Chapitre 1

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— Maman ? Maman ! MA.MAN !!!


Océane me regarda d’un air dépité. Je soufflai, levai les yeux ciel et respirai un grand coup. Trois, deux, un, la porte du bureau s’ouvre et va claquer contre le mur. J’attrape une balle en mousse, placé là exprès et la lançais à travers la porte. Ma fille l’esquiva dans un dérapage contrôlé.


— Raté. Encore.

— Tu es fatigante, bébé.

— Je sais, merci pour le compliment.


Océane se retint de rire et je lui adresse mon plus joli regard noir. Elle ne comptait pas m’aider. Ma fille ramassa la balle pour la remettre à sa place. Sur son visage d’ange, un sourire diabolique. Ses cheveux blonds étaient en bataille, parsemés de feuilles et de branches, alors que sa mère avait eu tant de mal à la coiffer ce matin. Son pantalon était couvert de terre et son tee-shirt, tout aussi sale. Aussi vite qu’elle était arrivée, elle se cacha sous mon bureau, poussant ma chaise à roulette au passage.


— Lizéa Luisard Stinley !


Le hurlement se répercuta dans tous le couloir. Ma deuxième fille entra à son tour, le visage rouge de colère, suivie par son frère, dans le même état. J’attrapais alors ma dernière fille par l’oreille pour l’obliger à sortir de sous mon bureau. Elle déglutit en croisant le regard de son frère et de sa sœur puis se cacha derrière moi.


— Liz, soupirais-je. Qu’est-ce que tu as encore fait ?

— Rien du tout.

— Rends-moi mon téléphone, Lizéa. Tout de suite ! s’énerva Elise.

— Et le mien tant que tu y es, compléta Benjamin.

— Mais c’est pas moi ! rouspéta mon bébé.

— Tu n’es qu’une voleuse, Lizéa !

— Liz, soupirais-je. Les téléphones.


Elle baissa la tête et glissa ses mains dans ses poches pour sortir les téléphones de mes deux grands. Nous savions tous qu’elle faisait ça pour attirer l’attention. Pourtant, mes grands avaient de plus en plus de mal à supporter les tendances chapardeuses de leur petite sœur.


— Merci maman, se calma Elise. Et désolée pour le dérangement.

— Je vais discuter avec Lizéa, ne vous inquiétez pas.


Les téléphones de retour auprès de leurs propriétaires, mes enfants de dix-sept ans quittèrent mon bureau. Quant à ma fille de sept ans, elle s’assit par terre, les bras croisés, boudeuse. Comprenant qu’elle ne bougerait pas, je l’attrapais par les épaules pour la prendre dans mes bras. Océane me chuchota un « bon courage » quand je sortis de la pièce. Elle se débattit jusqu’à ce que je la pose sur son lit et que je m’assois à côté d’elle. Elle en profita pour s’asseoir, à la place, sur mes genoux.


— Mon bébé, tu veux bien me dire pourquoi tu voles sans cesse les affaires de ton frère et de ta sœur ? demandais-je calmement.

— Je ne vole pas, j’emprunte. Et je ne suis pas un bébé !

— Pourquoi tu empruntes, dans ce cas ?

— Bah, c’est drôle, répondit-elle comme si c’était d’une évidence.

— Tu comprends que Ben et Elise n’aiment pas que tu rentres dans leurs chambres ?

— Non. Eux, ils rentrent quand ils veulent dans la mienne. C’est pas juste !


Elle croisa à nouveau ses bras. Lizéa était l’opposé même des jumeaux. J’avais eu des enfants calmes, maintenant, j’avais une petite tornade sur patte, totalement à l’aise pour dire non, merde, ou quand ça ne lui plaisait pas. Elle ressemblait bien trop à Océane, sa mère biologique.


— Ce n’est pas la première fois que je te le dis, lapin. Mais Ben et Elise sont grands. Ils ont besoin d’intimité. Ils sont en dernière année de lycée, ils ont besoin de se concentrer pour obtenir leur diplôme et aller à l’université.

