CHAPITRE XVI

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Des événements survenus sous la gouvernance du docteur Francisco Guillén Chaparro. De comment un Indien mit le feu à la Caisse Royale pour en voler l'or. De ce qui arriva en Castille à Salazar et Peralta, ainsi qu'au visiteur Orellana. De la venue du docteur Antonio González, du Conseil Royal des Indes, en tant que président de ce Royaume. De l'attaque du corsaire anglais Francis Drake sur la ville espagnole de Cadix. De la mort de monsieur l'archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas, et de ceux qui lui furent nommés en remplacement et qui ne vinrent pas.

Peu de temps après que le docteur Francisco Guillén Chaparro se fut retrouvé à la tête du gouvernement du Royaume, à la fin de ladite année 1584, arriva à l'Audience Royale le licencié Bernardino de Albornoz, pour y occuper les fonctions de contrôleur. À la même période un ecclésiastique, le père Reales, se rendit à la Caisse Royale pour y faire évaluer et fondre un morceau d'or qu'il avait ramené du gouvernorat de Popayán. Il était accompagné d'un Indien qu'il avait à son service, et qu'il avait amené du Pérou; il avait coutume de le traiter fort bien, et l'Indien allait habituellement vêtu de soie, portant épée et dague. Cet Indien d'ordinaire portait toujours un bonnet blanc, noué sous le menton, et qui lui recouvrait les oreilles.

Tandis qu'on purifiait l'or, l'Indien était assis sur le rebord de la fenêtre de la Caisse, dont le mur était de brique. Il effectua de discrets repérages et revint la nuit suivante. Il creusa un grand trou dans le mur, juste sous la fenêtre, par lequel il put entrer. Il trouva le coffre et un trousseau de clés. Mais comprenant qu'il serait trop long de les essayer une à une, il ressortit pour aller chercher du feu, revint et incendia le coffre dans sa partie haute, où étaient gardés tous les papiers. S'il eût eu la présence d'esprit de faire prendre le feu plutôt au niveau du compartiment à or, il eût réalisé un grand vol de lingots, qui attendaient d'être expédiés en Castille.

Par le trou creusé par le feu il glissa la main, et parvint à ramasser quelques petits morceaux d'or, de ceux qui avaient été récemment purifiés; il emporta également ceux qui étaient demeurés dans la bassine, sur la table, ainsi que la bassine elle-même et la nappe de tissu. Puis il partit en laissant se consumer quelques papiers, et le feu se propagea à toute la Caisse.

Quand le jour se leva il y avait de la fumée dans toute la ville. Les gens accoururent en s'écriant: "Les édifices royaux sont en feu!".

On ouvrit alors les portes et on vit que la fumée provenait de la Caisse Royale. Les officiers royaux accoururent et éteignirent le feu; de nombreux documents, papiers et écritures, furent perdus, car c'était d'eux qu'était parti l'incendie.

Après avoir constaté les dégâts, l'auditeur et le contrôleur firent arrêter vagabonds et autres gens suspects, et surveiller les chemins et tous les points d'entrée et de sortie de la ville. On prit encore beaucoup d'autres mesures, mais sans résultat aucun, bien que les prisons résultassent pleines de gens.

Le comptable Jerónimo de Tuesta, le trésorier Gabriel de Limpias et le courtier Rodrigo Pardo, dans leurs maisons recherchaient activement un éventuel coupable parmi ceux de leurs esclaves qu'ils avaient coutume d'envoyer à la Caisse pour y marquer l'or; Hernando Arias Torero, qui avait la charge de la fonte, et l'essayeur Gaspar Núñez en firent de même, et nul ne trouva rien de suspect. L'affaire se refroidissait et on relâcha peu à peu des prisonniers.

Au bout de quelques jours, l'Indien qui avait commis le vol alla jouer avec un garçon du service d'Hernando Arias, qui lui gagna six petits morceaux d'or, les plus petits. Le garçon se leva du jeu pour aller dépenser ses gains dans l'échoppe de Martínez, le commerçant, en lui achetant une chemisette patacuzma du Pérou, qu'il convoitait depuis de longs jours sans pouvoir se l'offrir. L'Indien voleur lui donna alors un autre petit morceau d'or, différent, et lui dit: "Achète quelque chose à manger avec ça; puis nous continuerons à jouer, puisqu'il me reste de l'or". Ils se séparèrent donc, mais le voleur le suivit à distance et se posta à l'angle du couvent de Santo Domingo pour l'observer. Le garçon se nommait Juan Viejo. Il dit au Martínez: "Je viens, Monsieur, pour acheter la patacuzma; et j'ai de l'or". Le Martínez lui répondit: "Montre-moi donc, Juan, que je voie combien tu as". Le garçon lui tendit alors deux morceaux d'or. Le Martínez les observa et comprit qu'ils provenaient du Quinto Réal, car ils n'avaient d'autre marque que le titre. Il dit au garçon: "As-tu davantage de cet or? Donne-le-moi, je te donnerai la chemisette, et le reste, je te le changerai pour de l'or courant, car tu ne sais pas ce que cela vaut". Le garçon lui remit alors les quatre autres morceaux qu'il lui restait. Le Martínez lui donna la chemisette et lui dit: "Attends-moi ici et surveille l'échoppe pendant que je vais chercher de l'or courant pour te rendre ton dû".

