CHAPITRE XV

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De la venue du licencié Alonso Pérez de Salazar, du licencié Gaspar de Peralta, du docteur don Francisco Guillén Chaparro, du licencié Juan Prieto de Orellana, second visiteur, et des événements survenus en ces temps-là.

Au tout début de l'année 1582, arriva via l'île d'Hispaniola de Saint Domingue, un pli annonçant la venue prochaine à l'Audience Royale de nouveaux auditeurs, visiteur et contrôleur. Cette nouvelle termina d'éteindre le feu qui menaçait d'embraser la ville, et calma les ardeurs des gens mal intentionnés.

Arrivèrent d'abord à l'Audience Royale le licencié Alonso Pérez de Salazar, auditeur le plus ancien, et le docteur Francisco Guillén Chaparro, qui venait pour occuper le poste de contrôleur; ainsi furent suspendus l'auditeur Pedro Zorrilla et le licencié Orozco, ce qui permit à beaucoup de gens qui fuyaient les autorités judiciaires, qu'ils fussent inculpés de quelque chose ou non, de reparaître en ville.

Le visiteur Juan Prieto de Orellana, qui avait fait la traversée avec eux, ne monta pas si prestement en ce Royaume, ayant quelques négoces à régler à Carthagène, en rapport avec sa visite. Il entra dans cette ville de Santa Fe plus tard, au cours de la même année 1582. La première chose qu'il fit ici, fut de se rendre à l'église principale, où il fit une prière. De là il alla directement aux édifices royaux, à l'intérieur desquels était prisonnier le licencié Monzón; il le remit en liberté et gagna le logement qu'on lui avait préparé.

Il était environ quatre heures de l'après-midi quand Monzón sortit sur la place. Il se dirigea vers l'église principale pour y faire une prière. La foule qui accourut pour le féliciter et l'embrasser était si nombreuse, qu'elle ne lui permettait pas d'avancer d'un seul pas. On entonna l'Ave Maria, et il put enfin aller prier à l'église. Le lendemain on relâcha tous les autres prisonniers en lien avec l'affaire Monzón, dont Juan Roldán, qui sortit en disant: "Vous êtes des guelfes et des gibelins; pourvu que je n'aie plus jamais à traiter avec vous, ni à côté de vous".

Et il tint parole. Mais à présent revenons au licencié Alonso Pérez de Salazar et à son gouvernement; en effet, ledit licencié est de ma dévotion, et je l'ai servi jusqu'en Castille, désireux de remonter à l'origine de mes patronymes.

Tout d'abord je dirai que le visiteur Orellana occupa ce qui restait de l'année 1582, et une partie de l'année 1583 à la visite du licencié Orozco et de l'auditeur Zorrilla; il en résulta qu'il les envoya tous deux prisonniers en Castille, sous caution, où ils comparurent devant la Cour; et il poursuivit la visite, la reprenant là où l'avait laissée le licencié Monzón, qui repartit lui aussi vers l'Espagne, à la poursuite de ses négoces. Arrivé à Carthagène, l'ex-visiteur se fit attribuer une cédule de Sa Majesté, lui conférant le titre d'auditeur de l'Audience Royale de Lima; il prit donc la direction du Pérou, renonçant ainsi à son voyage en Espagne, ce qui convint parfaitement à Zorrilla et à Orozco, qui purent ainsi négocier à la Cour beaucoup plus à leur aise. Je narrerai plus tard ce qui arriva à Monzón à Lima.

Tandis que le visiteur occupait son temps à la visite de Zorrilla et Orozco, le licencié Alonso Pérez de Salazar occupait le sien à punir les voleurs, qui étaient fort nombreux suite aux troubles qui avaient récemment éclaté dans le Royaume, bien qu'aujourd'hui nous n'en manquions point non plus. Il s'employait également à nettoyer le pays des vagabonds et autres gens perdus. Ah s'il était là aujourd'hui, quelle généreuse récolte ne ferait-il pas! Elle serait bien plus abondante que celle que nous avons faite de blé, le temps ayant été particulièrement pervers cette année; et jusqu'à maintenant je n'ai vu personne récolter fainéants et vagabonds. Dieu veuille augmenter le rendement de notre actuel gouverneur et ressusciter le licencié Pérez de Salazar!

Cet auditeur établit les premiers corrégidors dans les villages des Indiens, et ce fut lui qui fit ériger, de fière mémoire, la fontaine qui se trouve aujourd'hui sur la place. Pour ce qui était de rendre justice et de ne laisser nul délit impuni, il fut très ponctuel. Jusqu'au Pérou il alla chercher un homme qui avait commis un grave délit en ce Royaume, et il le pendit sur la place de cette ville de Santa Fe. Il fit aussi décapiter deux hidalgos qui étaient descendus du Pérou, nommés X de Bolaños et Y Sayabedra. Et cette dernière affaire fut comme suit.

