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  Emporté par l’urgence du repli, Sahale Davis ne prêta pas la moindre attention à Roy. Tout juste s’assura-t-il qu’il fût à bord, avant de le livrer à lui-même. Une unique chose l’obnubilait alors : retrouver son élément naturel, s’éloigner à toute berzingue des conséquences funestes auxquelles il s’était exposé ; les planétaires n’aimaient pas que l’on casse leur jouet.

  En mode automatique, le pilote avait initié plusieurs processus complexes, déchargeant son anxiété exponentielle dans un flux d’oscillations énergivores : sur le Llewyn, la tranquillité exhalait la sueur. Faisant combustion de tout effort, le cargo fila à travers les sphères, perça le plafond de gaz atmosphériques, et se plongea à nouveau dans le ronronnement grésillant du cosmos. Rasséréné, Davis s’immobilisa néanmoins, cherchant à l’oreille l’origine d’un murmure rendu finalement perceptible : une source qu’il mit peu de temps à découvrir.

  En effet, devant la baie d’observation, Roy, sous le poids des conséquences de ses actes, s’était agenouillé, son corps siliconé encore fumant. Il soutenait l'enveloppe inerte d’une gamine dont Davis venait à peine de prendre conscience. Intrigué, il ne posa pourtant aucune question : il se sentait même de trop, comme une ombre au tableau qu’ils semblaient ne vouloir peindre qu’à deux. Le long murmure se prolongeait, passant de sons à mots et de mots à sens, à mesure que le maître des lieux s’approchait :

[…]

Je me souviens que…

Nous avons couru à l’ombre d’un géant,

Suivi de Pélion, l’étoile la plus véloce.

Je me souviens qu’…

Au cœur de Soboli, résonnent encore les chants,

Éclats de nos instants vivifiant la Fosse.

Je me souviens…

Antarès la rouge, comptant en corps nos jours,

Balafrée au clair de lames.

Je me sou…

Lève le moindre doute, alors qu’elle m’entoure :

l’Abîme qui me suit n’a que faire d’une âme.

Je me…

Perds à présent, esseulé, aux portes du Tartare,

Mais je souris toujours : cet Oubli a tes yeux.

Je…

Pars.

Adieu.

Le regard fixe sur le conteneur qui s’éloignait, Sahale Davis ne pouvait s’empêcher de se remémorer les derniers mots de son ami : des paroles qui se refusaient obstinément à sa compréhension. Comment avait-il pu être heureux d’une telle fin ? Il ne pouvait le concevoir, lui qui avait vu ce corps écorché, percé en tant d’endroits, alors qu’il le glissait dans le tombeau. Avait-il réellement fait cela pour elle ? Pour cette gamine difforme ? Inapte à la vie ? Il secoua la tête pour en chasser ces dernières questions. Le chagrin le rendait déjà amer et prompt à juger : mais comment pouvait-il le faire avec justesse, lui qui vivait seul depuis si longtemps ?

  Depuis la baie d’observation, son regard embué parvenait de moins en moins à suivre la course de ce dernier vaisseau. De cette boite à peine assez grande pour eux, qui leur permettait cependant d’être l’un contre l’autre, de finir ensemble. Et quand celle-ci passa au-delà de la courbure de l’astre solaire qui les attirait, Sahale écopa une larme solitaire, irriguant le désert de ses joues :

« Putains de poussières ! »

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