0.7

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Avons-nous déjà été aussi proches, Roy ? Depuis toutes ces années, nous avons cohabité, senti, vécu, mais pour la première fois nous nous rencontrons. Moi, blotti contre toi, toi me soutenant d’un bras : là l’un pour l’autre. Enfin.

Sur ma joue, le plastique usé de ta combinaison me plonge dans une douce nostalgie. Voilà qui est inédit. Tu le sais bien, Roy, avant de vivre, j’avais toujours cru que rien ne valait la peine d’être gardé. Que la mémoire n’était qu’une ancre lacérant les bas-fonds que l’on nomme Passé. Qu’elle n’était finalement que douleurs et regrets. Alors que les fragrances qui m’en arrivent me rendent chaque instant partagé avec toi plus précis, je comprends la gravité de mon erreur : l’existence est une tempête contre laquelle nous ne pouvons nager sans cesse. Et nous voilà emportés au large par ce tourbillon, ballottés de naufrage en naufrage en cette mer capricieuse, serrant par désespoir la seule planche de salut qui nous maintient à flot : nos souvenirs.

Ce sont eux d’ailleurs qui me font comprendre que la marée m’entraîne. Que je ne reverrai plus cette île déserte qu’avait été ma chambre, ce lieu de réclusion : pour l’ultime fois, nous en passons le seuil.

Tu dévales les escaliers sans que je n’en ressente le moindre remous, glissant sans crainte vers l’avenir, la mire sur notre objectif. De nouveau, tu lèves contre mes bourreaux une égide féale et la salle, pourtant si glaciale à ton retour, se réchauffe à présent d’ardents effluves siliconés.

Combien de pas, Roy, avant que tu ne te retournes ? Que tu ne lances vers l’Abîme nos regards ? Garde à la noirceur qui la maquille : tu pourrais bien m’y noyer les yeux. Serons-nous assez loin, dis-moi, pour ne rien en voir lorsque te prendra le doute ? Celui-là même qui te forcera à faire volte-face et à sonder la tristesse de mon sort. Qu’y verras-tu alors ? Et moi, qu’y verrais-je ? Peu importe, aucune de mes questions ne t’interpelle. Tu m’es sourd à présent ; trop occupé à repousser le ressac accusateur de mes sentinelles essaimées. Cette même sentence qu’elles me bourdonnent depuis toujours et qui me prive de tout : que pourrait-elle bien vouloir là-bas qui ne se trouve ici ? Ici, c’est vrai que rien ne manque : j’ai tout. J’étouffe même de trop avoir sans être pourvu d’être. Désincarnée. Incarcérée. Créée.

Je suis faite de toute pièce, toute à l’image de celle que je ne suis plus : tout comme toi.

Ton corps se crispe à présent : devant toi je devine un nouvel obstacle, et non des moindre. Nous savions qu’ils seraient là. Qu’ils cesseraient leurs jeux articulés aux premières secondes de notre audace. Souviens-toi, Roy, que nous nous sommes préparés au pire ; et le voilà qu’il nous advient.

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