Chapitre 2

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Habituellement, nous étions réveillées par Lizéa. Elle venait réclamer son câlin avant de filer dès qu’elle n’en avait plus envie. Mais aujourd’hui, elle n’était pas là. Océane souleva la couverture afin de rapprocher.


— Tu veux que je m’occupe de Liz ce matin ?

— Tu as bien plus de travail que moi. Ça ira, ne t’inquiète pas.


J’embrassais ma femme et partis me préparer. Au moment de réveiller ma fille, celle-ci grogna et remonta la couverture sur sa tête. En douceur, je la portais pour l’emmener prendre son petit déjeuner. Ben et Elise nous rejoignirent un peu plus tard. Ce matin, Lizéa était bien trop calme. Même mes adolescents le remarquèrent.


— Ça va Liz ? la questionna Elise.


Au lieu de répondre, celle-ci lui tira la langue et bouda.


— Oula ! Il est de mauvaise humeur, le bébé.

— Je ne suis pas un bébé !


Elle repoussa son bol puis sa chaise qui grinça sur le sol et elle s’enfuit en courant. Ma fille me questionna du regard, perdu. Je soupirais et rejoignis ma fille qui s’était enfermée dans sa chambre.


— Qu’est-ce qu’il y a, Lapin ?

— Laisse-moi !


Je retirais la couverture, m’allongeais à ses côtés et la prie dans mes bras. Elle se débattit avant d’abandonner. Ses yeux brillaient par les larmes qui commençaient à arriver.


— Il faut te préparer pour aller à l’école.

— Je ne veux pas y aller !

— Est-ce qu’il s’est passé quelque chose que tu ne m’as pas dit ?


Elle se redressa et planta ses yeux bleus dans les miens. Le même regard vicieux qu’Océane était aujourd’hui tout triste.


— Les grands… hésita-t-elle, ils sont méchants avec moi.

— Pourquoi ?

— Ils disent que… que tu n’es pas ma maman, que je n’ai pas le droit d’être une Princesse.


Ce que j’avais toujours craint venait d’arriver. Mes jumeaux avaient échappé à cette vague de harcèlement, à cause du fait d’avoir deux mères, mais ma fille semblait en subir les frais. Pourtant, je connaissais Lizéa. Je savais qu’elle n’était pas du genre à se laisser faire.


— Et qu’est-ce que tu fais ?

— Je les frappe ! Moi je suis pas d’accord ! Je t’aime maman.

— Je t’aime aussi, mon lapin. Tu sais quoi ? On va à l’école et je vais leur parler à ses vilains garnements. Ils ne viendront plus t’embêter.

— Trop forte maman !


Décidée à leur en faire voir de tous les couleurs, elle s’habilla en vitesse. Je tressais ses cheveux en une natte simple, juste à l’heure. Devant la grille de l’école primaire, j’approchais de la directrice. Je lui expliquais la situation et elle convoqua aussitôt tous les élèves, ainsi que leurs enseignants, dans la cour.


— Ce que je viens d’apprendre ne me plait guère. Surtout venant des grands de l’établissement. Je laisse donc la parole à Madame Stinley, parent d’élève.

— Merci Madame. Je sais que ça ne vient pas de vous alors je vais me montrer clémente. Pour que vous en veniez à dire à ma fille que je ne suis pas sa mère, qu’elle n’est pas la Princesse, c’est à cause de vos parents. C’est eux qui vous ont mis cette idée en tête. Alors oui, Lizéa, comme mes deux autres enfants ont deux mamans, mais ce n’est pas pour ça que nous ne l’aimons pas, ou moins bien qu’une maman et un papa. Je suis déçu de voir que même dix-huit ans après l’autorisation des couples, des familles comme la mienne, certains refusent encore d’accepter leurs légitimités. Pourquoi deux femmes, ou deux hommes n’auraient pas le droit de s’aimer ou de fonder une famille ?

