CHAPITRE XIII
De la suspension du président de l'Audience Royale don Lope de Armendáriz, de sa mort, et d'autres événements contemporains des précédents.
La visite du licencié Juan Bautista de Monzón suivait lourdement son chemin, causant des contentieux fort préjudiciables au Nouveau Royaume de Grenade et à ses habitants.
Survint alors le projet de mariage de don Fernando de Monzón, fils dudit visiteur, avec doña Jerónima de Urrego, fille légitime du capitaine Antonio de Olalla, et son héritière universelle depuis la mort, peu avant, de Bartolomé de Olalla, son frère, à qui devait revenir la succession de l'encomienda de Bogotá. Or le licencié Francisco de Anuncibay, auditeur de l'Audience Royale, voulait également cette dame pour femme. Et tout ce beau monde évoluait de concertations en différends.
Le capitaine Olalla, père de la donzelle, d'ordinaire préférait demeurer en ses haciendas, et ne venait jamais en ville en dehors de la période de Pâques. Or un jour sa femme, doña María de Urrego, lui rendit compte de la rude concurrence qu'il y avait entre les deux prétendants; elle-même en avait été informée par les longs récits que lui en avaient faits ses amis qui fréquentaient la place et se maintenaient au fait de ce qu'il s'y racontait. Le capitaine prit donc le parti d'aller chercher sa fille à Santa Fe et de la ramener avec lui jusqu'à ce que se présentât une meilleure occasion, et que les prétendants s'apaisassent. Il vint donc la chercher en ville.
Le niveau du río Bogotá était tellement monté en raison des abondantes pluies qui étaient tombées précédemment que ses eaux débordaient jusqu'à Techo, en bordure de ce qui tient aujourd'hui lieu d'hacienda à Juan de Aranda. La crue était telle que toute la terre comprise entre Santa Fe et Techo était soit totalement inondée, soit marécageuse; il n'y avait donc plus de chemin au sec par lequel passer, et il était malaisé de s'y orienter.
Le capitaine Olalla décida donc qu'il transporterait sa fille dans une grande barque jusqu'à ses haciendas. Le licencié Anuncibay les escorta jusqu'à la sortie de la ville, où il vit l'objet de sa passion embarquer, et s'éloigner à travers les eaux. Il attendit jusqu'à les perdre de vue. Il revint en ville tard, rencontrant lui-même des difficultés pour sortir des marécages.
Un autre jour, à l'Audience Royale, il dénonça la perversité d'un aussi mauvais chemin; et il se proposa lui-même pour y remédier, en dirigeant les travaux d'un terre-plein. L'auditeur Francisco de Anuncibay reçut donc la charge de cette mission, dont il ne se laissa pas distraire jusqu'à ce qu'elle fût achevée; et ledit terre-plein est celui qui est toujours utilisé aujourd'hui pour aller jusqu'à Fontibón; nous pouvons donc en remercier l'amour, car il est zélé et ne souffre point de distraction. Je veux écrire et dire deux choses sur le licencié Anuncibay, qui puisqu'elles ont été actées par chapitres dans les procès-verbaux, il est peu de chose que je les écrive moi-même.
Un jour ledit auditeur poursuivant sa passion amoureuse, le licencié Antonio de Cetina et le licencié Juan Rodríguez de Mora, tous auditeurs de l'Audience Royale, passèrent à cheval par la rue du capitaine Antonio de Olalla. À une fenêtre de la maison se trouvaient doña Francisca de Silva, doña Inès de Silva, sa cousine, et doña Jerónima de Urrego, la fille du capitaine. Le licencié Anuncibay s'adressa au licencié Antonio de Cetina: "Monsieur le Licencié, plairait-il à Votre Grâce de voir la Très Sainte Trinité?". Le Cetina lui dit: "Y a-t-il par ici un quelconque retable". L'Anuncibay répondit: "Que Votre Grâce daigne lever les yeux vers cette fenêtre et vous la verrez". Le Cetina se signa, et le licencié Mora lui dit: "Il me semble bien, Monsieur le Licencié, que vous perdez la raison". Et ils sortirent de cette rue. L'autre chose fut, qu'ayant lu une requête dans la salle d'audience, qui comportait je ne sais quels calembours, il dit: "Tenez, greffier, relisez cette requête, qui semble contenir la litanie du credo "Deum de Deo, lumen de lúmine". On lui a attribué ces deux dires par chapitres; il n'y a donc pas à lui imputer une trop grande faute pour avoir fait arrêter monsieur l'évêque de Popayán aux frais de la provision royale.
Avec les conséquences de la visite du licencié Juan Bautista de Monzón, dont beaucoup étaient déjà en cours de gestation, et dont on ignorait comment se passerait l'accouchement, chacun prenait ses préventions pour ce qu'il pût arriver. Ainsi, bientôt, le licencié Francisco de Anuncibay reçut une cédule pour aller occuper les fonctions d'auditeur à l'Audience de Quito, et le licencié Antonio de Cetina, qui s'était marié en cette ville de Santa Fe avec doña Eulalia, sœur de doña Juana Ponce de León et belle-sœur du maréchal Venegas, en reçut une autre, d'auditeur de l'Audience de Las Charcas.
