094 L'aveu
La pluie tombait sans discontinuer depuis trois jours. Le froid et l'humidité pénétraient les rares passants qui se hâtaient dans ce début de soirée sinistre. La rue était sombre, les réverbères n'arrivant pas à percer le rideau constitué par les gouttes d'eau.
Christa maugréa en se dirigeant vers l'arrêt des transports en commun. Sa voiture avait refusé tout service et restait inerte au fond de son garage. C'était vraiment le jour ! Déjà qu'elle ne disposait que de quelques heures de tranquillité, et avec ce temps pourri ! Elle resserra sa capuche afin de se protéger de la pluie qui, poussée par le vent, lui cinglait le visage. Elle entendit des pas précipités derrière elle. La pensée lui vint qu'elle n'était pas la seule folle à sortir par une météo pareille.
— Christa !
On l'appelait, par son prénom ! Elle se retourna d'un bloc. Une silhouette se tenait devant elle, grande, menaçante. Elle recula de deux pas, effrayée. La silhouette porta la main à sa tête et fit basculer sa capuche.
— N'ai pas peur. C'est moi, Erin.
Christa mis quelques secondes à reconnaître la mercenaire. Que faisait-elle là ? Pour une fois que Steve était parti, il fallait que ce soit elle qui... qui quoi au fait ?
— Que veux-tu ?
— N'y vas pas, Christa. N'y vas pas. Je t'en prie.
— Ne pas aller où ?
Le ton était sec.
— Je sais qu'il t'attend. Mais n'y vas pas. C'est un connard. Il ne pense qu'à tirer un coup. Ça flatte son égo qu'une femme de ton rang s'intéresse à lui. Mais il ne vaut pas le coup.
— C'est Steve qui t'a envoyé m'espionner ?
Elle était folle de rage. Non seulement il était aux abonnés absent plus souvent qu'à son tour, et Dieu sait ce qu'il devait faire durant ses voyages mais, en plus, il osait utiliser son personnel pour la surveiller !
— Non, je t'assure, Steve ne sait rien et ne m'a rien demandé.
— Alors qu'est-ce que tu fais là ?
— N'y vas pas. Tu vas faire une bêtise que tu regretteras. Je t'assure, il ne vaut pas le coup.
— Mais putain, de quoi tu te mêles ? Tu crois que c'est facile la vie pour moi ? Monsieur voyage pour son boulot. Pendant ce temps, il peut se taper toutes les pétasses qu'il veut ! Et moi, bobonne, je reste à la maison, pour faire le ménage et m'occuper de sa fille comme une pauvre conne ! Alors, pour une fois... Je le sais bien qu'il ne vaut pas le coup, mais lui au moins il a été gentil, il m'ouvrira les bras. Il me donnera un peu de sa chaleur, de ce que Steve ne me donne plus depuis longtemps : de l'attention, de l'amour... Je me sens si seule...
Brusquement, elle éclata en sanglots. Erin s'approcha et la prit dans ses bras. Elle se laissa faire. La mercenaire faillit prendre la défense de Steve, mais jugea finalement plus judicieux de se taire.
— Que veux-tu que je fasse ? Steve est en déplacement, Christina passe la nuit chez une copine. Je vais rentrer, toute seule dans ma maison, me mettre devant la télé en buvant une tisane...
Elle eut un rire forcé, puis elle se débattit pour qu' Erin la lâche.
— Laisse-moi partir !
Elle avait essayé d'être autoritaire, mais l'intonation n'y était pas tout à fait. Sentant la défense faiblir, Erin revint à la charge.
— Vous traversez une mauvaise passe, Steve et toi. Je te jure qu'il t'aime toujours, et qu'il n'a jamais touché une autre femme. Ne fous pas tout en l'air sur un coup de tête.
— Non, je ne supporterai pas cette maison vide, sinistre, je ne peux pas...
— Alors viens chez moi. A force de discuter sous la pluie, nous allons être trempées comme des soupes. Dans mon appartement, nous serons au sec et au chaud. Tu ne serras pas seule, et nous pourrons parler tranquillement.
