CHAPITRE XVII

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De la gouvernance du docteur Antonio González, et des faits qui se produisirent sous son gouvernement. De la venue de l'archevêque don Bartolomé Lobo Guerrero, et de son administration de l'archevêché de Santa Fe, jusqu'à sa promotion au Pérou.

Cinquante-deux ans s'étaient donc écoulés entre la conquête de ce Royaume et la venue du docteur Antonio González, du Conseil Royal des Indes, pour en occuper le siège présidentiel. On surnomma cette époque "le Siècle d'Or"; bien que certes elle connût troubles, révoltes et conflits entre l'Audience et les visiteurs, ces tensions n'affectaient les naturels et les gens du commun que dans une moindre mesure. Ceux qui en subissaient les préjudices étaient les mêmes qui alimentaient lesdites tensions, dans l'espoir d'en obtenir un bénéfice particulier. Le commerce était donc florissant et la terre riche en or, dont on expédiait à l'occasion en Castille de considérables cargaisons.

Je dirai ce que j'ai vu et entendu. Il fut par exemple prouvé que le seul visiteur Juan Prieto de Orellana quitta ce Royaume avec plus de cent cinquante mille pesos de bon or frauduleusement acquis, comme si ne lui fût point versé de salaire officiel; il est donc très probable que le secrétaire de la visite et les autres officiers ne soient pas non plus repartis les poches vides.

Je fus moi-même témoin direct de ces faits, à Carthagène, d'où nous nous apprêtions à embarquer pour l'Espagne; nous nous dirigions vers la capitane, et étions toujours dans l'attente de savoir quelle cabine serait attribuée au licencié Alonso Pérez de Salazar, que le visiteur voulait emmener prisonnier sur ledit vaisseau; ce problème fut finalement résolu avantageusement pour Salazar, tel que je l'ai déjà dit. Ce jour-là, donc, étaient chargées sur le pont du navire quatorze caisses remplies d'or, d'un poids de quatre arrobes chacune, appartenant à Juan Rodríguez Cano, qui partait lui aussi pour l'Espagne. À côté il y avait sept caisses remplies de papiers, contenant les documents produits par les visites de Monzón et de Prieto de Orellana. Et j'ai entendu le secrétaire Pedro del Mármol, qui l'avait été de chacun des deux visiteurs, et qui conversait avec d'autres personnes présentes à ce moment-là, prononcer les mots suivants: "Figurez-vous que ces sept caisses-ci, qui contiennent du papier, ont coûté davantage de sueur à charger que ces quatorze-là, qui sont pleines d'or!". Le navire devait également emmener d'autres commerçants et particuliers qui retournaient chez eux en Espagne, avec les gains qu'ils avaient amassés en ce Royaume, d'où provenaient toutes ces richesses.

J'ai donné ces exemples pour illustrer le fait que cette époque mérite effectivement son surnom de Siècle d'Or, en ce qui concerne ce Royaume. Et qui donc l'a appauvri? Je le dirai, si j'en ai l'occasion, en temps voulu; d'ailleurs cet argent est parti en Espagne, et n'a aucune raison de revenir ici. Que reste-t-il donc à cette terre qui permette encore de la qualifier de riche? Dix-sept ou vingt riches districts miniers, dont tout le produit était fondu à la Caisse Royale de Santa Fe. Et quelle était la part de cette quantité qui bénéficiait réellement au pays ? Le tiers, la moitié et le huitième, qui étaient employés en marchandises, nécessaires aux dits districts, et dont ils manquent aujourd'hui. Par le passé les naturels utilisaient l'ancienne monnaie, constituée de ces pièces d'or portant tout type de marques; je vous expliquerai donc plus en détails comment fonctionnait ce système.

Au marché de la place de Santa Fe accouraient habituellement entre trois et quatre mille Indiens, qui y mettaient à la vente des cargaisons de hayo, de coton et d'étoffes, à un prix de cent pesos d'or pour certaines, et cinquante plus ou moins pour d'autres, selon les fluctuations de l'offre et de la demande. Et il n'y avait finalement point d'Indien qui fût suffisamment pauvre pour, dans la mochila qu'il portait en bandoulière, avoir moins de six, huit ou dix pesos à dépenser. Et les révoltes et les troubles qui agitaient les Audiences n'empêchaient point cette prospérité.

