue à pied sinon ? demandé-je pour changer la discussion. Tu veux que je te ramène au Château ?

— Non merci, l’ambiance au château est trop pesante, ça m’oppresse. Je suis venue en voiture voyons. J’espère vraiment que Miléna est sincère avec toi, Maxou, tu as le droit d’être heureux, et je n’ai pas envie qu’elle te fasse souffrir.

— Moi, je sais qu’elle l’est. Je le sens au plus profond de mon être, Maman. Allez, je te raccompagne à ta voiture alors. Merci de m’avoir exprimé tes interrogations, je sais que tu fais ça parce que tu m’aimes… Heureusement, parce que sinon, je pourrais mal prendre tous tes doutes, tu sais ?

Elle me sourit, un peu gênée, mais n’ajoute rien alors que je ferme le bureau et sors avec elle pour l’accompagner jusqu’au parking. Je soupire car des fois, avec elle, j’ai l’impression de toujours être cet adolescent peu sûr de lui qui doit tout faire valider par sa mère. On ne dirait pas que j’approche la quarantaine !

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