— J’ai personne avec qui jouer, moi.


Ses yeux s’humidifièrent jusqu’à ce que la première larme coule sur sa joue. Je l’essuyais du bout des doigts puis caressa sa tête. Lizéa n’était pas en manque d’attention. Elle avait juste un besoin énorme de compliments et d’être mise au centre de notre vie familiale. Elle accaparait l’attention de toute la famille, mais aussi de tout le personnel. Nous avions tout essayé pour la satisfaire. Malheureusement, nous ne pouvions qu’attendre la fin du lycée des jumeaux. Benjamin partirait faire le tour du continent et Elise habiterait sur le campus de l’université d’Histoire. À ce moment-là seulement, Lizéa nous aurait pour elle seule. En attendant, elle devait se contenter de ce qu’on lui donnait, du temps qu’on passait avec elle, entre nos travails respectifs et les grands qui avaient aussi besoin de leurs mères.


— Qu’est-ce que je vais faire de toi ? soupirais-je.

— Un câlin ?

— Tu ne perds pas le Nord, souris-je. Est-ce que tu as au moins compris ce que je viens de te dire ?

— Oui. J’arrêterais d’embêter Ben et Elise, promis.

— Et si on faisait tes devoirs ?

— Ah non ! Pas ça.


Comme à chaque qu’on parlait d’école ou devoirs, elle se défilait. C’était une tête brulée qui n’accordait aucune importance à l’école. C’était ce qui l’éloignait tant de ses aînés. Ils pouvaient passer des heures dans la bibliothèque, à travailler tandis qu’elle ne supporter pas de rester immobile plus de quinze minutes. Océane et moi avions trop souvent été convoquées par sa maitresse à cause de son comportement perturbateur en classe. J’attrapais son poignet au dernier moment et parvint à l’asseoir à son bureau.


— Une heure. C’est tout ce que je te demande. Et oui, enchaînais-je avant qu’elle ne m’interrompe, on fera des pauses. Tu veux bien essayer ?

— D’accord.


Le Dr Langstone avait diagnostiqué chez elle un trouble de l’attention avec une hyperactive l’année dernière. Nous avions simplement appris à faire avec. Activités courtes ou sur plusieurs séquences, pas plus de quinze minutes pour la coiffer et surtout, beaucoup d’activités physiques. Pour faire ses devoirs pendant une heure, les sessions de travail, de concentration maximale, ne pouvaient durer plus de vingt minutes. Pour ce qui était important, comme la lecture actuellement, nous le faisions le soir, avant le coucher, quand elle était le plus calme. Élise nous aidait beaucoup à garder un œil sur elle. Quand il faisait beau, elle avait accepté de travailler dans le jardin d’été, pour que Lizéa joue, court autour d’elle. Le seul moment où ma fille arrivait à rester plus de vingt minutes silencieuse, immobilisée c’était quand elle regardait Ben travailler. Ou plutôt, quand mon fils s’énervait sur ses cours. Elle pouvait passer des heures à le regarder sans rien faire. Nous profitions un maximum de ses moments-là.


— Maman ?

— Oui, mon lapin ?

— Je ne comprends pas ce que je dois faire.

Je récupérais son cahier de textes de ses mains. Elle ne pouvait en effet pas comprendre.

— Tu écris comme un cochon, Lizéa. Je n’arrive même pas à te lire.

— Groin groin, joua-t-elle.

— Liz.

— Pardon.

— Je vais regarder sur le groupe de ta classe.


Pour être certaine que les devoirs soient faits, sa maitresse avait mis en place une classe virtuelle où elle transférait aux parents tous les documents de cours, les informations importantes, mais aussi les devoirs.


— Tu as des mots à apprendre.

— Oh non. J’arrive jamais à les apprendre.

— On va trouver une solution.


Je renotais les mots en question sur une feuille puis balayai l’ensemble de sa chambre du regard. Une montagne de doudou recouvrait son lit défait.


— Je sais. Tu as quatre mots à apprendre, choisis quatre doudous.