La conservation ou la destruction des Républiques, provinces et Royaumes, dépend grandement de leurs gouvernants, à qui Platon a adressé deux documents pour les guider dans leur tâche. L'idée générale du premier de ces documents est que les gouvernants doivent toujours agir mus par l'intérêt des citoyens, et jamais par le leur propre; et celle de l'autre, est qu'ils doivent constamment veiller à la préservation de l'ensemble du corps républicain, sans jamais en désavantager une partie au profit d'une autre. Mais j'ai bien l'impression que ces prescriptions, étant jugées archaïques, ne sont plus à l'ordre du jour. La gourmandise qu'est le pouvoir attire à elle de nombreux gourmands. Il faut absolument commander, même si cela doit être en Enfer, disent les ambitieux. Mais ils n'obtiendront point un tel siège là-bas, bien qu'ils y paieront de leurs peines ce qu'ils ont ici ordonné contre toute raison et justice. Je ne dis pas qu'il n'existe point de juges qui soient probes; mais justement Saint Innocent dit aux juges:

"Vous méprisez toujours les causes des pauvres, que vous traitez avec lenteur et retard, tandis que vous traitez celles des riches avec zèle et promptitude. Envers les pauvres vous vous montrez stricts et rigoureux, et envers les riches cléments et pleins de mansuétude. Parfois, par miracle, vous daignez poser le regard sur les pauvres; et les riches bénéficient de toute votre attention et empressement. Vous écoutez les pauvres avec dédain et ennui, et les riches avec attention et émerveillement, les yeux écarquillés. Ne prétends point être juge si en toi tu ne vois ni le talent ni la vertu de t'attaquer à tous les vices et maux. La justice est la racine de la vie; ainsi, à la manière d'un corps privé de raison et d'entendement, se comporte une Cité privée de loi et gouvernement".

Il me semble bien que le cas de la gouvernance du docteur Antonio González m'oblige à prendre publiquement position, bien que mon intention initiale se limitât à avancer les faits avec réserve, laissant ensuite à chacun la liberté de les évaluer au crible du Droit. Mais puisque j'ai à présent clamé ma cause, disons-en davantage.

Le 28 mars 1589, tel qu'on l'a déjà vu, le docteur Antonio González fit son entrée dans cette ville. On lui réserva un accueil solennel, célébré en de fastueuses fêtes. Du fait du bruit qui l'avait précédé, selon lequel le Roi, notre seigneur, l'envoyait pour qu'il remédiât aux mots qui accablaient le pays, il n'y avait plus personne qui ne considérât ses problèmes comme déjà résolus, si bien qu'on l'acclama comme le Père de la Patrie, et qu'on annonça avec empressement qu'était revenu ce fameux Siècle d'Or, dont la prospérité avait caractérisé les gouvernances des auditeurs Góngora et Galarza, et du docteur Venero de Leyva. Enfin, vox populi, dont les espoirs déçus sont d'autant plus douloureux que la foi qu'elle y avait placée était ardente.

Le président amena avec lui une cédule de visiteur, ainsi que beaucoup d'autres, dont certaines en blanc. Depuis Carthagène, où il effectuait une visite, il envoya à l'Audience Royale de Santa Fe le licencié Gaspar de Peralta, pour y réinvestir son ancien poste.

Une fois les fêtes terminées, le président commença à s'intéresser à son gouvernement. La première chose qu'il fit, fut de mettre fin à la résidence du docteur Francisco Guillén Chaparro, avant de l'envoyer en Castille, où on lui attribua un nouveau poste, à Guadalajara. Son compagnon le licencié Gaspar de Peralta, et le contrôleur Hernando de Albornoz, quittèrent cette ville ensemble au cours de l'année 1592, ayant été nommés auditeurs de Las Charcas.