Christa secoua négativement la tête mais Erin l’entraîna. Elle opposa d'abord une faible résistance, puis se laissa guider vers l'arrêt du bus. Au bout de cinq minutes, il arriva enfin.
La ville était lugubre, avec ses rues désertes et partout la pluie, l'eau qui ruisselait sur les façades, les caniveaux saturés. Les rares enseignes allumées créaient des auréoles fantomatiques dans le brouillard. Les deux femmes restèrent silencieuses durant tout le trajet, chacune dans ses pensées.
Erin habitait un petit appartement, dans un immeuble ordinaire des quartiers ouest de la ville. Vivant seule, et étant fréquemment en déplacement, c'était pour elle plus un pied à terre qu'un lieu de vie. Christa, malgré son état nerveux, examina les lieux, poussée par la curiosité.
— Ainsi, voilà ton camp retranché.
— Si tu veux. Pendant longtemps, j'ai vécu dans des chambres meublées. Mais, au bout d'un moment, on aspire à un peu plus de confort. Alors j'ai loué ce deux pièces, tout simple et pas cher. Au moins, j'ai un truc à moi, un refuge dans un coin de la galaxie.
— La décoration est à ton image, minimaliste !
— Quand j'achète un meuble, c'est que j'en ai besoin. Jamais je n'achèterais quelque chose parce que c'est beau, décoratif. Donne-moi ton imperméable, et va t'asseoir dans un pouf.
Christa jeta un regard dubitatif vers le siège désigné par Erin. Vu de l'entrée cela ressemblait à un gros sac informe.
— On peut s'asseoir la-dessus ?
— Un conseil, vas-y franchement. Il va se mouler à ton corps, et après tu seras super bien.
Christa dégrafa son poncho qui la protégeait de la tête au pieds. En dessous, elle portait un pull angora bleu aux reflets métalliques, et un pantalon blanc crème. Erin, elle, avait une combinaison une pièce imperméable, par dessus une veste et un pantalon marron. Elle emporta les vêtements trempés dans la salle de bain pour qu'ils s'égouttent dans le bac de la douche. Elle revint dans la pièce principale, une serviette à la main pour s'essuyer la tête.
— J'ai enlevé ma capuche pour que tu me reconnaisses, mais du coup j'ai pris une bonne douche. Ma mise en plis est fichue.
Christa regarda ahurie le crane rasé de la mercenaire puis, comprenant la plaisanterie, elle laissa fuser un petit rire. Erin sourit à son tour.
— Tu ris ! C'est bon signe !
Christa lui fit un sourire mais il ne dura pas. Un pli de contrariété barra son front.
— Tout à l'heure, sous la pluie, je n'ai pas eu le temps de réfléchir. Par contre, maintenant ça y est. Alors j'estime que tu me dois des explications. Et pas qu'un peu. Que signifie cet espionnage que tu as fait sur moi ? Ce que tu sais, tu ne l'a pas appris par hasard. Mais d'abord, comment étais-tu sure de me trouver devant chez moi, à pied. Normalement, j'aurais du prendre ma voiture et sortir par l'arrière de la maison. Mais elle était en panne.
Erin sourit
— Je ne savais pas où ton gars habitait, je ne savais pas non plus où vous vous étiez donné rendez-vous. Le seul moyen de t'intercepter, c'était devant chez toi. Alors j'ai saboté ta voiture pour t'obliger à prendre le bus.
— Tu as saboté ma voiture ?
— Rassure-toi, je n'ai rien cassé, seulement débranché un truc utile.
— Toi alors, tu es gonflée. Mais, et l'alarme ? Comment as-tu fait pour entrer dans le garage sans la déclencher ?
— Tu oublies que c'est nous qui les installons. De plus, il semblerait que Steve ai négligé de la mettre à niveau. Pour les voleurs, ce n'est pas grave, mais pour une experte comme moi, cela revient à laisser la clé sous le paillasson.