— C’est pas normal, répondit un garçon d’environ dix ans.

— D’accord. Pourquoi ce n’est pas normal, d’après toi ?

— Je… je ne sais pas.

— Voilà le problème. Ce que vous pensez, c’est ce que vos parents pensent, pas vous. Vous êtes encore jeune, essayez de vous faire une propre idée. Questionnez Lizéa sur la vie qu’elle a avec deux mamans, si ça vous perturbe tant. Elle vous dira qu’elle est très heureuse. Voir même qu’elle profite un peu trop de l’amour qu’on lui porte. Pour un couple homme-femme, c’est assez simple d’avoir des enfants. Pour un couple comme le mien, avec ma femme, c’est bien plus compliqué. Dire à ma fille qu’elle n’est pas ma fille, qu’on ne l’aime pas, je ne le tolérerais plus. Ma femme et moi avons lutté, nous avons surmonté plein d’obstacles qui paraissaient insurmontables pour avoir Lizéa. Si j’entends encore, même une seule fois, que vous vous en prenez à ma fille, je ne resterais pas les bras croisés. Et cette fois-ci, ce ne sera pas en tant que mère que je viendrais, mais en tant qu’Impératrice. Et vous paieraient les conséquences de vos paroles. Il en va de même pour vos parents. Ce sera tout pour le moment.


Le silence régnait parmi les élèves. Lizéa se leva toute de même et court dans mes bras. Elle enroule les siens autour de mon cou et dépose un bisou sur ma joue.


— Merci, tu es la meilleure des mamans !

— Je t’aime poussin, quoi qu’en dise tes camarades.

— Je sais.

— Aller, retourne avec ta classe, je dois rentrer sinon va maman va me tirer les oreilles pour mon retard.


Ma fille explosa de rire. Son rire était contagieux et des sourires se répandirent sur les visages de ses camarades. Je la repose par terre et elle retourne s’asseoir auprès de ses amis, ceux qui la soutenaient. Je discutais rapidement avec la directrice, qui s’engagea à faire passer le message aux parents et je rentrais au château.


— Qu’est-ce qui t’a pris autant de temps ? me questionna ma femme, comme attendu.

— Rien de bien méchant. Tu as besoin d’aide ? lançais-je pour détourner la conversation.

— Non, c’est bon. J’ai même réussi à prendre un peu d’avance.

— Et si on faisait quelque chose toutes les deux ?

— Bah, j’ai cours de karaté dans deux heures… mais tu peux venir si tu veux.

— Je ne ferais que te déranger. Ce n’est pas grave.


Je l’abandonnais à son travail pour rejoindre Emma et Bianca dans leur bureau. Depuis la fin de ses études, réussie avec brio, Bianca était devenue gouvernante et Emma gouvernante générale. J’avais fait agrandir la pièce pour l’occasion.


— Ah Elena, tu tombes bien, m’intercepta Emma quand je passais devant la porte.

— Et ça tombe bien, je n’ai rien à faire. Que puis-je pour toi ?

— Notre nouvelle apprentie doit bientôt arriver.

— Finalement, tu aimes bien former les jeunes.

— Celle-là te plaira. J’ai fait mes petites recherches et j’ai des informations croustillantes.

— Très croustillante, compléta Bianca.

— Emma déteint de plus en plus sur toi, rigolais-je.

— Oups.


Les deux femmes étaient devenues très complices avec le temps. Dès qu’elles avaient l’occasion de me taquiner, l’une comme l’autre, elles ne se gênaient pas.


— Elle vient avec ses parents. Tu comprendras mieux à ce moment-là.

— Comment elle s’appelle ?

— Liliane Casen.

— Je suis censée la connaître ?

— Elle non, ses parents oui. Surtout ta femme.

— Casen… non ça ne me dit rien.

— Ne t’inquiète pas pour ça.