Quant au licencié Juan Rodríguez de Mora, qui sur ordre de l'archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas était descendu à Carthagène, il reçut une cédule d'auditeur pour la Nouvelle Espagne.
Tous ces messieurs partis, restèrent à l'Audience Royale le président don Lope de Armendáriz, le licencié Pedro Zorrilla, auditeur, et le contrôleur Orozco. Ainsi don Fernando de Monzón, fils du visiteur Monzón, avait le champ libre pour ses prétentions amoureuses, dans lesquelles il persévéra, et il put finalement épouser doña Jerónima de Urrego; ce fut ainsi que commencèrent, selon la rumeur publique, les agacements et tracas du père du jeune marié, le visiteur Monzón; mais une autre forme de menace pesait également sur sa sérénité, tel que nous le verrons plus loin. Du point de vue du visiteur Monzón, sa propre inattention avait permis l'envoi en Castille de nombreux documents qui avaient totalement échappé à son contrôle, et de cette manière les auditeurs avaient pu obtenir de nouveaux postes en de nouvelles places, échappant ainsi à tout risque de sanction lié à sa visite. Pour remédier à cette situation, il se mit en besogne de contrôler méticuleusement tout document émis par l'Audience Royale et adressé à la Couronne. Et ce zèle soudain exaspérait profondément le président don Lope de Armendáriz, qui s'en plaignait bruyamment.
Or, un jour, tandis que le président ruminait ses tracas et rancœurs, car le visiteur lui avait saisi un pli qu'il avait envoyé, Juan Roldán, alguazil de Cour, que le président avait fait appeler pour lui confier une commission, entra dans la salle d'Accord; voyant que le président était d'humeur fort maussade, il opta pour attendre en silence dans un coin de la salle que Sa Seigneurie daignât l'entretenir de la raison pour laquelle il l'avait fait venir. Le président s'exclama alors à voix haute: "Est-il possible que je ne puisse trouver un homme qui fasse échapper un pli des mains de ce traître!?". Le Juan Roldán, depuis le coin, dit: "C'est que vous ne l'avez pas demandé à Juan Roldán". Le président leva alors les yeux, vit le Juan Roldán et lui demanda: "Que cherchez-vous ici?". "Sa Seigneurie m'a fait appeler", répondit-il. "C'est exact", reprit le président, "il m'en souvient à présent. Et j'ai également ouï ce que vous avez dit. Vous risqueriez-vous donc à me porter un pli à Carthagène sans vous le faire confisquer?". Roldán lui assura: "Donnez-le-moi, Votre Seigneurie, et si on me le confisque, vous pourrez confisquer ma tête". "Eh bien par la vie du Roi", lui dit le président, "si vous réussissez je vous attribuerai la première encomienda vacante. Allez donc préparer l'exécution de cette commission; de mon côté m'attend un long travail de rédaction; je vous aviserai".
Juan Roldán prit congé du président et il fit installer des relais sur le chemin de Honda. Au bout de trois jours, le président fit parvenir un message à Roldán, lui ordonnant de se rendre discrètement sous sa fenêtre; là, il lui remit le pli sans que personne ne les vît. Il lui demanda: "Quand partez-vous?". Et avant même que l'alguazil eût commencé à répondre, il reprit: "Attendez-moi un instant, je n'en ai pas pour longtemps". Peu après il revint avec un autre pli, semblable au premier, et le lui remit également. Le Roldán dit alors: "Si Sa Seigneurie veut bien apposer son sceau ici, je partirai demain". Le président apposa son sceau, et l'alguazil partit. Arrivé à Honda, des alguazils vinrent à sa rencontre et lui réclamèrent le pli. "Vous avez l'obligation de nous le remettre", lui dirent-ils. "Mais je ne l'ai pas !", répondit le Roldán. Ils sortirent leurs épées de leurs fourreaux, et le Roldán en fit autant. Mais après un bref début de combat duquel résultèrent quelques légères égratignures, Juan Roldán dit: "Ne me tuez pas, Messieurs, je vous remettrai ce pli". "Bien. Cela devrait mettre un terme à cet affrontement", lui répondit un des alguazils.
Roldán posa alors son épée sur une pierre, détacha sa ceinture laissant ainsi tomber sa culotte, et souleva sa chemise; il sortit un paquet de tissu noué, qu'il portait attaché à son ventre par des cordes. Il le leur lança et leur dit: "Voyez-vous ce pli? Et que le Diable emporte le visiteur et le président, car je n'ai pas à me faire tuer pour eux ni pour leurs intrigues". Les alguazils examinèrent alors le paquet à la lumière, et, à leur grande satisfaction, ils reconnurent sans difficulté le sceau présidentiel, car ce n'était pas la première fois qu'ils saisissaient un pli que le président tentait de faire expédier clandestinement hors de la ville.
