2.11.1

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À force de redouter leur départ en vacances et de s’atermoyer, les préparatifs prirent Theo au dépourvu. Tout ce qu’ils comptaient emporter se retrouva entassé sur les roses du canapé, les valises béantes, au pied, sur le grand tapis de laine duveteuse devant la cheminée. Il passa en revue parmi le bric-à-brac d’affaires, ombrelle, chapeau à long bord, sortie de bain bien couvrante, ainsi qu’une pharmacie de voyage contenant du cold-cream, de l’huile de bronzage, des antiémétiques, de l’aspirine, et toutes sortes de médicaments dédiés à l’usage personnel de lady Alice Wintersley.

Avec elle, mieux valait ne pas prendre de risque. Il se souvenait des étés passés à Cliffwalk House : chaque année, elle le suivait comme un petit chien sur la plage, et chaque année, elle en revenait avec des brûlures au second degré doublées d’une insolation. Pendant plusieurs jours, elle restait alitée le temps de guérir des énormes cloques qui lui champignonnaient sur le dos, et pendant toute cette durée, lui s’ennuyait, consigné dans sa chambre. Quand enfin, il pouvait retourner profiter du soleil estival, sa petite sœur, de nouveau sur pied, lui emboîtait le pas. Mary et Diana avaient insisté pour l’emmener à Ramsgate, mais elle allait leur ruiner les vacances, c’était obligé.

Il revérifia bien tout le nécessaire avant de le ranger dans la valise, puis il se pencha sur la sienne et sur les vêtements qu’il comptait emporter. Son maillot de bain, le même que l’année dernière, possédait un short de bain marine avec une ceinture crème et un débardeur rayé bleu et blanc. Il aurait pu enlever le haut s’il le voulait, mais il n’osait pas, à cause de ses cicatrices, avec tout le monde qu’il y aurait. Dickie Dick, lui, n’était pas complexé : il portait seulement un petit short rouge, passait son temps, le torse nu à bronzer sur le sable blanc et rentrait à Londres aussi foncé qu’un Africain. Alice était sortie s’en acheter un, mais elle tardait à rentrer, les valises n’étaient pas terminées, et il se tracassait, d’autant que Rezia l’accompagnait.

Depuis la soirée à La Casa, leur relation se chargeait de plus en plus d’ambiguïté. Rien, pourtant, ne s’était passé entre eux, il se réfrénait à la toucher malgré une envie intempestive de câlins dans le canapé. Il refusait d’y succomber de crainte de ne pas rouvrir les bras quand il le faudrait. Les seuls gestes affectifs qu’il s’autorisait lui causaient à chaque fois un vif soulagement suivi d’un déchirement encore plus grand. Ils étaient toujours trop brefs ou trop retenus, il n’en avait jamais assez. Son envie le jetait dans les transes dès qu’elle approchait, comme une drogue dont le voisinage l’exaspérait. Penser à elle en son absence était encore un exutoire bénin, un moyen d’apaiser son manque sans la torture d’y céder, même quand il s’agissait de se tourmenter à son sujet.

Alice l’inquiétait. Le lendemain de leur sortie, elle s’était assoupie, la tête lourde, dans le canapé. Il s’installa pour lire à l’autre extrémité où par-dessus son ouvrage, entre deux paragraphes, il la contemplait. Son sommeil s’agita, d’abord de légers spasmes, puis des inaudibles geignements, ils devinrent les uns plus violents, les autres, plus sonores. Theo prit le parti de la réveiller. Malgré l’extrême douceur qu’il employa, elle sursauta et le repoussa, et lui comme un réflexe, la serra de force dans ses bras. Alice chercha rapidement à se dégager en le rassurant avec une trop grande insistance pour être sincère que ça allait, et quand il lui demanda de quoi elle avait rêvé, elle tenta d’abord d’esquiver le sujet, puis lui raconta l’histoire d’un chien qui essayait de la dévorer. Theo pensait qu’elle mentait sans avoir aucune raison de douter. Alors, il avait accepté son explication, du moins pour le moment. Ce n’était pas la première fois qu’elle faisait un cauchemar, si d’autres survenaient, il faudrait bien qu’elle lui dise la vérité.

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