30

5 minutes de lecture

26 septembre 2022 – 19h30

Chez Harry’s

Les habitués trinquaient à la santé de n’importe qui, tant qu’ils pouvaient en contrepartie s’abreuver du contenu dans leur choppe. Riton, Pollux et Marcel, fidèles piliers sur bar, n’échappaient pas à leur réputation. Et quelle réputation ! Leurs voix, gueulardes et fluctuantes, se rependaient jusqu’à qui voulait les entendre. L’avantage était qu’elles couvraient les conversations discrètes voire intimes des autres occupants, chose que recherchait exactement Edouard en venant ici.

Il installa Lotta et Olivio à la table du fond, s’empara de la carte du jour et s’écroula sur sa propre chaise, épuisé par le rythme infernal de l’enquête et la pression que la hiérarchie lui mettait sur les épaules. Une demie pinte ne lui ferait pas de mal, quand bien même il était encore en service.

Sur la table, une pochette avec le rapport des premières constatations faites dans la demeure de Saint-Maur-des-Fossés. Le lieutenant héla le saisonnier dès qu’il quitta la table d’à-côté et passa la commande : deux blondes et API. Il précisa l’importance de la coupelle de cacahuètes salées avec un sourire. Le garçon éloignait, il tapota du majeur sur le dossier.

- Vous l’avez déjà parcouru ?

- Non, nous t’attendions. Ne nous fais pas plus languir, lui lança Olivio.

Le flic ouvrit la pochette et sortit un feuillet de cinq pages. Il lut en diagonal les conclusions, procéda à des aller-retour entre les paragraphes et finit par reposer le document. Pas de trace de sang, d’empreintes digitales ou tout autre moyen d’identifier la personne qui avait séjourné dans cette chambre. Chou blanc pour mettre un visage sur celui qui leur donnait du fil à retordre.

Si l’identité du suspect restait un mystère, ils pourraient néanmoins s’appuyer sur d’autres éléments pour trouver une piste à explorer au plus vite. Le surplace dans ce dossier commençait à poser des questions sur l’efficacité de l’équipe et la pertinence d’avoir réintégré Bauroix, e ce jusqu’au plus haut niveau.

Edouard fit glisser le document à ses coéquipiers qui entamèrent à leur tour la lecture.

- Fichtre !

- Aucune information pertinente, aucun lien direct, mais un paquet de données à analyser pour tenter de ressortir un élément exploitable.

- Ça va nous prendre des heures pour éplucher toute cette pagaille.

Lotta avait ciblé la principale difficulté qui s’opposait à eux : le temps. Même avec un coup de main d’une autre équipe, ils ne pourraient pas venir à bout de la masse avant au moins 48 heures pour un travail minutieux. Le trio savait qu’il ne disposait pas de cette marge de manœuvre et que la hiérarchie attendait une avancée significative sous peu.

L’inventaire des indices affichait quelques chiffres vertigineux : plusieurs dizaines de cartons stockées dans la cave dont le contenu pouvait être aussi décisif qu’insignifiant. Impossible de ne pas mettre le nez dedans, le risque de louper un élément structurant était trop grand.

Sur l’un des principaux clichés ajoutés au dossier se dessinait un organigramme. Carrés, rond, traits allant d’une forme à une autre, des mots inscrits ici et là, parfois effacée avant d’être remise à leur place. Le travail avait dû être colossal. Un mur entier avec de multiples informations qu’il faudrait vérifier une à une pour en connaître la pertinence.

- A votre avis, c’est un pense-bête ? Ou bien son auteur préparait-il un coup contre ces personnes ?

- Aucune idée. Les deux pistes sont plausibles à date.

- Espérons qu’il s’agisse du schéma du groupe pour lequel il bosse. Un coup de pouce en or pour notre enquête et la lutte contre le trafic de drogue.

- Pas de conclusion hâtives. Pas de faux espoirs. On va se concentrer sur ce point en rentrant. Pas de repas de famille ce soir, on doit percer ce mystère et comprendre pourquoi un mec a-t-il dessiner ce schéma sur un mur. On garde aussi à l’esprit qu’il a utilisé un pseudonyme pour masquer ses agissements. Est-ce qu’il existe un vrai Dylane Lombard ? Pourquoi le cibler lui et pas un autre ? On doit raccrocher les morceaux entre eux.

- On refile le bébé des cartons à qui ?

- Je remonte le point à Valentini, mais on ne va pas faire plaisir à ces enfoirés des stups. On s’abreuve de leurs connaissances, mais je vais forcer pour que l’on reste aux manettes.

- Ça reste quand même étrange qu’un suspect nous donne une identité, et pas n’importe laquelle, et que l’on tombe comme par hasard sur une plaque qui regorge d’informations exploitables… Pourquoi ?

Le raisonnement d’Olivio laissa l’équipe sans voix. Il n’avait pas tort. Passer d’un dossier cul-de-sac à une telle progression en un claquement de doigt n’arrivait pas tous les jours. Pour autant, Edouard voulait croire au coup du destin, que sa bonne étoile brillait de mille feu et qu’elle lui avait une fois de plus rendu un grand service.

Le doux goût de la bière glissa le long de son gossier. Une caresse réconfortante qu’il s’avouera, l’esprit ailleurs un quart de seconde. La clochette de la porte le ramena sur terre.

- Bauroix, on sait où il est parti ?

La question resta lettre morte.

- On va avoir besoin de lui, il faut impérativement qu’il revienne au Bastion.

- Tu le connais, Edouard, il fonctionne à l’instinct, rappela Olivio. Il a flairé un truc qui nous échappe et il a suivi la piste.

- Mais il n’est pas en responsabilité. C’est mon enquête. S’il se foire, s’il part de travers, c’est moi qui tombe. J’ai mis ma tête à prix auprès de Valentini et la hiérarchie.

- Fais-lui confiance ou vire-le de l’équipe.

Les mots tranchants du lieutenant étaient une claque, un rappel à l’ordre pour le chef d’équipe. Il était venu chercher Gabriel Bauroix bien sûr en raison de la carte de visite retrouvée sur les lieux du premier crime, mais aussi parce qu’il savait que ce mec était un flic hors du commun. Edouard avait conscience des dérives du capitaine, qu’il marchait souvent sur la ligne rouge voire la franchissait si nécessaire. Mais jamais il n’avait mis sa propre carrière dans la balance. Une boule dans le ventre, un poids dans un recoin de la tête.

Aujourd’hui, il idolâtrait le Bauroix efficace sur le terrain autant qu’il craignait celui aux réactions imprévisibles et parfois explosives. Pas le temps de plus tergiverser, il fallait agir. Tant pis pour Bauroix, il raccrocherait les wagons.

Cul sec pour le restant du verre, une grimace en guise de conclusion.

- On se donne jusqu’à 23 heures pétante pour faire le tour et avoir une vue d’ensemble. Avec un peu de chance, on va dégoter la variable qu’il nous manque pour assembler les pièces du puzzle. Si besoin, on fait bouger les autres, mais uniquement sur la base d’un fait confirmé.

- Putain, que j’aime t’entendre aussi motivé, mon salaud ! sourit Olivio requinqué.

- Il est temps de chopper cet enfoiré, de démonter son réseau et de mettre tout ce petit monde sous les barreaux.

Annotations

Vous aimez lire QuentinSt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0