Le jour se levait. Les alguazils du visiteur Monzón chargèrent l'aubergiste Juan Pérez Cordero de leur préparer un repas. L'un d'eux appela Juan Roldán qui était demeuré assis sur une pierre: "Allons, frère, joignez-vous à nous et partagez notre repas. Et ne soyez pas si triste; estimez-vous plutôt heureux de ne point avoir à vous approcher davantage de ces maudits galions du Roi, desquels plus on se tient éloigné et plus on se trouve en sécurité, puisqu'au moindre prétexte sont tirés du bord de n'importe lequel d'entre eux des coups de feu, capables de tuer un homme ou de le blesser gravement. Et cessez donc de vous faire du souci, car si la porte du président vous est maintenant fermée, celle du visiteur vous est grand ouverte, et il aura amplement de quoi vous occuper". Le Juan Roldán, l'air profondément affligé, lui répondit: "Monsieur, mon ami, je vous remercie pour cette touchante marque de fraternité, mais je ne puis retourner à Santa Fe, ni revoir le président don Lope de Armendáriz. Mais si vous voulez m'aider, il y a bien quelque chose que vous puissiez faire pour moi: m'emmener à bord d'un de ces canoës qui sont amarrés là jusqu'à Los Remedios, où vous pourrez me laisser avec un peu de maïs, puisque c'est tout ce que ma bourse m'autorise à acheter. Si vous avez la bonté de m'accorder cette faveur, je m'en irai pour ne plus jamais revenir à Santa Fe". "Restaurons-nous donc d'abord, et ainsi nous pourrons parler avec Juan Pérez Cordero, afin de connaître son avis sur cette question", conclut l'alguazil.
Ils entrèrent dans l'auberge où les attendait une table, et s'assirent pour déjeuner. Au cours du repas l'alguazil demanda au Juan Pérez s'il avait quelque biscuit et fromage. Il lui répondit que oui. Le repas terminé, l'alguazil se leva et alla payer au Juan Pérez ce qu'il lui devait, et par la même occasion il lui paya d'avance deux arrobes de biscuit et quatre fromages, qu'il le pria de remettre ultérieurement à Juan Roldán; et il lui demanda également de l'aider à embarquer sur un des canoës qui allaient à Los Remedios. Puis il dit à ses compagnons: "Allons-y!". Et en aparté au Juan Roldán, que le Juan Pérez le préviendrait lorsqu'il faudrait embarquer. Et les alguazils repartirent vers Santa Fe.
Juan Roldán voyant le danger passé, s'embarqua deux heures plus tard pour Carthagène, avec bien plus de vivres que nécessaires, car il en avait déjà prévues à bord du canoë qu'il avait lui-même préalablement affrété à cet effet. Mais laissons-le donc s'en aller, sachant qu'il reviendra, nous permettant de comprendre beaucoup de choses. Et en attendant rejoignons les alguazils porteurs du pli qu'ils ont saisi, et qu'attend le licencié Monzón, visiteur.
Ils arrivèrent un jeudi à midi, tandis que je me trouvais moi-même en la maison du visiteur. Juan de Villardón, qui fut plus tard curé de Susa, et moi-même, qui étions alors étudiants en grammaire, observions une partie de quilles dans le patio; soudain, du couloir, d'où on les avait vu venir, retentit un cri: "Ils arrivent!". Cinq hommes à cheval entrèrent dans le patio. Ils mirent pied à terre et montèrent l'escalier en direction de la salle du visiteur, et nous les suivîmes. Les tables étaient dressées, et le visiteur y était assis à se restaurer. On posa le pli sur la table, devant lui; il le prit, en examina le sceau et dit: "Mangeons d'abord; nous verrons ensuite ce qu'écrit ce nigaud". Il laissa donc le pli de côté pendant qu'il mangeait. Et les alguazils qui le lui avaient apporté célébraient leur aventure avec Juan Roldán, se remémorant savoureusement les estocs et les tailles qu'ils avaient échangés avec lui, avant de parvenir à lui confisquer le pli.
Le visiteur termina son repas et demanda qu'on lui apportât des ciseaux. Il décousit le pli, en sortit la première lettre et l'ouvrit: il trouva une page d'une blancheur immaculée, vierge de toute inscription. Il en fut de même pour la seconde et la troisième. Les alguazils qui étaient autour de la table en attente de félicitations et récompenses, soudain éblouis à la vue d'une telle blancheur, s'éclipsèrent discrètement l'un après l'autre, si bien qu'il ne resta plus bientôt que celui qui se trouvait derrière la chaise du visiteur, qui l'interrogea: "Qui donc transportait ce pli?". Il lui répondit: "C'était Juan Roldán, Monsieur, un alguazil de Cour". Le visiteur poursuivit: "Viens là! Est-ce celui qui me surnomme "le Caton du Fouet?". "Oui, Monsieur, il s'agit bien de lui, répondit l'alguazil". "Par la vie du Roi, reprit le visiteur, sur toute cette terre c'est bien le seul homme capable de me porter un tel coup. Mais ôte donc ces paperasses de là! Où est allé Roldán?". "Il s'est embarqué pour Los Remedios, Monsieur. C'est moi qui lui ai donné du biscuit et des fromages". "Et ainsi tu lui as fourni une embarcation et des vivres. Décidément, tu fais un bien fin intendant!". Le visiteur entra alors dans sa chambre, et l'après-midi même il y rédigea le procès-verbal de suspension du président don Lope de Armendáriz, qui prit effet le lendemain. Ainsi ne restèrent à l'Audience Royale, qui peu de temps auparavant comptait encore six auditeurs et un président, que le licencié Zorrilla, auditeur, et le contrôleur Orozco.
