Assis sur un fauteuil de cuir et de velours rouge, les jambes croisées et les pieds reposant sur le bois noble du bureau ébène, ce qui semble être un homme contemple une carte immense dressée sur le mur devant lui. Il observe plus précisément des petites flammes qui luisent statiquement à certains endroits. Cela fait bien trop longtemps que personne n'est venu lui apporter de la distraction digne de ce nom. Il sait pourtant que les humains ne l'ont pas oublié. Alors pourquoi rien ne bouge sur cette carte, pourquoi personne ne se saisit-il pas d'un de ses artefacts ? Agitant son verre de vin bien rempli, il pousse un soupir amplifié par le vide de la pièce et des suivantes. Une masse froide et lisse vient se glisser sinueusement contre son cou, silencieusement. De ses griffes libres, il caresse le grand serpent rouge et noir qui vient s'enrouler le long de son bras, ses écailles de rubis et d'onyx immortelles scintillant à la lumière des torches flambantes.

— Athanase, que penses-tu de donner un coup de pouce au destin ? Il est bien trop lent et ennuyeux.

Le serpent, un éclair d'intelligence passant dans ses pupilles fendues, regarde son maître sans répondre. Celui-ci commence d'ailleurs à perdre patience devant la stabilité de son jeu préféré. Son apparence humaine se détériore petit à petit, pendant qu'il se lasse. En cette soirée des plus calmes, alors que le maître des Enfers voit ses cornes de bouc reprendre fièrement place à ses tempes, il ouvre consciencieusement un coffre ouvragé pour en sortir un dé et une bague ciselée.

Insipirant l'air faiblement vicié par une odeur de soufre et de charbon, ses prunelles se délectant de l'atmosphère sombre, percée par les torches brûlantes et d'autres objets magiques parsemant cette pièce très fréquentée par son occupant, ce dernier repose son verre interrompant sa réfléxion.

Replaçant son compagnon autour de ses épaules, Lucifer, engoncé dans sa cape rouge, se lève et s'approche d'un globe terrestre qu'il fait tourner plusieurs fois entre ses griffes noires. Fermant les yeux, il y jette le dé, absorbé par le globe. Au même instant, une nouvelle flamme apparaît sur la carte. Le porteur de lumière, n'est toujours pas satisfait : et si personne encore ne s'y intéressait ? Reprenant son idée de forcer la main aux choses, il cherche sa boussole pour y trouver précisément une personne à qui donner le dernier objet de sa collection. Quelques personnes lui sont désignées ; un bébé de trois ans, un jeune de dix ans et une jeune femme de vingt ans. Eh bien voilà quand on veut. Le maître des lieux dépose enfin la bague qui tournoie, atterrissant sous forme de lunettes de soleil, attendant patiemment sa future propriétaire.

Lucifer sait qu'il a un peu de temps devant lui avant que la femme ne trouve son présent. Il charge alors Athanase de lui retrouver son meilleur élément, étant aussi son plus proche ami. Le temps qu'il arrive, le démon sort un autre verre qu'il remplit également d'un vin sirupeux. Admirant ses yeux rougeoyants dans le reflet pourpre de la liqueur, ses pensées divaguent sur la suite du programme. Que va-t-il pouvoir faire d'intéressant avec cette femme, l'utilisera-t-il contre le monde, contre elle-même ou à son service personnel ?

Le claquement des talons de son invité sur le marbre lui fit relever la tête. Il put à loisir dévorer du regard les muscles saillants de son amant. Lui offrant son verre et récupérant le sien à peine touché, Lucifer lui explique sa mission.

— J'ai envoyé sur Terre les deux derniers artefacts de ma collection, puisque les autres ne sont pas trouvés ni recherchés. L'un, je l'ai envoyé au hasard, et l'autre à une personne bien précise. Je te charge de surveiller cette dernière, mon loyal ami. Ici, je suis spectateur, mais avec toi sur place, je pourrais agir.

— Bien, maître. Où se situe ma cible et combien de temps vais-je y rester ?

— Nous allons voir. Elle n'a pas encore récupéré l'objet, mais ça ne devrait pas tarder. Je te donnerais les détails plus tard. Avant que tu ne partes, amusons-nous un peu...

Embrassant rageusement son disciple, le verre fit de même avec le sol sans qu'aucun des deux ne bronche. Athanase esquiva les bris de verre, et s'éloigna des inévitables ébats qui allaient se produire sur la banquette, en allant se lover dans son panier de braises, dardant la langue pour que Sezni*** lui fasse de la place.

*Ethymologiquement, Lucifer signifie "porteur de lumière" et est l'un des nom du diable au même titre que Satan par exemple qui lui veut dire "ennemi". Il représente l'orgueil, la colère et l'ambition.

**Ethymologiquement, Athanase signifie « immortel » et représente la stabilité, l'ambition, la fidélité, l'énergie.

*** Sezni signifie : « rayon de soleil » représente la sociabilité, la diplomatie, la discrétion, la franchise.

A suivre...