Chapitre 5

10 minutes de lecture

Pour accueillir la classe de Lizéa dans leur visite du château, Emma et moi avions tout organisé de A à Z. Dans cette fourmilière, rien ne devait être laissé au hasard. Aucun enfant ne devait se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment. Pour impliquer Lizéa, qui était fière de sa résidence, nous lui laissions le plaisir de faire la visite. Emma et moi ajouterions les explications nécessaires et répondrons aux questions des jeunes. Vêtue d’une de ses plus belles robes, de son diadème, elle était prête à les accueillir. Elle attendait dans la cour depuis déjà dix minutes.


— Je crois que ta fille aime se donner en spectacle ? rigolais-je.

— Non, tu crois ? Joua Océane. C’est pas du karaté qu’elle devrait faire, mais du théâtre.

— Lui ne propose pas ça, elle accepterait aussitôt. Et dans dix ans elle sera sur grand écran.

— Elle pourrait faire du cinéma, actrice comme elle est.

— Elle sait juste parfaitement utiliser son caractère pour arriver à ses fins. Telle mère, telle fille, lançais-je.

— Dis que j’ai un caractère de merde tant que tu y es.

— Si tu y tiens…


Elle m’embrassa pour me faire taire. Depuis quelque temps, taquiner ma femme était devenue mon passe-temps favori. Surtout quand ça concernait la ressemblance mère-fille. Océane était exaspéré par Lizéa parce qu’elle avait créé une version miniature d’elle-même, en plus terrible. Je plaindre ses parents d’avoir dû la supporter enfants parce qu’avec Lizéa, je comprenais ce qu’ils avaient dû vivre.

Dans la cour, le bus scolaire fit son entrée et ma fille commença à s’agiter. Elle nous regarda, son sourcil droit se leva, elle nous tira la langue avant d’adopter la posture qu’on attendait d’elle, quand elle devait être la Princesse. Nous ne pouvions le niez, Lizéa était très douée pour jouer un rôle, mais surtout pour s’adapter aux situations. Même avec nous, elle savait quand elle pouvait rigoler, nous titiller, tester nos limites et au contraire, quand elle devait se tenir à carreau et ne pas faire de vague.

Ses camarades, tous bien habillés, sortirent un à un du bus scolaire. Océane fut la première à rejoindre le groupe pour saluer les adultes. La maitresse était venue accompagner de deux parents, pour garder un œil en permanence sur tous ces enfants de sept ans.


— Merci de nous accueillir pour cette visite, commença la maitresse.

— Lizéa a tenu à vous faire la visite, ajouta Océane. Evidemment, je ne compte pas sur elle pour donner toutes les informations alors Elena et moi compléterons ses dires.

— C’est une très bonne idée. Lizéa se serait ennuyée sinon.

— C’est exact, ça l’occupera et au moins, elle tiendra en place, complétais-je.

— Pour une fois.


Sa maitresse aussi avait tous mis en œuvre, au sein de sa classe pour que Lizéa parvienne à trouver sa place. Elle qui n’arrivait pas à rester concentrer très longtemps sur une seule activité, son institutrice avait tous essayé. Seuls les sujets qui la passionnaient, ou lorsqu’elle était actrice, comme maintenant, nous permettait à toutes les trois de la garder concentrée, active et calme.


— Liz’ ? l’interpella sa mère. C’est à toi de jouer.


Ma fille redressa les épaules et arbora un sourire fier. Elle conduisit le groupe dans le jardin. Nous savions ce qu’elle avait prévu de montrer, mais nous ne connaissions pas l’ordre de visite. Nous avions préféré lui laisser un peu de marge de manœuvre, pour qu’elle prenne plaisir à faire visiter, pour qu’elle ne s’en lasse pas aussi vite que l’idée lui était venue.


— C’est ici que je…


Elle hésita, nous regarda avec un sourire diabolique avant de reprendre. Océane croisa les bras, leva les yeux au ciel, mais ne dit rien. Nous connaissions notre fille par cœur et nous savions ce qu’elle allait dire.


— C’est ici que je fais toutes mes bêtises. Mais faut pas le dire à mes mamans.


Lizéa savait ce qu’elle faisait. Elle fit découvrir à ses camarades un passage secret, caché derrière du lierre. La petite grotte dont nous connaissions l’existence et où Lizéa s’enfuyait dès qu’elle se faisait gronder par nous ou pas son frère et sa mère. Là où elle allait quand elle avait besoin d’être seule. Elle savait que nous connaissions son existence, mais faisait comme si de rien n’était.


— C’est ma cachette secrète. J’ai des boules puantes, des jouets et même des bonbons. Je crois que ce sont les lutins qui me les amènent et ils sont rien que pour moi. Sauf aujourd’hui. Les lutins en ont déposé pleins. Ils voulaient que je partage avec vous, je pense.


