Chapitre 14

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Les jours devinrent des semaines. Même si je n’avais pas de nouvelles de ma mère, même si Juliette n’avait trouvé aucune trace d’elle, j’allais mieux. Avoir faire la démarche d’en savoir plus sur sa disparition m’avais permis de franchir une étape.

Ça faisait déjà un mois que j’étais interné, que j’avais ma routine qui me permettait de rester lucide. Je n’avais pas encore reçu de visite de ma famille, Jeanne ne l’ayant pas encore autorisé à en recevoir, je discutais tout de même avec Caroline quand elle venait voir Sarah. Je luttais toujours contre mes crises psychotiques même si je les gérais un peu mieux. C’était Elle qui venait le plus souvent me voir, même avec les médicaments. J’apprenais simplement à vivre avec elle, à différencier ses propos de la réalité.

Pour la première fois depuis trois ans d’internement, Sarah avait souri à sa petite amie quand elle était arrivée et tenait sa main. Elle ne lui accordait pas de regard, ne lui parlait pas, mais c’était suffisant pour Caroline et son médecin semblait content de ses progrès.


— Je dois vous remercier, Elena. Sarah a fait beaucoup de progrès depuis que vous êtes là.

— Je n’ai pas fait grand-chose.

— C’est comme si vous étiez une présence rassurante pour elle. Je pense que le fait qu’on parle toutes les deux, que vous me parliez de votre femme, de vos enfants, ça l’aide. Ça l’aide à lui faire comprendre qu’elle n’a plus rien à craindre, qu’on peut s’aimer.

— J’espère que sa guérison continuera.

— Et vous, comment ça ?

— Je suis depuis des années hanté par mon passé. Je me suis toujours reconstruite petit à petit. Mais c’est ce passé qui alimente ma maladie. Ce passé auquel je dois faire face une bonne fois pour toutes.

— Au moins, vous en avez conscience.

— Je ne serais pas là de mon plein gré, si ce n’était pas le cas.


Une infirmière s’approcha, ajouta une chaise autour de notre table et sourit en remarquant la main de Caroline dans celle de Sarah.


— Elena, vous avez de la visite. L’acceptez-vous ?

— Bien sûr. Qui est-ce ?


Sans me répondre, elle s’éloigna et ma femme prit sa place. Dans une belle robe violette, un châle blanc sur les épaules et perché sur de hauts talons noirs, elle me rejoignit et entoura mes épaules avec ses bras.


— Tu m’as manquée, bouda-t-elle.

— Tu es magnifique, soufflais-je.

— Votre Majesté, la reconnut Caroline. C’est un honneur.


Je rigolais doucement. Océane était l’Impératrice la plus en avant dans les médias, c’était son choix et ça m’arrangeais. Caroline avait reconnu ma femme avant de me reconnaitre. Océane compris et je la vie sourire. Je basculais la tête en arrière pour l’embrasser. Caroline nous observait la surprise, tandis que le sourire de Sarah s’était agrandi. Elle aussi avait le regard sur nous deux. Océane s’asseye, croisa les jambes et mon cœur s’accéléra.


— Bonjour, Mesdemoiselle. Comment tu va, mon amour ?

— Bien mieux depuis que tu es là, jouais-je.

— Fait gaffe, ta fille détint sur toi. J’ai discuté avec Jeanne avant. Elle semble satisfaite de ta santé.

— Elle t’a dit pour… ma mère ?

— Oui. Emma à même demander à sa mère, comme c’était elle qui était le plus en contact avec elle.

— C’est idiot de vouloir la faire revenir après tout le mal qu’elle a fait. À toi, à moi, et même à ces jeunes filles.

— Ta mère a du mal à beaucoup trop de monde, chérie. Mais elle était malade. Si tu arrives à lui pardonner, qu’elle soit encore vivante ou non, je pourrais faire un effort, si elle est encore vivante.

— Merci.

— Excusez-moi de vous interrompre, mais… Elena, votre femme c’est…, bégaya Caroline.

— Normalement, c’est moi qui suis considéré comme la femme de l’Impératrice, rigola Océane.

— Faut bien changer les rôles de temps en temps, Madame Luisard.

— Vous vous dévergondez, Madame Stinley, joua-t-elle.

