73. Le Grand Oral du Châtelain

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Maxime

Je suis assez satisfait de l'effet que ma petite tirade a provoqué pendant ce repas de famille où les faux-semblants et les non-dits régnaient en maîtres. Et tout ça parce que ma femme vit dans un monde illusoire où une absence de trois ans est une anecdote, où une trahison et une relation avec un autre homme tient de la bagatelle. Elle se décompose totalement en face de moi et j'en arriverais presque à la plaindre si elle ne s'était pas mise dans une telle situation par ses mensonges. Toujours est-il que je ne veux pas faire de scandale, surtout devant les enfants.

— Eh oui, j'ai lancé la procédure de divorce. Je suppose que Florence attendait le moment opportun pour vous en informer et je suis désolé de briser le secret comme ça, mais je n'allais pas mentir aux enfants, quand même. Si vous voulez, nous pourrons évoquer les détails et l'organisation de tout ça une fois qu’ils seront couchés ? Toutes ces questions administratives sont d'un ennuyeux pour eux…

Le père de Florence comprend à mon ton que le débat est clos pour le moment et il choisit de se réfugier dans le silence alors que sa femme pose une question à Lili sur les garçons de sa classe pour dévier la conversation, ce qu'elle parvient à faire assez facilement. Les regards que portent les deux sur Miléna ne sont pas tendres et m'exaspèrent, comme s'ils la tenaient pour responsable de la catastrophe que constitue un divorce pour eux. Je ronge mon frein et presse la main de la jolie brune à mes côtés pour la soutenir.

— Très bon, ce dessert aux abricots, ma Chérie. Si tu veux, je vais m'occuper de débarrasser et de faire la vaisselle. Tu n'as qu'à en profiter pour embarquer les enfants et finaliser ton emménagement dans notre chambre ?

— Heu, oui, d’accord. Je vais faire ça, si les enfants veulent bien m’aider.

— Bien sûr qu'on va t'aider, s'écrie Lili spontanément. Tu viens, Tom ?

— Non, je vais rester avec Maman, moi. J'ai pas envie de faire du déménagement à cette heure.

— Bien, Florence, si j'étais toi, j'emmènerais Tom faire un tour alors. Je crois que ton père veut me parler…

— Tu es plutôt perspicace, grogne-t-il en se levant pour commencer à débarrasser.

— Je ne me suis jamais dérobé… Contrairement à certaines, ajouté-je alors que Florence tarde un peu à sortir. Tu as peur de ne plus savoir comment t'occuper de ton fils ? lui demandé-je. Essaie de voir avec lui ce qu'il veut qu'on fasse pour son anniversaire, si tu veux bien…

— Tu ne veux pas arrêter un peu d'être désagréable avec moi, Maxou ? soupire-t-elle en sortant de la pièce.

Si elle arrêtait de mentir et de me mettre dans ces situations de galère, je pourrais, oui, mais là, c’est compliqué. Et puis, quand je vois la tête de son père, je me dis que si je peux passer un peu mes nerfs sur elle, ce n’est que justice vu ce qui m’attend. Je me décide à attaquer le premier.

— Vous savez que vous n’avez rien à dire sur mes choix de vie et ma relation avec votre fille, j’espère ?

— Tu sais ce que c’est qu’un pervers narcissique, Maxime ? me demande-t-il sans répondre à ma question.

— Oui, je sais, soupiré-je. Et qu’est-ce qui vous fait dire que j’en serais un ?

— Ah non, je n’ai jamais pensé ou insinué ça. En revanche, Patrick, lui, en est un, c’est certain. Un foutu manipulateur qui lui en a fait voir de toutes les couleurs après lui avoir fait miroiter monts et merveilles.

— Ah, parce que vous êtes au courant de ce qu’elle a fait pendant ces trois années ? Parce que moi, elle ne m’a rien dit. Elle s’est juste barrée en abandonnant ses enfants, son mari et nous a laissés sans nouvelles pendant trois longues années. Et c’est juste quand je refais ma vie, que je lui envoie les papiers du divorce qu’elle réapparaît. Etrange, non ?