Puis il alla trouver Hernando Arias, maître du Juan Viejo; il lui montra l'or et lui conta comment le garçon le lui avait offert en paiement. L'Hernando Arias se fâcha à l'idée que quelqu'un de sa propre maison fût à l'origine du vol de la Caisse Royale. Mais il se calma, et pour en savoir davantage il accompagna le Martínez jusqu'à sa boutique, où ils trouvèrent le garçon qui leur expliqua comment l'or était arrivé en sa possession.

L'Indien voleur, qui depuis son poste d'observation avait vu le Juan Viejo en grande conversation avec son maître, qu'il reconnut, se douta de ce qu'il se passait. Il sortit de la ville et se cacha parmi les buissons et hautes herbes qu'il y avait en ces temps-là en contrebas de l'église de Nuestra Señora de las Nieves. L'Hernando Arias, accompagné du garçon et du Martínez, alla trouver à son domicile le docteur Chaparro, qui exerçait alors les fonctions de président de l'Audience Royale, et il l'informa de l'affaire.

L'auditeur envoya alors des gens à pied et à cheval à la recherche de l'Indien, que tous connaissaient de vue, du fait qu'il avait l'habitude d'aller, comme je l'ai déjà dit, vêtu de soie. Ils tentèrent de retrouver sa trace grâce à des témoignages de gens qui disaient l'avoir vu passer, et s'éloignèrent dans la campagne à sa recherche. Or il était déjà tard quand ils avaient initié les recherches, et bientôt ils furent surpris par la nuit et une grosse averse; ils revinrent donc en ville bredouilles.

Quelques jours plus tard, un nègre de Francisco Ortega, qu'on appelait Xarife, alla ramasser des herbes pour le fourrage des chevaux de son maître en contrebas de Nuestra Señora de las Nieves, où il tomba nez à nez avec le voleur. Il cria: "Au voleur! Au voleur!". Puis il s'élança à sa poursuite, le rattrapa, le maîtrisa, l'attacha solidement et le chargea sur la croupe de son cheval avec les ballots de fourrage, et il le ramena en ville. On le mena donc en prison où on enregistra sa déclaration; il confessa platement le vol de la Caisse Royale. Pendant son interrogatoire on lui enleva le bonnet qu'il avait toujours sur la tête, et on s'aperçut qu'il avait les deux oreilles coupées; par conséquent on décida de le soumettre au tourment pour le reste de l'interrogatoire. Il avoua des vols qui étaient demeurés fameux, et qu'il avait commis au Pérou et dans le gouvernorat de Popayán, dont un, miraculeux, réalisé dans la sainte église cathédrale de ladite ville. En effet, bien qu'il eût été vu sur les lieux du délit le matin même des faits, on ne sut jamais qui en avait été l'auteur jusqu'à cet interrogatoire. Il procéda donc de la manière suivante.

Le sacristain Clavijo avait pour habitude de fermer, quand il en était l'heure, la porte principale de l'église de Popayán, avant de monter au clocher pour y jouer l'Ave Maria. Puis il fermait sa sacristie, et sortait de l'église par une porte secondaire, équipée d'un volet, pour aller dîner chez son frère Diego Clavijo, où il demeurait jusqu'à neuf ou dix heures du soir.

Le voleur avait bien repéré ses habitudes. Il entra dans l'église comme pour y aller faire une prière; il attendit que le sacristain montât au clocher, et se cacha sous la pierre tombale d'une sépulture qu'il y avait dans l'église. Le Clavijo accomplit sa routine de fermeture et sortit dîner; le voleur sortit de la tombe et alla droit à l'autel majeur, où il retira à l'image de Notre Dame sa couronne et un pendentif orné de perles qui était accroché à son cou; il décrocha la lampe de la Vierge, qui était grande, et éteignit celle du Saint-Esprit; puis il attendit le retour du sacristain. Quand ce dernier entra dans l'église et vit la lampe éteinte, il prit un bout de chandelle et sortit chercher du feu dans des boutiques des environs, laissant le volet ouvert.

Le voleur en profita pour sortir avec son butin, et se dirigea vers son domicile, qui était à trois rues de l'église, dans les maisons de María de Ávila, encomendera de Síquima et Tocarema, où son ecclésiastique de maître était doctrinaire. Mais le voleur trouva la porte de sa maison fermée; il gagna alors la berge du río San Francisco, où il lava la lampe; il marcha jusqu'au pont, puis jusqu'à la rue Royale, avant de repasser devant l'église; il retourna chez lui et ne put toujours pas entrer dans la maison. Il repassa par le fleuve, le pont, la rue Royale, et les oiseaux commencèrent à chanter, annonçant l'imminence de l'aube. Il arriva alors à la porte de l'église par laquelle il était sorti et y jeta la lampe, la couronne et le pendentif, et il retourna chez lui, où il trouva enfin la porte ouverte, et il entra.