Le suivant à occuper le poste de contrôleur fut le licencié Aller de Villagómez, et comme auditeurs furent nommés les licenciés Egas de Guzmán, qui mourut en cette ville, et Miguel de Ibarra, qui partit plus tard à l'Audience de San Francisco de Quito pour y occuper les fonctions de président; ces gens arrivèrent tous ensemble ici. À l'Audience de Quito, sous ladite présidence de Miguel de Ibarra, arrivèrent successivement le docteur Luis Tello de Erazo, et les licenciés Diego Gómez de Mena et Luis Enríquez, qui tous appuyèrent par la suite la rigueur du docteur don Francisco de Sandi, qui fut le président qui succéda à l'Audience de Santa Fe au docteur Antonio González. Ce dernier poursuivit son action gouvernementale en instaurant le recouvrement du droit royal de l'alcabala, pour en verser les recettes à Sa Majesté. Plus tard, pour stimuler la productivité des nouvelles mines d'argent qu'on découvrait, il interdit aux naturels de commercer avec les pièces d'or sans poinçon qu'ils utilisaient traditionnellement, comme si cela eût ralenti l'extraction de l'argent. Tout ce qu'il parvint à faire fut de couper les bras au Royaume et les quintos à Sa Majesté, de ceux qui lui étaient habituellement payés avec cette monnaie; et le préjudice porté aux finances royales ne fut pas des moindres, tel qu'en attestent les livres de comptes royaux de ce temps-là.

La troisième chose qu'il fit, fut de fermer la fonderie de la Caisse Royale de Santa Fe, par laquelle transitaient de nombreuses pépites extraites des mines, coupant ainsi les jambes au Royaume, et le laissant gravement invalide. En effet cette activité de fonte avait favorisé et continuait à favoriser l'enrichissement du pays, dont la décrépitude commença consécutivement à la prise de fonctions du président González; et jusqu'à maintenant le Royaume n'a pas encore relevé la tête. J'entends déjà les curieux me demander quelle était l'utilité de ces fontes pour le Royaume. C'était, répondrai-je, que tous ceux qui venaient fondre leur or à la Caisse, en dépensaient une bonne partie à Santa Fe, stimulant ainsi le commerce entre cette ville et les différentes zones d'exploitation minière; en effet ils achetaient ici les biens qu'ils ne pouvaient se procurer dans lesdites zones minières, dont certains outils nécessaires à l'extraction ou au lavage de l'or. L'utilité et les bénéfices qu'apportait au Royaume cette fonderie, que fit fermer ledit président, étaient donc flagrants.

La quatrième chose qu'il fit, fut d'emporter de ce Royaume, pour son compte propre, plus de deux cent mille pesos de bon or, qu'il préleva sur les encomiendas des Indiens et autres impôts agricoles censés être versés aux finances royales. Cet or était donc propriété de la Couronne, à laquelle il ne faut toucher sous aucun prétexte. Et de cette manière, durant son mandat en ce Royaume, il accumula un bénéfice de quatre vingt-quatre mille ducats, auquel il faut ajouter les indemnités de déplacement et le salaire qu'il recevait du Conseil des Indes, et il avait tendance à tout dilapider.

Il ne me revient pas de juger s'il agit bien ou mal, et de toute manière je ne souhaite pas me mêler des affaires relevant de la juridiction des eaux troubles, de crainte que ne m'emporte un quelconque tourbillon qui me fasse couler à pic. D'ailleurs en ce qui concerne le reste de son action gouvernementale, il fut un très bon juge, très chrétien et d'une grande charité; de plus c'était un homme affable et chaleureux, à tel point que nul ne quittait sa présence sans consolation, et que s'il ne réconfortait pas avec de l'argent, il le faisait avec de douces paroles. Mais malgré tout cela, ne manqua point qui se plaignît de sa gouvernance; et lesdites contestations lui parvinrent, sous forme écrite, en mains propres en cette ville de Santa Fe. Et cet épisode fut la cause de vives oppositions, dans le détail desquelles je ne souhaite pas entrer. Je me contenterai de dire que ce ne furent point les naturels de ce Royaume qui furent à l'origine de ces révoltes, et que du château vient souvent qui met le feu au château.