Ces deux hommes sortirent un jour de Santa Fe en direction du village de La Palma. Le soir ils firent étape dans une ferme proche du village de Simijaca. Le lendemain ils se levèrent à l'aube, et, en guise de paiement, le Sayabedra emporta une Indienne du service du fermier.

L'ingratitude est un péché luciférien, et le capitaine et les soldats qui la suivent subissent des tourments en Enfer; tout est donc dit. L'ingratitude est un vent qui assèche la fontaine de la compassion, le fleuve de la miséricorde et la source de la grâce.

Le fermier ayant perdu son Indienne partit à sa recherche. Il entendit dire que deux soldats l'avaient emportée. En suivant leur piste il rencontra un alguazil rural, nommé par l'Audience Royale, à qui il fit part de l'affaire. L'alguazil lui assura qu'il la prenait très au sérieux, à tel point qu'il partait immédiatement à la poursuite des ravisseurs de l'Indienne. L'alguazil rattrapa les deux hommes dans les monts du Crama, juste après le pont de Pacho, dans le sens de la montée. Il leur demanda de lui remettre l'Indienne, que le Sayabedra transportait sur la croupe de son cheval; ils refusèrent, et s'ensuivit alors un échange de mots durs. Le Sayabedra sortit son épée et en porta un coup au visage de l'alguazil, lui arrachant toute une joue. Cette violence contraria fortement le Bolaños, qui réprimanda durement son compagnon, l'accablant de reproches, tant quant à son comportement à la ferme qu'avec l'alguazil; le Sayabedra n'y prêta nulle attention et continua son chemin avec la jeune employée de service sur la croupe de son cheval. Le blessé et le Bolaños demeurèrent donc seuls. L'alguazil le supplia de lui recoudre provisoirement la joue, en attendant de trouver qui pût le soigner.

Dans les parages où ils se trouvaient, il n'y avait ni fil ni aiguille, ni aucun remède capable de soulager l'alguazil. Le Bolaños lui offrit un mouchoir de tissu et lui recommanda de le maintenir appuyé sur la blessure, et de marcher jusqu'où on pourrait le soigner. L'alguazil comprit que dans un premier temps il ne pourrait trouver qu'un remède fort précaire; il supplia donc le Bolaños de lui enlever le bout de chair qui pendait de son visage, mais celui-ci s'excusa de ne pouvoir le faire. Mais l'insistance du blessé fut telle, qu'il sortit finalement une dague, lui coupa le morceau qui pendait et le lui donna; puis il poursuivit son chemin, fort troublé par la violence des événements qu'il venait de vivre.

L'alguazil alla trouver le licencié Salazar pour déposer une plainte contre les deux compagnons. L'auditeur fit preuve d'un grand zèle pour les arrêter, qui s'avéra être payant: on les lui amena prisonniers, et on les incarcéra dans les geôles royales de cette ville de Santa Fe. Puis on instruisit la cause et ils furent condamnés à mourir décapités. Cette sentence fut prononcée au cours de l'année 1584, alors que le licencié Gaspar de Peralta était déjà en poste à notre Audience Royale en tant qu'auditeur, après avoir occupé les fonctions de contrôleur à celle de Quito, et qu'un procès relatif à la mort de Francisco Ontanera obligea plus tard à entreprendre un voyage vers la Castille; ce fut au cours de ce voyage, tandis qu'il se trouvait en la ville de Carthagène, qu'il obtint une cédule royale d'auditeur de ce Nouveau Royaume.

Plus avant je dirai quelques mots sur ce point précis, dont on s'enquit ici à travers des récits; j'ai en effet lu un poème en vers sur cette affaire, et par un domestique de l'auditeur, j'en ai appris davantage.

On remua ciel et terre pour sauver la vie des deux compagnons. Celui qui se démena le plus pour leur éviter la mort fut monsieur l'archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas, qui réussit à obtenir le pardon des parties civiles, et alla jusqu'à verser au Roi un paiement de cinq mille pesos de bon or et de deux de ses esclaves personnels, pour qu'ils se missent au service de Sa Majesté et le servissent là où il le leur commanderait. Mais rien de tout cela ne fut suffisant, car le licencié Salazar parvenait toujours à faire échouer toute tentative d'obtenir leur grâce, et il fit finalement exécuter la sentence. On décapita d'abord le Sayabedra, puis on sonna les cloches de l'église principale. Le Bolaños, qui se tenait devant l'échafaud, dit alors: "Mon ami Sayabedra est maintenant mort. Pour l'amour de Dieu laissez-moi faire une prière pour son âme". On lui accorda donc ce bref délai, et il subit ensuite le même sort. Puisse Dieu Notre Seigneur les avoir pardonnés.