Le sacristain Clavijo revint de la boutique avec du feu, ralluma la lampe et alla se coucher. De très bon matin il se leva pour préparer l'autel majeur, et tandis qu'il s'y affairait, il leva la tête et vit qu'il manquait à l'image de la Vierge sa couronne et son pendentif; il nota également l'absence de la grande lampe. Il se précipita alors pour ouvrir la porte; il était si troublé qu'il ne remarqua la lampe que lorsqu'il trébucha dessus. Il héla quelques personnes matinales qui passaient par là pour leur montrer ce qu'il s'était passé. Mais comme tous les objets avaient été retrouvés, on ne mena aucune investigation sur l'incident. On ne sut donc rien de qui en avait été à l'origine jusqu'à ce fameux interrogatoire. Une fois la cause instruite, on condamna l'Indien à mourir brûlé, et on exécuta publiquement la sentence sur la place.

J'ai tenu à relater tout cela pour que soit bien entendu qu'il n'y a point de vilenie que ne tentent les Indiens, qui vont jusqu'à tuer les hommes pour les voler. Dans le village de Pasca ils en tuèrent un pour piller son hacienda, et ensuite ils mirent le feu au bohío¹ où il avait l'habitude de dormir, pour laisser croire qu'il avait péri brûlé. Des procès-verbaux ont été dressés sur cette affaire, qui n'a pu être résolue. Et on compte de nombreux autres cas dans lesquels ces gens se sont rendus coupables d'homicides. Je le dis pour que vous vous méfiiez d'eux.

1: bohío: hutte indienne.

Le visiteur Juan Prieto de Orellana abrégea sa visite, rassembla une grande somme d'or, et avec les deux auditeurs prisonniers, le secrétaire de l'Audience Royale Francisco Velásquez, et d'autres prisonniers, nous sortîmes de cette ville de Santa Fe pour gagner les Royaumes d'Espagne en mai 1585. Le licencié Salazar et le secrétaire Francisco Velásquez se tinrent compagnie pendant le voyage, tandis que Peralta, voyant Salazar si pauvre, faisait bande à part. La femme de Salazar était morte à Santa Fe. Les frais d'obsèques et les condamnations du visiteur l'avaient appauvri à tel point qu'il n'avait même pas de quoi subvenir à ses besoins les plus élémentaires pendant le voyage, ni à ceux de ses enfants, ni aux nôtres, qui le servions. Et si le secrétaire Velásquez n'eût point prévu d'aussi abondantes provisions, nous eûmes dû passer de fort difficiles moments. Nous avions tellement de vivres qu'il nous en restait encore beaucoup quand nous arrivâmes en Castille. Le secrétaire les donna donc à un sien parent, un certain Juan Camacho, qui s'apprêtait à effectuer le même voyage en sens inverse, vers les Indes, et il le chargea également de réaliser pour son compte diverses commissions au Nouveau Royaume de Grenade. Plus tard le Juan Camacho prétendit qu'il avait importé du biscuit, des fromages et des jambons à Santa Fe, alors que ces denrées étaient parties de cette même ville en même temps que nous, avaient descendu le grand río de la Magdalena jusqu'à Carthagène, traversé la mer jusqu'en Castille, pour finalement revenir à leur point de départ.

Les problèmes et tensions qu'il y eut avec le visiteur furent fort importants. En effet ce dernier jubilait d'affliger et de tourmenter ses prisonniers. À Carthagène, au moment d'embarquer, il tenta de les faire monter à bord de la capitane sur laquelle il devait lui-même faire la traversée, ce qui les affecta profondément. Ils en appelèrent donc au gouverneur pour qu'il intercédât en leur faveur. Il leur répondit qu'il n'en avait pas le pouvoir, mais qu'il parlerait avec l'amiral pour voir quel ordre celui-ci donnerait. Il leur dit donc de prendre la mer, et que là, il donnerait des ordres précis.

Vint le jour du départ. L'auditeur, son secrétaire et tous les gens de son service, nous montâmes dans un batel, qui se dirigea vers les navires; ce fut alors que nous rattrapa une chaloupe, à bord de laquelle venaient l'alguazil du visiteur et le secrétaire Mármol. Ils demandèrent si sur le batel se trouvaient le licencié Salazar et le secrétaire Velásquez. On leur répondit que oui. L'alguazil dit donc: "Dirigez-vous vers la capitane". À cet instant nous avions déjà vu que de la capitane était partie une autre chaloupe, arborant son pavillon, et qu'elle se dirigeait également vers nous. Lorsqu'elle nous eut rejoints, on nous demanda: "Le licencié Salazar et le secrétaire Velásquez sont-ils sur ce batel?". On leur répondit que oui et ils poursuivirent: "Quel vaisseau a été affrété pour vous?". "L'Almiranta Vieja", leur répondit-on. L'alguazil de la capitane reprit: "Dirigez-vous donc vers l'Almiranta Vieja. Suivez-nous, nous allons vous y guider". Cette discussion, d'une chaloupe à l'autre, se poursuivit un moment, jusqu'à ce que le scribe du vaisseau amiral dît au secrétaire Mármol: "Assez perdu de temps! Si le visiteur commande sur terre, ici c'est l'amiral général. Ces gens me suivront donc jusqu'à l'Almiranta Vieja". Il en fut ainsi et on ne rencontra plus de problème avec Prieto de Orellana, bien que lui en connût d'autres plus tard, à la Cour, et de très grands, car il fut prouvé qu'il avait quitté ce Royaume avec plus de 150 000 pesos irrégulièrement acquis; on le mit donc en prison, où il mourut pauvre et dévoré par les poux; c'est du moins ce qu'on en a dit.

