VIII- Du début de l'expérience 1/2

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 Je pense que je suis resté immobile bien cinq minutes tandis que autour de moi tous ces camarades du camp militaire prenaient leur liberté à cœur. J'étais choqué, choqué de ce que je venais de vivre et choqué de l'image du futur que cela m'a donné. J'ai imaginé sérieusement ce que j'étais et ce que j'allais probablement devoir faire dans un futur qui me paraissait très proche.

Hier j'étais dans mon petit village, certes déjà un peu perturbé par les événements, mais cela semblait lointain et appartenir à une vie passée qui n'était pas la mienne. Aujourd'hui je venais de vivre une grande difficulté. Physique d'abord puisque si je ne bougeais pas c'était aussi en partie parce que tout mon corps était en souffrance et l'idée de vivre cela pendant deux semaines était une horreur. Mentale ensuite car tout ce qui arrive à mon corps à des répercussions intérieures, je pensais à la légende de l'Elu et au fait que je le sois peut-être. Au pouvoir qui m'a été confié, au monde en perte potentielle d'Equilibre et toutes ces choses. Mais à l'instant, j'avais mal, mal partout.

Aussi, après avoir passé ces instants tétanisés, mon corps me donnait une piqure pour me reconcentrer. A mon corps en grande peine, je pensais à une douceur, à une vie agréable. En somme, à la disparition pure et simple des maux. Mais j'étais incapable de visualiser cela. Alors j'ai imaginé quelque chose de plus concret, ne plus avoir mal à l'instant, bannir cette sensation. Et c'est ce qu'il s'est passé. J'ai rouvert les yeux après les avoir fermés sur mes dernières pensées et à l'instant ma douleur physique a disparu.

"Tu es revenu parmi nous ? Ou bien tu es ailleurs ? j'entends une voix avant de me rendre compte que le Chef est posté devant moi, mes yeux s'étaient ouverts sur lui. Voyant que je ne répondais pas, il a continué à me questionner. As-tu cette capacité d'abstraction sur ce qu'il t'arrive ? Comme tu n'aimes pas ce que tu vis, tu t'imagines ailleurs, dans un monde de rêve. A quoi tu rêves ? Je voulais lui répondre mais il a été plus rapide que moi et m'a coupé dans mon élan pour reprendre : Non, non, ne répond pas, j'ai deviné. Tu viens de vivre un Enfer, tu as mal partout, alors tu viens de te créer un monde où tu as oublié ce que c'est la douleur.

- Qu. Comment vous. J’ai enfin sorti entre mes dents mais le Chef ne me laissa pas aller plus loin.

- J'ai l'expérience, mon petit. Et si j'arrive à t'apprendre avant la fin de l'entrainement que la douleur nous est essentielle alors j'aurai réussi et tu seras peut-être un bon soldat. Au contraire si tu l'esquive, si tu passes outre l'épreuve, tu te mentiras à toi-même. Ton corps n'oublie jamais ce qu'il a vécu et tes artifices sont des leurres. Ces leurres disparaitront à la prochaine épreuve, au prochain coup plus fort que le précédent. Ton corps lui est éternel, il est immortel, il se nourrit de cela.

- Attendez, attendez... je suis navré mais je ne comprends pas bien ce que vous voulez dire.

- Tu comprendras un jour."

Et le Chef tourna les talons et partit en direction de sa tente. Je ne voulais pas dire que je ne comprenais pas ses paroles mais plutôt que j'avais l'impression qu'il a utilisé le terme de "corps" pour parler d'autre chose. Ce que je ne comprenais pas c'est comment il pouvait être au courant ? Moi-même je ne suis au courant des Gardiens de l'Equilibre, de l'Elu, et de son pouvoir que depuis quelques jours !

Et cela faisait deux fois que j'entendais par deux bouches différentes le terme "expérience" ; "j'ai l'expérience". Je devais naturellement être énervé de ce rabâchage de l'expérience, au contraire cela m'ouvrait une piste intrigante. J'avais la sensation que c'était la clef. Ce moment marquait le début de mon "expérience".

 Puis je me rendais compte là-dessus que je n'avais toujours pas bougé. Pas un geste. J'étais tout seul au centre de la place où l'on se rassemble.

J'ai alors pris la décision de faire le tour du camp, pour repérer les lieux, pour l'exploration, la découverte. Probablement aussi pour marcher, juste ça. J'ai croisé les uns après les autres tous mes camarades qui s'occupaient en attendant. Ici ils jouaient aux cartes ou aux dés, ici ils discutaient mais je ne sais pas de quoi, je n'ai pas écouté. Certain étaient devant des tentes blanches, certains entraient, d'autres sortaient des leurs. Je me suis rendu compte là-dessus que je ne savais pas où était la tente où je dormirai cette nuit, ni même si j'en avais une. Je me suis dit que j'en parlerai au Chef au dîner. Et c'est sur cette résolution que la cloche sonna.

C'était le signe que la cuisine était prête. Tout le monde a arrêté ce qu'il faisait et s'est précipité vers la tente commune. J'ai suivi le mouvement. Je n'avais pas faim, j'étais maintenant fatigué. Si je ne sentais plus la douleur, mon corps avait passé le stade du choc pour venir à l'état de fatigue pour récupérer. Manger sera la première étape pour cela, je me suis dit.

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