J'ai déjà dit que tous ces cas que j'ai cités, et ceux que je citerai, le sont à titre d'exemples. Le fait d'écrire sur la vie des autres n'est point chose nouvelle, car toutes les histoires que j'ai lues regorgent d'anecdotes sur des personnes étrangères à leurs auteurs. Toutes les affaires que j'ai mentionnées et que je mentionnerai sont vérifiables dans des procès-verbaux, auxquels je renvoie le lecteur incrédule.

Cette même année 1584 mourut cette beauté qui avait été à l'origine des troubles qui avaient précédemment éclaté dans le Royaume, et de l'emprisonnement du licencié Monzón. Il se raconta que son propre mari l'aida à quitter ce monde de la manière suivante: tandis qu'on lui pratiquait une saignée pour un mal bénin, il dit: "Ne lui faites pas perdre davantage de sang". Et il interrompit le saignement en posant son pouce à l'endroit où on lui avait entaillé les veines. On raconta postérieurement que son pouce était enduit d'un poison qui la tua. Dieu seul connaît la vérité, et ces gens sont tous à présent dans l'au-delà. Puisse Notre Seigneur leur avoir pardonné leurs péchés.

J'ai déjà spécifié qu'en la ville de Carthagène, le licencié Juan Bautista de Monzón avait obtenu une cédule de premier auditeur de l'Audience Royale de la Ville des Rois; il s'y rendit donc, renonçant par la même occasion à son voyage en Castille. Et cette absence permit au licencié Pedro Zorrilla et au contrôleur Orozco de négocier à la Cour en position avantageuse, et d'obtenir ce qu'ils voulaient; on leur attribua donc de nouveaux postes en de nouvelles places.

Peu de jours après l'arrivée de Monzón à son nouveau poste, moururent d'abord le président de l'Audience Royale de Lima, suivi du Vice-roi. Monzón fut alors rapidement promu gouverneur de tout le Pérou. Il jouit de ce statut pendant plus de deux ans.

Enfin Sa Majesté nomma de nouveaux président et vice-roi. Ce dernier amena de nouvelles cédules, par lesquelles il prétendait réaliser d'importantes réformes législatives au Pérou. Monzón, arguant de sa bonne connaissance des gens du Pérou, s'opposa vivement à ces réformes, les qualifiant d'inapplicables et de fantaisistes dans le contexte péruvien. Cette opposition fit perdre son poste à Monzón. Le Vice-roi était déterminé à appliquer lesdites réformes, de force si nécessaire, et au cours d'une réunion extrêmement tendue à l'Accord, l'opposition entre les deux hommes dégénéra en conflit ouvert.

Le licencié Monzón retourna alors chez lui, et, conscient que de ce qu'il s'était passé à l'Accord il ne pourrait rien gagner sinon des ennuis, il rassembla ses économies et empaqueta ses vêtements et effets personnels afin d'être paré à toute éventualité. Au milieu de la nuit la garde du Vice-roi se présenta chez lui avec tout le matériel nécessaire à une personne partant pour un long voyage, et ils lui dirent de s'embarquer sur le champ. Il demanda un délai pour préparer des provisions et autres effets de voyage. Ils lui répondirent que ce n'était pas nécessaire, car tout avait déjà été prévu et chargé à bord du navire, et l'ordre avait été donné, si quelque chose venait à manquer, de le lui fournir. Voyant que l'ordre n'était pas discutable et que le sort était désormais jeté, il fit charger les coffres qu'il avait préparés et s'embarqua.

Toutes ces péripéties se surent en notre ville, et aussi que le Conseil Royal estima qu'il était un très bon juge, et lui restitua donc son poste. Mais il était déjà trop vieux et trop fatigué pour repartir aux Indes. Il supplia donc Sa Majesté de ne pas l'y renvoyer, en considération de son âge, mais de lui trouver plutôt un poste en Castille où il pût servir son roi et seigneur. Il se raconta qu'il obtint une affectation honorable, mais qu'il ne put en jouir, car il mourut très peu de temps après.