Ses proches en vinrent à mendier pour pouvoir l'enterrer. Ils abordèrent à cet effet un groupe de personnes parmi lesquelles se trouvait le secrétaire Francisco Velásquez, qui demanda qui était le défunt; on lui répondit que c'était le licencié Juan Prieto de Orellana, visiteur du Nouveau Royaume de Grenade, qui était mort en prison. Le secrétaire leur répondit: "Vous n'avez plus besoin de mendier, car j'assumerai moi-même les frais de ses obsèques". Et en effet il lui offrit un enterrement très digne. Et cette charité fut amplement récompensée par Sa Majesté Philippe II, qui ordonna qu'on commît le docteur Antonio González, du Conseil Royal des Indes, qui était sur le point de rejoindre le gouvernement du Nouveau Royaume de Grenade, pour reprendre la charge de tous les négoces qu'y avait laissés le secrétaire Velásquez. Et il en fut ainsi.

On examina et discuta des procès-verbaux dressés par et sur les auditeurs Salazar et Peralta au Conseil Royal. Ne manqua point qui pondérât fortement la mort de Bolaños et Sayabedra, et qui insistât sur la responsabilité de Peralta dans la mort d'Ontanera, et autres oppositions. Le Conseil Royal déclara avoir rendu justice en établissant qu'ils étaient tous deux de bons juges, et en leur réattribuant leurs postes.

Le licencié Gaspar de Peralta regagna le sien du temps du docteur Antonio González; et le licencié Salazar s'excusa auprès de Sa Majesté et demeura en Espagne.

Il advint donc que, pour pallier à la pauvreté dans laquelle il se trouvait, il revêtit la robe de juriste pour exercer auprès du Conseil. Le président le remarqua et lui demanda: "Ne seriez-vous point le licencié Alonso Pérez de Salazar?". "Oui, Monsieur, c'est moi-même", répondit-il. Le président poursuivit: "Ne gouvernâtes-vous point le Nouveau Royaume de Grenade en tant qu'auditeur le plus ancien?". Il répondit que oui et le président l'interrogea à nouveau: "Eh bien qu'avez-vous fait de l'habit que vous a donné Sa Majesté?". Il répondit qu'il n'avait pas de quoi l'entretenir, et le président répliqua: "Sa Majesté ne vous a-t-elle point attribué de rente?". Il répondit que si, mais qu'il l'avait entièrement dépensée dans les obsèques de sa femme et les amendes que l'avait condamné à payer le visiteur Orellana. Le président lui dit alors: "Rentrez chez vous et prenez l'habit que vous a donné Sa Majesté; et soyez certain qu'ici votre situation sera attentivement prise en considération".

Salazar rentra donc chez lui et ne retourna plus au Conseil. Quelques jours plus tard il advint qu'il y eut un contentieux entre Sa Majesté et une duchesse étrangère, au sujet de l'appartenance de certains villages et terres à tel ou tel État. Ce contentieux était en attente d'être soumis à l'arbitrage d'un juge, qui n'avait pas encore été désigné. La duchesse envoya un mémoire à Sa Majesté, pour demander où en était la procédure. On lui répondit qu'elle avait été enregistrée mais pas encore instruite. Le Roi dit alors: "N'y a-t-il point un juge qui en soit chargé?". Ce fut alors que le président du Conseil des Indes se souvint du licencié Alonso Pérez de Salazar et dit au Roi: "Pas encore, mais le licencié Alonso Pérez de Salazar, qui gouverna le Nouveau Royaume de Grenade, est justement disponible. Que Votre Majesté ordonne, et il sera commis". Et le Roi de répondre: "Commettez-le!".

Ainsi Salazar examina avec soin les procès-verbaux et rendit sa sentence en faveur de la duchesse. Il envoya plus tard son rapport au secrétariat dont dépendait l'affaire, et le soir même il partit pour Valcarnero, d'où il était naturel.

La duchesse, ayant appris sa victoire judiciaire, envoya un nouveau mémoire à Sa Majesté. Le Roi demanda à être informé du résultat. On lui dit qu'il était favorable à la partie adverse. Et le Roi dit: "C'est certainement justice". Il n'ajouta pas un mot de plus, et on n'entendit plus jamais parler de ce contentieux.

J'ai tenu à raconter tout cela pour mettre en lumière la grande qualité professionnelle de ce juge, ainsi que par reconnaissance personnelle envers lui. En effet, le licencié Salazar eut à mon égard d'excellentes intentions, qui ne purent se concrétiser car en différa la volonté de Dieu, Qui connaît mieux toute chose que quiconque.

