La grenouille

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  C’est l’histoire d’une jeune fille. En fait, non, ce n’est pas vraiment une fille. C’est plutôt une sorte de fée, ou de plante, ou de goutte de pluie, ou alors peut-être une grenouille. En tout cas ce n’est pas une fille, ça c’est sûr, et elle le sait, mais les autres ne le savent pas, car aujourd’hui on regarde mal, on ne regarde qu’avec ses yeux, alors on ne croit plus à l’inexplicable, ni aux spectres taquins, ni aux amants corbeaux, ni aux grenouilles-lucioles. Cette grenouille venait tout juste de sortir d’une cellule solaire, et elle sentait l’air sur sa peau d’amphibien pour la première fois depuis une semaine, je crois. Il faut dire que je ne l’ai pas surveillée très scrupuleusement pendant sa détention ; c’est pas que je ne voulais pas faire mon travail de gardien correctement, mais c’est elle qui me l’a demandé, vous comprenez. Dès le départ, c’est elle qui a pris les commandes. Elle a instauré des règles, elle est arrivée dans la prison du Soleil et elle m’a dit : « Bon, il me faut m’abriter. Alors je viens m’enfermer là. Mais c’est moi qui ai décidé de venir, tu entends ce que je te dis là ? Je fais le choix de rentrer dans cette cellule (elle a pointé une des cellules libres du doigt, une cellule solaire aux barreaux enflammés et lumineux) et j’en partirai quand ça me chantera . » Elle avait d’autres principes dans le même genre, et elle tenait à ce que je la laisse tranquille, à ce que je lui accorde une certaine intimité, bien que je sois son gardien ; je devais, par exemple, lui tourner le dos à moins qu’elle ne m’adresse la parole pour m’autoriser à la regarder. Elle paraissait fière et autoritaire, mais je pense qu’elle était surtout timide.

  Cet amphibien est donc resté une petite ou bien une grosse semaine avec nous, cela dépend, je sondais le temps chaque jour mais ne le percevais jamais de la même manière, alors je ne saurais trop dire. Parfois mon regard se perdait entre les flammes blanches et mouvantes qui gardaient prisonniers les compagnons d’infortune de ma grenouille, et je pensais n’avoir posé mes yeux sur ces barreaux qu’un instant, puis je m’apercevais qu’autour de moi tout le monde s’était endormi, il faisait nuit, et je comprenais qu’une dizaine d’heures s’étaient écoulées, durant lesquelles je n’avais pas vraiment existé. Une statue de plâtre. D’autres fois mon travail de gardien me paraissait long, interminable, les secondes se plantaient dans ma peau comme des aiguilles et j’essayais de les enlever une à une, pour que les petites douleurs ne s’additionnent pas et que je ne souffre pas trop à la fin de la journée. Je les retirais de ma peau et les conservais dans une petite jarre en verre attachée à ma ceinture. Ma grenouille m’aidait à retirer les secondes plantées dans mon dos, que je ne pouvais pas atteindre. Je lui disais alors de faire attention lorsqu’elle passait son bras entre les barreaux, et elle me répondait que tout allait bien, qu’avec sa peau humide ils ne pouvaient pas la brûler. Lorsqu’elle avait fini, elle me tendait les aiguilles en disant : « Tiens, pour ta collection. » J’étais content de ne pas lui laisser les aiguilles.

