Le lendemain, après avoir passé la soirée à boire et à forniquer, notre petit groupe mit enfin son plan à exécution pour éviter le grand tourrassement.

Ils se rassemblèrent chez Susie, qui semblait particulièrement irritée :

— Pourquoi doit-on aller chez ces horribles habitants du milieu ? Et surtout, pourquoi le point de rendez-vous est chez moi !?

— Parce qu’au moins, si on a envie de vous prendre dans tous les sens, il n’y a aucune chance qu’une de nos femmes débarque pour nous arrêter, déclara Gustaphère en lui tapant sur le derrière.

Susie, mécontente, s’approcha discrètement de Richard, son voisin du centième étage, et lui glissa :

— Vous savez, mon cher Richard, je ne comprends pas pourquoi ces grotesques personnages sont aussi impolis avec moi. Je suis une habitante du centième étage, tout comme vous. Gustaphère, lui, n’est qu’un résident du quatre-vingt-quinzième. Il devrait me témoigner un peu plus de respect.

Richard comprit ce qu’elle attendait, mais il lui prit le bras et lui rappela :

— Vous savez, ma chère Susie, du centième au soixante-cinquième étage, nous sommes tous des anges, égaux. La seule chose qui nous départage ensuite, c’est le sexe. Et étant un homme du centième étage, je suis au sommet de la chaîne alimentaire, un véritable lion de la forêt !

— Un lion vit dans la savane, très cher…

— Fermez-la, Susie ! Ce que je veux dire, c’est que Gustaphère, là-bas, étant un ange homme, et vous une ange femme… il vous est dix fois supérieur, vous m’entendez !?

Susie, terrorisée par le ton employé, répondit d’une voix tremblante :

— Oui, mon cher…

— Parfait. Alors si Gustaphère vous ordonne d’ouvrir vos tunnels, vous la fermez et vous les ouvrez. Compris !? N’oubliez pas : le patriarcat est une bénédiction, et il n’y a rien de plus beau que de se faire corriger par un homme !

Susie acquiesça timidement tandis que Lucifer arriva enfin pour les emmener chez les habitants du milieu.

Quelques minutes plus tard, à l’étage 50, une petite réception se préparait. Toutes les personnes du niveau 64 à 50 y étaient conviées.

C’était un événement exceptionnel : pour la première fois depuis très longtemps, des habitants du dessus allaient y participer.

Juda et sa femme Marguerite étaient fous de joie d’avoir été choisis par Lucifer pour accueillir de tels invités.

— Tu te rends compte, Marguerite !? s’écria Juda. Nous allons recevoir les anges de la tour ! Je n’arrive toujours pas à y croire !

— Moi non plus, mon chéri ! Si on fait bonne impression, et si une place se libère, ils nous recommanderont peut-être pour être « surclassés » ! Ça serait incroyable ! dit-elle en embrassant son mari.

— Oh oui ! Après tout ce qu’on a enduré pour passer du 23e étage au 50e… juste être surclassés au 65e serait un rêve. On serait mieux payés, on ferait des enfants, on achèterait une voiture… on vivrait heureux jusqu’à la fin. Le rêve absolu.

Marguerite, en triant le courrier, devint soudain pâle :

— Oh non…

— Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Juda.

— C’est Gontran, ton cousin du 10e étage… il continue de nous écrire.

Juda prit un air grave :

— Brûle-moi ça, Marguerite ! Ce sale rat ne veut toujours pas nous laisser tranquilles ! Je sais très bien ce qu’il fait : il joue les cousins attentionnés juste pour qu’on le recommande quand une place se libérera ! Quel opportuniste ! Je n’arrive pas à croire qu’on soit de la même famille !

— Lisons au moins cette fois, dit-elle. Ce serait peut-être important, vu comme il insiste.

— Oh, je t’en prie… à part nous parler de ses ébats sexuels ou nous expliquer qui a la plus grosse queue entre un hippopotame et un buffle, je vois mal ce qu’il pourrait raconter d’utile !

— Tu exagères…

— Moi, j’exagère ? Mmh… ça se voit que t’as pas grandi avec lui. C’est un vrai cassos. C’est même sa fille qui écrit ses lettres, ce pauvre illettré ! Bref, brûle-moi ça. Je ne veux surtout pas qu’un ange tombe dessus.

Marguerite obéit et brûla la lettre avant de finir les décorations.

Une fois la table prête, les invités commencèrent à arriver, tous impatients d’assister à la venue des anges, qui avaient promis une annonce de la plus haute importance.

L’attente devint de plus en plus pesante, surtout pour nos hôtes.

Puis soudain…

DRIIING

La porte sonna.

Heureusement, Juda avait mis un débardeur pour éviter que sa sueur ne tache sa chemise.

Il regarda sa femme, paniqué :

— Ok… ma chérie, je suis bien là ? Pas de tache ? Pas les cheveux en pagaille !?

— Non, mon cœur. Tu es beau comme un étalon !

— Quel étalon ?

— Và ouvrir ! lui lança-t-elle en le poussant.

Il tourna la serrure, et une lumière jaillit.

Les invités furent éblouis.

« Des anges… des vrais. » pensèrent-ils tous.

— Alors ? Je vous avais bien dit que nous procurer cet halo de lumière serait une idée fantastique ! s’exclama Lucifer en tête.

— Oui, mon cher Lucifer, confirma Richard. Mais la prochaine fois, prévenez-nous d’acheter les lunettes de soleil qui vont avec… ajouta-t-il alors que lui, Susie et Gustaphère avaient les yeux secs comme un désert.

Juda se ressaisit :

— Bonjour à vous, très chers. Je suis Juda, voici ma femme Marguerite, ainsi que tous les habitants du 64e au 50e étage.

— Merci pour cet accueil, mon cher Juda. Je me nomme Richard. Voici ma voisine du 100e : Susie, mon voisin du 95e : Gustaphère, et mon voisin du 66e que vous connaissez déjà : Lucifer.

Juda les fit entrer et prit soin de leurs manteaux.

— C’est un immense honneur de recevoir des anges dans notre humble demeure ! s’enthousiasma Marguerite. Surtout pour une annonce qui semble si importante !

Richard se servit une coupe de champagne.

— Oh, je peux vous garantir que vous ne serez pas déçus. Mais avant tout… festoyons !