La bonne gouvernance du licencié Alonso Pérez de Salazar avait apaisé le pays; le licencié excellait dans l'art de la connaissance des naturels, si bien qu'avec facilité il découvrait leurs malices et punissait leurs délits. Il ne perdait pas de temps à écrire; oralement il menait ses investigations, trouvait des coupables et leur appliquait des châtiments. On pouvait ainsi voir des kyrielles d'Indiens défilant dans les rues, enchaînés les uns aux autres et recevant des coups de fouet; aux cous de certains pendaient des poules, à ceux d'autres des épis de maïs, des cartes à jouer, des sucreries et autres babioles; enfin, chacun était exposé avec les insignes de son délit.

Ce juge fit édifier, comme je l'ai déjà dit, la fontaine qui se trouve aujourd'hui sur la place, arrachant par la même occasion l'arbre de justice qui se trouvait à cet endroit. Il leva également l'interdiction faite aux encomenderos d'imposer aux Indiens une pénalité sur leurs retards, ce qui ne servait qu'à excuser leurs turpitudes. Il nomma aussi les premiers corrégidors, les chargeant de fournir avec grand soin les services nécessaires tant aux agriculteurs qu'à ceux qui n'avaient pas d'encomienda. Pour ces derniers il veilla particulièrement à ce que les Indiens les servissent en leur payant l'impôt en temps voulu. Ainsi le pays était fort bien approvisionné, et les rentes ecclésiastiques augmentaient. C'est de mesures de cette trempe que manque aujourd'hui le pays; actuellement le service est de piètre qualité et nos terres sont infestées de vagabonds, ce qui explique la pénurie que nous subissons.

L'auditeur Pérez de Salazar rendait justice de la même manière à tout le monde sans exception; ainsi la campagne, les chemins et les villes étaient débarrassés des voleurs, et le bien de tout un chacun demeurait en sécurité. Mais Dieu voulut, ou Il le permit, que cette situation avantageuse ne durât que peu de temps, tel que je le dirai plus avant.

Le licencié Gaspar de Peralta, comme il a déjà été dit, arriva à notre Audience Royale en l'an 1584, ayant été antérieurement contrôleur de celle de Quito. Or il advint que sa femme, déconsidérant l'honorable mari qu'elle avait et grisée par sa propre beauté, s'enticha d'un jeune gentilhomme riche et galant, résident de ladite ville, et nommé Francisco de Ontanera.

Il est fort périlleux d'avoir une femme belle, et fort frustrant d'en avoir une laide; mais bienheureuses les laides, puisque je n'ai jamais lu que de leur fait aient été perdus Royaumes ou Cités, ni que soient advenues de quelconques disgrâces; et elles n'ont jamais troublé mon sommeil ni ne m'ont fatigué en me faisant écrire leurs histoires; et ce n'est pas qu'il existerait des casseroles ne pouvant trouver de couvercle adapté.

Ce jeune galant, Ontanera, étant un homme toujours bien vêtu et avec les poches bien remplies, avait tissé des liens amicaux avec certains messieurs de l'Audience Royale de Quito; il entretenait avec eux des rapports familiers, qui tournaient autour de négoces, de banquets et de fêtes.

Il advint donc que, certains de ces messieurs, dont le contrôleur, se retirèrent à la campagne pour y passer quelques jours, trois ou quatre, de fête et d'amusement. Et l'Ontanera les rejoignit pour profiter de la fête. Or il est habituel que les jeunes gens, lorsqu'ils se retrouvent entre amis, traitent de choses de la jeunesse; et chacun donc de conter aux autres des aventures qu'il avait vécues.

Veuille le lecteur avoir l'obligeance et la courtoisie de patienter un peu ici, jusqu'à ce que je reprenne le fil de cette histoire.

Plus forte est la cause, plus grande est la crainte. Le taureau est un animal féroce, le serpent est effrayant, le lion est farouche et le rhinocéros monstrueux; mais tous sont assujettis à l'homme qui les vainc et les exploite. Mais la crainte la plus fondée l'est du mal le plus terrible, le plus invincible et effrayant de tous: la langue du murmureur médisant, qui lance des flèches aussi pointues que tranchantes, et cause des brûlures plus graves que la braise même. Et l'homme se retrouve démuni et sans défense face à ses calomnies, qui surpassent toute force humaine. Il n'y a donc point d'autre remède contre le murmure que la patience, en attendant qu'il s'essouffle ou s'endorme. La langue cause de nombreux préjudices et a ôté de nombreuses vies. La vie et la mort sont entre les mains de la langue, comme dit le sage, bien qu'en premier lieu tout dépende de la volonté de Dieu, sans laquelle il n'y aurait ni vie ni mort. Je pourrais citer de nombreux exemples, à titre de preuves de ce que j'avance, mais nous nous contenterons d'un seul: celui de ce jeune homme amalécite qui apporta à David la nouvelle de la mort de Saül, et qui perdit la vie à cause de sa propre langue.

