Chapitre huit

5 minutes de lecture

Katani s’attendait à vivre mille morts quand son corps entrerait dans la lave en fusion et pire après.

Elle ne sentit rien. Tout ce dont elle avait conscience, c’était la chaleur de la paume de main de Rafa entourant la sienne.

  • Rafa, où sommes-nous ?
  • Aucune idée.
  • Comment est-ce possible ? Tu es déjà venu à plusieurs reprises, non ?

Un léger frémissement dans son bras fit pressentir à Katani que son ami haussait les épaules. Peut-être. Il se tenait tout proche d’elle pourtant elle ne distinguait rien de lui. La frustration commença à poindre son nez.

  • L’antre du Dévoreur n’est pas similaire à votre château, princesse… ni à aucun autre lieu que je connaisse. J’ai atterri dans des endroits différents à chacune de mes visites et emprunter un chemin particulier à chaque fois, pour rencontrer le Dévoreur.

Ainsi, Rafa était venu plusieurs fois et elle n’en savait rien. Elle se rendit compte, là perdue dans l’antre sombre du Dévoreur qu’elle ne savait presque rien de Rafa. Elle connaissait quelques bribes de l’histoire de son baptême, des raisons de son arrivée à la Citadelle. Elle ignorait tout ou presque du reste : son enfance, sa famille, ses débuts en tant que Croc… il ne lui en avait jamais rien dit. À son grand damn, elle ne lui avait presque jamais rien demandé, trop préoccupée par sa frivole existence. Une enfant gâtée et égoïste, voilà ce qu’elle était.

  • Pourquoi ? interrogea-t-elle doucement, en essayant de ne pas, en plus, s’apitoyer sur son sort.
  • Le chemin qui mène à lui est tout aussi important que la rencontre… En réalité, le chemin nous y prépare, il en fait partie.
  • Non… pourquoi as-tu dû y venir plusieurs fois ? Et quand ? insista-elle piteusement.

Il allait la remballer, elle en était certaine mais elle ne pouvait s’empêcher de vouloir réparer ses torts. La mort l’attendait peut-être au bout du chemin.

  • Lors de mon apprentissage pour devenir un croc, j’y suis revenu à plusieurs reprises, comme les autres… Cela fait partie du chemin.

Katani avait toujours cru que le baptême suffisait à devenir croc. Elle se garda bien de le dire.

  • Et après, quand tu étais à la Cité, tu…
  • Oui, à plusieurs reprises… à ma demande. J’ai eu besoin de son aide pour apprivoiser un certain petit chat sauvage très malheureux…
  • Il n’est pas si dangereux alors…
  • Si, il l’est. Ici, on affronte nos propres ombres. Elles sont multiples, mouvantes. C’est pour ça qu’à chaque fois, le chemin emprunté est différent.

Katani ne fut pas dupe. Il la ramenait doucement au moment présent. Elle joua le jeu.

  • Mais comment pourrons-nous trouver ce chemin sans aucun point de repère ? Dans cette nuit d’encre ?
  • Je ne sais pas. C’est votre rendez-vous, pas le mien.
  • Alors que fais-tu là ? Si tu ne me sers à rien ! rétorqua Katani en lâchant sa main.

Elle ne pouvait affronter cette épreuve seule. Quand le comprendrait-il ?

Rafa ne répondit rien. Cela la terrifia.

  • Pardonne-moi ! je ne sais pas ce que je dis. Ne m’abandonne pas.
  • Jamais, petit chat sauvage, la rassura-t-il en retrouvant sa main avec une facilité déconcertante. Cela la rassura tout autant que cela l’agaça.

Elle était insupportable pourtant jamais il ne lui en faisait la remarque. Elle décida de ravaler sa rancœur égoïste. Elle ne méritait pas un tel protecteur mais elle avait besoin de lui.

  • Tu me vois ?
  • Non.
  • Aperçois-tu un quelconque couloir ?
  • Non. Rien du tout.
  • Puisque c’est à moi de prendre la décision, voilà ce que je propose. Nous allons avancer à l’aveugle. Je peux le faire si tu promets de ne pas me lâcher la main.

Un rire discret effleura les tympans de Katani.

  • Promettez-le moi aussi, princesse.
  • C’est promis, grogna-t-elle.