  Après un certain temps, et nous avons dit déjà que c’était peut-être quatre jours, ou bien peut-être dix, cette fille qui était en fait une grenouille m’a hélé pour me demander de sortir. « Pourquoi maintenant ? », lui ai-je demandé. « J’ai entendu la pluie ; je veux être mouillée. J’aimerais m’en aller, ou bien je vais finir salamandre. » Il a donc fallu que je lui ouvre. Voilà, vous savez tout. Comment cette fée à la peau verte et lustrée s’est présentée aux portes de mon établissement pénitencier, pour s’abriter dans une cage de feu, avant de repartir car l’eau était revenue. Comme je lui étais reconnaissant de m’avoir ôté les secondes du dos avant qu’elles ne s’enfoncent sous mes omoplates et que je ne puisse plus aller les y récupérer, avec mes gros doigts maladroits qui passent difficilement sous les os, et aussi parce que je me sentais un peu coupable de ne pas avoir été un très bon gardien (même si elle me l’avait demandé, je n’aimais pas trop l’idée de ne l’avoir surveillée que de dos : je m’étais montré peu bavard et je craignais qu’elle ne se soit ennuyée – je parle surtout avec les yeux), j’ai décidé de la suivre. J’ai ouvert sa cellule aux barreaux incandescents, elle en est sortie sans avoir peur : nous l’avons dit, elle se sentait toujours protégée. Elle m’a dit aurevoir avec la bouche (j’ai lu sur ses lèvres) mais elle ne pensait qu’à l’eau. Elle est sortie dans la rue - je travaille dans une prison urbaine car nous ne détenons pas d’individus très dangereux – et elle a crié ou bien respiré très fort lorsque le bout de ses pattes a atteint les pavés luisants. Des perles transparentes tombaient sur sa tête, dégoulinaient sur son front, chutaient depuis son nez et s’écrasaient sur son sternum, certaines avaient la malchance de finir dans sa bouche et l’abreuvaient, d’autres avaient l’honneur de décorer ses cheveux qui s’assombrissaient. Les mèches se regroupaient en paquets collants comme si elles grelottaient et essayaient de se tenir chaud en se pressant les unes contre les autres et, en la regardant, je me questionnais sur les enjeux de cet arrangement capillaire. Comment un cheveu individuel pouvait-il faire le choix d’un camp dans la multitude ? Quelle délibération pouvait bien le mener à se solidariser avec un groupe plutôt qu’un autre ? Qu’est-ce qui pouvait bien les réunir, sous forme de boucle, et les séparer, sous forme de raie ? Bien sûr, l’argument de la proximité était à prendre en compte, cependant, avec une telle densité de cheveux au millimètre carré, il fallait bien reconnaître une autodétermination nécessaire dans le regroupement en mèches distinctes. Il aurait fallu être fou pour considérer que le hasard seul décidait de la composition d’une chevelure mouillée.

  J’ai peut-être rêvé, mais il m’a semblé voir la grenouille grandir, sous la pluie.

  Après cela, la grenouille s’en est allée sans un regard en arrière, elle a déplié ses jambes humanoïdes et les a actionnées un peu à ma façon d’homme pour se déplacer dans les rues. J’ai décidé de la suivre. Elle a rejoint le fleuve, elle l’a longé, et j’ai pensé un instant qu’elle allait sauter dedans, puis je me suis rappelé que les grenouilles fréquentaient plutôt les mares que les fleuves. Elle contemple longtemps ce grand corps d’eau avant de reprendre son chemin, je la suis à distance. Elle atteint finalement la muraille ; à l’endroit où elle se tient, celle-ci est rayée, entaillée, creusée, une sorte de faille la perce, et la pierre m’apparaît comme une géode en raison des éclats de couleur et de lumière que je crois apercevoir dans le creux. Ma grenouille se tourne soudain vers moi, et je comprends qu’elle avait feint de ne pas me voir jusque-là. Elle ne fait aucune remarque quant au fait que je l’ai suivie, mais me demande si je veux rentrer dans la faille, et m’en aller hors de la ville, avec elle. Quand j’accepte, elle bondit souplement jusqu’au bord de l’entaille, j’ai peur qu’elle se coupe, elle s’insère dans la muraille, j’ai peur qu’elle tombe, elle disparaît à l’intérieur, j’ai peur de la perdre. Je me hisse à mon tour en m’écorchant les mains (des perles brunes apparaissent sur ma peau, elles changent de couleur et deviennent bleues, turquoises, violettes, et quand je m’essuie les paumes sur les vêtements, j’y laisse des traînées vertes). Ma grenouille est à l’intérieur, mais loin, et je dois jouer des pieds sur les pierres rondes qui se sont amassées dans la faille pour progresser vers elle et parvenir à la rejoindre. Nous avançons ainsi, elle en sautant, moi en roulant et en jurant, jusqu’à ce que le terrain change : de l’herbe apparaît entre les pierres, de la mousse tapisse peu à peu les surfaces rocheuses, la plante de mes pieds rencontre la plante de la terre, elles s’accommodent bien l’une de l’autre, j’arrête de geindre.

