Chapitre 23 : Deuxième Round

10 minutes de lecture

HANNAH

 Je descend l'escalier en boitant. Mon postérieur me fait un mal de chien.

Lorsque j´arrive dans la cuisine, James est déjà attablé devant un café fumant, son smartphone à la main. Il lève la tête en m'entendant clopiner et me reluque de la tête au pied avec un regard railleur et un sourire en coin.

- Sympa le pyjama.

-Ne te moques pas. C'est mon préféré. Je rétorque en grommelant.

Je baisse la tête et contemple ma tenue. Grise, délavée, confortable. Et pourrie. D'accord. J'aurais pû être un peu plus présentable. Mais avec mon fessier extropié, la nuit dernière, choisir un pyjama décent était la dernière de mes préoccupations. J'ai attrapé le survêtement le plus cosy de mon placard, histoire de ne pas écorcher davantage la peau de ma fesse à vif.

J'avance lentement en tentant, sans grand succès, de camouffler mon titubement, et me dirige vers l'armoire haute pour attraper une tasse et du thé. J'entends James pouffer derrière mon dos et lui lance un regard noir par dessus mon épaule.

- Tout va bien ? Me questionne-t-il, tout sourire.

- J'ai mal aux fesses. Je grogne sans même le regarder. Son éclat de rire résonne dans la pièce et je déchire rageusement mon sachet de thé, avant de le laisser tomber dans ma tasse.

- HA HA. Si tu ne m'avais pas entrainé dans ton plan foireux, ma fesse gauche ne serait pas mauve ce matin. Je rétorque en lui jetant un regard plissé, froudroyant de reproches.

Ce crétin est toujours en fou rire tandis que je m'affaire à remplir la bouilloire. Je m'adosse au plan de travail pour l'observer se beudonner.

- Quelle mouche t'a piqué de t'enfuir comme ça ? C'était juste le gardien du parc, pas le FBI ! se moque-t-il.

- Je sais ... Mais j'ai paniqué ! Je grogne en cachant mon visage entre mes mains.

Quelle idiote ! Non mais qu'est-ce qui m'a prit ? Quand j'ai vu ce type en uniforme, nous pointer avec sa lampe torche et son énorme moustache... Je suis sorti de l'eau en trombe, j'ai attrapé à la volée mes habits, mon sac et je me suis mise à courir comme une dératée, en laissant dernière moi, mes chaussures et un James éberlué.

Ce dernier est toujours mort de rire lorsque je pose ma tasse chaude sur la table en face de lui.

Il m'aggace.

Et je me déteste encore plus.

Si encore je m'étais contentée de m'enfuir... Après quinze minute à courir telle une fugitive avec la police aux trousses, je me suis retrouvée face au portail de sortie. Fermé à clé. Que j'ai bien entendu tenté d'escalader.

Résultat des courses, je me suis vautrée en tentant de l'emjamber, récoltant au passage, des échardes et un énorme bleu sur mon postérieur.

James est arrivé en courant à son tour, pile au moment de l'impact. Evidemment.

Après mon détallage express, le gardien s'est contenté de lui rappeler l'interdiction de baignade et l'heure de fermeture en lui demandant de rejoindre la sortie sans détour. Aucune menotte ni amende. Pas de réprimande ni de coup de matraque. Non mais Franchement. Je m'imaginais quoi ? Finir ma nuit en cellule ?

II a dû sprinter pour me rattraper, mais aurait manifestement pu s'en passer... J'ai passé tout le trajet du retour sur une fesse, tentant en vain de calmer la douleur sourde de l'hématome naissant, tout en ignorant mon conducteur, hilare.

Je m'installe face à James, avec mes toasts et mon beurre de cacahuète tout en gardant le silence. S'il continue de ricanner, je lui botte l'arrière-train histoire qu'il partage ma douleur.

- Est-ce que tu comptes te payer ma tête toute la journée ? Je ronchonne en tartinant mon pain.

- Désolé, désolé bafouille-t-il les lèvres frémissantes. Il se racle la gorge histoire de camouffler un dernier pouffement et raporte son attention sur son Iphone.

- Qu'est ce que tu as prévu aujourd'hui ? reprend t'il en essayant tant bien que mal de garder son sérieux.

- Quelques courses personelles.... Et peut-être aller nager un peu. Pourquoi ? Je le questionne suspicieuse.

- Et bien, on pourrait se programmer un deuxième round si ça te dit ? me répond-t-il en me fixant d'un air conspirateur.

Quoi déjà ?

- Hum... je ne sais pas trop. On est lundi et j'ai des choses à faire. Et puis... Est ce que tu ne travailles jamais ?

- Mon prochain chantier commence demain, je dois passer à la quincaillerie, dans une brocante, chez mon client et je devrais être libre à partir de 16h. Il balaye ses parôles d'un revert de main comme si ces dernières informations n'avaient aucune importance avant de continuer d'un ton déterminé.

- Dis moi où et quand et je passerai te récupérer.