Ils cherchèrent d’abord à déterminer l’étroitesse du lieu. Toujours main dans la main, ils écartèrent leurs bras et entreprirent de tourner tels les aiguilles d’une horloge. Rien ne vient arrêter leur drôle de ronde.

Ils décidèrent alors de commencer à avancer à tâtons. Pendant de longues minutes ou peut-être des heures, ils avancèrent sans que rien ne change, sans q’aucune courbe ne se dessine ou qu’aucune bifurcation ne se présente.

  • Rafa …

Le guerrier s’arrêta aussitôt. Elle avait chuchoté pourtant.

  • Qu’y-a-t’il ?
  • Je me demandais… tout à l’heure, tu as dit que le chemin importait autant que la rencontre. Pourquoi ? En quoi est-ce important que nous errions dans le noir pendant une éternité ?
  • Lors du baptême, nous passons beaucoup de temps à arpenter des tas de chemins avant de rencontrer le Dévoreur. Le Seigneur des Flammes Sacrées dit que le chemin est multiple : il peut être une leçon, un message, un défi …
  • Ah… et c’est quoi en ce moment selon toi ?
  • Votre chemin …
  • Et pourquoi ne serait-ce que le mien ? s’insurgea-t-elle. Tu es bien là, toi aussi !
  • Parce-que le Dévoreur m’a autorisé à vous accompagner, répondit-il d’une voix tranquille.
  • Et ce faisant, il a bien spécifié que ce ne serait que mon chemin et pas le tien ? insista-t-elle.
  • Non mais…
  • Si j’étais seule ici, l’expérience serait tout autre ! Et c’est pareil pour toi ! Je me trompes ?

Rafa s’arrêta brusquement, paraissant enfin prêter vraiment oreille à ce qu'elle disait.

  • Qu’auriez-vous fait si je n’étais pas là ?
  • Je crois que j’aurais pleuré comme une fontaine et que je serais encore roulée en boule à l’endroit où nous avons atterri… Cet endroit me rappelle beaucoup trop le caveau de mes parents … J’aurais peut-être tenté de me télétransporter, de sortir. À ce stade, j’aurais certainement abandonné.
  • Pourquoi n’abandonnez-vous pas ?

Katani tremblait légèrement. Il le percevait, elle en était certaine. Elle, elle devinait l’incompréhension de Rafa … il n’était pas de ceux qui abandonnent. Elle ignorait ce qui l’animait ainsi mais, il allait toujours de l’avant.

  • Qu’aurais-tu fait toi, si je n’avais pas été là ? éluda-t-elle.

Elle l’imaginait courant à vive allure voire galopant sur Laïfa dans ce couloir sans fin, en lançant des boules de feu pour s’éclairer. Il ne l’avait pas suggéré, elle n’avait pas osé lui demander pourquoi.

  • J’aurais avancer plus vite… et j’aurais tenté de m’éclairer avec mon Feu.
  • Pourquoi ne le fais-tu pas ?
  • J’ai déjà été plongé dans le noir … Parfois, le Feu revient, on peut être blessé, un Ardent en tout cas. Pour quequ’un d’autre, ce pourrait être pire.
  • J’ai fait le chemin jusqu’ici parce que tu crois que j’en suis capable, avoua-t-elle abattue. Et je ne veux pas te décevoir. Tu me vois tellement plus forte que je ne suis … si cela cessait, je perdrai tout espoir de devenir vraiment quelqu’un de valeur.

Cet aveu lui coûtait mais, elle était de plus en plus persuadée qu’au bout du chemin se trouvait sa propre fin. Que pouvait signifier d’autre cette marche sans fin dans ce couloir obscur et froid ?

Elle espérait qu’il la rassure, qu’il lui dise que, quoiqu’elle fasse, il croirait toujours en elle et surtout qu’il était convaincue qu’elle pouvait s’en sortir en vie.

Il ny’eut que le silence et une légère tension dans la main qui tenait toujours la sienne.

  • Avançons, répondit-il seulement la laissant avec ses doutes.

Ils firent à peine quelques pas qu’il s’arrêta de nouveau. Il serra brièvement la main de Katani avant de la lâcher. Avec horreur, elle entendit le bruit ténu de ces pas s'éloigner. Il l'abandonnait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Carma ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0