Elle s’éclipsa dans sa grotte pour ressortir avec un gros paquet de bonbons. Ceux qu’Elise avait discrètement glissés à ma demande ce matin, avant de partir en cours. Deux par deux, après avoir distribué les bonbons, elle fit entrer ses camarades pour leur montrer. Je n’étais jamais entré dedans, ayant souhaité que cette grotte soit le repère de ma fille. Le seul endroit où elle avait tout pouvoir. Ma chambre l’avait été quand j’étais enfant et adolescente, cette grotte était celle de ma fille aujourd’hui.

Lizéa continua sa visite par la grande salle. Océane compléta les dires de ma fille et je répondis aux questions des jeunes sur le mur coloré. Celui sur lequel l’ensemble du palais avait peint, dessiné, écrit à ma demande peu après mon accession au trône. Le jour où j’avais pris pleinement conscience de tout ce monde qui travaillait pour moi alors que je n’en connaissais qu’une dizaine à peine, soldats inclus.

Finalement, elle se débrouillait bien mieux que nous l’espérions. Elle était claire dans ses explications, précise et n’oubliait pas grand-chose. Océane ou moi rajoutions ce qu’elle ne pouvait pas savoir. Même si nous avions bien compris que les jeunes étaient plus intéressés par les bêtises de Lizéa que ce que nous leur apprenions. Il n’y avait que les adultes qui écoutaient attentivement nos commentaires.

Une heure avant la fin de la visite, on laissa les enfants jouer ensemble dans le jardin. Avec Océane, on en profita pour discuter avec la maitresse de Lizéa.


— Merci pour cette visite, c’était vraiment enrichissant, commença la maitresse.

— C’est normal. Et puis, ça faisait plaisir à Lizéa.

— Je dois dire que je ne l’ai jamais vue aussi concentrée, surtout en classe.

— Un simple oiseau peut parvenir à la déconcentrer. Sauf quand ça lui plait, enchaîna Océane.

— Je suis d’accord avec vous. Vous savez, cette sortie m’a donné des idées. Je vais rendre mes cours plus vivants. Étudier les oiseaux dans la cour quand il fait beau, donner des activités manuelles, mais surtout impliquer un peu plus votre fille. Elle n’a pas tant de difficulté que ça, elle s’éparpille juste un peu trop. Je pense qu’elle devait mieux apprécier si elle participe plus aux exercices.

— Si vous trouvez quoi que ce soit pour la maintenir concentrée pendant plus de trente minutes, je prendrais exemple sur vous, rigolais-je.

— Je vous expliquerai tout si ça fonctionne. En tout cas, j’ai été ravi de visiter ce magnifique bâtiment. Il est fait de pierre, mais l’architecture est incroyable.

— Je ne m’en lasserais jamais, ajouta ma femme. Chaque pierre de ce château à sa propre histoire.


Personnellement, je m’étais lassé de voir chaque jour, chaque heure, les mêmes pierres. Ce gris noir répétitif. Le château était beaucoup trop vieux, mais comme venait de le dire ma femme, il faisait partie de l’histoire. Même si je me sentais régulièrement oppressé par tous les épais murs, je ne pouvais rien dire. Les gros travaux de rénovation dont j’avais envie, je ne pouvais les faire. Ou alors, je devais reconstruire un palais entier, ou une nouvelle dépendance, à mon image. Mais cette construction risquait de déplaire à une grande partie de la population parce qu’elle n’était pas nécessaire.

La maitresse nous remercia une dernière fois avant de rassembler tous les enfants pour rentrer. Lizéa se glissa à nos côtés et salua ses camarades au départ du bus.


— Je peux aller jouer dans ma chambre ? nous questionna-t-elle.

— Qu’est-ce que tu vas faire dans ta chambre ?

— Heu…

— Il fait beau, bébé, reprit Océane. Tu ne veux pas plutôt rester jouer dans le jardin ?

— Je peux aller jouer à l’étang.

— Pas toute seule, non. Et je ne peux pas t’accompagner, j’ai du travail.

— Je vais venir avec toi, ajoutais-je. Va te préparer, je te rejoins dans ta chambre.

— Merci maman !


Elle s’éloigna en courant et je la vis déraper quand elle arriva au bout du couloir, pour changer de direction.


— Tu es trop gentille avec elle, Elena.

— Je vais nager avec elle, ça me fera du bien. Et puis il serait peut-être temps qu’elle apprenne à nager comme une grande, sans brassard.

— Et en plus elle va avoir droit à un cours privé. Elle en a de la chance.

— C’est ça, moque-toi.


Elle m’embrassa et on rentra. Je n’avais que très peu de temps pour enfiler mon maillot de bain et préparer un sac si je ne voulais pas que ma fille parte à l’étang sans moi. Elle savait qu’elle n’avait pas le droit d’y aller sans surveillance, mais je la connaissais assez bien pour savoir qu’elle ignorerait cette interdiction si j’étais trop lente.