— Et tu nous a fait poireauter sous la pluie, alors que tu pouvais remettre ma voiture en état ?
— Oui, mais dans ce cas, aurais-tu accepté de venir chez moi ?
Ce fut au tour de Christa de sourire.
— Non, j'aurais été folle de rage contre toi.
— Et maintenant, tu m'en veux ?
— Maintenant, c'est différent. Je t'en veux, mais pas trop. Nous sommes en train de tout remettre à plat, et je pense que tu as fait bien pire. Revenons à cet espionnage en règle. Quelles sont tes excuses ?
— Ces temps-ci, les occasions de nous rencontrer « officiellement » ont été plutôt rares. Mais je travaille avec Steve, et je le connais depuis des années. Je peux dire que j'ai suivi au jour le jour les problèmes de votre couple, sans qu'il ne me dise rien. Tu sais que je vous aime bien tous les deux, et j'étais vraiment affectée par votre mésentente. Alors, j'ai essayé de comprendre, espérant peut-être trouver le moyen de vous réunir. Steve, je le voyais tous les jours. Par contre, pour avoir une idée de comment tu allais, toi, j'ai dû me résoudre à être indiscrète. Je pense que tu vas m'en vouloir mais je t'assure que j'ai fait ça dans l'espoir de vous aider à recoller les morceaux.
Christa l'écoutait avec attention, le regard braqué sur elle, prêt à apercevoir le moindre trouble, la moindre trace de mensonge.
— Admettons. Et comment as-tu pris le fait que je ne restais pas insensible à la cour que me faisait l'autre ? Mal, je suppose, puisque tu es intervenue.
— Si Steve avait profité de ses voyages pour se consoler dans d'autres bras, j'aurais estimé que si tu le trompais il le méritait bien. Seulement voilà : depuis qu'il t'a rencontré sur Solera, je te donne ma parole d'honneur qu'il n'a plus regardé aucune autre femme. Alors..
— Mais comment veux-tu que je ne me fasse pas des idées ? Tu me dis ça, mais je ne suis pas convaincu que ce soit vrai. C'est peut-être lui qui t'as demandé de m'espionner...
— Non ! Je ne l'aurais jamais accepté !
Le ton d'Erin avait changé brutalement, comme si cette accusation lui faisait mal. Christa fronça les sourcils.
— Alors pourquoi l'as-tu fait ? L'histoire de la bonne copine qui veut aider ses amis ne me convainc pas.
Erin baissa la tête, soudain lasse.
— Tu as raison. Il y a autre chose...
Christa ne parla pas, attendant qu' Erin se décide à tout déballer. La mercenaire poussa un soupir, jeta un petit coup d'œil à Christa puis, la tête à nouveau baissée, se décida à répondre à la question.
— C'est parce que je t'aime...
— Tu m'aimes ?
Christa était très surprise et avait peur de comprendre.
— Oui. Je veux dire que je suis amoureuse de toi... Depuis Solera.
Christa resta bouche bée. Erin tenta de se justifier.
— Quand je dis que je suis amoureuse, tu penses peut-être que j'ai envie de coucher avec toi. C'est vrai, mais pas seulement. Trouver des partenaires, lorsque j'en éprouve le besoin, ne m'a jamais posé de problème. Avec toi c'est différent. En plus de l'attirance physique, il y a toute l'admiration que j'ai pour toi, pour ton courage, ta générosité, ton humanité, toutes ces qualités dont la majorité m'était étrangère avant de te rencontrer. En fait, depuis le début j'avais surtout envie de partager ma vie avec toi, de vivre avec toi, que tu deviennes ma compagne. Mais Steve avait pris les devants...
Christa se remémora tout ce qui s'était passé sur Solera, Tampiro et la bataille de l'astéroïde et plus tard ici à Ursianne. Elle avait posé sa main devant sa bouche comme pour retenir une exclamation. Une foule de détails lui revenaient en tête qu'elle n'avait pas compris à l'époque.