Suspendu de ses fonctions, le docteur don Lope de Armendáriz dut quitter les édifices royaux, où emménagea ensuite l'auditeur Pedro Zorrilla. Le président s'installa dans les maisons qui hébergent aujourd'hui le couvent de Santa Clara; à la première occasion il envoya des plis à doña Juana de Saavedra, son épouse légitime, à doña Inès de Castrejón, sa fille, demoiselle d'une grande beauté et en âge de se marier, et à don Lope de Armendáriz, son fils, enfant né sur ces terres, et qui est aujourd'hui marquis de Cadeireta et vice-roi de Mexico. Par ce moyen il leur exigea de ne point se trouver présents lors de la lutte qu'il allait mener contre le visiteur, et qu'en Castille ils fissent du mieux qu'ils pussent fructifier leurs négoces.
Ces gens partirent donc pour l'Espagne; et une fois arrivés là-bas, doña Inès de Castrejón, la fille du président, contracta un mariage qui n'eut pas l'heur de plaire beaucoup à ses parents. Quand cette nouvelle parvint à son père, elle lui causa une telle peine et une telle rage qu'il en perdit la vie. Il mourut en cette ville de Santa Fe, et est enterré au cloître de San Francisco.
Juan Roldán arriva à Carthagène où il exécuta sa commission; il remit le pli et en prit un reçu, et s'en retourna vers ce Royaume. Mais en chemin il perdit tout espoir de se voir attribuer l'encomienda qui lui avait été promise, lorsque lui parvint la nouvelle de la suspension du président. Il arriva en cette ville de Santa Fe, sans bâton d'alguazil de Cour, et, comme on dit, il rasait les murs, par crainte du visiteur et de ses possibles représailles. Il fréquentait assidûment la paroisse de Nuestra Señora de las Nieves, et pour y aller et en venir, il passait le pont de San Francisco à l'aube, avant le lever du jour, et le soir à la nuit tombée, afin de ne pas être vu depuis la maison du visiteur, qui était une de celles du capitaine Alonso de Olalla, et qui appartiennent aujourd'hui à Francisco de Ospina, à l'entrée dudit pont.
Un jour Juan Roldán relâcha sa vigilance; il arriva en retard pour traverser le pont, et le visiteur l'aperçut dans le miroir de son entrée. Il appela un page et lui demanda: "N'est-ce point celui qui me surnomme le Caton du Fouet?". "C'est lui, Monsieur; c'est Juan Roldán, celui qui était alguazil de Cour". "Va, cours, et dis-lui que je le demande". Le page s'exécuta et le rattrapa un peu au-dessus des maisons d'Iñigo de Alvis, et l'informa que son seigneur le visiteur le demandait. Roldán lui répondit: "Considère bien, fils, que je ne dois pas être celui à qui il veut parler; il s'agit certainement de quelqu'un d'autre". Mais le page lui réitéra qu'il s'agissait bien de lui.
Ils demeuraient plantés là, et le visiteur, à distance, comprit la situation. Il ouvrit le battant de sa porte d'entrée et leur adressa un signe de la main, et Roldán ne put plus trouver d'excuse. Il entra chez le visiteur, qui le reçut fort bien, lui demandant comment il allait et à quoi il s'occupait. Juan Roldán, tranquillisé par la douceur des paroles du visiteur, lui répondit habilement, ne manquant pas d'évoquer au détour de la conversation la précarité de sa situation. Le visiteur, suave, lui offrit son toit et lui assura qu'il l'aiderait à s'accommoder; sur quoi ils prirent congé l'un de l'autre fort satisfaits. Le Juan Roldán en vint à fréquenter très régulièrement la maison du visiteur; et comme il connaissait mieux ces terres et leurs gens que s'il en eût été le concierge, il représentait une abondante source d'informations pour le visiteur, qui l'avait par conséquent dans ses petits papiers.
La suspension du président don Lope de Armendáriz perturba profondément la vie du Royaume, car il gouvernait très chrétiennement et avec un grand souci de justice. Les nombreuses forces dont il tenait les rênes se retrouvèrent brusquement livrées à elles-mêmes. C'est pour cette raison que je ne puis faire l'éloge de l'initiative de sa suspension, qui fut, à dire vrai, passionnée. Mais je ne souhaite pas m'étendre davantage sur ce point.