Il en alla de même pour ce jeune galant d'Ontanera dont je vous parle. En réponse aux propos d'un autre, il dit: "Cela n'est rien. Il y a à peine deux nuits j'étais en compagnie d'une très belle dame, et au meilleur moment, nous rompîmes un balustre du lit".

Le contrôleur Peralta, qui à cette époque était jeune lui aussi, se trouvait également présent lors de cette conversation; non point qu'il soupçonnât quoi que ce fût, ni qu'il goûtât particulièrement les amusements, ou devrais-je dire les bêtises propres à la jeunesse, mais il était tout simplement là à ce moment donné. Une fois la fête terminée chacun rentra chez soi. Le contrôleur se réjouit de retrouver sa femme, que pour sa grande beauté il aimait à un degré extrême.

Oh beauté! Legs friable et brève tyrannie! D'aucuns la surnommèrent également le "Royaume solitaire", et j'ignore pourquoi. Tout ce que je puis dire, c'est qu'à aucun prix je n'en veux dans ma maison, car tous la convoitent et désirent en jouir; et j'admets que ce repentir est bien tardif, puisqu'il survient à soixante-dix ans passés.

Au bout de trois jours, donc, la femme dit à son mari le contrôleur: "Monsieur, pourriez-vous faire venir un menuisier afin qu'il arrange un balustre du lit, qui s'est rompu?". À ces mots le Peralta se souvint immédiatement de ceux qu'avait prononcés l'Ontanera lors de la fête. Son sang se glaça dans ses veines, son cœur s'emplit de chagrin, son âme s'embrasa de jalousie, et tout son être demeura hors de lui-même. Cependant, afin que ne fût point perçu l'état dans lequel il se trouvait, il eut tout de même la présence d'esprit de donner le change: il se leva et ordonna à un de ses domestiques d'aller trouver un menuisier. Puis il entra dans la chambre et vit le balustre brisé; et bien que la douleur altérât ses sens et sa raison, au prix d'un immense effort il se résolut à patienter jusqu'à ce que le temps lui amenât l'opportunité d'apaiser ses passions.

À partir de cet instant il fut extrêmement vigilant et précautionneux dans sa maison, et en dehors il entreprit de pister personnellement chacun des pas de l'Ontanera, afin d'approcher au mieux la vérité. De jour il épiait son rival depuis de discrets postes d'observation, et de nuit sous divers déguisements. Et l'amour étant aveugle, il attirait irrésistiblement l'un à l'autre les deux pauvres amants, endormant leur prudence et gâtant leur rapport à la raison. Ainsi ils permirent au contrôleur de trouver dans les églises, ou encore à travers des fenêtres, chez d'autres dames à qui ils rendaient visite, tant de traces et d'indices du préjudice dont il était victime, qu'il obtint la franche confirmation du feu qui consumait secrètement son foyer; il décida donc de planifier la vengeance de son honneur. Il demanda alors à l'Audience Royale une commission, qu'il obtint, l'autorisant à aller accomplir lui-même une diligence pour le compte de la Couronne. Il prévit alors tout le nécessaire à l'exécution de son dessein, et toute entrée ou sortie de sa maison était surveillée. Il ne partagea son secret qu'avec un de ses esclaves, ainsi qu'avec un Indien pijao qu'il avait à son service.

Le jour du départ il se montra très affecté par la séparation d'avec sa femme; et elle, de son côté, le consolait, le suppliant que son retour fût le plus prompt possible. Et il quitta enfin la ville entouré d'une nombreuse compagnie, annonçant que dans telle hacienda, qui était à cinq lieues de la ville, il devrait passer la nuit.

Ceux qui l'accompagnaient prirent congé du contrôleur, et lui, avec ses deux domestiques, poursuivit son trajet à pas lents. Lorsque la nuit tomba, ils revinrent en ville à la vitesse de l'éclair. Là, par l'espion qu'il avait laissé, il sut que le galant était dans sa maison. Il y entra en en escaladant un mur, et gagna directement son bureau, où il prit un cierge qu'il avait laissé là à cet effet et qu'il alluma; puis il se saisit d'un montant, posta le nègre devant la fenêtre qui donnait sur la rue et ordonna au Pijao d'abattre les portes de la salle et de la chambre, tout en veillant scrupuleusement à ce que les courants d'air provoqués n'éteignissent pas le cierge.