— Mon Dieu, comme tu as du en baver.
Erin haussa les épaules, mal à l'aise. Elle ne voulait surtout pas provoque de la pitié.
Incrédule Christa secoua la tête.
— Comment ais-je pu être aussi aveugle ? Moi qui exigeais de toi de l'amitié alors que...
— Ne t'accuse pas : je ne t'ai jamais laissé entendre quoi que ce soit.
— Je ne suis pas d'accord. Si je n'avais pas été obnubilée par mon amour pour Steve, j'aurais forcément vu les efforts que tu faisais pour ne rien laisser paraître. Attends... lorsque je suis venu pour la première fois dans votre camp retranché, j'ai trouvé que l'attitude que vous aviez l'un pour l'autre, Steve et toi, était bizarre. En fait tu avais décidé de tenter ta chance !
Erin hocha la tête.
— Effectivement. Mais, ce jour là, Steve a été dégueulasse avec moi. Il avait tellement peur de te perdre, qu'il était prêt à tout pour m'écarter. En dix huit ans de travail ensemble, c'est le seul moment moche.
— Alors, il savait ?
— Oui, je lui avait dit à l'hôpital de Tampiro. A l'époque, je ne voulais pas me mettre entre vous, mais je voulais surtout qu'il arrête de te faire attendre, qu'il se décide enfin à te parler. Alors je lui ai dit ça pour lui foutre la pression, et l'obliger à réagir.
Christa secoua la tête.
— Et surtout pour m'éloigner définitivement de toi.
Erin lui adressa un sourire navré.
— C'est un peu ça. Mais la cohabitation dans l'astronef a été un enfer.
Christa sourit.
— Tu as fait tout ce que tu as pu pour être désagréable avec moi.
— Ça n'a pas suffit.
Le silence s'installa entre les deux femmes. Tellement de choses avaient été dites qu'il fallait du temps à Christa pour tout assimiler.
Au bout d'un moment Erin se leva.
— Tu veux manger quelque chose ? Il est tard, et je suppose que vous aviez rendez-vous dans un restaurant ?
— Non, heu...oui, effectivement.
Perdue dans ses pensées, elle se rendit compte qu'elle avait complètement oublié son soupirant. Il lui semblait maintenant irréel qu'elle ai pu seulement envisager d'avoir une aventure avec lui. Il était redevenu, à ses yeux, l'étranger qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être. Au moins pour ça, la mercenaire avait réussit son coup.
Elle voulu aider Erin à préparer le repas, mais celle-ci refusa, et lui mis d'autorité un verre d'apéritif dans les mains, un vin cuit rapporté d'une de ses missions. Christa repensa à ce qu'était devenu son ménage, et se sentit très triste. Ce n'était pas ce qu'elle attendait de la vie, et les beaux jours étaient bien vite passés ! Il y avait maintenant une distance glacée entre elle et Steve. Ils vivaient comme des étrangers, pire peut être, car on n'exprime pas de rancœur aussi forte envers un étranger. Elle n'avait plus envie de rejoindre l'homme qui, d'ailleurs, avait du cesser de l'attendre, mais elle se sentait quand même très seule, désorientée.
Son humeur était donc très mélancolique lorsque, à l'appel d'Erin, elle se dirigea vers la cuisine. Là, une surprise l'attendait. La mercenaire avait mis les petits plats dans les grands, sorti la nappe blanche, les belles assiettes, les beaux verres. Les serviettes étaient posées en éventail. Sur des plateaux élégants du saumon fumé et du foie gras attendaient les gourmandes, ainsi qu'une bouteille d'un vin couleur jaune paille dans un seau à glace. Enfin, deux bougies, placées au centre de la table, remplaçaient la lumière violente des ampoules électriques, et créaient une ambiance cosy.
— C'est pour moi que tu as fait tout ça ?
— Je sais que tu es habituée aux restaurants sélects, alors j'ai fait un effort.
Christa soupira.