L'exercice du pouvoir est sans nul doute d'une douceur extrême, ou bien renferme en lui-même quelque mielleux secret, puisque tant d'hommes y aspirent et entreprennent de fort ardues diligences pour en obtenir la charge. Moïse, par exemple, pourrait nous en dire un peu sur ces douceurs, puisqu'il y goûta. Cependant jamais il ne rechercha le pouvoir, ni y prétendit, sinon qu'il fut choisi pour lui. Dieu voulait faire de Moïse le représentant suprême de Son autorité ici-bas; mais Moïse, durant sept jours, chercha à s'excuser auprès de Lui pour ne pas devoir assumer une telle responsabilité. Je parle de sept jours, car c'est ce que raconte une histoire hébraïque, qui dit que Dieu demeura sept jours dans cet embarras; et cette version a été confirmée par les soixante-dix interprètes, et par Moïse lui-même, qui dit:

"Seigneur, c'est avec joie que je ferais ce que Tu me commandes; mais étant lourd de langue et lourd de bouche, m'en empêche ma constitution même. J'ai pourtant attendu, nourrissant l'espoir qu'en parlant avec Toi, Tu y remédierais. Or si l'on ajoute hier à avant-hier, vont deux jours, qui, ajoutés au trois précédents, en font cinq; ces cinq jours, ajoutés à celui où Tu commenças à me parler, en font six; et avec aujourd'hui il y en a sept, et je n'ai encore senti aucune amélioration sur ma langue. Pour autant, Seigneur, je T'implore de ne point envoyer un bègue parler en Ton nom, car cela ne Te convient pas, et je n'irai jamais".

Malgré cette résistance Dieu l'envoya; et le saint prophète demanda seulement: "Quelle douceur a donc le pouvoir, pour tenter tant de gens?". Il me semble que cette réponse se trouve, amplement détaillée, dans ce que j'ai écrit, sachant qu'ici-même je ne vous en dirai qu'un petit peu.

"Après les conflits avec Pharaon et le peuple égyptien, après l'incrédulité et les doutes du peuple de Dieu, qui était à ma charge, après avoir franchi la mer, grâce à ce stupéfiant miracle réalisé de la main et par la volonté de Dieu, une fois morts Pharaon et son armée et le peuple mis en sécurité, il accepta de marcher avec moi dans le désert pendant quarante ans. À si long chemin bien courte est la vie, et si tu pouvais me suivre, tu verrais quelles sont ces douceurs sur lesquelles tu m'interroges. Et pour ne point te laisser sur ta faim, je t'en donne cet avant-goût".

"Dieu m'ayant appelé pour me remettre les Tables de Sa Loi au sommet du mont Sinaï, je laissai la charge de la gouvernance du peuple à mon frère Aaron. Au terme de neuf jours, que j'avais occupés à parler avec Dieu et à recevoir Sa Loi, je redescendis pour rejoindre mon peuple, que je trouvai idolâtrant un veau d'or. Mesure donc la joie dont me remplit cette vue et la douce saveur qu'elle laissa dans ma bouche, et tu sentiras l'amertume et la douleur qui emplirent alors mon cœur. Ce jour-là je me vis si à bout de patience, pour ne pas dire désespéré, que je dis à Dieu: "Seigneur, pardonne à ce peuple ou efface-moi de Ton Livre". Ce sont de semblables douceurs que j'ai goûtées pendant que je gouvernais; et quand je crus enfin jouir de la douceur de la paix en apercevant au loin la Terre Promise, mon frère Aaron et moi-même mourûmes sans même avoir pu la fouler".

