72. La nounou de sa vie

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Miléna

Je remplis la gamelle d’eau de Casanova qui se précipite dessus et lape bruyamment tandis que je me sers à mon tour. Jouer la carte des parents, Florence a fait fort, là, non ? Ou alors je me fais des films. Toujours est-il que j’ai l’impression que les imprévus s’accumulent toujours plus. Un peu égoïstement, j’aimerais du calme dans ce château, un peu de sérénité pour tout le monde. La femme de Maxime a tout bousculé il y a déjà plusieurs semaines, j’espère que ses parents donneront un peu moins l’impression qu’une nouvelle tempête fait rage. En tous cas, les enfants sont contents de les voir, c’est au moins ça.

Vu l’heure à laquelle nous sommes rentrés de cette jolie balade en forêt, je ne m’attarde pas à ruminer et sors de quoi préparer le dîner. J’allume la radio pour combler le silence de la pièce et m’attèle à la tâche en chantonnant du Jean-Jacques Goldman quand la porte de la cuisine s’ouvre sur mon châtelain, apparemment contrarié.

— Tu veux te défouler sur les légumes ? lui demandé-je en souriant. Ça va ?

— Bonne idée, les légumes, déclare-t-il en se saisissant d’un couteau. Tu les veux bien hachés menus ?

— Je ne sais pas ce que veut dire haché menu mais je les prendrai comme tu me les donneras, je m’adapte, ris-je en déposant un baiser sur sa joue. Sacré début de vacances, tu vas t’en remettre ?

— Ça veut dire que je vais les découper en si petits morceaux qu’on pourra les manger même sans dents. Il vaut mieux que je les découpe eux que Florence, non ? Tu te rends compte qu’elle a installé ses parents dans la suite du Hutin et déménagé ses affaires dans ma chambre ? Et qu’elle croit encore que je vais retomber dans ses bras ? Ses parents ne sont même pas au courant pour nous deux !

Je grimace en l’écoutant. Tout ceci ne fait que confirmer ce que je pense. Elle est folle, il n’y a pas d’autre mot, je crois. Et bien accroché à un homme qu’elle a longtemps abandonné. Qu’est-ce qu’elle a dans la tête ?

— Est-ce que tu me prends pour une folle si je te dis qu’une partie de moi ne dirait pas non pour le découpage de Florence ? Je crois que je t’aiderais à cacher le corps, si tu en arrivais là, continué-je sur le ton de la plaisanterie. Après tout, il y a un souterrain non-déclaré ici, ça pourrait servir.

— Ah oui, quelle bonne idée ! sourit-il enfin. Heureusement que tu es là, ça rend tout de suite la situation plus facile à gérer. Non, mais sérieusement, elle abuse… Je lui ai fait une proposition par contre, mais elle te concerne et il faudrait que tu donnes ton accord…

— Je suis contente de t’être utile. Une proposition qui me concerne ? De quoi tu parles ? Tu me ferais presque peur, parce qu’inclure ta femme dans la même phrase que le mot “proposition”, ce n’est pas très rassurant.

— Non, tu n’as pas à t’inquiéter. Ce que je voudrais, c’est que tu lui laisses ta chambre et que tu viennes t’installer dans la mienne. Définitivement. Qu’on arrête de faire semblant de ne pas être en couple et qu’on officialise un peu plus les choses. Tu en penses quoi ?

Eh bien, je ne m’attendais pas vraiment à ça. Techniquement, ma chambre ne me sert pas à grand-chose depuis un moment. Je dors avec lui toutes les nuits, et ne fais que me doucher et stocker mon petit pécule de vêtements là-bas. Mais de là à “emménager” dans sa suite… Il faut dire que nous n’avons pas vraiment fait les choses dans le bon sens, Max et moi, jusqu’à présent. C’est un petit symbole vraiment adorable.

— Emménager chez toi ? Ce n’est pas un peu tôt ? Je veux dire, vivre ensemble alors qu’on se connaît à peine, Maxime, plaisanté-je, le sourire aux lèvres.

— Il faut savoir prendre d’énormes risques, plaisante-t-il. Et puis, on optimise l’espace, c’est plutôt une bonne chose, non ?

— Quel romantisme ! Optimiser l’espace, hein ? C’est vrai qu’on est un peu à l’étroit, ici, c’est nécessaire.