— Elle nous a dit en début d’année qu’elle était revenue au château et que tu lui avais pardonné. Je n’excuse pas tout ce qu’elle a fait, Maxime, tu sais que je te tiens en estime et que je t’ai toujours apprécié, mais du coup, j’avoue que te voir avec une autre femme alors qu’elle nous a annoncé que vous vous étiez remis ensemble, c’est un peu choquant. Et devant elle, c’est même plutôt glauque…

— Je ne lui ai rien pardonné et depuis qu’elle est revenue, on ne fait que se disputer. Elle a essayé plusieurs fois de me sauter dessus, et je l’ai repoussée… Je ne peux pas… Je ne peux plus, en fait. Et je n’y peux rien si elle ment tout le temps. Vous le savez mieux que moi, ce n’est pas nouveau. Je peux vous assurer que j’étais déjà dans une relation avec Miléna quand elle est revenue de son escapade avec son Patrick.

— Tu as vraiment essayé, au moins ? Pour les enfants ?

— Non, je n’ai pas réessayé, mais c’est au-dessus de mes forces. Vous vous rendez compte qu’elle m’a trompé pendant plusieurs mois avant de me quitter pour un autre ? Et ensuite, disparition pendant plusieurs années ? Il y a de quoi devenir fou et lui en vouloir, non ? Et les enfants ont très bien grandi pendant ces années, et ça continuera pareil. Avec en plus, la chance de la voir. Enfin, si elle daigne s’en occuper, parce que jusqu’à présent, ce n’est pas terrible.

— Patrick ne lui a pas fait de bien, soupire-t-il en se laissant tomber sur une chaise, désabusé. Tu n’imagines pas le nombre de fois où Irène et moi avons essayé de la ramener à la raison. Elle était prête à revenir, puis retrouvait ce type, et c’était fini. Je crois qu’elle a du mal à retrouver sa place de mère, elle ne se sent plus légitime, encore moins alors qu’ils ont une autre femme pour s’occuper d’eux…

— Et qui le fait bien. Vous ne pouvez pas nier, Eric, que votre fille n’est jamais vraiment entrée dans son rôle de mère… Et je ne vais pas lui interdire de les voir, je pense juste qu’il ne faut pas qu’ils soient à temps plein chez elle. Et Miléna les adore. C’est réciproque, en plus, ils vont être heureux comme ça.

— On fait tous comme on peut, avec des gamins. On ne naît pas parents, on le devient. Et je n’ai rien contre ta petite Miléna, hein ? Je dis juste que ça n’aide pas Florence à reprendre sa place.

— Il n’y a plus de place à reprendre, c’est là, le souci. Florence n’a plus rien à faire avec moi. Jamais je ne l’empêcherai de voir ses enfants, ni à vous d’ailleurs, mais dans ma vie, je n’en veux plus. Et je ne comprends même pas qu’on ait cette conversation ensemble. C’est un peu comme si vous la couviez encore…

— C’est ma fille, c’est mon rôle. Tu comprendras que c’est pour la vie, qu’importe ce que fera Emilie, qu’importe les conséquences. C’est elle avant tout, soupire-t-il. Mais… Je comprends, Maxime.

— Je pense vraiment que Florence a un problème. Elle était déjà fragile avant, mais là, je ne la reconnais pas. Ou moins, je devrais dire. Ce n’est pas à moi de m’en occuper, mais je pense qu’elle a besoin d’un rendez-vous chez le psy. Vous vous rendez compte de tous les mensonges qu’elle a pu dire ces derniers temps ?

— Je sais bien, je… Oui, tu as raison. Je peux être honnête avec toi ?

— Vu où on en est, il faut qu’on soit honnêtes, non ? Moi, je le suis et je parle en toute transparence. Je n’aime plus votre fille et c’est tout ce qu’il y a sur cette situation.

— J’aurais aimé que tu accordes une nouvelle chance à Florence, mais je comprends que tu aies tourné la page, vraiment. Égoïstement, ça m’ennuie, je l’avoue… Vous formiez un joli couple, et tu la canalisais beaucoup.

— Ce n’est pas le rôle d’un mari de canaliser sa femme, Eric.