Six mois plus tard mourut le contrôleur du Conseil des Indes. On consulta Sa Majesté pour en nommer un nouveau, et lui fut remis le dossier d'attribution du poste. Le Roi prit la plume, et sous les noms de ceux qui avaient été nominés, il écrivit, "Le licencié Alonso Pérez de Salazar, contrôleur du Conseil des Indes". On entreprit alors avec diligence des recherches pour le trouver, qui furent infructueuses; nul n'avait la moindre idée d'où il était. Au terme d'une autre réunion du Conseil, ses membres écrivirent au Roi: "Le licencié Alonso Pérez de Salazar est introuvable". Le Roi reprit la plume et leur répondit: "Vous trouverez le licencié Alonso Pérez de Salazar, contrôleur du Conseil des Indes, à Valcarnero". Le Roi savait donc où il était, car à Philippe II, par une grâce particulière, on ne cachait rien.

On le conduisit donc à son poste, et, peu de temps après, il fut promu auditeur du Conseil Royal; et au bout d'environ six mois, il mourut, me laissant orphelin, fils d'un auditeur mort; avec ça j'ai tout dit. Me retrouvant pauvre en terre étrangère, je dus retourner aux Indes.

Le docteur Francisco Guillén Chaparro, gouverna assisté du seul contrôleur Albornoz pendant près de cinq ans, maintenant paix et justice sur le Royaume, sans que quiconque ne se plaignît de lui.

Sous sa gouvernance, en la ville de Tocaima, don García de Vargas tua sa femme, sans que, n'ayant commis aucune faute, elle le méritât. Dans cette ville il y avait un métis, sourd et muet de naissance, fils du maître d'armes Francisco Sanz. Ce muet avait pour habitude d'enfourcher une tige de roseau, qui lui servait de cheval, sur laquelle il parcourait, lorsque lui en prenait l'envie, la route reliant la ville de Santa Fe à celle de Tocaima, distantes entre elles de quatorze lieues; il partait donc au lever du jour pour arriver à la tombée de la nuit. Un jour donc, il initia son habituel trajet, bien qu'il eût mieux valu qu'il s'en abstînt.

On avait amené dans la grande maison de Juan Díaz un peu de bétail, afin d'y choisir un veau à tuer; la créature était farouche et ne se laissa pas faire, offrant ainsi aux convives un moment d'amusement. Le muet assista à cette fête. La demeure de don García à Tocaima était également très grande, et il y vivait avec sa femme et sa belle-mère. Lorsqu'on tua le veau, le don García se trouvait sur la place de ladite ville. En chemin vers chez lui il croisa le muet, qui allait en sens inverse. Par signes il lui demanda d'où il venait; le muet lui répondit, par signes également, en plaçant ses deux mains sur sa tête à la manière de cornes. Le don García revint donc chez lui transporté par la jalousie, et comme possédé par le Diable; il trouva sa femme dans les escaliers de la maison, et il la transperça d'estocades. La mère de la dame se précipita pour défendre sa fille, et il la blessa grièvement.

La Justice accourut, arrêta le don García et instruisit la procédure. On ne trouva rien qui pût être reproché à la femme, ni même nul autre indice de sa supposée infidélité, hormis les signes que, selon don García, avait faits le muet. Tout le monde s'accorda donc pour considérer ce crime comme atroce et répugnant. Cependant, une nuit, ses amis exfiltrèrent don García de prison et l'emmenèrent dans la montagne où ils lui donnèrent armes et chevaux, et ils lui conseillèrent de fuir. Puis ils rentrèrent chez eux.

Et le don García, faisant fi des conseils qu'on lui avait donnés, retourna en ville; à l'aube on le retrouva assis devant la porte de la prison. On peut voir là une permission divine pour qu'il expiât son péché. On l'enferma donc à nouveau dans la prison de Tocaima, avant de le transférer aux geôles royales de Santa Fe, d'où il tenta à nouveau de s'échapper, feignant d'être fou. Mais cela ne servit à rien, car finalement il fut décapité, payant ainsi pour son crime. J'ai mentionné ce cas à titre d'exemple à ne pas suivre, et pour que les hommes réfléchissent bien à leurs actes en de semblables circonstances.

Quand le Roi, notre seigneur, fut informé des troubles qui avaient affecté ce Royaume, et de combien lui avaient nui les visites de Monzón et de Prieto de Orellana, il envoya pour remédier à ces maux un de ses propres conseillers, le docteur Antonio González, du Conseil Royal des Indes. Le docteur arriva donc ici disposant de larges pouvoirs, et équipé de cédules en blanc, pour tout futur décret qu'il lui semblât bon de prendre. Il était parti d'Espagne au début de l'année 1589, après le tour que le duc de Médina joua à l'Angleterre, qui ne rapporta aucun gain, mais qui s'avéra au contraire être la cause de grandes pertes, tel que nous le verrons bientôt dans la chronique qui en traite. Et ayant été moi-même témoin de certains de ces événements, qui eurent lieu du temps où je me trouvais en Castille, je demande au lecteur la permission d'en dire un peu sur ce que j'y vis, sachant que je m'efforcerai d'être bref.

Le docteur Francisco Guillén Chaparro et le contrôleur Hernando de Albornoz, son assistant, gouvernèrent ce Royaume, comme je l'ai déjà dit, pendant plus de quatre ans, y faisant régner la paix et la justice, car ces deux hommes étaient très charitables, et animés d'un grand zèle chrétien. Le seul échec leur étant imputable est d'avoir envoyé, en pure perte, des renforts à Carthagène, tandis que le corsaire Francis Drake harcelait nos côtes; finalement le corsaire prit et pilla ladite ville, et il en fit de même avec celle de Saint-Domingue en l'île d'Hispaniola, comme il est notoire.