— Je suis surprise que vous ne m’ayez pas reconnu avant, repris-je. Mais oui, je suis l’Impératrice Elena De Stinley. Océ, je te présente Caroline. Elle vient rendre visite à sa petite amie, Sarah.

— Je suis ravie de vous rencontrer, Mademoiselle.

— Caro ?


Surprise, on regarda toutes les deux la jeune patiente. La seule fois que je l’avais entendu parler, c’était quand elle m’avait donné son nom. Caroline attrapa ses mains et la regarda dans les yeux, heureuse.


— Je suis là, chaton, je t’écoute.

— Caro, reprit-elle. Je t’aime.


Les larmes s’invitèrent sur les joues de la jeune femme. Je glissais ma main dans celle de ma femme et on sortit, pour les laisser seules. Dans le jardin, je lui expliquais leur histoire.


— Je te trouve plus posée, plus calme, mon armour.

— J’ai le temps, ici. Je n’ai aucune pression.

— Tu avais raison de vouloir venir. Ça t’a fait du bien, on dirait.

— Oui. Jeanne a pu trouver le bon traitement et j’arrive petit à petit à trouver un bon équilibre. Ce n’est pas encore parfait, mais je me sens bien.

— Je suis fière de toi, mon amour. Si tu as besoin, à ton retour, on pourrait t’engager une assistante personnelle. Pour te décharger un peu.

— Mélanie ne te suffit pas ?

— Sinon, je peux dire à Mélanie qu’elle s’occupe uniquement de tes dossiers.

— On en discutera à mon retour. Mais c’est vrai qu’elle était principalement avec toi et que pour rester… stable, je vais devoir moins travailler. Parle-moi de Lizéa, maintenant.

— Elle est rentrée, il y a deux semaines. Je la garde avec moi, sous ma surveillance en permanence. Elle fait des cauchemars la nuit.

— Elle dort avec toi ?

— Oui. Ça la rassure et je dois t’avouer que ça me rassure aussi de l’avoir près de moi.

— Tu as bien fait. Tu ne l’as pas encore remise à l’école ?

— Elle n’est pas prête et j’attends ton retour. Pour ne pas lui faire trop de changement d’un coup.

— Tu pourrais l’emmener avec toi, la prochaine fois ?

— Ça te ferait plaisir ?

— Bien sûr. Elle me manque aussi. Même Ben et Elise, même si je ne pas sur que Jeanne accepterait que je vous reçoive tous en même temps.

— Ben et Elise sont grands. Je t’emmènerais Lizéa en premier.

— Merci.


Revoir Océane et surtout discuter avec elle m’avait fait grand bien. Elle voyait, d’un avis extérieur, les progrès que je faisais, ceux que je ne voyais pas forcément et ça faisait plaisir à entendre. Cela me confortait, j’avais pris la bonne décision, pour moi, mais aussi pour le bien-être de ma famille.


                                                                                ——


Aujourd’hui, Océane allait venir avec Lizéa. Je lisais un livre sur l’une des chaises qui offre une vue sur le parc extérieur, depuis déjà une heure, quand Jeanne m’interrompit.


— Elena, ma mère a reçu une lettre pour toi.

— Ta mère, comment… oh, alors elle est en vie ?

— Il semblerait. J’ai bien fait de lui en parler.

— Merci Jeanne.


Sur l’enveloppe, je reconnus le sceau impérial que ma mère avait toujours utilisé. Celui qu’elle avait apposé sur tout document qu’elle validait. Celui que j’aurais dû utiliser en devant Impératrice, mais que j’avais rejeté, comme tout ce qui appartenait à ma mère. Pourtant, le destinataire, c’est à dire moi, était écrit à la main. Je reconnaissais cette écriture entre mille. Je l’avais tellement étudié ces derniers jours, j’avais lu et relu les deux dernières lettres de ma mère, en boucle. Limitant le tremblement de mes mains, je l’ouvris délicatement et dépliais la lettre. C’était bien l’écriture de ma mère. Cette lettre venait bien d’elle.


« Elena,

J’ai appris que tu me cherchais par Corine. J’ai longtemps hésité à te contacter. Si je suis partie, c’était pour te libérer de moi. Mais il semblerait que tu cherches, par toi-même à me retrouver. Je me demande ce que tu peux bien vouloir à une mère qui t’a fait tant souffrir.