J’envoyais un message à mes grands, pour leur proposer de nous rejoindre, s’ils le voulaient, dès la fin de leur cours. Une fois prête, je retrouvais ma fille qui trépignait d’impatience dans le couloir, devant sa chambre.


— On y va ? On y va ?

— Oui, on y va. En route, mon escargot.

— Je suis pas un escargot, maman ! Je cours aussi vite qu’un lièvre.

— On verra si tu nages aussi bien qu’un poisson.


Elle relève les épaules, bombe le torse et me tend la main, sure d’elle.


— J’accepte le défi.

— Sans brassards ?

— Sans brassards.

— Si tu réussis, on sortira que toutes les deux en ville. Si tu perds… je ne sais pas encore.

— Tu sais pas ? Nul.

— Très bien. Laisse-moi réfléchir. Si tu n’y arrives pas, tu me montreras à quel point tu es intelligente et que tu peux réussir à l’école.

— C’est dur ça.

— Mais non. Je sais que tu en es capable, mon lapin.

— Bon d’accord, j’accepte.


J’attrapais sa main pour valider notre marché. Après l’avoir lâché, j’attrapais rapidement l’autre avant qu’elle ne s’en aille précipitamment. Elle leva les yeux au ciel en comprenant que je la refrénais et me tira la langue en me voyant sourire.

Arrivée à l’étang, je pris le temps d’installer nos affaires, de mouiller la nuque de ma fille avant d’entrer dans l’eau. J’instaurais une limite, je ne voulais pas que Lizéa aille là où elle n’avait pas pied, sans brassards. Pas tant qu’elle ne m’aurait pas montré de quoi elle était capable.


— Je suis prête maman. Je peux venir ?

— Je t’attends, mon lapin.


Elle me rejoignit et commença à nager quand l’eau lui arriva à la taille. Je restais tous de même à côté, au cas où. Je la rattrapais quand elle but la tasse.


— Il faut respirer chérie.

— Quand ?

— Soit, quand tu fais la brasse, tu gardes tout le temps la tête hors de l’eau, soit, si tu veux mettre la tête sous l’eau, tu la relèves quand tu ramènes tes bras derrière toi et tu replonges quand ils passent devant.

— J’ai rien compris. Tu peux me montrer ?

— Oui, mais rapproche-toi du bord, s’il te plait.

J’attends que l’eau lui arrive au niveau des genoux pour lui montrer, étape par étape. Je m’assurais ensuite qu’elle avait compris avant de la faire revenir vers moi. Elle s’exécuta, et je vérifiais attentivement ses mouvements. Elle avait compris, elle les faisait correctement, elle respirait et elle ne buvait plus la tasse. J’étais fière d’elle.

— C’est super, ma chérie. Tu veux essayer plus loin dans l’étang ?

— Je peux ?

— Oui, je reste derrière toi si tu as besoin.


Elle hésita un instant, tout en regardant l’étang. Cette partie où elle n’avait jamais eu le droit d’aller. J’aperçus Ben et Elise arriver et leur fit signe de rester silencieux, le temps que leur sœur se lance. Elle ferma les yeux, respira un grand coup et s’élança. Je lui laissais un peu d’avance puis la suivit. Elle nagea un peu, fit demi-tour et sauta dans les bras de sa sœur, toute contente.


— J’ai réussi ! J’ai réussi Elise ! Maman !

— Bien joué, mon bébé.

— Je suis plus un bébé ! Je sais nager sans brassard maintenant.

— Tu as raison, mon bébé.


Elle me tira la langue, Ben la récupéra à la volée et la jeta dans l’eau. Ma dernière fille but la tasse surprise, avant de sauter sur les épaules de son frère pour essayer de lui mettre la tête sous l’eau.


— On s’occupe d’elle, maman, intervint Elise. Si tu veux aller nager un peu.

— Merci ma grande. Les cours, ça allait ? la questionnais-je tous de même.

— Comme d’hab’, ça avance bien. Allez, va nager.


J’embrassais ma fille et plongeais dans l’eau. Elise était celle qui se préoccupait le plus de moi. C’était aussi une grande sœur exemplaire, surtout envers Lizéa. Même si elle était un peu trop prévenante envers moi, à mon gout, je n’avais pas grand-chose à lui reprocher. Pour le moment du moins. Je savais que dès que la dernière ligne droite des révisions serait là, dès qu’elle partirait à la fac, les choses changeraient entre nous.

Ben passait beaucoup de temps à la bibliothèque ou a joué avec sa sœur. Nous passion peu de temps ensemble, mais au moins quand nous nous retrouvions, nous profitions. Mon fils était lunaire, sa sœur était solaire. Ils étaient aussi différents l’un de l’autre qu’il se complétait. J’avais appris à les connaitre et à agir en conséquence. Ma famille était complémentaire, elle s’entendait bien et c’était tout ce qui comptait pour moi. J’avais réussi là où ma mère avait échoué.

Annotations

Vous aimez lire Le studio d'Anaïs ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0