Chapitre 10

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J’étais de retour sur ma plage de sable fin au bord de l’océan. Cette plage que je n’avais pas vue depuis plus de sept ans alors que je m’en souvenais comme si c’était hier. Je marchais un moment seule, glissant mes orteils parmi les grains de sable. Un léger vent apportait les effluves maritimes. Au loin, une musique résonnait. Une jeune femme dansait au même rythme. Ses pieds glissaient sur l’eau, son sourire n’était que douceur. Elle était encore jeune. Je compris rapidement que c’était la deuxième fois que je voyais cette scène. Élia, la fille inconnue que je devais protéger sans savoir pourquoi ni comment.


— Élia ! l’appela une voix de femme, sortie de nulle part.

— Quoi, encore ! soupira la jeune fille.

— Maman vient de rentrer. On a besoin de ton aide.

— Je ne vais jamais pouvoir entrer à l’Opéra-théâtre de Glenharm si vous m’interrompez sans cesse, toi et maman.

— Viens p’tit moineau. Je te ferais écouter ma nouvelle musique après.

— J’arrive.


Elle disparait à travers l’écume et la plage redevient silencieuse. Sept ans plus tard, je ne savais toujours pas qui elle l’était.


— Majesté ?


Je me retournais et mes cheveux volaient au gré du vent. Une jeune femme s’approcha, sa robe étincelante.


— Katlyne, soufflais-je.

— Ça faisait longtemps, Majesté. Qu’est-ce qui vous amène ?

— J’ai… je crois que j’ai fait quelque chose d’horrible.

— Vous pouvez tout me dire. Je ne vous jugerai pas. Marchez avec moi, je vous en prie.


Je repris ma promenade, la tête basse. Je me sentais si impuissante, si faible. Toute la situation me dépassait. Avais-je bien agi ou avais-je laissé ma folie l’emporter sur ma raison ?


— Qu’est-ce qui vous tracasse ?

— J’ai confiance en ma femme. Je sais que… après ce que j’ai fait… elle dut m’interner en hôpital psychiatrique. Je suis un poids pour elle. Ma fille est gravement blessée et je…

— Qu’avez-vous fait ?

— J’ai tué. Je ne devrais pas te dire ça, tu as été tué de la même façon que j’ai tuée, lui, mais…

— Je suis certaine que vous ne l’avez pas tué de sang-froid.

— Tu as tort. Il allait faire du mal à Océane. Il allait la blesser.

— Était-ce la bonne décision ?

— Oui !

— Alors, n’en doutez pas.

— Mais je l’ai quand même tué. L’aurais-je fait sans cette maladie ?

— Vous ne pourrez jamais savoir. C’est peut-être grâce à elle que votre femme est toujours en vie.

— Je ne sais pas. Je ne sais même plus quoi penser.

— Ayez confiance en vous. Pas en ce que votre malade risquerait de vous faire faire. Mais en vous-même, qui vous êtes vraiment.

— Avec tout ce qui arrive en ce moment. D’abord ma fille et maintenant moi.

— C’est juste pour ça que vous devez lutter. Pour elle. Ne l’abandonnez pas. N’abandonnez pas votre famille. Rejoignez-la.


Sur les bons conseils de Katlyne, je quitte mon paradis imaginaire. Pourtant à mon réveil, je ne suis pas dans une chambre d’hôpital comme je l’aurais cru. Je suis dans une chambre du château. Je me redresse dans le lit, je suis seule. Il y a des barreaux à la fenêtre, le lit est le seul meuble présent. Je n’avais même pas mon téléphone. J’en sors et tente d’ouvrir la porte avant de me rendre compte que celle-ci est fermée à clé. Même si je sais que ma femme fait ça pour mon bien, je sens la panique m’envahir, cette crise de claustrophobie que je n’avais pas ressentie depuis très longtemps.


— Êtes-vous réveillée, Votre Majesté.


Entendre cette voix de l’autre côté de la porte me rassura aussitôt. Je n’étais pas seule, ma mère n’était plus là.


— Oui.

— Souhaitez-vous que je fasse venir votre femme ?

— Est-elle occupée ?

— En effet. Avec votre… enfin, elle a beaucoup d’administratif à faire.

— Ne la dérangez pas. Apportez-moi seulement un livre, je vous prie.

— Je vous l’apporte au plus vite.


Je m’éloigne de la porte et ouvre la fenêtre. Même si les barreaux sont scellés, j’ai toujours accès à l’air frais, à la chaleur du soleil et à la vue. Appuyée contre le rebord de la fenêtre, je restais là plus longtemps que je ne l’aurais cru. J’entendis la porte s’ouvrir, mais ne me retournais pas.


— Vous pouvez poser le livre sur le lit.

— Elena.


Je reconnus la voix d’Océane. Mais si j’avais demandé qu’elle ne soit pas dérangée, c’était parce que j’avais peur de me retrouver face à elle. Après l’acte que j’avais commis, légitime ou non, je l’avais trahi, je ne l’avais pas écouté.


— Est-ce qu’on peut discuter, chérie ?

— Je m’attendais à me réveiller à l’hôpital.


Elle soupira et j’entendis le froissement des draps, le léger grincement du lit quand elle s’y assoit.


— Je me suis dit que tu n’aurais pas compris.

— J’ai tué, Océ ! Et même si ce n’était que Julien, je… je l’ai quand même tué.

— Mais tu m’as aussi sauvé.

— Tu l’acceptes enfin ? Je croyais que tu gérais la situation.

— Il est vrai que j’ai peut-être exagéré sur le coup. Mais… quand je t’ai vu appuyer sur la détente…

— Honnêtement, la coupais-je. Pourquoi tu ne m’as pas fait interner ? Je suis un danger, Océ. Pour toi, pour moi, pour tout le monde.