— Les restaurants sélects c'est un lointain souvenir. De toute façon nous n'avons plus rien à nous dire Steve et moi, et les repas au restaurant sont interminables.
— Je suis sincèrement désolée. Crois-moi, j'aurais préféré mille fois ne pas avoir l'occasion de t'inviter chez moi.
— Tu es gentille, et ta table est magnifique. Moi qui avait l'estomac noué depuis des heures, soudain j'ai faim.
— Tu n'es pas la seule. On attaque ?
Les deux femmes s'installèrent face à face et commencèrent à manger avec entrain. La conversation ne se relança pas tout de suite. Elles échangèrent quelques propos anodins, bien loin du sujet délicat qui occupait pourtant leurs esprits. Erin n'oubliait pas de resservir du vin. Au bout d'un moment, elles furent un peu grises toutes les deux, surtout Christa qui tenait moins bien l'alcool, et ne surveillait pas assez la quantité qu'elle ingurgitait. A moins qu'elle ne l'ai fait exprès, pour se donner du courage.
— Tu sais, Erin, j'ai quand même l'impression d'être tombée dans un piège. Tout d'abord, tu m'emmènes chez toi, ensuite tu me fais une déclaration en règle, enfin tu m'offres un petit repas... comment dire... en amoureux ou plutôt en amoureuses ! Que sera la suite ?
Erin eut un sourire fugitif.
— Je veux qu'une chose soit claire entre nous : dès que tu en exprimes le souhait, je te raccompagne chez toi, remet ta voiture en état, et te laisse tranquille. Tu es libre.
— Je me sens libre. Libre mais influençable. Tu as déjà réussi à me faire renoncer à mon rendez-vous galant. Qui sait de quoi tu es encore capable !
— Tu me prêtes des intentions que je suis loin d'avoir...
— C'est toi qui le dit. Mais, qu'espérais-tu tout à l'heure en m'avouant que tu étais amoureuse de moi ?
Christa regardait Erin dans les yeux. Celle-ci baissa la tête.
— Il y a des secrets qui sont lourds à porter...
— Une porte reste fermée si longtemps, alors qu'elle est si facile à ouvrir... Je reformule ma question : qu'espères-tu ?
Erin regarda son amie en face.
— Je n'espère rien. Ma vie aurait peut-être été différente si je t'avais rencontré avant Steve. Mais le passé ne se réécrit pas. Et malgré vos rapports actuels, malgré mes sentiments pour toi, je n'ai pas envie de profiter de l'occasion. Je trouverais cela trop dégueulasse.
— Mais alors, toute cette mise en scène (Christa montra de la main la table dressée) c'est pour quoi ?
— Je pense que tu es très malheureuse en ce moment. Malheureuse au point de risquer de faire des bêtises. Je voulais t'éviter de commettre l'irréparable avec ce gars, te distraire un peu, et enfin essayer de te convaincre que ta vie de couple n'est peut-être pas irrémédiablement gâchée. Mais je n'ai pas réussi à me taire jusqu'au bout...
Christa contempla son verre, rêveuse. La lumière dansante des bougies arrachait des éclairs dorés au vin blanc.
— Tu joues un drôle de jeu. D'une part, tu meurs d'envie de suivre ton penchant pour moi, d'autre part, tu t' acharnes avec un masochisme remarquable à en repousser la possibilité, au nom d'un respect ou d'un sentiment de loyauté envers Steve. Crois moi, la situation actuelle ne justifie pas tes scrupules.
Erin secoua la tête mais ne répondit pas. Elle aussi fixait son verre qu'elle faisait tourner entre ses doigts. Christa se leva, contourna la table et vint s'asseoir sur ses genoux, passant ses bras autour du cou de la mercenaire. Vu leur différence de taille, la position n'était pas ridicule. Elle approcha son visage de celui de son amie et se mit à lui parler à mi-voix.