  Nous ne sommes plus vraiment dans la faille, ou bien si nous y sommes encore celle-ci a changé d’aspect. Quand je regarde autour et au-dessus de moi je crois être dans un cylindre vert, avec de la végétation partout, un peu comme si on avait détaché une pelouse du sol et l’avait enroulée dans un grand tube. Ce tunnel de verdure était assez large pour que je n’étouffe pas – mais je travaillais dans une prison, alors peut-être me contentais-je de relativement peu d’espace – et il m’était impossible d’en déterminer la longueur. Mon amie (je me suis autorisé à l’appeler ainsi) s’est alors accroupie. Ses jambes se sont pliées, j’ai regardé ses muscles se gonfler, se gorger comme des fleurs pleines d’eau au matin, ils bougeaient sous sa peau, il me semblait voir un banc de poisson onduler là-dessous ; ses pattes avant ont rejoint le sol pour y prendre appui. Elle a bondi. Elle a sauté si haut qu’elle a atteint le plafond, ses membres en extension se sont alignés avec son abdomen pour former une raie nette, verte et filante. A peine avait-elle atterri que le mécanisme musculaire se remettait en branle et elle saute, saute, saute, du plafond aux parois jusqu’au sol, puis en avant, loin devant. J’essaie de la suivre des yeux mais elle s’est faite balle rebondissante, elle est un éclair d’énergie. Quand elle s’arrête enfin c’est pour éclater de rire, son carillon m’indique où la trouver, je m’élance pour la rejoindre mais je ne peux que courir. Elle m’attend sagement un peu plus loin, dans le tunnel, étalée sur le dos, par terre, les cheveux en couronne sauvage au-dessus de sa tête, elle rit bruyamment, elle me laisse la regarder rire, moi je ne ris pas, mais mon cœur si.

  On se remet en route. La lumière décline. « C’est la nuit qui arrive ? », je demande, « Non, c’est la lumière de la ville qui s’évanouit peu à peu dans tes yeux ». Elle m’explique que les citadins comme moi sont accoutumés à la lumière, que celle-ci rentre dans leurs yeux, qu’ils font des réserves, et qu’ils peuvent marcher dans le noir pendant un certain temps comme si de rien n’était. Je lui ai demandé comment elle faisait, elle, pour voir dans ce tunnel obscur. Elle m’apprend qu’elle a fait ses propres réserves, dans la prison du Soleil, en regardant ses barreaux incandescents. Puis elle hausse les épaules et ajoute que beaucoup de grenouilles ont une vision nocturne de toute manière. Je commence à m’inquiéter cependant, comment vais-je faire pour voir quand je n’aurai plus de lumière de ville dans les yeux ? Elle me rassure : « On t’aidera. »

  Il a fallu que l’on marche encore un petit peu pour que je comprenne ce qu’elle voulait dire par là. Le monde autour de moi devenait de plus en plus sombre, j’étais plongé dans une grande pénombre, ma grenouille était une silhouette vaguement verte, et ma lumière d’illusion n’était que faiblement reflétée sur sa peau moirée. Je commençais à avoir peur. Mais heureusement pour moi, nous avons rencontré notre première luciole. Elle était grande comme un homme, à peine plus que moi, alors j’étais un peu intimidé. Mais reconnaissant, aussi, car j’ai compris que cette luciole-sentinelle stationnait sur le chemin afin de l’éclairer. Elle est restée immobile, mais a salué poliment ma grenouille après que celle-ci lui ait dit « Bonsoir ». Nous avons baigné dans sa lumière verdoyante et acide, l’avons dépassée, la lumière a décliné au fur et à mesure que nous nous éloignions, puis a de nouveau gagné en intensité lorsque nous avons atteint la luciole suivante. Ces variations rythmiques de la lumière me bercent autant qu’elles me désorientent et m’agacent. Ma compagne de voyage, quant à elle, semble beaucoup s’amuser, et éprouve de l’affection pour ces sentinelles silencieuses – elle en connaît même quelques-unes personnellement. Elle prend celles-là dans ses bras quand elle les rencontre et échange quelques mots avec elles, du moins il me semble qu’elles communiquent, mais les lucioles n’émettent aucun son.