— Avec toi, je veux me confiner dans le plus petit des espaces, ma Chérie. Peau contre peau, cœur contre cœur, ajoute-t-il en se collant derrière moi pour m’embrasser.

— Ah, ça, déjà, c’est plus romantique, Monsieur le Châtelain. Eh bien, c’est avec plaisir que j’emménagerai dans votre suite, mon cher.

— Tu veux qu’on aille inaugurer ça tout de suite ? Je ne sais pas si je peux attendre ce soir pour fêter ça, susurre-t-il à mon oreille en me caressant les épaules.

— Bien que ce soit très tentant, tu as des invités, ce ne serait pas très poli, il va falloir être patient, ris-je. Et donc, tu as parlé de ça à Florence ? Elle a dû être ravie…

— Je ne lui ai pas laissé le choix. Et je me moque de ce qu’elle pense, tu sais. Elle n’est plus rien pour moi.

J’admire sa détermination et son détachement. Je n’en suis pas là, de mon côté. Même si Vahik m’a menti, même s’il m’a trahie, je pense encore à lui et me demande ce qu’il penserait de tout ça.

— Du coup, j’imagine que le déménagement est précipité et qu’il faut que je vide ma chambre ce soir ?

— Oui, c’est ça, sauf si tu veux la partager avec Florence. Je t’aiderai avec les enfants juste après manger, si tu veux.

— Non merci, je n’ai aucune envie de partager ma chambre avec Florence, m’esclaffé-je. Je la vois déjà suffisamment comme ça et j’aurais trop peur qu’elle m’étouffe dans mon sommeil pour reprendre sa place.

Ou me piquer la mienne, plutôt, puisque ce n’est plus la sienne. Il va vraiment falloir qu’elle l’accepte, pour son bien mais aussi le nôtre, parce que toutes ses petites manigances sont fatigantes.

Nous terminons de préparer le repas dans une ambiance plutôt agréable, et je ne peux m’empêcher de me dire que le symbole est fort. M’installer avec lui, ce n’est pas rien, même si nous vivons sous le même toit.

Je suis contente de le voir plus détendu. J’ai parfois l’impression d’avoir deux Maxime différents sous les yeux. Il n’est pas du tout le même en présence de Florence, et cela se vérifie encore lorsqu’elle entre dans la pièce pour servir l’apéritif à ses parents. C’est comme si tout le corps de mon châtelain se mettait en mode défensif. Et cela rend notre passage à table plutôt tendu. Niveau chamboulement des habitudes, on est vraiment pas mal, là. Tom est en train de replacer les couverts quand j’entre avec le plat, et il bougonne en voyant sa mère s’installer à une place qui n’est pas la sienne. Cette cohabitation promet, et j’avoue me sentir un peu seule face à tous ces français qui se connaissent depuis plusieurs années. J’ai un peu la sensation d’être la pièce rapportée, ce qui est techniquement le cas, j’en conviens.

— Maman, change de place, c’est celle de Miléna.

Forcément, elle a choisi la chaise près de Maxime. Il faut jouer la comédie devant ses parents s’ils ne sont pas au courant que mon châtelain a demandé le divorce. Mais c’était bien mal connaître Tom que de penser que cela passerait à la trappe.

— Laisse, Tom, ce n’est pas si grave, et c’est exceptionnel. C’est soir de fête, non ? lui demandé-je en déposant le plat.

— Oui, laisse, Tom, je vais me mettre là, moi, et laisser ma place à ton papy. Quitte à changer, autant tout changer, non ? exprime Max en s’arrangeant pour se retrouver à nouveau à mes côtés.

— Pourquoi vous changez tout ? demande son fils, contrarié. C’est n’importe quoi.

— Tu es content que Papy et Mamie soient là, non ? Eh bien, il faut leur faire de la place, explique son père. C’est la surprise du jour, tu sais ? Et tu sais bien qu’il y aura prochainement d’autres changements, non ? C’est la vie.

— Ouais, ben les changements, c’est nul, bougonne-t-il en s’asseyant à sa place.

— Y a des changements cools quand même, intervient Lili en s’installant à l’autre bout de la table. Au moins, je vais pouvoir manger sans que tu m’embêtes parce que j’empiète sur ta place, pour une fois.