Ne restèrent à l'Audience Royale, comme je l'ai déjà dit, qu'un auditeur et un contrôleur, qui était le licencié Orozco. Ce dernier était un homme jeune, à l'esprit altier et orgueilleux, qui, en l'absence du président, soumettait à sa volonté celle de l'auditeur Pedro Zorrilla.
Le contrôleur entretenait des amours avec une dame fort belle qu'il y avait en cette ville, femme toujours finement vêtue, mariée et riche. C'est très souvent chez une belle femme qu'on trouve la clé permettant de comprendre une situation compliquée. Beaucoup de grands malheurs ont été causés en ce monde par des femmes belles; et pour illustrer ce propos, il n'y a point nécessité d'aller chercher des exemples très loin: considérons la toute première, qui fut sans nul doute la plus mignonne, puisque pétrie de la main même de Dieu. Dans quel état le monde s'est-il retrouvé de son fait? Adam, son mari, dans sa confession dit à Dieu: "Seigneur, la femme que Tu m'as donnée a causé ma perte".
Après avoir cité le cas d'Ève, quels exemples de femmes à l'origine de catastrophes pourrais-je moi-même mentionner, qui en soient à la hauteur? Mais restez tout de même là, car, toutes proportions gardées, vous ne serez pas déçus. Fray Antonio de Guevara, évêque de Mondoñedo, affirme que la beauté et la folie vont toujours de pair; de mon côté, j'implore Dieu de me préserver des femmes oublieuses de l'honneur et faisant fi du qu'en-dira-t-on; car une fois perdue la honte, on a tout perdu.
Le contrôleur entretenant, comme je l'ai dit, cette liaison avec cette dame, madame la contrôleuse entendit le mauvais latin de son mari, et ils passaient donc de mauvais déjeuners et des dîners pires encore, car la jalousie est un mal furieux; certains affirment même qu'elle a été engendrée en Enfer, d'où les maîtres l'ont laissé échapper, de peur qu'elle ne les embrasât, les brûlât et les consumât. La jalousie est un feu secret que le cœur allume en lui-même, et qui peu à peu se consume jusqu'à en finir avec la vie même. La jalousie est un mal si furieux et si enragé, que nulle poitrine en étant infectée, aussi discrète soit-elle, n'est capable de le dissimuler.
La jalousie de la contrôleuse, donc, atteignit de tels sommets, qu'elle sombra dans le désespoir et l'aveuglement les plus profonds, et accourut en cet état chez le visiteur pour lui dénoncer son mari, coupable de lui causer tant de chagrin. Le visiteur réconforta la dame, et lui promit de veiller à lui procurer un remède pour l'apaiser; ils prirent alors congé l'un de l'autre, la contrôleuse ayant été quelque peu consolée, si toutefois la jalousie admet une quelconque consolation. Plus tard le visiteur alla rendre visite à la maîtresse du contrôleur, de la même manière qu'il avait coutume de le faire de temps en temps. Au cours de la conversation il évoqua le sujet de la plainte de la contrôleuse, et la discussion dégénéra au point que le visiteur en ressortit furieux, et la dame transformée en un serpent venimeux. Ainsi à la première visite que lui fit le contrôleur, elle lui exigea la tête de Monzón, condition sine qua non pour qu'elle l'autorisât de nouveau à franchir le seuil de sa porte. L'Orozco considéra l'immense frustration que représentait pour lui la privation de l'accès à l'objet de sa passion et source de son plaisir, et c'est ainsi que furent engendrées les causes de l'emprisonnement du licencié Monzón, des nombreux troubles qui éclatèrent en cette ville, et de grandes pertes financières et autres dommages, tel que nous le verrons plus loin.
Pris entre les feux de l'ardente jalousie de sa femme et des plaintes et réclamations de sa maîtresse, à qui il avait promis la tête de Monzón sans savoir comment il s'y prendrait, le pauvre contrôleur était exténué par l'anxiété. Mais tant bien que mal il se mit en besogne d'élaborer un stratagème pour piéger le visiteur, dont l'appât pour l'attirer était un soulèvement feint dont il avait eu l'idée; et il mit effectivement ce plan à exécution. Et veuillez considérer l'extrême rigueur de l'exigence de la dame lui ayant adressé semblable requête: elle confirme qu'en effet les femmes belles tendent souvent à la cruauté, d'autant plus lorsqu'elles aspirent à la vengeance. Tamar, sœur d'Absalom, et Florinde, fille de don Julien, également connue comme "la Cava¹", en constituent de bons exemples; l'une causa la mort d'Amnon, fils aîné de David, et l'autre celle de Rodéric, dernier roi des Goths, qui eut pour conséquence la perte de l'Espagne, au cours de laquelle tant de gens perdirent la vie. Ô femmes, vilaines bestioles de la caste des vipères!
1: Cava: variante hispanisée du vocable arabe kahba, "prostituée", "putain".