Le téléphone d’Emma vibra au même moment. Elle rougit en lisant le message, mais secoua la tête rapidement. À la deuxième vibration, notre nouvelle arrivante nous attendait dans la cour. Bianca récupéra un dossier et on sortit toute les accueillir. Ses parents, deux femmes, auraient dû me rappeler quelque chose. Pourtant, je n’arrivais pas à m’en souvenir.


— Bienvenue Mesdames, Liliane. Je suis Emma, la gouvernante générale et voici Bianca, mon assistante et gouvernante. Elle a été à ta place il y a quelques années. La première d’ailleurs.

— Votre Majesté, me saluèrent-elles en m’apercevant.

— Bonjour.

— C’est tout ? me taquina Emma.

— Tu ne vas pas commencer ! Continue, je te marie de force et Bianca prendra ta place.

— Mais moi aussi je t’aime, Elena.

— N’importe quoi, soupirais-je.

— Liliane, tu as été acceptée grâce à ton dossier irréprochable, permis de nombreuses candidates. Je ne te mets pas de pression, tu vas t’en mettre toute seule en travaillant ici, mais sache que Bianca et moi-même sommes là pour t’aider. Et même si Elena montre parfois les dents, elle n’est pas méchante.

— Pourquoi tu parles de moi comme d’un animal domestique ?

— Parce que c’est le cas, renchéris Bianca. On vous apprivoise comme un animal domestique.

— J’espère pour vous que Liliane ne deviendra pas aussi téméraire que vous deux.

— Tu vois, ajouta Emma. Elle ne grogne, mais ce n’est pas méchant.


Liliane comme ses mères rigola. Au moins, Emma avait réussi à détendre l’atmosphère. On leur fit rapidement visiter les jardins avant de commencer la visite du château par la grande salle.


— Elena ! Je te cherche depuis dix minutes, nous intercepta Océane.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Mon idiot de frère a encore besoin de moi. Je dois annuler mon cours de karaté et aller le voir en urgence. Et je risque de te ramener sa compta, encore.

— Tu diras à ton idiot de frère qu’il arrête de me voler ma femme et qu’il s’en trouve une lui-même. Et que je ne suis pas sa comptable personnelle.

— J’aime quand tu fais ta jalouse, chérie.

— D’ailleurs, avant que tu partes, changeais-je. Je te présente Liliane Casen, notre nouvelle apprentie gouvernante et ses mères.

— Bienvenue au château… ça alors, Clémence et Chloé. Comment allez-vous ?

— Plutôt bien. On a, nous aussi, pu former notre famille. Liliane est notre fille unique.

— Attendez… mais si, je me souviens de vous ! Notre première sortie en couple. La première fois que j’ai défié un garde et la loi au passage.

— C’est exact, reprit Chloé. Et comme vous nous l’aviez demandée, on a fait passer le message. Nous avons été le deuxième couple de femmes à nous marier. Juste après vous. On voulait nous aussi montrer l’exemple.

— Vous avez eu raison.

— J’aurais bien aimé rester, reprit ma femme, mais je dois y aller.

— Préviens-moi s’il y a quoi que ce soit.

— Mais oui. De toute façon, je récupère Ben au lycée à onze heures pour son cours de conduite.

— Faites attention.

— Fais-moi confiance, chérie.

— C’est en Ben que je n’ai pas confiance, mon amour.


Océane m’embrassa, fit tourner les clés de sa voiture dans sa main avant de la rejoindre. Je laissais ensuite Emma et Bianca s’occuper de Liliane et de ses mères, tout en les suivant de loin. Elles lui expliquèrent tout, dans les moindres détails. De retour dans le bureau des deux femmes, Bianca expliqua tous les rangements et attribua à Liliane son propre bureau. N’ayant rien à faire, je m’adossais à la porte, les bras croisés, et fixait mon regard sur Emma.


— Un problème ? me questionna Emma.

— A toi de me dire.

— A quoi tu joues encore ?