— Je ne suis pas une déesse sacrée. Je ne suis qu'une femme, avec ses forces, ses faiblesses, et surtout ses besoins. Besoin de compréhension, de tendresse mais aussi d'amour. J'ai besoin de sentir que je suis vivante. Qui d'autre que toi peut me rendre ces sensations ?
Erin secoua la tête. Elle se sentait prise de vertige. Elle avait envie de serrer Christa dans ses bras et, en même temps, toute la muraille qu'elle avait patiemment construite entre elles au cours des ans l'empêchait encore de se libérer.
— Je suis désolée, Erin. Chaque fois que j'essayais de me rapprocher de toi en tant qu'amie, je t'éloignais autant de moi en tant qu'amante. Mais maintenant c'est fini. Laisses-toi aller, fait moi ce que tu as envie de me faire depuis si longtemps...
Erin se décida enfin à prendre Christa dans ses bras et à la serrer contre elle. Leurs lèvres se rencontrèrent naturellement. Lorsque leurs visages se séparèrent légèrement pour reprendre leur souffle, Christa remarqua que la mercenaire avait les yeux brillants de larmes. Elle lui caressa doucement le visage.
— Tu pleures ?
Erin fit non de la tête, mais sans pouvoir prononcer un mot. Christa se pencha en avant et posa son menton sur l'épaule de son amie, de façon à pouvoir parler sans que leurs regards ne se croisent.
— Cela fait plus de quinze ans que tu me regardes vivre avec un autre. Et pendant tout ce temps, tu es restée fidèle à ton sentiment premier. Personne ne m'a aimé comme tu m'aimes. Je voudrais que tu saches que, de mon coté, même si je n'ai pas su comprendre ce que tu ressentais pour moi, j'ai toujours apprécié ta présence, je me sentais bien avec toi... Depuis le début sur Solera... malgré nos différences culturelles. J'étais attirée par toi... Mais je n'ai jamais identifié cela comme de l'amour, parce que tu étais une femme comme moi, et que je n'imaginais pas... tu vois ce que je veux dire...
— Et maintenant ? Cela ne te pose plus de problème ?
Christa se redressa et la regarda avec un sourire espiègle.
— Heu... Dans ce domaine, je suis néophyte. Mais je suppose qu'avec toi cela ne sera pas un obstacle.
Erin sourit à son tour.
— Ne t'en fait pas pour ça. Tu verras, c'est plus facile que la première fois avec un homme.
Elle posa Christa sur ses pieds, se mit debout à son tour et lui prit la main, pour l’entraîner vers la chambre.
Avec beaucoup de délicatesse, elle la déshabilla et la coucha dans son grand lit. Avant de la rejoindre, elle enleva ses vêtements rapidement, puis s'arrêta pour l'admirer à loisir. Christa avait une poitrine magnifique, épanouie, plus généreuse encore que ne le laissaient entrevoir ses vêtements. Sa peau très pale était rehaussée par un lourd collier en or qu'elle avait gardé. Erin ne put s'empêcher de comparer les seins de son amie à ses deux petits pamplemousses à elle, haut perchés, qui lui donnaient une allure androgyne. Christa avait aussi des hanches larges, une toison brune marquant nettement le triangle, tout ce qu'elle n'avait jamais possédée, elle, une caricature de femme.
Elle s'allongea et commença à la caresser. Christa essaya de l'imiter, mais ses mouvements manquaient de spontanéité. Elle semblait beaucoup plus indécise que tout à l'heure, dans la cuisine. Erin lui glissa à l'oreille :
— Laisse-moi faire.
Christa se remit sur le dos et essaya de se décontracter. Erin la frôlait du bout des doigts. Elle ferma les yeux. Lentement, une douce chaleur envahissait son corps. Elle soupira d'aise. Les caresses d'Erin étaient maintenant plus précises, puis elle sentit sa bouche sur sa peau. Le plaisir était là, créant une houle de sensations au creux de son ventre. Elle gémit, et tendit les mains pour toucher à son tour les épaules et le dos de son amie. Son cœur bondissait dans sa poitrine. Elle avait retrouvé le chemin du plaisir, de la plénitude. Elle était vivante !