Quand l'Indien eut enfoncé les portes de la salle et de la chambre, le Peralta y entra et y trouva sa femme, seule. Il semblait n'y avoir personne d'autre dans la pièce. Mais derrière les rideaux du lit apparaissait comme un renflement, dans lequel le contrôleur donna un coup de montant. Et effectivement c'était là que se trouvait son objectif, puisque son rival, blessé, se réfugia derrière le lit, où il saisit son épée et commença à se défendre. Tandis qu'ils luttaient, la femme sauta du lit, descendit l'escalier jusqu'au patio, et le Pijao, avec le cierge toujours allumé dans la main, la suivit et vit où elle se cacha. Le contrôleur en un bref laps de temps tua son rival et partit à la recherche de sa femme adultère. Le Pijao lui dit où elle s'était cachée; c'était dans une cavité semblable à celle dans laquelle se réfugia un des deux comtes de Carrion fuyant le lion. Elle en sortit pour tenter de s'échapper, et son mari la tua à côté du cadavre de son amant, les laissant unis dans la mort. Puis il alla immédiatement rapporter à la Justice ces faits sanglants, et on ouvrit une information judiciaire. Le défunt avait de nombreux parents influents à Quito, et cette affaire généra des troubles dans cette ville. Le Peralta descendit alors à Carthagène, où il obtint sa cédule d'auditeur de notre Audience.

L'amour est un feu dissimulé, une agréable plaie, un savoureux venin, une douce amertume, une délicieuse douleur, un joyeux tourment, une goûteuse et farouche blessure et une lamentable mort. L'amour, guidé par un sensuel et gauche appétit, guide l'homme vers une misérable fin, tel que nous le vîmes avec ces deux amants. Le jour où la femme oublie la honte et s'adonne au vice de la luxure, c'est là que mutent ses esprit et condition, de telle sorte qu'elle en vient à tenir pour ennemis ses très bons amis, et les étrangers et inconnus pour très loyaux, leur accordant une majeure confiance.

Le visiteur Juan Prieto de Orellana avait fait avancer la visite à marche forcée et avait recouvré de très hauts salaires. En même temps qu'il libéra de prison le visiteur Monzón, il en relâcha tous les autres prisonniers, et en enferma beaucoup d'autres, à qui il soutira de grandes sommes d'argent, comme, tel que précédemment mentionné, au capitaine Diego de Ospina, qui lui versa plus de sept mille pesos de bon or pour avoir été capitaine du Sceau Royal et avoir amené depuis Marequita ces gens si intimidants.

Le visiteur amena avec lui de Castille un de ses gendres, nommé Cristóbal Chirinos. Ils vivaient tous ensemble, et le jeune homme faisait souvent office de bon tiers aux inculpés.

En ces temps-là, était venu du Pérou un soldat, nommé Melchor Vásquez Campuzano, qui se lia d'amitié avec le Chirinos. Et par son intercession le visiteur lui donna une commission pour Pamplona et d'autres lieux de la même juridiction. Le Campuzano alla à sa commission, et quand il revint à Santa Fe pour rendre compte, il fut suivi de près par des plaintes relatives à des questions de salaires, motif pour lequel le visiteur le mit aux arrêts. Mais un dimanche il s'échappa de la prison, et fila au cloître de San Agustín, flanqué d'un nègre qui lui avait amené épée et mousquet. Il conta aux frères sa situation, et ils le cachèrent sous le faîte du toit de tuiles de l'église. Et il semble que fut témoin de cette opération un garçon qui passait par là.

Quand le visiteur l'apprit, il envoya des alcades ordinaires à l'église pour l'en sortir et le remettre en prison. Cette affaire releva donc de la justice ordinaire, qui fouilla tout le cloître sans le trouver. Le garçon qui avait vu se cacher le Campuzano, demanda à d'autres garçons: "Que cherchent-ils?". Ils lui répondirent: "Un homme qui s'est évadé de prison". Et le garçon de rétorquer: "Cet homme est là; les pères l'ont caché".

Le bruit arriva rapidement aux oreilles de la Justice, qui ordonna sa capture. Et tandis qu'ils retiraient les tuiles du toit, le Campuzano leur lança: "Le premier dont je vois la face, je devrai lui mettre deux balles dans le corps!". Sur quoi ceux qui retiraient les tuiles se retirèrent.