Sur sa droite, Bianca se retenait de rire et je remarquais le clin d’œil qu’elle venait de faire à Liliane, juste en face d’elle.


— Tu n’as rien me dire ?

— Heu… non.

— C’est qui ?

— Qui ça, qui ?

— Celui qui te fait rougir, celui qui accapare toute ton attention, je peux continuer encore un moment.

— Personne.


Elle se leva, sa chaise dérapa sur le sol. Elle me tourna le dos pour récupérer un dossier dans l’étagère.


— Sérieusement Emma. Quand est-ce que tu t’en vas ? Quand est-ce que tu te maries ?

— Tu ne veux plus de moi ?

— Je veux que tu penses à toi, que tu vives ta vie. Ça fait vingt-cinq ans que tu travailles pour moi. Bianca est amplement capable de…

— C’est non. Je ne te laisserais pas.

— Tu n’as pas envie d’avoir ta propre famille ? Un mari, des enfants, ta propre maison ?

— Être à tes côtés me suffit.

— Emma. Je ne suis plus une enfant. Je n’ai plus besoin d’être surprotégée. Je n’ai plus besoin que joue le rôle de mère avec moi. Tu as quelqu’un, n’est-ce pas ?

— Bon, d’accord, soupira-t-elle en s’asseyant. Liliane, en travaillant à mes côtés, tu sauras absolument tout ce qu’il se passe au château. Toute la vie privée de la famille impériale, comme de la mienne. Rien ne doit sortir de ce bureau.

— J’ai compris.

— Il y a bien un homme dans ma vie, avoua-t-elle finalement.

— Ahah ! Je le savais.


J’abandonnais mon poste, attrapas une chaise et m’installais en face d’Emma, les bras appuyés contre son bureau, attentive.


— C’est qui ?

— C’est… c’est compliqué. Sa femme est décédée depuis peu et il habite bien trop loin pour qu’on puisse se voir souvent. Et quand il vient, il se déplace officieusement.

— Officieusement ? C’est un homme important ?

— En quelque sorte oui.

— C’est très vague ça.

— Tu m’énerves, Elena.

— Je sais. J’adore les potins, surtout quand ça te concerne.

— Je te préférais ado.

— Aie, dramatisais-je.

— Tu me promets de ne pas en faire des tonnes ? Nous en sommes qu’on début.

— C’est promis, me redressais-je.

— C’est le Roi de Thérénia.

— Mais non ! Celui qui ton fait la cour à mon mariage quand il était encore Prince ?

— Oui.

— Ahah génial. Bianca, tu me l’invites au château dans les semaines à venir.

— Tous de suite, Madame.

— Elena ! s’exclama Emma en rougissant.

— Emma, jouais-je. Si tu n’es pas mariée dans l’année, je joue ma carte joker.

— Et c’est ?

— Ta mère.

— C’est vicieux, ça.


J’envoyais un bisou dans l’air et commençais à sortir du bureau, mais me retournais au dernier moment.


— Au fait, il serait temps de trouver une demoiselle de compagnie à Lizéa. Vous pouvez vous en charger ?

— Je m’en occuperais avec Liliane, me répondit Bianca.

— Merci. Prenez votre temps, ça peut bien attendre encore un peu.


Depuis quelques années, je n’avais cessé de questionner Emma pour qu’elle se trouve quelqu’un. Pour qu’elle puisse enfin profiter d’une vie sans être en permanence avec moi. Après près de vingt-cinq ans de bon et loyaux et service, il était tant pour elle de partir, de fonder sa famille et de laisser sa place aux jeunes, à Bianca. Je voulais la garder auprès de moi pour toujours, mais son bonheur était plus important que mon envie égoïste. Elle méritait mieux que d’être la gouvernante du château impérial. Si le Roi de Thérénia était l’homme idéal pour elle, elle méritait de devenir Reine à ses côtés. Elle méritait que quelqu’un prenne enfin soin d’elle, que les rôles soient inversés.

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