- Oula oula. On se calme. Je n'irais nul part avec toi si tu ne me dis pas d'abord ce que tu as prévu. Je le coupe d'un ton autoritaire en fronçant les sourcils.

- Allez Hannah, ne soit pas rabat-joie !

Il arbore un visage radieux et un sourire d'enfant le matin de noël. Ce type m'épuise. Je croque dans ma tartine en bougonnant.

- Je te promet que ta fesse droite restera indemne. Et qu'on ne fera rien d'illégal.

Je lève les yeux au ciel en soufflant sur mon thé brulant avant d'en boire une gorgée.

- Je te ramenerai sur le champs si tu changes d'avis ? Tente t-il en me servant son sourire le plus éblouissant.

Je soupire avant d'abdiquer et secoue la tête en regardant son sourire malicieux s'étirer d'avantage.

- 16h à BEACH ESTATE AGENCY. J'y ai rendez-vous à 15h, je devrais avoir terminé d'ici là. Si t'es en retard, je me tire, je te préviens.

- 16h pétante devant BEACH ESTATE AGENCY. Conclut-il en se levant plein d'entrain et en fourant son portable dans sa poche arrière avec un sourire ravi placardé sur le visage. Il vide son café d'une traite, pose sa tasse vide dans l'évier à la hâte et se dirige directement vers la sortie en me criant un salut énergique avant de claquer la porte derrière lui.

Je passe le reste de mon petit déjeuner à me creuser les méninges sur les plans de James, en croisant les doigts pour que la soirée ne tourne pas au vinaigre comme celle de la vieille.

Après son départ, la journée défile à une allure folle. Je respecte avec détermination le planning que je m'étais fixé la veille et à 14h, toutes les premières lignes sur ma check list sont raturées. Debout devant mon placard, je trépigne d'impatience à l'idée d'enchainer mes deux derniers rendez-vous de la journée. N'ayant absolument aucune idée de ce qui m'attends après 16h, j'opte pour une tenue décontractée. Un slim noir, un haut ample blanc et des vans assorties feront parfaitement l'affaire. J'arrange mes cheveux détachés en demi-chignon haut et attrape ma veste en Jean avant de prendre la route du centre ville.

Je coupe le moteur et jette à oeil à l'horloge de ma voiture en me garant devant l'agence immobilière.

14h41.

J'ai vingt minutes d'avance. Vingt minutes qui risquent de me sembler interminables si je continue à stresser de la sorte. J'ai l'estomac noué et les muscles de mon cou sont tellement tendus que j'ai l'impression d'avoir un torticolis. Je pose mon crâne sur le repose-tête et tire sur la molette du siège pour l'incliner davantage. Un long soupire s'échappe de mes lèvres lorsque je ferme les yeux.

Ce rendez-vous est crucial pour ton avenir. Tu dois avoir les idées clairs. Détends toi. 

Devenir décoratrice d'intérieur a toujours été mon rêve. A brisbane, ouvrir mon cabinet n'était même pas une option envisageable. La location de locaux décents étaient hors de prix et la possibilité de se démarquer parmi les centaines de cabinets d'architecture de la place, quasiment impossible. Ici à Hervey Bay, j'ai toutes les chances de mon côté. Un diplôme d'architecture en poche. Plusieurs années d'expérience dans une grande boite. Et je viens d'emménager dans une ville où le secteur est prometteur. Pourtant je suis toujours hésitante. L'idée de lancer ma propre affaire me terrifie. Après des heures au téléphone avec Clark et dix milles texto d'encouragement de Jen, je me suis finalement décidée à appeler l'agence immobilière histoire de me dégoter un local à louer.

Si j'étais impatiente et sûre de moi il y a une semaine en composant le numéro de BEACH ESTATE AGENCY, à cet instant, seule dans ma voiture, l'idée me semble soudain beaucoup moins réjouissante.

J'ouvre un oeil et jette un regard en biais sur le tableau de bord.

14h51.

Je grogne avant de me redresser. Je déteste attendre. Je jette mon portable au fond de mon sac à main et retire les clés du contact avant de sortir de ma voiture. L'atmosphère à l'extérieur de l'habitacle est lourde et pesante. L'été est indéniablement de retour. Et les pluies de la matinée n'ont rien arrangé. Les rayons du soleil percent les nuages gris de part et d'autre du ciel mais les cumulus qui recouvrent la ville paraissent de plus en plus bas, et semblent menacer de déverser leurs flots à nouveau. Anxieuse, je ferme ma portière et m'avance vers le trottoir en évitant les flaques d'eau sur mon chemin.

La devanture en brique de BEACH ESTATE AGENCY est sobre et vieillotte. Naturellement, toutes les agences tendances et prisées sont overbookées et injoignables. Mais, j'ai besoin de me faire une idée des tarifs de location sur le marché. Et une agence reste une agence. Aussi démodée soit-elle.