Il me semble donc que le pouvoir est en réalité moins doux qu'on pourrait le croire; mais posons donc à présent la question à Jérémie. Il ne dira rien, car pour ne pas devoir assumer la charge des âmes, il se fit enfant. Quant à Jonas, ne voulant pas être prophète, il changea de métier, se faisant marchand à Tyr. Et Augustin, sachant vacant un certain siège épiscopal, fuit pour ne pas y être élu évêque. Et combien résista le glorieux Ambroise pour qu'on ne le coiffât point de la mitre! Le très saint Grégoire tenta lui aussi de fuir le pontificat, et sans cette colonne de feu tombée du ciel qui signala l'endroit où il se cachait, jamais il ne se fût assis sur le trône papal. Et qui ne laisse bouche bée l'anecdote sur l'anachorète Antoine, qui pour n'être point nommé évêque se coupa l'oreille droite? Tous ces hommes savaient combien l'inquiétude habitant les nuits des puissants les fait se retourner encore et encore dans leur couche moelleuse, sans parvenir à trouver le sommeil; et combien de coupures le sceptre laisse dans la main de celui qui le tient; et combien de maux de tête la couronne royale donne à celui qui la porte, et combien d'angoisses transmet le diadème sacré, l'honorifique galero, la précieuse mitre, et toutes les autres grandeurs de ce monde. Qui doit donc gouverner ? Le pouvoir doit être nié à ceux qui sont attirés par lui, le désirent et le recherchent, et doit être confié à ceux qui le fuient.

Quand le docteur Antonio González instaura le droit royal de l'alcabala en ce Royaume, il ne manqua point de se retrouver confronté à quelques volontés réticentes, qui lui valurent quelques tracas. Ce fut particulièrement le cas de la part du Cabildo de la ville de Tunja, qui lui opposa la majeure résistance. Le docteur dut donc convier ses membres à Santa Fe pour y négocier. Pendant ladite négociation, arriva la nouvelle que des troubles, également dus au refus de payer ledit impôt, agitaient la ville de San Francisco de Quito; puis on apprit bientôt que le même phénomène se produisait également dans la Ville des Rois et le Cuzco.

Or quelques jours plus tard, certains régisseurs et autres notables de ladite ville de Tunja allèrent passer du bon temps au village de Bonza, encomienda du capitaine don Francisco de Cárdenas, et où officiait comme doctrinaire le père fray Pedro Maldonado, de l'ordre des Dominicains, qui les logea chez lui. Et un jour, donc, de ceux que dura cette partie festive, on en vint à causer de l'alcabala. Le dieu Bacchus servait les coupes et échauffait les esprits qui participaient à la discussion, si bien que des convives présents il fit des rois, des ducs, des comtes et des marquis, formant ainsi toute une cour.

À la vagabonde rumeur qui, volant de langue en langue, passa par là, n'échappèrent pas de tels éclats de voix, et elle les porta finalement jusqu'aux oreilles du président. Certes ne manqua point qui assurât que de la fête même lui avait été envoyée une lettre, car le vin est grand découvreur de fautes propres comme tierces. Un dicton des anciens disait que "le vin avance sans freins", car celui qui est ivre découvre tous les secrets et les vices enfouis au fond de son être.

Le président envoya donc des hommes pour arrêter les conspirateurs, qui étaient: le capitaine Carvajal, le capitaine Pacheco et Pedro Muñoz Cabrera. Il les fit emprisonner à Santa Fe, et puisque le mal ne manque jamais d'intéresser les hommes mauvais, pour ne pas dire les faux témoins, une fois actés les procès-verbaux, à la première occasion il les envoya en Espagne. Là-bas on démêla les fils de cette intrigue, grâce, notamment, aux témoignages à décharge.

Toutes ces passions avaient été exacerbées par le vin, dont tous avaient bu, et les uns et les autres en vinrent à s'accuser entre eux, faisant d'un petit tas de terre une montagne. Pour arranger les choses il en coûta d'importantes sommes d'argent aux uns et aux autres, et de très bons coups de fouet aux faux témoins. En conclusion Sa Majesté, tenant compte des témoignages à décharge qui avaient été envoyés depuis notre Royaume, ordonna qu'ils rentrassent chez eux.