Je jette un oeil vers sa femme qui est restée silencieuse pendant tout cet échange et me tourne vers elle.

— Et vous, Irène, vous me comprenez ou vous trouvez que ce n’est pas normal, ce que je fais ? Vous ne pensez pas que j’ai fait le meilleur choix pour moi et les enfants ?

— Je n’ai pas d’avis à donner, et je ne juge pas tes choix. C’est toi qui as dû te débrouiller avec les enfants, gérer ta colère et ta tristesse. Je ne t’en veux pas de demander le divorce, même si ça me peine pour Florence. C’est comme ça, c’est la vie. A notre époque, on cherchait des solutions plutôt que de baisser les bras. Votre génération n’est pas pareille, c’est tout.

— Oui, les temps ont changé, dis-je en refusant de me laisser entraîner sur le débat de l’abandon rapide de ma part. C’est peut-être dommage, mais en tous cas, ma décision est prise. Le divorce est bloqué pour l’instant parce qu’elle refuse de signer les papiers, cela va donc aller devant le juge, mais ce n’est donc qu’une question de temps. Et ensuite, je vais refaire ma vie. Avec Miléna. Elle me rend heureux et les enfants le sont aussi, que demander de plus ?

— Que notre fille soit heureuse aussi, c’est tout ce qu’on demande, murmure Eric avant de se servir un verre de vin.

— Avec votre soutien et la présence des enfants, elle pourra en prendre le chemin, mais on ne la sauvera pas malgré elle, Eric. Là, elle joue à des jeux dangereux et il faut qu’elle retrouve une sérénité qu’elle n’aura jamais en restant au château.

— Tu crois que je n’en ai pas conscience ? me dit-il en haussant le ton avant de grogner. Désolé… Je déteste voir ma fille dans cet état.

— Eh bien, si nous sommes d’accord, tout va bien, alors. Profitons de votre séjour ici pour l’aider à faire tomber les faux-semblants et à revenir dans la réalité. C’est tout ce qu’on peut espérer, je crois.

— Oui, enfin, vas-y mollo avec ta nourrice quand même, d’accord ? Flo souffre déjà suffisamment comme ça.

— Miléna et moi, on a tout fait pour respecter Florence, vous savez. Mais si elle reste, elle va nous voir ensemble, c’est sûr. Si vous pouvez voir avec elle pour que le divorce se fasse à l’amiable, tout le monde en sortira gagnant. Mon Grand Oral est terminé ou vous avez encore des conseils à me donner ?

— Ne le prends pas mal, Maxime, s’il te plaît… Il fallait qu’on sache s’il y avait une chance, tu comprends ? me demande Irène en attrapant ma main.

— Je ne le prends pas mal, Irène, mais c’est avec votre fille que j’aurais dû avoir cette conversation entre adultes, pas avec vous. Mais avec elle, c’est impossible. En tous cas, elle a de la chance de vous avoir tous les deux, et j’espère que nos enfants pourront compter sur leur mère et moi comme Florence peut compter sur vous. Je vous propose un petit tour en famille jusqu’à la Tour de l’Horloge ce soir, pour aller observer le coucher de soleil sur la mer depuis là-haut, tous ensemble. Ça vous dit ?

— Oui, faisons ça tant que nous sommes encore une famille, grimace-t-elle.

— Nous serons toujours une famille, dis-je. Même si je ne suis plus en couple avec votre fille, soyez-en assurés.

Je ne sais pas ce qu’il me prend mais je me lève et vais la prendre dans mes bras. Après un petit instant d’hésitation, elle répond à mon accolade et je sens que ça lui fait du bien. Je les abandonne le temps d’aller récupérer tous les autres pour notre petit tour dans mon repaire en haut de la Tour. Malgré quelques silences parfois gênés, nous passons un agréable moment, tous ensemble, à admirer le soleil se coucher sur la Mer du Nord, dont les reflets mordorés colorent la soirée d’une manière tout à fait chaleureuse. Ce petit moment me laisse croire que mon espoir de rester une famille n’est pas forcément vain et qu’un futur tous ensemble, même si nous sommes séparés, reste possible.

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