Mehdi

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16 aout 2015

Mehdi observa un moment la larve d’un planipenne attendre sa proie au fond de son trou. Une modeste fourmi s’était approchée malencontreusement trop près de l’excavation sablonneuse ; véritable piège d’où l’innocente victime ne ressortait jamais vivante. Le formicidé se débattait tant bien que mal pour remonter vers la crête, cependant, ses efforts furent impitoyablement ruinés par des jets de graviers qui précipitèrent sa descente inexorable vers la redoutable bestiole dissimulée aux confins du cratère. Soudain, le vorace insecte émergea en partie de son antre, ses mandibules happèrent le pauvre hyménoptère qui disparut dans les tréfonds de l’abri du prédateur. Le spectacle terminé, Mehdi rassembla les chèvres éparses dans la vallée, les parqua dans l’enclos et rentra chez Amina. La vieille femme en noir s’affairait dans la pièce qui tenait lieu de cuisine. Une théière en terre cuite circula entre ses mains, qu’elle posa sur le réchaud à gaz avant sa mise en route ; aidé d’une allumette prise dans une boite en fer jaune délavé à la peinture effacée par un service quotidien ; témoignage de la langueur du temps qui passait ici, prés des montagnes douces dominant le petit hameau d’Al - Shoukranih. Mehdi tourna en rond dans la pièce, ne sachant comment aborder sa grand-mère, un peu soupe au lait parfois ; alternant tour à tour empathie et apathie ; souci véritable pour le jeune homme plutôt enclin à une humeur égale, adaptable à toutes les situations. Sur la table en bois sombre trônaient deux tasses en faïence et un plat à tajine avec son chapeau sous lequel Amina cachait sa spécialité pâtissière : des Baklavas au miel. Medhi consulta son smartphone, aucun message pour troubler sa solitude quotidienne. Il abandonna à son sort l’appareil sur l’antique meuble vermoulu près d’un al-Watan vieux de trois semaines. Sitôt le thé pris, Medhi se plongea dans un ouvrage rapporté depuis peu par un ami anglais de passage en Syrie. Celui-ci se rendait en Iran dans une école coranique pour parfaire son étude des textes anciens du prophète Mahomet. Cet ouvrage, introuvable en Syrie, parlait de Descartes, Montaigne, Heidegger, Nietzsche et enfin Freud. L’édition française rebuta quelque peu le jeune homme, mais l’intérêt littéraire l’emporta, ses cours de français au lycée revinrent rapidement. Une heure plus tard, il referma le livre sur la phrase suivante : « Je me plaisais surtout aux mathématiques, à cause de la certitude et de l’évidence de leurs raisons : mais je ne remarquais point encore leur vrai usage ; et, pensant qu’elles ne servaient qu’aux arts mécaniques, je m’étonnais de ce que leurs origines si fermes et si solides on n’avait rien bâti dessus de plus relevé. » La science des nombres et sa complexité restait un obstacle pour l’étudiant, tandis que l’esthétique et la littérature demeuraient chez lui une passion fondatrice de son savoir. Il admirait ce René Descartes, qui avait saisi beaucoup de choses avant tout le monde, lu Platon et son fameux banquet, parfaitement compris Aristote dans sa philosophie, étudié Augustin d’Hippone. L’ouvrage sur les genoux, Medhi rêva aux temps anciens de ces personnages où tout était à révéler, un univers s’étalait devant eux, leurs existences prenaient corps dans les découvertes. Nostalgique, il sortit marcher dans la campagne rase et déserte, le soleil s’écroulait doucement derrière les mornes montagnes au loin, il se rappela Damas, le lycée, les amis. Une question fugace lui fit mal comme un coup de poing au ventre : quand allait-il pouvoir retourner dans la grande ville ?

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