  J’ai fini par m’en rendre compte. Ma grenouille aussi s’est mise à luire. Je l’ai arrêtée pour la contempler, interdit, ne comprenant pas. Il y a des taches de lumière verdoyante et acide sur sa peau, au niveau de sa gorge et de ses bras et de son ventre. « Oh, ça ? Ce sont les lucioles. Quand je les ai embrassées, elles m’ont un peu tâchée ». Je m’émerveille devant ce miracle, devant ce scintillement transmis. Nous avons rencontré d’autres lucioles encore, elle les prend dans ses bras, et elle brille de plus en plus et je suis peut-être envieux, mais je n’ose pas m’approcher de ces lucioles qui ne sont pas mes amies.

  Le décor change encore autour de nous. Le tunnel s’élargit jusqu’à disparaître et devenir paysage. J’imagine que l’on peut dire que nous sommes dehors. Les lucioles sont derrière nous désormais, mais j’ai ma lanterne en ma grenouille, qui me guide dans la nuit. De plus, elle semble connaître le chemin. Nous marchons sur des rails. Je n’y avais pas vraiment fait attention quand nous étions dans le tunnel vert – je ne sais pas pourquoi je précise cela, le vert est encore omniprésent, les arbres et les fougères nous cernent – mais je crois bien que nous suivons ces rails depuis des lustres. Mon amie s’amuse à faire l’équilibriste sur ces tranches de métal, auxquelles ses pattes adhérent, alors elle avance sans peine. « Là ! », s’écrie-t-elle soudain, et elle s’écarte un petit peu pour venir s’accroupir auprès d’une large tache de ténèbres répandue sur le sol. « C’est ma mare de naissance », dit-elle. « Ça t’embête si je nage ? ». Ça ne m’embête pas. Elle plonge sans un bruit. Je la regarde faire la brasse sous l’eau. Elle illumine les profondeurs, la lumière se diffuse autour d’elle comme une orbe diaphane et ondoie à la surface ; c’est simplement beau. Ma grenouille est belle. Quand elle sort, ses cheveux se sont à nouveau divisés. Elle est froide. J’enlève tous mes vêtements, et je les lui donne. Elle les échange contre les siens. Tissu sec sur peau mouillée, tissu mouillé sur peau sèche, ça me parait équitable.

  « Tu n’arrêtes pas de regarder mes taches », a-t-elle dit après avoir boutonné ma chemise. « J’adore ta lumière », je confesse. « Je voudrais en avoir un peu. Je trouve cela magnifique ». Nous étions assis au bord de l’eau. Proches pour ne pas trembler. Elle a tendu ses bras vers moi et les a refermés autour de mes épaules et de mon torse. Sa lumière s’est posée sur moi, je me suis mis à briller par contagion. Je l’ai constaté quand elle s’est écartée, on m’a tous les deux contemplé, et l’on m’a trouvé beau. J’étais comme un petit lumignon. Je voulais être un fanal. Elle me comprend, et me donne plus de lumière. Elle m’embrasse et remplit ma bouche de lampions. Ma langue chatoie ; mes lèvres brasillent ; mes dents rutilent ; et je suis beau, et elle aussi me trouve beau, et elle continue à m’aider. Nous entrons dans l’eau, elle nous arrive à la taille, et je fais reluire les ondulations qui nous encerclent et se répandent autour de nous. Elle change de forme, devient humaine comme moi le temps de me faire l’amour sur un nénuphar géant où elle me remplit de lumière et de ses doigts, et me fait avaler tout son éclat, me remplit jusqu’à ce que je me mette à briller de partout ; je deviens plus incandescent que les barreaux solaires de la prison urbaine, je ne suis plus que lumière blanche dans une silhouette d’homme, les limites de mon corps sont brouillées par le halo qui émane de moi. Quand je me regarde dans l’eau, je discerne à peine mes traits, les contrastes ne les dessinent plus sur l’ovale de mon visage tant j’irradie et ce n’est guère qu’au toucher qu’on peut encore sentir les aspérités de mes tempes, de mon nez et de mon menton.

  Au-dessus de nous, les étoiles ont assisté à ma transformation et elles m’ont reconnu. Je sais que bientôt je devrai quitter ma grenouille pour les rejoindre, que je ne pourrai pas demeurer auprès d’elle car je me suis mis à briller trop fort - durant le jour je serai presque invisible.