Ces faits eurent lieu aux Indes, d'où, en 1587, il partit pour l'Espagne, où il tenta également de piller la ville de Cadix. Le corsaire pénétra dans la baie de Cadix avec sa seule capitane, sa flotte n'ayant pu le suivre en raison de la grande agitation du temps, et de la forte tempête qui se déchaînait alors sur cette côte espagnole. Et on pouvait ainsi l'observer tournant en rond et virant constamment de bord, et tous étaient admiratifs de l'équipage et de son capitaine, qui parvenaient à maintenir leur vaisseau à flot, quand tout indiquait qu'ils allaient sombrer ou passer par-dessus bord. Cette intrusion eut lieu de nuit, et il est certain que, si sa flotte fût arrivée de jour, le corsaire eût mis à sac la ville de Cadix.

Quand survint l'attaque corsaire, les galères espagnoles étaient en plein carénage à El Puerto de Santa María, et leur commandant se trouvait à Cadix. Don Pedro de Acuña, qui fut plus tard gouverneur de Carthagène, était alors chef d'escadre dans l'Armada de Sa Majesté; une fois la Patrona carénée et appareillée, il traversa la baie à son bord jusqu'à Cadix, pour y prendre les ordres de son commandant. Ce dernier était justement en train de déambuler, en compagnie du corrégidor de la ville, sur un muret du front de mer; lorsqu'il aperçut sa capitane, il lui fit signe de la main avec un mouchoir, et le don Pedro de Acuña le rejoignit. Il lui demanda s'il avait reconnu ce vaisseau qui mouillait là, isolé des autres; il lui répondit que non. Le commandant lui ordonna d'aller le reconnaître, car il lui semblait qu'il était étranger. Don Pedro partit immédiatement exécuter cet ordre.

L'Anglais, qui avait compris le but de la manœuvre effectuée par la galère espagnole, leva prestement l'ancre et l'accueillit avec un tir d'artillerie, qui lui arracha un banc avec trois forçats. La galère lui répondit par deux salves latérales. L'Anglais largua les voiles de sa capitane, et la dirigea vers le pont Zuazo, porte d'entrée maritime de la ville de Cadix, et de toute l'Espagne. Les deux capitanes commencèrent à s'affronter en se bombardant mutuellement. L'espagnole, dont les ailes étaient meilleures, manœuvra prestement pour se placer sous le pont Zuazo, où elle demeura les deux jours et deux nuits que durèrent le combat et les bombardements entre les deux navires.

Du côté anglais on vit l'Armada ennemie sur le point d'être détruite, mais on ne put accoster à cause du mauvais temps; en effet si l'Armada, qui avait été totalement prise au dépourvu, n'était pas en mesure de se défendre, la baie rugissait à donner la chair de poule même à ceux qui étaient sur la terre ferme. Mais ces conditions ne gênaient pas le combat entre les deux capitanes, car le feu de la rage qui en animait chacun des équipages, brûlait d'une intensité encore supérieure. Chez les uns, les Anglais, cette combativité était alimentée par le désir de briser ce pont, pour priver la ville de la possibilité de recevoir des renforts terrestres, et pouvoir ainsi la mettre à sac; et du côté espagnol, don Pedro de Acuña était prêt à tout pour défendre la ville, et la protéger d'un tel dommage.

Les gens de la ville, ayant formé un fort escadron, tentaient tant bien que mal de défendre le pont, mais ils ne pouvaient y accéder, car l'Anglais, avec son artillerie, les empêchaient de s'en approcher. Par voie de terre, on avait envoyé des relais aux garnisons les plus proches pour demander des renforts. Les premiers arrivèrent de Sanlúcar et El Puerto de Santa María; et le lendemain la cavalerie et l'infanterie de Jerez.

Pendant ces événements je me trouvais à Séville. Le jeudi précédant l'arrivée du messager venu demander des renforts pour Cadix, on avait enterré le Corse; cet enterrement fut extrêmement marquant en raison de la considérable foule qui y assista. Les nombreux pauvres qu'il avait jadis visités étaient venus témoigner du grand deuil que sa mort représentait pour eux, et lui offraient des cierges et autres présents pour l'accompagner dans la tombe. Les gens des villages voisins avaient accouru, les bras chargés de ces présents, et toute cette immense procession valait la peine d'être vue. On transporta le Corse jusqu'au couvent de San Francisco, où on l'inhuma dans une des chapelles du cloître, la sienne propre n'ayant pas encore été achevée.

Le lendemain vendredi, peu après midi, arriva le courrier demandant des renforts pour Cadix. La nouvelle, bruyamment annoncée par un avis à la population, mit la ville en ébullition. Les représentants de l'autorité à Séville et leurs assistants, les juges, alcades et tous les autres, s'activaient intensément, sans relâche ni de jour ni de nuit.