Le bruit s'était répandu dans toute la ville, et vint Porras, portier de l'Audience Royale, par laquelle il avait été envoyé. Il commença à parler avec le Campuzano, lui prodiguant des conseils argumentés et appuyés de nombreux exemples, et il lui recommanda de se rendre. Le Campuzano lui répondit avec un grand flegme: "Père Saint Paul, où prêcherez-vous demain?". Et le Porras ne lui adressa plus un mot.

Ce fut alors qu'entra en scène le premier alguazil de Cour Juan Díaz de Martos, mandaté par le visiteur pour ramener en prison le Campuzano, quels que fussent les moyens employés. Le premier alguazil commença à lui faire les injonctions pour qu'il descendît de là et regagnât la prison, auxquelles le Campuzano répondit qu'il "ne pensait pas faire une telle chose". Le nègre qui l'accompagnait tint alors à voix haute les propos suivants, que tous ouïrent: "Ne te rends pas, maître, car quand il fera nuit je te sortirai d'ici et te mettrai en lieu sûr!". Et le premier alguazil ordonna: "Posez là les échelles, je monterai le premier". Ils les disposèrent près de l'autel majeur, car c'était par là que se trouvait le Campuzano, qui dit au premier alguazil: "Montez donc, baril d'anchois! Je jure devant Dieu que je vous mets deux balles dans le corps qui vous feront dégringoler ces échelles que vous posez!" Et il y eut de nombreux autres ridicules échanges verbaux.

Puis entra dans l'église Cristóbal Chirinos, gendre du visiteur, et il dit: "Monsieur Melchor Vásquez Campuzano, que Votre Grâce daigne descendre de là et venir avec moi". Le Campuzano répondit: "Si Votre Grâce me donne sa parole de m'emmener sous sa protection, je descendrai". Le Chirinos lui assura: "Bien que je vaille et que je puisse peu, je recevrai Votre Grâce sous ma protection. Descendez donc de là, Votre Grâce; qu'on mette les échelles!". Il descendit donc et s'en fut avec le Cristóbal Chirinos, qui le ramena directement en prison; on le revit trois jours après lors de fêtes taurines, en fort galante compagnie, déambulant sur la place. Et huit jours après arriva la réquisition de l'Audience Royale de Lima, avec laquelle on l'arrêta, et sous l'étroite surveillance de quatre gardes on le renvoya vers cette ville.

Le Campuzano avait un frère dans la Ville des Rois, au Pérou, un homme honorable et bien accommodé. Cet homme eut un heurt avec un autre homme riche, nommé Francisco Palomino, duquel il sortit offensé. Melchor Vásquez Campunazo descendit du Cuzco, où il vivait depuis de longues années, pour voir son frère, qui lui conta l'incident avec le Palomino, et comment il lui avait porté la main au visage. Le Campuzano rechercha alors la satisfaction fraternelle. Il dit à son frère qu'il voulait aller chez Palomino, et lui demanda de lui en indiquer la maison. Son frère lui dit que quand il voudrait il la lui montrerait.

Le Campuzano prépara ce dont il aurait besoin, et ils y allèrent tous les deux. Le frère demeura dans la rue, et le Campuzano, qui n'y était pas connu, entra dans la maison et y trouva le Palomino en compagnie de quatre ou cinq soldats attablés, en train de manger. Il prétendit apporter des lettres du Cuzco. Le Palomino se leva pour les lui recevoir, avec réserve. Le Campuzano lui tendit un faux pli, et, au moment de le lui remettre en main, il le laissa tomber au sol; il commença à se baisser pour le ramasser, mais le Palomino le devança, et se baissa le premier; ce fut alors que le Campuzano sortit un bâton qu'il dissimulait, et lui en donna quatre ou cinq coups qui le laissèrent étendu à ses pieds. Les soldats se levèrent alors brusquement de la table, empoignèrent leurs épées, et se ruèrent sur le Campuzano, qui lutta vaillamment jusqu'à les mettre en fuite. Mais pendant la lutte il avait perdu son nez, bien qu'à ce moment-là il ne s'en fût point encore rendu compte. Il ressortit donc dans la rue, où l'attendait son frère, qui n'avait absolument rien entendu de la lutte. Il l'interrogea donc: "Que vous est-il arrivé, frère, pour que vous veniez sans nez?". "Sans nez !?", répondit le Campuzano, qui sous l'effet de la colère ne s'était pas encore aperçu de sa blessure. "Je dois donc aller le rechercher, par Dieu!" Et il entra à nouveau dans la maison à la recherche de son nez, qu'il retrouva, mais déjà froid. Il se fit une incision dans le bras et l'y plaça pour que le sang le réchauffât, mais en vain. Il ne lui restait plus qu'à en utiliser un en terre cuite, d'aspect fort naturel. Ce fut la raison pour laquelle il vint en ce Royaume, et on le ramena prisonnier à Lima.