— Ce n’est pas vrai ! s’interposa-t-elle. Julien était un monstre, toi non. Tu…

— Arrête. Ne me défends pas quand je ne suis plus défendable.

— Est-ce que… un procès t’aiderait à aller mieux. À te montrer que c’était de la légitime défense ? Je pourrais…

— Pour que je sois déclaré inapte mentalement ? Je connais aussi bien que toi la loi, Océ. Un simple citoyen dans mon cas ne pourrait être sanctionné à cause de cette maladie, il irait simplement en hôpital psychiatrique. Ce que tu aurais dû faire.

— Elena, s’il te plait. Je ne t’abandonnerais pas alors n’abandonne pas.

— Kaitlyne m’a dit la même chose, murmurais-je. Fais venir Jeanne, s’il te plait. Elle est la seule à pouvoir prendre une décision.


Il y eut une minute de silence, mais Océane était toujours là. Elle ne partirait pas, quoi que j’en dise. Je ne voulais plus parler de ça avec elle, je devais trouver un autre sujet de conversation.


— Comment va Lizéa ? la questionnais-je en me retournant.

— Sa guérison progresse. Les médecins la gardent sous sédatif pour lui éviter la douleur. Elle dort la plupart du temps.

— Est-ce que… elle m’a réclamé ?

— Je ne lui en laisse jamais le temps. Je lui dis que quand tu viens, elle dort. Mais si Jeanne te l’autorise, tu pourras aller la voir, si tu veux.

— Je ne veux pas lui faire plus de mal.

— Tu ne feras jamais de mal à ta fille, chérie. Je le sais.

— Tu ne devrais pas en être aussi sur. Je ne sais pas ce qui peut arriver.

— Viens t’asseoir.


Elle me tendit la main, j’hésitais, mais la rejoignis finalement. Même si je l’avais repoussé, j’appréciais sa présence. J’avais besoin qu’elle soit à mes côtés.


— J’ai peur, Océ, avouais-je en la regardant dans les yeux. J’ai peur de ce que je pourrais finir par même, sans la vouloir ou sans mon rendre compte. J’ai peur de n’être qu’un poids pour toi ou pour les enfants. J’ai peur de vous faire du mal, de devenir comme ma mère.

— Je ne te laisserais jamais devenir comme elle. Je te le promets, mon amour.

— Et si je deviens vraiment comme elle, un danger pour tout le monde ?

— On trouvera une solution à ce moment-là. Ne t’en fais pas, Elena. Jeanne sera toujours là pour adapter ton traitement au moindre besoin. Je serais toujours là pour t’accompagner. Ben et Elise, non plus, ne t’abandonneront pas.


Jeanne frappa à la porte avant d’entrer. Elle demanda à Océane de nous laisse, mais je préférais l’avoir avec moi. C’était plus rassurant et je voulais qu’elle accepte ce que j’allais entreprendre.


— J’ai retravaillé les formules de ton traitement et réadapté les dosages, commença-t-elle. Mais je ne suis pas vraiment sûr que les dosages te correspondent, il faudra essayer.

— C’est-à-dire ?

— S’ils sont trop fort… tu seras mariée à ton lit, tenta-t-elle avec une pointe d’humour. Et au contraire, si c’est trop faible, tu n’en sentiras pas du tout les effets.

— Donc tu dois trouver le juste milieu entre m’assommer et aucun effet ?

— En quelque sorte. Sur d’autres patients au même stade d’évolution que toi, ça fonctionne très bien. Mais c’est un traitement qui doit toujours être adapté.

— Essayons.

— Je suis encore débutante dans la médecine psychiatrique. Je ne voudrais pas me tromper.

— Tu es psychiatre, Jeanne, la rassura Océane. Tu t’es spécialisé exprès pour être au côté d’Elena. Aie confiance en tes études, en tes connaissances, en toi.

— Et si j’allais à l’hôpital ? proposais-je.


Les deux femmes me regardèrent en même temps, comme si j’avais prononcé un mot interdit. Ce qui, pourtant, semblait être la seule solution pour moi.


— Je n’arrive pas à te suivre, Elena, soupira ma femme.

— Jeanne n’est pas sûre pour le traitement. Un psychiatre plus qualifié pourra valider ou non ses dosages. Et… j’en ai besoin, Océ. Je veux, par moi-même, faire les démarches avant qu’il ne soit trop tard. Je suis la seule patiente psy de Jeanne, là-bas, ils seront expérimentés. Ils sauront quoi faire et quand le faire. Je… je serais à l’abri, je vous saurais à l’abri de toi et les enfants.

— Mais tu es déjà en sécurité ici, mon amour.

— Mais pas toi. Mon père n’a jamais osé interner ma mère. Quand il l’a envisagé, c’était trop tard. Je ne veux pas que tu fasses la même erreur. Je ne veux pas te laisser cette responsabilité sur les épaules. Je fais ce choix, à ta place, tant que je le puis encore.

— L’aile psy de l’hôpital de Glenharm est très bien, compléta Jeanne. J’y ai beaucoup appris. Je contacterais directement mon ancien professeur, il saura prendre soin de toi.

— Merci. Mais viens aussi, tant que le Dr Langstone est là pour le reste. S’il te plait.

— C’est vraiment ce que tu veux ? me questionna ma femme ?

— Oui.

— D’accord. Mais vois les enfants avant de partir. Ça vaut pour Lizéa aussi.

— Merci d’avoir accepté, Océ.


Ma femme me prit dans ses bras et Jeanne quitta discrètement la chambre. Même si nous étions en désaccord sur le protocole médical, au final, elle acceptait les décisions que je prenais concernant ma santé. Je n’avais pas besoin de plus que son soutien.

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