L'amour a généralement pour protagonistes des aveugles et des traîtres; or ces deux amants se trouvaient dans un tel état d'aveuglement, que le seul projet de l'élimination du visiteur ne leur suffit plus; en effet le contrôleur souhaitait également la mort du mari de sa muse, et la dame celle de la femme de son galant. Vous conviendrez donc aisément avec moi de la pertinence de ces deux qualificatifs. Dans la maison où seule règne la volonté, la raison n'est pas en lieu sûr et ne peut s'établir. Et nous voici à l'origine et au commencement des troubles et pertes financières que connut ce Royaume. Et s'initia également le ballet des allées et venues des visiteurs et des juges, vermine de ce monde et lie du genre humain... Mais le plus sage est que je me taise.
Le contrôleur commença à mettre son plan à exécution en faisant courir le bruit qu'un grand soulèvement était imminent, et qu'à sa tête se trouvait don Diego de Torres, cacique de Turmequé. C'était un métis, homme riche et habile cavalier, qui avait de nombreux amis et à qui obéissaient une grande partie des naturels; de plus c'était un grand ami du visiteur Juan Bautista de Monzón.
Au début le bruit courut qu'à la tête d'un grand nombre d'Indiens d'ici, de Caraïbes des grandes plaines, de mulâtres, de métis et de noirs, il tentait un soulèvement.
Puis la rumeur gagna tellement en importance qu'on en vint même à raconter qu'il s'était ligué avec les Anglais et des corsaires, et qu'une grande armée ennemie était en marche depuis la Guyane vers ce Royaume, et qu'elle commençait à remonter le río Casanare en direction de la ville de Tunja, où les attendaient les insurgés, ses alliés. Ainsi le pays devint sujet à une grande agitation.
Pour faire face à la menace on nomma des capitaines d'infanterie et de cavalerie; on forma des compagnies d'infanterie exclusivement dédiées à la garde du Sceau Royal; et toute l'intendance que ces préventions militaires impliquaient favorisa l'enrichissement de certains et l'appauvrissement d'autres, en raison des importants mouvements d'argent qu'elles avaient causés.
La traque de don Diego de Torres causa un grand désordre; le malheureux, en raison des crimes qu'on lui avait attribués, et dont l'idée même ne lui avait jamais traversé l'esprit, ne trouvait plus de recoin où se tapir. Toute cette intrigue avait évidemment été manigancée par le contrôleur Orozco, dans l'objectif de faire chuter le visiteur Monzón et de tuer le mari de sa maîtresse, et en cela il était aidé par l'auditeur Pedro Zorrilla.
On évoquait ce soulèvement de la manière la plus ronflante. On fit appel au capitaine Diego de Ospina, résident de Marequita, qui était capitaine du Sceau Royal, et dont je narrerai la venue plus avant. La rumeur s'était répandue à travers tout le pays, et dans la ville de Tunja on mettait en œuvre de grands moyens pour comprendre les causes du départ de cet incendie. Des expéditions de reconnaissance avaient été lancées sur les chemins par lesquels il était entendu que pouvait entrer l'ennemi. Dans tout le pays on ne trouva pas le moindre indice d'une quelconque invasion étrangère ou soulèvement, si bien que les hommes bien intentionnés en vinrent à comprendre qu'il y avait là quelque invention malicieuse. Et on décida donc de se tenir à l'affût du moindre indice pouvant permettre d'en identifier l'auteur.
On retrouva une lettre prétendument signée de don Diego de Torres, cacique de Turmequé, dont le destinataire indiqué était le licencié Juan Bautista de Monzón, visiteur de l'Audience Royale, et qui comportait un paragraphe de la teneur suivante: "Concernant ce dont Votre Seigneurie m'a chargé, je vous assure, Monsieur, que vous n'avez nulle inquiétude à avoir: quand vous aurez un besoin imminent de ces gens, je saurai d'un instant à l'autre changer les feuilles des arbres en hommes".
Et cette lettre arriva jusqu'à l'Audience Royale, où le contrôleur Orozco avait fait de l'auditeur Zorrilla son jouet.
Avec le prétexte de cette lettre on émit un mandat d'arrêt à l'encontre du licencié Monzón; et avant même qu'il fût mis à exécution, d'autres mandats avaient été lancés à l'encontre de don Diego de Torres et de certains de ses parents et amis. Ainsi on arrêta le capitaine Juan Prieto Maldonado, de Tunja, grand ami du visiteur, ainsi que d'autres de ses parents et de ceux du don Diego de Torres; non qu'ils eussent été coupables de quoi que ce fût, mais pour donner corps à la rumeur du soulèvement. Cette ville de Santa Fe se retrouva alors dans un état de grande surchauffe, bien que le feu qui la consumait demeurât invisible; en revanche, l'immense terreur que causait le seul mot de "soulèvement" était tout à fait perceptible. La ville, donc, était profondément troublée et divisée; car les gens honnêtes et clairvoyants étaient bien conscients de la tromperie et du complot; et les malhonnêtes, qui formaient la majorité, étaient friands d'agitation et la portaient à bout de bras.