Le Campuzano n'était pas inquiet à l'idée de se retrouver dans la prison de Lima; ce qu'il craignait était que ses ennemis le tuassent pendant le voyage pour y arriver. Il écrivit donc secrètement à son frère, qui envoya des gens avec ordre de tuer ses gardes et de le libérer. Le Campuzano avait indiqué à son frère plusieurs endroits où cette opération fût possible. Il passa par tous sans y voir personne ni aucune solution pour sa libération, ce qui lui fit perdre espoir. Puis, tandis qu'ils descendaient le long d'un abrupt torrent de montagne, apparurent deux hommes masqués. Le Campuzano les reconnut et leur dit: "Messieurs, il est trop tard, il fallait intervenir avant. Ne prenez aucun risque, contentez-vous de m'escorter jusqu'à la prison. C'est ce qu'il convient à présent de faire, car je ne souhaite être la cause de la perte de personne." Et ils poursuivirent le voyage, suivis par les hommes masqués qui servaient d'arrière-garde, sans incident jusqu'à la prison de Lima. Il en sortit peu de temps après, avec pour seule sanction le bannissement du Pérou, puisque l'argent peut tout acheter. Il revint alors en notre ville de Santa Fe, avant de gagner le gouvernorat de Venezuela, où il se maria honorablement et avec une bonne dot; il mourut là-bas. Par les gardes qui le transférèrent à Lima, qui étaient résidents de Santa Fe, se sut tout ce qui est ici référé.

Le licencié Gaspar de Peralta, auditeur, était un homme résolu et à l'esprit fougueux; il était fort susceptible, et avait toujours le Pérou vissé au corps. Il commença à y avoir entre lui et le visiteur Orellana des remarques et des réponses, qui n'étaient pas du meilleur ton, pour ne pas dire pire.

Pour le visiteur cette situation avait les mêmes relents de début de révolte que du temps de Monzón. Il prit donc les devants et dressa chez lui un procès-verbal de suspension contre le Peralta. Il attendit que ce dernier se trouvât à l'Accord, et à dos de mule il alla vers les édifices royaux. Sous la fenêtre de l'Accord il prononça l'avis de suspension de l'auditeur Peralta. Le licencié Alonso Pérez de Salazar, qui ignorait encore tout de cette opposition, ouvrit le volet de la fenêtre de l'Accord, vit le visiteur, et comprit la situation. Il lui dit donc: "Que voulez-vous Qu'est-ce qui vous amène? Par la vie du Roi, si je vous mets la main dessus je vous ferai payer votre audace!". "Eh bien, par la vie du Roi, vous me la ferez payer", répondit le visiteur en acquiesçant.

Et immédiatement, sans partir de sous la fenêtre, il envoya le secrétaire Pedro del Mármol notifier le procès-verbal de sa suspension à l'auditeur Salazar, et déclara traître au Roi quiconque demeurerait dans les édifices royaux, et apporterait aide et soutien aux auditeurs. La plupart des gens qui se trouvaient dans les édifices en sortirent, et le visiteur les fit cerner par ses hommes. Ceux qui étaient demeurés à l'intérieur, voyant qu'ils étaient en train d'être encerclés, fuirent en sautant par-dessus les murs. L'un d'eux était le capitaine Cigarra, ami proche de Salazar, que prirent en chasse quelques passionnés dans la rue. Tandis qu'il était sur le point d'entrer dans le cloître de San Agustín, ils l'atteignirent d'un coup d'épée à la tête. D'autres coururent plus vite et se réfugièrent dans l'église. Ce fut un jour très agité pour notre ville. Ce prélat de grande valeur, qui proposait Dieu comme remède et solution à tous ces troubles, sortit donc accompagné du trésorier don Miguel de Espejo et d'autres prébendiers. Finalement, la présence de monsieur l'archevêque apaisa les choses. Plutôt que d'emprisonner les auditeurs on les assigna à résidence. Il ne resta donc plus aucun juge à l'Audience Royale, puisque le docteur Francisco Guillén Chaparro, qui était déjà auditeur, s'était absenté pour un déplacement dans la ville de Trinidad de los Muzos et le village de La Palma. Et le licencié Bernardino de Albornoz, qui avait été nommé contrôleur, n'était pas encore arrivé. Ainsi, au bout de trois jours, le docteur Chaparro fit son retour à l'Audience Royale. Diego Hidalgo de Montemayor, qui cette année-là était alcade ordinaire, lui remit, sous cape, des appels.

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