Le lundi suivant, étaient regroupés dans la campagne de Tablada cinq mille fantassins, avec leurs capitaines et officiers, et plus de mille hommes à cheval, dont don Juan Vizentelo, fils du Corse, et le comte de Geluel, son beau-frère, portant le deuil jusqu'aux sabots de leurs chevaux. Ils étaient accompagnés de beaucoup de leurs gens, similairement accoutrés; ainsi ensemble, ils formaient un escadron particulièrement visible entre tous. Ce jour-là la plaine de Tablada valait vraiment la peine d'être vue, en raison du grand nombre de femmes qui s'y trouvaient; en cette occasion la ville de Séville montra un fort bel échantillon des trésors qu'elle recelait, car il y avait là partout des femmes agglutinées de manière si compacte, qu'on eût pu répandre dessus des graines de moutarde, sans qu'une seule atteignît le sol.

Les renforts partirent pour Cadix, les uns par terre, les autres par mer. Et je ne fus point de l'arrière-garde, car je me jetai aussitôt dans l'embarcation d'un mien ami, et nous fûmes des premiers à arriver à Sanlúcar, d'où nous poursuivîmes par voie terrestre jusqu'à El Puerto de Santa María, d'où l'on pouvait observer la baie de Cadix et ce qu'il s'y passait. Il fallait voir comment au bout de quatre jours, s'étaient portés au secours de Cadix plus de trente-mille fantassins armés, et plus de dix-mille hommes à cheval. L'arrière-garde des troupes de Cordoue ne fit même pas le déplacement, car cette ville avait déjà envoyé une fort resplendissante cavalerie, et une nombreuse infanterie très bien armée. Il fallait voir ces gens, et combien ils avaient accouru prestement. La flotte ennemie manœuvrait en rond près de la côte, sans pouvoir entrer dans le port. Les galères espagnoles étaient face à elle inoffensives: non seulement elles étaient en plein carénage, et n'étaient donc pas utilisables, mais de plus le temps était particulièrement défavorable à la navigation sur galère.

Le corsaire Drake, voyant que sa flotte ne pouvait lui venir en aide et qu'il ne pourrait parvenir à ses fins, initia sa retraite du port. Et il ne voulut point se retirer sans avoir causé un maximum de dégâts. Était ancré dans la baie ce fameux galion, le San Felipe, vaisseau amiral du marquis de Santa Cruz, vide de gens comme d'artillerie; il passa près de lui, et lui tira deux boulets de canon en pleine ligne de flottaison, qui l'envoyèrent par le fond. Plus loin se trouvait un vaisseau ragusien du Roi, chargé de blé, qu'il envoya également par le fond. Dix jours plus tard le temps s'était amélioré, et il revint sur Sanlúcar de Barrameda. Cette place est dangereuse, car on y accède facilement par Contadero. Il envoya un canot arborant un drapeau de paix, pour porter un message au duc de Médina. Il le suppliait ainsi de lui fournir de l'aide en l'approvisionnant en vivres, qui lui faisaient cruellement défaut, car ses gens se mouraient; il arguait qu'un gentilhomme tel que lui, au nom de l'amitié ancienne qui les liait, ne pouvait lui nier pareille faveur.

On raconta alors que ce don Francis Drake avait été page de l'empereur Charles Quint, à qui il avait été offert par son fils Philippe II à son retour d'Angleterre, après la mort de sa femme la reine Marie-Manuelle. On disait qu'il en avait fait présent à l'Empereur, son père, pour qu'il le servît, en raison de sa grande intelligence et sagacité, et du fait qu'il était déjà très hispanisé et connaisseur des choses de Castille, et que se trouvait là l'origine de l'amitié qui le liait au duc de Médina. Ce dernier lui envoya donc des vivres et des cadeaux personnels, ainsi qu'un message lui demandant de l'attendre, car il désirait lui rendre visite à peine seraient arrivés les gens qui devaient l'accompagner. L'Anglais lui répondit qu'il n'avait aucune intention de se disputer ou se battre avec un tel gentilhomme, qui avec de telles largesses avait pourvu à ses besoins, et qu'il préférait l'avoir comme ami que comme ennemi. Puis il mit les voiles, et ne reparut jamais plus sur les côtes d'Espagne, car il repartit aux Indes, où il mourut.

La suivante année 1590, mourut en cette ville de Santa Fe monsieur l'archevêque don fray Luis Zapata de Cárdenas, le 24 janvier de ladite année. La cause de sa mort fut en lien avec sa passion pour la chasse. Je narrerai cette anecdote, en étant le plus fidèle possible au récit qu'en firent ceux qui l'accompagnèrent dans son ultime partie de chasse.

Sa Seigneurie partit donc chasser à Pasquilla La Vieja (à trois lieues d'ici, plus ou moins), comme il l'avait déjà fait en d'antérieures occasions, accompagné de ses domestiques et de quelques ecclésiastiques et laïcs. On réalisa une grande battue sur ledit site, pour laquelle on convoqua les Indiens d'Ubaque, de Chipaque, d'Usme, et d'autres villages du même canton. Le soir venu, Sa Seigneurie établit son campement dans la montagne, tandis que depuis les hauteurs du paramo¹ voisin, les Indiens, à l'aide de trompettes, fotutos et autres instruments, faisaient connaître leurs positions.

1: De l'espagnol páramo; biotope néo-tropical d'altitude, typique de la cordillère des Andes, marquant la limite entre les forêts et les neiges éternelles.