— Ceux que je veux ?

— Oui.


Elle posa sur le bureau un loup, un chien, un cheval et un chat.


— Parfait. Lequel d’entre eux a froid ?

— Le cheval !

— Sur ta feuille, tu vas écrire cheval — froid. Voilà, comme ça. Ensuite, lequel a chaud ?

— Le chat !

— Fais la même chose.


On continua avec garçon pour le loup et train pour le chien. En associant un mot avec un doudou, elle parviendrait peut-être à s’en souvenir. Les vingt premières minutes étant passées, je l’autorisais à aller se défouler cinq minutes dans la cour. Je réglais sa montre pour qu’elle sonne et la ramène dans sa chambre. À travers sa fenêtre, je l’observais courir après un ballon. Quand sa montre sonna, elle l’éteignit et rangea son ballon.


— Est-ce que tu souviens ce qu’il a le cheval ?

— Heu… si ! Il a froid ?

— C’est super ça. Le loup ?

— Laisse-moi réfléchir… il joue avec le garçon.

— Bah tu vois quand tu veux. On continue. Le chat ?

— Le chat il a chaud, chanta-t-elle. Et le chien, il prend le train, enchaîna-t-elle.

— Dur ou pas ?

— Non, c’était trop facile.

— Écris-les maintenant.


Sous mon œil attentif, elle s’appliqua à écrire correctement.


— Le cheval à froid, le chat à chaud, le garçon joue avec le loup et le chien prend le train, marmonna-t-elle. J’ai fini !


Pour une fois, elle avait réussi du premier coup. Que ce soit sur la mémorisation des mots, sur leur orthographe et même sur son écriture. Elle pouvait être fière d’elle. Contente, elle bomba le torse, souriant.


— Et maintenant ?

— On continue ? Pas de pause ?

— Non, on peut continuer.

— Très bien, on continue avec des calculs.

— Pfff, je n’aime pas les maths, soupira-t-elle.


Mon plus gros casse-tête, c’était de la réconcilier avec les chiffres. Les calculs, c’était le plus compliquer pour elle et pour le moment, je n’avais trouvé aucune solution pour l’aider, aucune autre méthode.


— Je suis trop nulle de toute façon, bouda-t-elle.

— Ce n’est pas vrai, lapin. Tu n’es pas nulle. Tu as juste des difficultés et tu apprends à ton rythme.

— Mes amis, eux, ils savent combien font 85 +13. Moi pas. Je n’y arriverais jamais.

— Ne te décourage pas, d’accord ? Tu finiras par y arriver, même si ça prend un peu plus de temps. Compte avec tes doigts 5 +3.


Elle prit quelques minutes pour faire ce calcul jusqu’à partir au bon résultat, 8. Je lui demandais de l’écrire sur papier et de faire de même avec 8 +1 et elle réussit à obtenir 9.


— 9 et 8 ensembles, ça fait combien ?

— Neuf-huit ? tenta-t-elle sans grand enthousiasme.

— Qu’est-ce que tu m’inventes toi encore ? rigolais-je. Neuf en dizaine, c’est comment ?


Elle leva la tête, coinça sa langue entre ses dents et ses lèvres, se frotta le menton. Elle réfléchissait. Je pouvais voir de la fumer sortir par ses oreilles. Même si c’était complexe pour elle, elle faisait tous de même les efforts nécessaires.


— 90 !

— C’est ça ? Et maintenant, 90 et 8.

— 98 ?

— Tu es trop forte, mon bébé.

— Je ne suis pas un bébé !

— Les devoirs, c’est fini, je te libère.

— Merci maman !


Elle sortit aussitôt de sa chambre et je partis retrouver Océane dans le bureau. J’expliquais tout à ma femme qui rigola. Nous étions toutes les deux passées par là, elle me comprenait très bien. Lizéa était épuisante, mais nous l’aimions tel qu’elle l’était. Un rayon de lumière, un courant d’air frais dans une vie parfois bien trop monotone.

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