Excellentissime breuvage que le vin, car s'il y en eût un autre meilleur, c'est en lui que le Christ Notre Seigneur eût institué le sacrement de Son précieux sang. Mais les hommes, en en faisant mauvais usage le rendent mauvais, à l'exemple d'Alexandre le Grand, qui sous l'emprise du vin tua son ami Cleitos, brûla la ville de Persépolis, fit empaler son médecin, et commit encore d'autres crimes stupéfiants et atroces. Mieux eût-il valu au médecin qu'il officiât comme pasteur de brebis que comme médecin d'Alexandre.

Loth, enivré et épuisé de tant manger et boire, gauchement coucha avec ses deux filles. Quatre vieillards lors d'un banquet, par équipes de deux, se lancèrent un défi consistant à boire autant de fois que leurs rivaux avaient d'années, et le plus jeune en avait cinquante-huit, le second soixante-quatorze, le troisième quatre-vingt-sept, et le quatrième quatre-vingt-douze; et il est écrit que celui qui but le moins, but cinquante-huit tasses de vin, et qu'un autre en eût bu quatre-vingt-douze.

Parmi les vins il y en a de bons et de mauvais, et parmi les hommes qui le boivent il en va de même. Qu'il soit entendu que les bons le boivent coupé avec de l'eau, pour conserver la santé; et les mauvais le boivent pur jusqu'au point de s'enivrer et de la perdre, aussi leur en coûte-t-il fréquemment la vie. Quant à moi je puis dire que dans toute l'année je ne le vois ni ne sais quelle couleur il a; et ne m'en félicitez point, car ce n'est pas tant par volonté que par impossibilité.

Je souhaite à présent finir de traiter de ce gouvernement, dont la relation m'a mis hors de moi-même; et avant de conclure je narrerai un fait, qui se produisit comme suit.

Le docteur Antonio González reconnut lui-même avoir commis une erreur en supprimant la monnaie des naturels, et en fermant la fonderie de la Caisse Royale. Ses amis et ceux qui étaient le plus directement affectés par l'appauvrissement du pays avaient pris l'habitude de le presser de questions. Et un soir que l'un d'eux était en sa compagnie, le président donna à son secrétaire Antonio de Hoyos l'explication suivante: "Certes il me semble que d'avoir fermé la fonderie de la Caisse Royale, et d'avoir retiré de la circulation les pièces d'or non poinçonnées des naturels, n'a pas porté ses fruits. Mais j'ai la condition du Nil, donc que vienne un autre et qu'il y remédie". Or cet autre n'est jamais venu, et le Royaume est fiévreux, endolori et malade. Il a donc licence pour se plaindre, car elle est concédée à tous les malades. Mon conseil serait qu'il ne se contentât pas de se plaindre, mais qu'il cherchât plutôt un médecin pour le soigner, car dans le cas contraire c'est la mort que je lui pronostique.

De cette explication que le président donna à son secrétaire, on déduisit que de motu proprio, et parce qu'il croyait sincèrement que c'était ce qu'il convenait de faire, il ferma la fonderie et retira la monnaie. Certains prétendirent alors qu'au contraire, il était arrivé en ce Royaume avec une cédule de Sa Majesté visant à l'instauration de l'alcabala; mais cette hypothèse contredit la raison, car pourquoi le Roi, notre seigneur, eût-il lui-même émis une cédule attentant contre ses royales finances et royaux impôts? À moins que parmi les cédules en blanc que le président amena, s'en trouvât une qui avait en fait déjà perdu sa virginité; mais ce qui est certain, c'est que nul ne peut en attester.

Très grand lettré était le docteur Antonio González, et il connaissait fort bien, ou du moins n'ignorait pas, la différence entre le bien et le mal; il est d'ailleurs fort possible qu'il eût lu un certain passage des Saintes Écritures, fort essentiel, à ce propos. Le Juge des vivants et des morts, le Christ Notre Seigneur, dans un fameux épilogue qu'Il prononça, affirma qu'il convenait à chacun de connaître tout ce qu'un bon juge doit connaître: "Je ne puis rien faire de moi-même: selon que j'entends, je juge; et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de mon Père qui m'a envoyé".