Les parents de Florence s’installent près d’elle, observant la scène silencieusement, et nous commençons le repas alors que les enfants racontent leur dernière journée au centre aéré, jusqu’à ce qu’ils parlent de notre balade en forêt et que l’attention se porte sur moi.

— D’où est-ce que vous venez, Miléna ? C’est un joli prénom, ça, m’interroge la mère de Florence avec curiosité.

— Je viens d’Arménie. D’où l’accent et le plat, j’espère que le voyage vous plaît.

— Votre français est vraiment excellent et pour votre plat, c’est très bon, merci à vous. Vous êtes ici pour vous occuper des enfants, nous a dit Florence. Cela vous plaît ?

— Elle n’est pas là que pour ça, répond Maxime avant d’être interrompu par Florence.

— Oui, elle fait aussi à manger, comme vous pouvez voir. Et les courses, tout ça, tout ça…

— Oui, je suis multifonctions, en fait, dis-je en constatant que Florence est plutôt mal à l’aise. J’aide à découvrir des trésors, aussi, et je diversifie le vocabulaire des enfants, au passage.

— Ah oui, quel merveilleux trésor ! C’est fou que cette armure et cette épée aient traversé ainsi le temps. Vous n’avez pas ça dans votre pays, Miléna. Quelle découverte ! s’exprime Eric, un peu condescendant.

— L’Arménie est le berceau du christianisme, vous savez ? Des objets de collection inestimables, nous en avons aussi. Je ne sais pas si nous avons des armures de ce genre, mais peut-être qu’on en aurait besoin, puisque nous sommes en conflit avec l'Azerbaïdjan depuis des années, lui dis-je poliment même si j’ai envie de l’envoyer bouler.

— Vous êtes venue pour étudier en France ? Florence nous a dit que vous n’étiez pas là depuis très longtemps et que vous ne saviez pas vraiment quoi faire de votre vie… me demande Irène, beaucoup plus polie.

— Non, elle est venue pour fuir toutes les persécutions qu’elle risquait là-bas en tant que journaliste, Irène. Arrêtez donc de croire que c’est une petite femme fragile et sans cervelle, comme a cherché à vous le faire croire votre fille. C’est une combattante, courageuse et fière, et je suis content de l’avoir accueillie chez moi et dans ma vie.

Je souris à Maxime, touchée par ses mots, et me demande quoi répondre à tout ça. Je déteste avoir toute l’attention sur moi.

— J’ai étudié dans un lycée français, en Arménie, et effectivement, je suis une journaliste qui aime contrarier les gens qui le méritent… Ce qui ne m’a pas réussi, là-bas. Maxime a gentiment accepté de m’accueillir pendant quelques jours, mais l’aventure se poursuit depuis plusieurs mois, maintenant.

— Oui, elle est cool, Miléna, et elle s’occupe bien de nous. Et puis, tu as vu la chambre de Maman ? demande Lili. C’est elle qui a fait les travaux pour remercier Papa.

— Oh, vous avez refait votre chambre ? demande Eric à sa fille alors que je sens que la conversation va prendre un tournant pas si inattendu que ça.

— Oui, non, en fait, c’est la suite où vous êtes installés, marmonne Florence. Bref, le repas est très bon, Miléna.

— Oui, c'est là où Maman dormait avant votre arrivée, continue la jeune fille sans se rendre compte de l'effet que ça provoque chez sa mère. D'ailleurs, tu vas aller où ce soir ?

— Où est-ce que… Heu… bafouille Florence.

— Eh bien, c'est très simple, Lili, énonce mon Châtelain en fixant du regard son épouse. Après manger, on va aider Miléna à ramener toutes ses affaires dans ma chambre vu qu'elle y dort déjà depuis plusieurs mois, et comme ça, votre maman pourra s'installer dans cette chambre au moins jusqu'au divorce, le temps de se trouver un logement. Ce sera plus simple pour tout le monde, non ?

Il affiche un petit air innocent alors que les parents de Florence apparaissent sous le choc. La bombe est lâchée, et finalement, l’armure pourrait être utile, mais je ne sais pas encore trop pour qui.

— Un divorce ? s'étrangle Eric, rompant le silence qui s’était installé à table. Alors que tu es fou amoureux de Florence ? Tu comptes vraiment divorcer d’avec ma fille, Maxime ? Ce n'est pas possible, c'est une blague ?

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