Pour répondre à la première question que tu dois te poser, oui, je suis en vie, loin de Glenharm. Dans un lieu où j’ai pu me faire soigner. Je n’y ai pas vraiment d’amis, mais personne ne me connait. C’est une sorte de petite communauté qui accueille diverses personnes parmi ceux qui y habitent quotidiennement. Ils sont coupés du monde et ne savent donc pas qui je suis réellement.

Pour répondre à ta deuxième question, je vais bien. Je prends un traitement, tous les jours. La femme qui t’écrit est celle qui tu as connue avant que je parte. Même si c’est Corine qui m’a informé que tu me cherchais, je ne sais rien de ce qu’il s’est passé au-delà des murs de la communauté depuis mon arrivée. Oui, ta tante a toujours su où j’étais. C’est même grâce à elle que j’y suis. Mais tu devais t’en douter. Tu ne lui aurais pas parlé de tes recherchés sinon.

Si tu souhaites me rencontrer, ou si tu as besoin que je réponde à tes questions, je serais ravie de te revoir. De voir ce que tu es devenue sans mon emprise, de voir comment tu as réussi à te reconstruire sans moi. Viens me voir à l’adresse au dos, quand tu auras envie. J’y suis depuis dix-neuf ans, je ne compte pas en partir. Sinon, je répondrais à toutes tes lettres, si tu préfères qu’on ne se rencontre pas.

Sache, ma chérie, que je suis sincèrement désolée de toutes les atrocités que j’ai commises, envers l’Empire, comme envers toi et que je suis prête à en assumer toutes les conséquences. Je t’aime, Elena, malgré tout ce que j’ai pu te faire croire. »


Une larme coula silencieusement sur ma joue. Il n’y avait rien de méchant ou de manipulateur dans cette lettre. C’était une proposition, une invitation à la rencontre. Elle m’offrait même une autre solution, si je ne voulais pas la revoir. La mère qui avait écrit cette lettre était prête à accepter tous mes reproches, à accepter de s’excuse pour le mal qu’elle avait fait. Était-ce la vérité ou était-ce encore une manipulation de ma mère, j’allais devoir le découvrir. Je repliais la lettre quand on m’appela. Océane et Lizéa venaient d’arriver. J’essuyais rapidement ma larme et pris ma fille dans mes bras. Ma femme remarqua mon changement d’attitude alors que je lui désignais la lettre d’un signe de tête.


— Tu m’as trop manquée, maman !

— Toi aussi tu m’as manquée, mon lapin. Comment va ton dos ?

— Ça va, je n’ai pas mal.

— Elle boit un peu trop de tisane magique de tata Jeanne, rigola Océane.

— Mais c’est trop bon ! Maman, je t’aime, mais j’aime bien avoir maman que pour moi.

— Tu me mets à la rue ? Ce n’est pas gentil ça.


Ma fille me tira la langue, mais se blottit tous de même dans mes bras. Je la comprenais, les câlins d’Océane étaient incroyables. Et notre lit, le meilleur de tout le palais. Je comprenais qu’elle veuille m’évincer pour garder sa mère rien qu’à elle.


— Elena, qu’est-ce que tu comptes faire ? me questionna ma femme en reposant la lettre.

— Je ne sais pas. Je viens de la recevoir.

— Peu importe la décision que tu prendras, je te soutiendrais.

— Même si je voulais aller la rejoindre ?

— Oui. Ne prends pas en considération ce que les autres, ou moi-même risquons de penser. Prends en compte seulement ce que toi tu veux. Et si tu as besoin de la revoir, pour tout mettre au clair, pour laisser ton passé derrière toi, je t’accompagnerais s’il faut.

— Merci.


Comme il faisait beau, on partit se promener dans le jardin, mais surtout pour discuter à l’abri des oreilles indiscrètes et des oreilles des infirmiers. Lizéa ne me lâcha pas un instant. Elle parlait plus qu’Océane et moi. J’apprécier retrouver la joie de vivre et l’énergie de ma fille. Même si être en hôpital psychiatrique m’avait permis de me recentrer sur moi-même, ma famille me manquait. C’était eux mes piliers et en particulier ma femme.

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