Le jour se leva, lumineux et joyeux, et Sa Seigneurie enfourcha son cheval; il prit un chien en laisse, confia les autres à ses neveux Fulgencio et Gutiérrez de Cárdenas, et partit devant le reste de la troupe, tout en restant à la vue de tous, indiquant les arrêts de sa main. Le soleil commença à chauffer, et des profondeurs des gorges de ces parages s'éleva une brume, qui bientôt devint si épaisse, qu'elle ne permettait même pas à deux hommes marchant côte à côte de se distinguer entre eux.

Un cerf se risqua à passer près de là où se trouvait l'archevêque; il lui lâcha le chien, et suivit sa trace sans que personne ne le vît. La chienne que menait en laisse don Fulgencio sentit la présence du cerf; elle se libéra de sa laisse et se lança à sa poursuite. Le brouillard perdura jusqu'à quatre heures de l'après-midi, et entre-temps on tua de nombreux cerfs. Aucun des chasseurs, absorbés par la convoitise et l'enthousiasme, ne se souvint de l'archevêque, d'autant moins qu'ils le croyaient toujours à son poste. Le prélat poursuivit sur une bonne distance son gibier, qui le mena jusqu'aux versants de Fusungá qui donnent sur Bosa, où il le tua. Enfin la nuit tomba, et nul ne savait où il se trouvait.

Seuls ceux qui en étaient le plus proches finirent par noter son absence, et en avisèrent les autres. Les chasseurs se mirent donc à la recherche de l'archevêque le lendemain dès l'aube, et malgré le grand zèle qu'ils déployaient à ratisser la zone, ils ne le trouvaient pas. La nuit approchait, et les Indiens commençaient à se retirer peu à peu.

À force de fouiller mont par mont, et torrent par torrent, on finit par entendre des aboiements provenant d'une saillie du relief. C'était la chienne qui avait échappé à don Fulgencio de Cárdenas, qui, puisque le cerf qu'elle poursuivait était mort, était repartie sur la piste d'un lièvre qui avait excité ses sens. La présence de cette chienne permit aux chasseurs de supposer que l'archevêque se trouvait dans ces mêmes parages. Et ils ne s'étaient pas trompés, car lorsqu'ils voulurent repasser la laisse à la chienne, celle-ci, comme si elle eût été dotée de raison, prit les devants et les guida jusqu'à Sa Seigneurie, qui entendait depuis un moment déjà, les cris de ceux qui le cherchaient résonner dans les montagnes.

La nuit était tombée. L'archevêque portait à son cou un cornet d'argent. Quand il entendit les voix des hommes il en joua, et ils lui répondirent par des cris; ainsi Sa Seigneurie continua à souffler dans son cornet avec une persévérance qui s'avéra payante, guidant ainsi jusqu'à lui ses secoureurs. Ils le trouvèrent au pied d'un rocher, où avec des frailejonesˡ et sa cape, il s'était aménagé un lit de fortune pour passer la nuit. La joie de l'avoir retrouvé sain et sauf était immense, et Sa Seigneurie les embrassa tous chaleureusement. Puis ils arrangèrent un hamac pour l'y transporter, que portèrent ensemble ecclésiastiques et laïcs; ce fut là l'occasion d'un savoureux moment, en raison des plaisanteries qui fusaient de toutes parts. Et on n'oublia pas d'emporter aussi le cerf tué par Sa Seigneurie. On arriva au campement, où un copieux repas les attendait; l'archevêque dîna avec enthousiasme, narrant au passage les péripéties qu'il avait vécues dans la montagne. Puis il alla se coucher, et bientôt il fut sujet à des frissons qui faisaient trembler tout le lit. Le licencié Álvaro de Auñón, médecin, lui appliqua quelques remèdes, comme l'envelopper dans un drap mouillé de vin et très chaud; cela apaisa quelque peu Sa Seigneurie, qui dormit un moment. Le lendemain on descendit à Usme, et tandis qu'on se promenait près de l'église, y entra le père Roldán, qui était curé de ce village. On le pria de dire une messe, après laquelle on se promena à nouveau. L'archevêque appela don Fulgencio, son neveu, à qui il légua son cornet d'argent et une laisse de soie, ainsi que certains de ses chiens; il répartit les autres entre Gutiérrez de Cárdenas et les autres, annonçant qu'il arrêtait la chasse. On revint enfin à Santa Fe, où il eut un nouveau malaise, qui le tua.

1: Nom populaire ("frère Léon") donné à l'espeletia, un genre de plantes de la famille des Asteraceae, endémique du páramo dans les Andes.

Dieu le garde en Sa sainte gloire, ce qu'Il ne manquera point de faire, puisque c'était un exemple de charité chrétienne, et un père pour les pauvres. Il ne laissa rien à cette sainte Église, car ses parents l'avaient appauvri à tel point qu'il n'en avait plus les moyens.

Le 28 mars de la précédente année 1589, était arrivé à Santa Fe le quatrième président du Nouveau Royaume de Grenade, le docteur Antonio González, du Conseil Royal des Indes. Je traiterai de sa gouvernance dans le prochain chapitre, celui-ci ayant été particulièrement long, et le lecteur est certainement aussi fatigué de le lire que moi de l'écrire.

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