  Mais je retarde mon départ, car nous voulons rester ensemble encore. Nous quittons le bord de la mare et nous suivons les rails en nous enfonçant un peu plus dans la forêt. Ceux-ci nous mènent à une clairière. La clairière est circulaire, plate, bordée d’arbres vert foncé. Ma grenouille m’entraîne au centre de la clairière, on s’y allonge, et d’ici les arbres paraissent très lointains. On passe le plus clair de notre temps à dormir. Je ne sais pas pourquoi nous sommes si fatigués mais nous dormons bien ensemble. La nuit s’attarde, je pense qu’elle nous a pris en affection, mais elle est obligée de laisser la place au jour parfois, au moins pendant quelques heures, et ma lumière se perd dans celle du Soleil. Mais ce n’est pas bien grave parce que même alors nous fermons les yeux, et nous retrouvons la nuit sous nos paupières. Le temps passé dans la clairière me parait long, mais agréable, et paisible. Les secondes ne me font pas souffrir. Peut-être parce que je suis devenu étoile. Ainsi, tout comme j’ai été incapable de déterminer exactement la durée de l’incarcération de ce charmant amphibien, je ne peux dire véritablement combien de jours lui et moi avons passé dans la clairière. Mais, pendant une des longues nuits que nous offrait la Lune complice, nous avons finalement décrété que nous nous étions assez aimés. J’ai embrassé ses mains, elle a essayé de faire de même mais en cherchant à baiser mes doigts elle a embrassé mes paumes, car j’étais indiscernable dans le détail. Ça m’a chatouillé, je lui ai offert un rire, elle m’a remercié.

  Puis je me suis envolé.

  Et elle a repris la route. Elle a parcouru tout le chemin que nous avions traversé ensemble, mais en sens inverse. Elle a quitté la clairière, longé les rails, rejoint le tunnel, salué les lucioles avec un sourire un peu forcé, et s’est dirigée vers la faille et vers la ville. Je la regarde faire depuis mon coin de ciel. Je la regarde longer le fleuve sans s’y attarder, cette fois-ci, et se rendre à la prison. Elle y entre, elle n’adresse même pas la parole au nouveau gardien, celui qui a pris mon poste vacant, et elle se dirige directement vers l’une des cellules incandescentes, sans attendre qu’il la lui ouvre. Elle se faufile entre les barreaux, et je sais qu’elle prétend être protégée des brûlures par sa peau de grenouille, mais quand elle entre ainsi de force dans sa cellule, je l’entends gémir un peu.

  J’ai un souvenir suffisamment précis de sa première détention pour m’apercevoir que cette fois-ci, ma grenouille reste bien plus longtemps captive. Je ne comprends pas pourquoi elle ne veut pas fuir toutes ces journées qui s’enchaînent. Je la revois bondir et nager et je me désole de la savoir accroupie et entourée par le feu. Elle n’est pas bavarde par nature, mais avec tout le silence qu’il y a maintenant entre nous, je commence à m’inquiéter, parce que sans mes yeux d’homme, comment puis-je lui dire de partir ? Je sais qu’au fond, elle n’aime pas vraiment cet endroit. Puis l’idée me vient, je réalise que, peut-être, ma grenouille reste enfermée parce qu’elle sent encore le poids de mon attention sur elle, et qu’elle a besoin d’espace pour jaillir. Je m’apprête à lui donner ce qu’elle m’avait demandé, quand on s’est rencontrés. Mais avant de détourner mon regard, je dessine dans le ciel, du bout de mes doigts d’astre, les mots suivants :

Je suis désolé, j’aurais voulu mieux te connaître. Je suis sûr que si on s’était allongés dans la mousse, les champignons qui auraient poussé sur ta peau t’auraient donné des airs de reine des marais.

  Une étoile voisine qui était devenue mon amie m’a dit un jour que la grenouille faiseuse d’astres, en lisant ces mots, s’est imaginée que les barreaux de sa cellule étaient faits d’eau, qu’elle a changé les flammes en cascades et que son fantasme d’humidité a fait pousser des russules colorées sur ses bras.

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