Quand Christa se réveilla, Erin était déjà levée. Une odeur de café chaud et de pain grillé flottait dans l'air. Elle entendit le bruit de la douche. Encore un peu endormie, elle se rendit à tâtons vers la salle de bain. Elle toqua contre la parois de la cabine.
— Je peux te rejoindre ?
Un peu surprise, Erin arrêta l'eau et ouvrit la porte. Christa se glissa à l'intérieur. L'exiguïté du lieu les obligeaient à se frôler. Erin avait un flacon de savon liquide à la main.
— Je vais essayer de te savonner, si j'arrive à me bouger là dedans. Ensuite, tu me rendras la pareille.
— Avec plaisir.
Christa s'acquitta de sa mission avec application.
— C'est quoi cette ligne blanche sur ton ventre ?
— Rien, une vieille blessure.
— Tu parles d'une blessure. Tu as presque été ouverte en deux.
— C'est rien je te dis.
Erin avait repoussé brusquement la main de Christa et semblait contrariée. Christa n'insista pas et continua à étaler le savon avec la main. Erin sourit.
— Il me semble que, de ce coté là, tu as déjà savonné au moins deux fois !
Christa lui caressa un sein.
— Je crois que je commence à aimer ton corps.
— Il est pourtant loin d'être aussi beau que le tient.
— C'est ton point de vue. Je ne suis pas d'accord. Je me trouve trop grosse, avec une poitrine de vache laitière, je suis aussi trop petite...
— Arrête de dire des bêtises, tu es merveilleuse.
Elles échangèrent un baiser tandis que l'eau leur cascadait sur la tête et les épaules. Erin reprit le flacon.
— Tu as oublié un coin !
Elle se savonna énergiquement le crane sous le regard amusé de Christa.
— Excuse-moi. Je n'ai pas l'habitude de soigner ma chevelure de cette façon. Au fait, elle doit être dans un état lamentable. Mais bien sûr tu n'as pas de shampoing ?
— Mais si, j'ai ce qu'il faut.
Erin stoppa la douche, ouvrit la porte de la cabine et s'étira pour fouiller dans l'armoire de toilette. Christa se désola.
— Attends, ça ne marchera pas. Ma chieuse de fille va remarquer que le parfum n'est pas le même. Avec elle, ça ne peut pas manquer. Et ainsi, elle saura que j'ai découché.
— Tu crois - répondit Erin moqueuse en lui tendant une bouteille.
— Oh! Pile celui que j'utilise ! Comment expliques-tu ça ?
— Très simple. Une copine de passage avait ce flacon. J'ai reconnu l'odeur que je sentais dans tes cheveux. Alors, lorsqu'elle est partie, je lui ai chipé son shampoing. Je ne m'en servais pas, mais de temps en temps j'enlevais le bouchon pour mieux me souvenir de toi.
Christa lui caressa la joue.
— Si ce n'est pas une preuve d'amour ça.
Erin essaya de la caresser à son tour mais Christa bloqua son geste.
— Il faut que j'y aille. Le temps que tu remettes en état ma voiture il sera l'heure que je récupère ma fille chez sa copine. J'ai promis de les emmener au zoo. Mais avant, je prendrais bien une tasse de café. Il sent si bon.
Une demi-heure plus tard, les deux femmes étaient prêtes à partir. Elles étaient devant la porte d'entrée, lorsque Christa se tourna vers Erin.
— Il faudrait que l'on se dise au revoir ici.
— Pourquoi ici ? Je t'accompagne pour réparer mes dégâts.
— Oui mais, vois-tu, ce que nous avons fait doit rester entre ces murs. Dès que nous seront sur le palier, tu redeviendras la marraine de ma fille.
Erin secoua tristement la tête en signe d'assentiment. Comme Christa tendait les bras vers elle, elle se pencha et elles échangèrent un dernier et long baiser.
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