De retour à la réception chez Juda, la fête battait déjà son plein.

Les invités, bien échauffés par l’alcool, profitaient encore de la présence des anges, même si Susie et Gustaphère préféraient rester légèrement en retrait.

— Mais enfin, ma chère Susie, lança Gustaphère, vous ne semblez pas très enjouée ce soir. Vous qui aimez les excès en tout genre, cela ne vous ressemble guère.

— Vous avez l’œil, mon bon Gustaphère, répondit-elle. C’est juste que… être entourée de tous ces êtres inférieurs me répugne. Ils ont beau se considérer comme des « habitants du milieu », ils n’en restent pas moins des rats un peu plus évolués.

Gustaphère eut un rictus amusé.

— Je suis du même avis, même si je pensais que votre amour de la sodomie vous rendait… disons… plus tolérante.

— Me laisser sodomiser par des rats ? Voyons, un peu de respect pour ma personne.

— Je ne savais pas que vous étiez contre la zoophilie, très chère.

— La seule zoophilie que je tolère est celle avec mon berger allemand. Je l’ai fait cloner, uniquement pour ça.

— Attendez ! Vous voulez dire que je suis passé par le même trou qu’un chien ?

— Dans cet ordre-là, oui, conclut-elle avec calme.

Avant que Gustaphère n’ait le temps de répondre, Richard réclama l’attention générale.

Il monta sur une petite estrade installée au centre de la salle.

— S’il vous plaît, tout le monde… Je tiens d’abord à vous remercier d’avoir répondu présent à cette réception. Et surtout, à remercier nos hôtes, Juda et Marguerite, pour leur accueil exemplaire.

Les invités applaudirent.

Richard reprit :

— Si nous avons pris l’initiative d’organiser une réception si exceptionnelle, c’est que je vous le dis en vérité, mes chers tourpatriotes : l’heure est grave.

Un frisson parcourut la salle.

Lucifer monta à son tour sur l’estrade.

— Oui, mes frères. À l’heure où nous parlons, notre Tour est en train de sombrer… sous l’invasion de migrants venus d’autres Tours !

— Comment ça ?! s’écria un invité paniqué.

Lucifer prit un air dramatique.

— Depuis des années, notre Tour laisse entrer des immigrés.

Gustaphère enchaîna :

— Ils étaient censés s’occuper de la maintenance de notre belle Tour !

— Mais depuis quelque temps, ajouta Susie, ils prennent de plus en plus de place… et réclament de plus en plus de choses !

Richard leva sa coupe :

— Des aides pour que leurs gosses pullulent dans nos écoles gratuitement, des indemnités pour qu’ils puissent quitter leur emploi du jour au lendemain et se prélasser chez eux !

Lucifer rajouta d’une voix forte :

— Et tout cela avec VOS impôts ! Et le pire… le PIRE ! C’est que ces serpents gravissent les échelons ! Ils montent, montent… gagnent en argent, en notoriété…

— Et finissent par prendre la place de tourriens pur souche ! Ceux-là même qui se retrouvent condamnés à mourir dans la misère, dans LEUR propre Tour ! conclut Richard.

Un silence glacé.

Un invité leva timidement la main.

— Messieurs… madame… je dois vous avouer que je suis un immigré. Je viens d´une Tour de l’Est, celle voulant rejoindre la Tourrope.

Lucifer répondit immédiatement :

— Oui, mais vous, vous êtes un « bon » immigré.

— Comment ça ?

— Eh bien, dans votre Tour… vous conduisez les mêmes voitures que nous !

L’homme souffla, soulagé.

Lucifer reprit, gonflé d’importance :

— Pour éviter toute confusion, j’ai pris l’initiative, avec certains amis, de donner un nom à chaque Tour.

Susie demanda :

— Et quels amis ?

— Ceux qui n’ont pas encore visité vos gares, ma chère Susie.

Richard frappa dans ses mains, impatient.

— Alors, mon cher Lucifer, quel est le nom choisi pour notre magnifique Tour ? Berceau d’un peuple ayant marqué l’Histoire par sa gastronomie, ses guerres, ses viols et son colonialisme !? Dites-nous !

— Nous avons choisi : La Trance.

Richard resta bouche ouverte.

— La Trance ? Mais pourquoi ?

— Parce que notre belle Tour fait rayonner le monde. Chacun de nos plats, films et breuvages laisse ceux qui y goûtent… en transe.

Tonnerre d’applaudissements.

Lucifer poursuivit :

— Vous, l’immigré de l’Est, vous venez donc de Toukraine. Et les toukrainiens sont de bons immigrés.

Susie demanda :

— Et les Tours maudites, alors ?

— Toutes les Tours du regroupement « Tourafrique », par exemple :

La Tourrôte T’ivoire, le Tongo, Talgerie, le Taroc, la Tunisie…

— Euh, mon cher Lucifer, l’auteur a oublié de modifier un nom… c’est risqué, non ?

— Oh ça va, il commençait déjà par un T. Bref ! Pour faire simple : toutes les Tours hors Tourrope, avec un PIB faible = mauvaises Tours à migrants.

Juda devint livide.

Ses parents étaient d’une de ces Tours, tout comme son cousin Gontran.

Marguerite posa une main rassurante sur son épaule.

Richard conclut :

— Voici pourquoi nous sommes réunis : notre Trance est en train de chavirer ! Si nous ne faisons rien, nous serons remplacés. C’est ce qu’on appelle… le Grand Tourrassement !

Lucifer enchaîna :

— C’est pour cela que nous allons demander la suppression de toutes les aides : indemnités, aides familiales, soutien aux bas étages…

Marguerite leva la main.

— Mais… ces aides bénéficient aussi aux « vrais » tourriens. Sans elles, la vie sera plus difficile pour tout le monde, nous compris.

Richard répondit, très sûr de lui :

— C’est un mal nécessaire. Les mauvais migrants s’en iront. Les vrais tourriens, eux, résisteront. Et une fois les parasites partis, vous serez surclassés. Tous.

Un silence… puis Juda se mit à applaudir.

— Mr Richard a raison ! Pour sauver la Trance, nous devons nous serrer la ceinture ! Pour vivre unis et débarrassés des nuisibles ! C’est ça, être tourpatriote !

La salle explosa d’applaudissements.

Richard, galvanisé :

— Qui aime la Trance !? Qui veut revoir notre Tour retrouver son âge d’or !?

Tous crièrent leur soutien.

Lucifer brandit une affiche :

« C’est ma Tour, Trance !

Touche pas à mes traditions,

ma sodomie,

mon cochon,

mon pinard !

Tourpatriotes en colère

Ma Tour, tu l’aimes comme elle est, ou tu dégages ! »

Et ainsi…

le plan des anges pouvait commencer.