Ce feu avait déjà bien pris, lorsqu'une nuit, le contrôleur tenta d'assassiner le mari de sa maîtresse, qui était capitaine d'un escadron de cavalerie, en cherchant à le piéger au moyen d'une fausse alerte.
De sa garde personnelle il choisit deux bons arquebusiers, jugeant que toute probabilité indiquait que s'ils visaient tous les deux la même cible, et que l'un vînt à la manquer, l'autre, à coup sûr, l'atteindrait. Mais il n'y a de certitude humaine qui ne souffre de contradiction divine, car Dieu est le Défenseur suprême, et Il est justissime dans Ses œuvres.
Arriva le jour de ladite fausse alerte, et vers cinq heures de l'après-midi on reçut une lettre annonçant l'arrivée imminente d'un gros contingent ennemi sur la ville de Santa Fe, qui ne s'en trouvait plus qu'à quelques lieues. Cette lettre arrivée à l'Accord, on décida immédiatement de faire sonner le tocsin. La ville s'en retrouva tellement sens dessus dessous, qu'à la nuit tombée il fendait le cœur de voir les pauvres femmes traînant leurs marmots à travers les rues et les champs pour leur trouver un abri. On plaça des escadrons d'infanterie aux entrées des rues, et la cavalerie accompagnée d'un escadron d'arquebusiers, partit à travers la campagne, par le chemin d'où était censé venir l'ennemi. Mais parmi tous ces gens, le capitaine qui était visé par le complot à l'origine de tous ces troubles demeurait introuvable, car Dieu Notre Seigneur voulut le délivrer de ce danger et lui sauver la vie. Ce capitaine l'était, comme je l'ai dit plus haut, d'un escadron de cavalerie; et son compagnon don Lope de Céspedes était le capitaine en chef de la cavalerie.
Or notre tant haï capitaine, ce jour-là après avoir pris son repas, se coucha pour faire une sieste au cours de laquelle il fut pris d'une si forte fièvre, qu'à son réveil il ne pouvait même plus se tenir debout. Lorsque retentit le tocsin et qu'on l'avisa qu'il devait partir à la tête de son escadron, il envoya un message à son compagnon le capitaine Lope de Céspedes, le suppliant de comprendre à quel point il se trouvait momentanément diminué, et d'autoriser par conséquent que son frère, le capitaine Antonio de Céspedes, le remplaçât dans ses fonctions en cette occasion. Ce fut de cette manière que Dieu le sauva de ces deux bouches de feu, et des mauvaises intentions; béni soit Son saint nom pour l'éternité.
Voyant que l'ennemi n'arrivait toujours pas et qu'il n'y avait aucun signe de sa présence proche, les gens se rassemblèrent; les passionnés étaient inconsolables, et les dépassionnés affirmaient tenir là la preuve que tout n'était qu'invention et supercherie.
Mais on arrêta malgré tout le cacique don Diego de Torres et on l'emprisonna. On instruisit alors une procédure à charge contre lui, qui déboucha sur sa condamnation à mort, sa sentence devant être exécutée à l'issue d'un délai habituel en de telles circonstances, afin de lui laisser le temps de soulager sa conscience. Mais avant le lancement de ladite alerte et l'arrestation du don Diego de Torres, un jour qu'ils sortaient d'une réunion au cabildo, le capitaine général de la cavalerie et l'alcade ordinaire eurent une conversation avec leur compagnon le régisseur Nicolás de Sepúlveda; l'alcade implora ce dernier d'accepter une invitation chez lui ce même jour, car il avait une salle d'armes à lui montrer, et d'importants négoces desquels l'entretenir.
Le régisseur accepta, et ensemble ils allèrent chez l'alcade. Après le repas, ce dernier mena son invité à la salle d'armes, où il avait de nombreux mousquets, de la poudre, du plomb, des lances, des pertuisanes, de forts caparaçons, des cottes de maille, beaucoup d'épées et quelques montantes; en conclusion, il détenait là une profusion d'armes de toute sorte.
L'alcade dit à son compagnon le régisseur: "Que vous inspire cette salle d'armes?". Le régisseur répondit: "Ce qu'elle m'inspire et ce que j'en vois, Monsieur mon compagnon, est que la salle de Votre Grâce renferme le soulèvement du Royaume; c'est là que se trouve le feu qui l'embrase et le consumera si l'on n'y remédie à temps; en effet dans tout le pays, et malgré les recherches entreprises, on n'a pu trouver le moindre armement comparable à celui gardé dans la salle de Votre Grâce. Et si la sincère amitié qui nous lie et d'autres obligations qui nous incombent souffrent le moindre conseil, je vous en donnerai un bon sur la manière de procéder". "Et je le prendrai, Monsieur mon compagnon, répondit l'alcade, comme s'il me fût donné par le père qui m'engendra, puisque c'est en le même respect que je tiens Votre Grâce". Le régisseur poursuivit:
"Bien, Monsieur mon compagnon, je vous conseillerai donc sur ce point de la manière la plus directe, et sans aucun détour: vous devez cacher toutes ces armes au plus vite et du mieux que vous puissiez; demain à la même heure je reviendrai vous voir; Votre Grâce emmènera madame ma commère, dont je fais cadeau à votre maison, ainsi que tout ce qui puisse vous être agréable, et vous partirez sur vos terres: là-bas demeurez en vos haciendas, et ne remettez plus les pieds en cette ville avant d'avoir reçu une lettre de moi vous y invitant".