Je pousse la porte vitrée et pénètre à l'intérieur de la pièce, hésitante. Une clochette carillonne au dessus de ma tête. Les murs de la salle d'attente sont jaunes pâles, recouverts de tableaux abstraits aux tons rouges et oranges. Deux fauteuils en cuir écarlate d'une autre époque trônent fièrement au fond de la salle, et des chaises en bois couvertes de vernis brillant comme au premier jour sont disposées le long des autres murs. Je tourne la tête et salue brièvement la secrétaire qui m'observe par dessus ses lunettes en écaille.

Pas de réponse. D'accord...

- Bonjour. Je répète, perplexe. J'ai rendez-vous avec Monsieur Brown à 15h, est-ce que...

- Asseyez-vous. Me coupe t-elle en m'indiquant du doigt les fauteuils, tout en continuant de m'éxaminer de la tête au pied comme une bête de foire. Je fronce les sourcils en observant l'individu mal poli face à moi. 

Sa robe en cotton marron flotte sur son corps frêle et rabougri. Sa paire de lunette, dont le cordon rouge pendouille de chaque côté de son cou, est posée sur l'extrémité de son nez. Sa chevelure et son crâne semblent ne faire qu'un, tant ses cheveux sont tirés et plaqués au gel, et un minuscule chignon est hissé au sommet de sa tête. Le cliquetis de ses bracelets jaune poussin résonne dans la pièce tandis qu'elle réajuste ses lunettes.

Même la secrétaire est assortie  à la décoration de la pièce. Froide et démodée. 

J'inspire profondemment et m'avance vers les chaises alignées au fond de la salle. J'attrape un des magazines posés sur la table en verre face à moi et commence à feuilleter les pages écornées, aux couleurs ternies par le temps.

Edition du 1er Mars 2013.

Sérieusement ? Je commence à me demander ce que je fabrique dans cette agence lorsque j'entends une porte s'ouvrir. Monsieur Brown, la cinquantaine bien tassée, bedonnant et dégarni, s'avance à grand pas vers moi avec un sourire chaleureux, avant de me serrer la main et de m'entrainer dans son bureau.

- Asseyez-vous Mademoiselle Mendez, je vous en prie.

J'ai à peine le temps de m'installer qu'il enchaine avec entrain.

- Je vous ai trouvé deux locaux absolument GE-NIAUX!

Il jette devant moi deux dossiers et tapote du doigt vigoureusement la feuille de droite.

- Celle-ci est une perle ! Que dis-je, l'affaire du siècle !!!

J'observe, interdite les photos sous mon nez.

La perle en question est située au vingt-troisième étage d'un immeuble du centre ville, et se résume à une pièce blanche et sans âme de 16 mètres carré. Toilettes comprises. 

Le second est un ancien garage d'environ trente-cinq mètres carré, situé dans une zone industriel.

Je me racle la gorge, à la recherche d'une réponse, lorsqu'il reprend. 

- Je vous imagine parfaitement dans celui-ci ! Quelques coups de pinceaux, des plantes par-ci par-là et je suis sûr que vous y serez comme chez vous ! Et vos clients aussi ! Regardez la mezzanine ! Il y a du potentiel, je vous le dit !

- Je ... euh.

Je reste sans voix. J'ai le choix entre une boite d'allumette au millième étage d'un immeuble et un garage miteux recouvert de cambouis au milieu de containeurs et d´entrepôts en tout genre. 

- Vous n'avez rien d'autre ? Je l'observe abasourdie, tandis qu'il se dandine sur sa chaise en tirant sur sa cigarette électronique.

- Hum, hum, tousse-t-il. Ma petite ! Je vous ai déniché ce qu'il restait de mieux sur le marché ! Les temps sont durs ! Mais je ne vous apprends rien n'est-ce pas, ajoute-t-il en m'adressant un clin d'oeil. Je vous conseille de saisir une de ses opportunités. Les demandes se bousculent et les offres comme celles-ci se font trop rares !

- Je ... n'en doute pas...

- Je vous propose d'y réfléchir et de me tenir informé sous 48h. Dès que vous serez décidée, appelez-moi, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit !

Complètement dépitée, je lui tends la main et prend congé en lui promettant de lui confirmer ma décision par mail sous 48h.

Je traverse la salle d'attente, salue brièvement la secrétaire et me précipite hors de l'agence.

Je soupire bruyamment en regardant autour de moi.

Ces deux offres sont diamétralement opposées, en terme de prix, d'aspect et d'emplacement. Et pour couronner le tout, carrement en dehors de mon budget.

Perdu dans mes pensées, je m'apprête à ouvrir la porte de ma voiture lorsque j'apperçois du coin de l'oeil, à quelques places sur ma droite, une moto rouge et blanche rutilante. A cheval sur celle-ci, James enlève son casque. 

Je le fixe pétrifiée tandis qu'il me fait signe de la main d'un air guilleret en me servant son plus beau sourire.

Génial. Il ne manquait plus que ça.

***

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Audrey Gart ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0