Considèrent les hommes doctes ce que fit le président, et l'analysent-ils au crible de cette doctrine, car je n'ai pas à intervenir en juridiction tierce. Il m'est suffisant d'avoir pointé cette situation, sans qu'il soit nécessaire que je l'approfondisse et m'y enfonce.

Pendant la gouvernance dudit président, vint en tant qu'auditeur de notre Audience Royale le licencié Ferraes de Porras, qui mourut peu après son arrivée à Santa Fe.

Finalement le président, las d'entendre des plaintes en ce Royaume, ou même dégoûté des Indes, envoya en Castille un pli, dans lequel il exposait ses raisons, bonnes ou mauvaises, pour solliciter sa réaffectation à son ancien poste au Conseil. On y consentit et on lui envoya la licence relative, avec laquelle il partit sans perdre de temps. Mais avant son départ arriva son successeur, le docteur don Francisco de Sandi, de l'ordre de Santiago. Les deux présidents se croisèrent donc à Santa Fe, bien qu'il soit certain que le docteur Antonio González sur terre comme sur mer commandait tout, puisqu'il était armé d'une cédule de Sa Majesté à cet effet.

Le docteur González embarqua donc à Carthagène avec pour cap l'Espagne, mais après de nombreux jours de navigation il accosta à nouveau dans la même ville. De là il envoya un commissionnaire à la Caisse Royale de Santa Fe, pour recouvrer pour son compte les deux mille ducats qui lui étaient dus au titre des frais de voyage que payait Sa Majesté. Puis il gagna l'Espagne, où il retrouva vivantes et ressuscitées ces fameuses affaires qu'il tenait pour mortes, du fait de n'y avoir trempé qu'ici. Lesdites affaires, ajoutées à d'autres petites choses, constituèrent les motifs de sa condamnation à payer une pénalité de vingt-deux ou vingt-quatre mille ducats. On raconta en cette ville de Santa Fe qu'il était mort du chagrin que lui causa cette condamnation; mais pour ma part je dis que son heure était arrivée car ainsi en avait décidé la volonté de Dieu, Qui est le Seul à posséder les clés de la vie et de la mort, bien qu'on dise souvent que nul ne meurt en bonne santé. De nombreuses fois j'ai entendu prier pour lui en ce Royaume, particulièrement au moment du recouvrement des alcabalas; mais ce sont des prières au rebours. Et à présent revenons donc à nos archevêques.

Après la mort de don fray Luis Zapata de Cárdenas, second évêque de ce Royaume, qui survint, tel que je l'ai dit, le 24 janvier de l'année 1590, lui fut élu en remplacement don Alonso López de Ávila, archevêque de Saint-Domingue, naturel d'Albornoz en Castille et de noble lignage. Il avait été étudiant à Osma, puis à Valladolid, avant d'être nommé proviseur de Santiago de Galice, puis d'être promu inquisiteur à Cordoue, et enfin archevêque à Saint-Domingue. Il obtint cette dernière promotion alors qu'il était en visite dans ladite ville. Mais avant qu'il eût achevé son mandat sa vie s'acheva, ou bien on y mit fin, si l'on en croit la rumeur. Il mourut le 30 décembre 1591.

On élut donc comme archevêque du Nouveau Royaume de Grenade don Bartolomé Martínez, évêque de Panama, et naturel d'Almendral en Estrémadure; il avait été archidiacre à Lima avant de devenir évêque de Panama. C'est de cette dernière ville qu'il partit pour l'archevêché de Santa Fe, mais il mourut avant d'y arriver, en chemin, dans la ville de Carthagène, le 17 août 1594.

Le poste d'archevêque de ce Royaume nouveau était donc toujours vacant. Fray Andrés de Casso, prieur de Nuestra Señora de Atocha à Madrid, naturel de La Rioja, en accepta la charge, avant de finalement y renoncer quelques jours plus tard, pour ne pas avoir à voyager aux Indes.