L'alcade respecta à la lettre la consigne du régisseur, et s'en fut à ses haciendas, emmenant avec lui ce qui occasionnerait ses déconvenues et si nombreux tourments; mais laissons-le donc là pour le moment.
La sentence prononcée contre don Diego de Torres avait profondément agacé le visiteur Monzón, qui ne savait comment tenter d'y remédier sans que ce feu ne le brûlât lui aussi; et je rappelle qu'il ignorait tout ce qui se tramait, et en particulier l'existence de la lettre dont on avait attribué la paternité à don Diego de Torres. Le visiteur, qui se trouvait donc dans la confusion et l'agacement les plus totaux, était plongé dans ses pensées lorsque entra Juan Roldán, qui venait lui aussi d'apprendre la nouvelle de la condamnation. Ainsi il lui demanda: "Plairait-il à Votre Grâce que je fasse sortir don Diego de prison?". Le visiteur l'interrogea: "Et comment vous y prendriez-vous?". Roldán reprit: "Si Votre Seigneurie souhaite que je le fasse sortir, je le ferai sans que rien ni personne ne s'en aperçoive". Le visiteur déclara: "Si vous réussissez ce que vous dites, je saurai vous en témoigner ma plus profonde gratitude, et vous serez grandement récompensé". "Je réussirai, conclut Roldán, et je m'en vais de ce pas donner les ordres correspondants".
Il prit congé du visiteur et s'en fut vers la place. C'était jeudi, jour de marché; il acheta une gamelle de poisson "capitaine", et passa commande de deux empanadas auprès d'une boulangère pour le lendemain vendredi. Dans la rue Royale il acheta deux poignards; il paya ensuite très bien Castillo, le forgeron, pour qu'il les transformât en deux limes sourdes, partageant avec lui le secret et les risques. L'après-midi du même jeudi il rendit visite en prison à don Diego de Torres; il lui fit part de sa profonde solidarité dans de grandes manifestations sentimentales; il en profita pour lui donner les premières instructions relatives à son évasion: la cellule comportait une fenêtre dont le mur était de briques et la grille de fer; le don Diego devrait donc retirer trois rangées de briques, et attendre que le frère du Roldán vînt lui communiquer de nouvelles instructions. Puis ils s'embrassèrent et prirent congé l'un de l'autre.
Le lendemain vendredi, entre dix et onze heures du matin, le père Pedro Roldán, ecclésiastique de son état et frère dudit Juan, accompagné d'un garçon de son service, apporta les deux empanadas à don Diego. Il lui témoigna toute sa bienveillance et sa compassion dans cette difficile épreuve. Lorsqu'ils eurent cette conversation, ils n'étaient pas seuls; de nombreuses personnes venues saluer le cacique se trouvaient présentes; le père lui dit donc: "C'est tout ce que je puis vous apporter à manger pour le moment; de ces deux empanadas vous devriez garder celle-là pour le dîner". Le don Diego le remercia chaleureusement et dit: "J'en ferai ainsi". Il mangea donc celle au poisson devant les témoins présents, et garda l'autre sur sa tête de lit. Ce même vendredi, dans l'après-midi, on lui notifia sa sentence.
L'alcade de la prison confiait en l'efficacité des mesures prises pour prévenir une quelconque évasion de sa part, et ne lui rendait par conséquent que peu visite; en effet la "chaîne de Montaño", qui traversait deux cachots et était fixée par un gros et solide cadenas, entravait les pieds du cacique. La nuit tomba, et la cellule du don Diego ne désemplissait pas; les incessantes allées et venues de la foule de gens venus lui rendre visite exaspéraient l'alcade. Ce fut alors que le don Diego le fit appeler et lui dit: "Monsieur l'alcade, pour l'amour de Dieu, Votre Grâce n'ignore rien de la situation dans laquelle je me trouve et du peu de temps qu'il me reste à vivre; je vous demanderai donc une faveur: ne permettez plus à quiconque d'accéder à ma cellule, car je souhaite être seul afin de pouvoir sereinement recommander mon âme à Dieu".
Cette requête était pour l'alcade du pain béni; il jeta tous les visiteurs dehors, remit à don Diego un cierge et un crucifix, et alla se coucher bien décidé à ne plus ouvrir la porte à personne; ainsi le calme retomba sur la prison, et il advint ce que nous verrons dans le prochain chapitre.
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