À sa place fut élu le docteur don Bartolomé Lobo Guerrero, inquisiteur de Mexico, naturel de Ronda, originaire de Fuente del Maestre en Estrémadure, et du noble lignage des Guerrero. Il fut étudiant de Maître Rodrigo et professeur de droit canonique, avant d'être nommé contrôleur de l'Inquisition, puis enfin d'être élu à la tête de l'archevêché de Santa Fe, auquel il ne put arriver aussi rapidement qu'il l'eût souhaité. Enfin il entra en cette ville le 28 mars de l'année 1599, un Dimanche de la Passion.

Il consacra de grands efforts à la réforme du service du culte divin de cette sainte Église. Il avait noté qu'en raison du manque de prébendiers, les messes conventuelles n'étaient chantées par des diacres qu'au moment des fêtes, à l'occasion desquelles les curés s'habillaient en diacres; il demanda donc aux membres de l'Audience Royale de s'unir à lui pour tous ensemble supplier le Roi, notre seigneur, de pallier ce manque. Sa Majesté y consentit, et nomma deux ecclésiastiques patrimoniaux, qui furent les premiers prébendiers à servir dans cette église. Ainsi grâce au dit archevêque, le semi-prébendier fut remplacé par un ecclésiastique, recevant un salaire modéré, chargé de chanter les épîtres, tandis que les prébendiers à la semaine chantaient les évangiles, assurant de cette manière à cette sainte Église un service correct et ponctuel. Au chœur il affecta quatre aumôniers salariés, pour qu'ils assistassent les prébendiers dans leur office et durant les heures canoniales. Ainsi cette sainte Église a été servie jusqu'aujourd'hui de manière très satisfaisante, et a gagné en autorité. Il fonda également le collège séminariste appelé "de San Bartolomé", pour remplacer celui fondé par son prédécesseur, qui avait fermé. Il en confia l'enseignement religieux à la Compagnie de Jésus, qui obtint de très bons résultats, formant d'excellents prêcheurs et de fort vertueux ecclésiastiques, qui sortirent du collège diplômés, titulaires de licences, maîtrises et doctorats reconnus par Sa Sainteté, à défaut d'avoir été délivrés par une université.

Ce collège séminariste fut fondé par la Compagnie en l'an 1605. Un an auparavant elle avait fondé en cette même ville de Santa Fe son premier couvent propre en ce Nouveau Royaume. Elle émit des constitutions synodales, qui furent lues en cette sainte église, en septembre de l'année 1606.

Jusqu'à l'arrivée de ce prélat, le siège archiépiscopal de ce Royaume était resté vacant pendant plus de dix ans, dont huit sous le gouvernement du docteur Antonio González, qui administrait le domaine temporel, tandis que le spirituel était à la charge du curé et du chapitre. Et même en cela notre Royaume fut infortuné, n'ayant point d'archevêque qui intercédât en sa faveur auprès du président, ou qui informât Sa Majesté pour que de Castille lui vînt quelque remède. Et ce manque ne fut pas des moindres, car bien qu'ensemble les chapitres et Cabildos civils de plusieurs villes tentassent de faire entendre leurs voix au président, ce fut en vain, car celui-ci leur fit grise mine à tous et imposa tout ce qu'il voulait.

Celui qui l'importunait de ses réclamations avec la majeure insistance était don Francisco de Porras Mejía, maître d'école, proviseur et vicaire général de cet archevêché, grand ami du président et personne que je tiens en une grande estime; j'ai en effet beaucoup écouté cet homme, qui était animé d'un grand zèle chrétien, très instruit et d'une grande honnêteté, et c'est de lui que j'ai su certaines choses que j'ai relatées dans les présentes chroniques. Cet honnête homme s'opposa donc infatigablement au président à de nombreuses reprises, toujours par intercession, mais, hélas, vainement.

Et comme les sujets relatifs à la présidence de don Francisco de Sandi, que nous avons à présent à domicile, m'appellent, et que pour traiter certains d'entre eux j'ai besoin de monsieur l'archevêque don Bartolomé Lobo Guerrero, dans le suivant chapitre je relaterai sa promotion et ses rapports avec l'Audience Royale.

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