2004
Marcel attend.
Il masse sa jambe douloureuse et fait craquer ses doigts. Cela secoue vraiment d'être parachuté de nuit. L'horizon est éclairé par des explosions. Marcel en ressent les vibrations et il touche dans l'étui sur son dos un objet rassurant.
Un soldat s'approche de lui en criant quelque chose que Marcel ne peut entendre. Un obus vient de s'abattre juste à côté de lui, le recouvrant de terre. L'homme accourt, lui attrape la main et l'aide à se sortir de là. Après une série d'effort, Marcel peut dégager ses hanches et s'extirper de cette tombe :
- Et ben dis donc, il est pas passé loin celui-là ! Moi c'est Georges et toi ?
- Marcel, merci mon gars.
« Bon les mecs vous avez fini de tirer au flanc ! » hurla quelqu'un derrière eux. Marcel se retourne et voit un soldat à l'air hardi qui ressemble à s'y méprendre à Georges. Il est vrai qu'avec le casque et l'uniforme, tout le monde se ressemble dans la pénombre. Il a un petit air innocent et l'air presque guilleret, si on oublie le gros fusil qu'il tient dans sa main droite.
Marcel et les deux autres soldats courent en esquivant les balles et les obus. Ils s'accroupissent derrière un mur délabré et butent sur quelque chose de mou et lourd. L'instinct des soldats leur fait comprendre de ne pas chercher à savoir ce que c'était, et que de toute façon la nuit, on pouvait confondre une vache avec un tank... Il ne reste plus que quelques mètres jusqu'à la tranchée de première ligne. Marcel finit sa course en plongeant dans la tranchée et atterrit sur le casque d'un vieux soldat. Il se relève péniblement, l'épaule endolorie et regarde autour de lui. Dans l'ombre, l'uniforme et la peur rendent ses compagnons d'infortune tous identiques. Seul Georges, pas même essoufflé, semble différent. Il le fixe avec un drôle d'air :
- Tu sais pourquoi on est là, toi ?
- Ben.. pour reprendre ce satané pont aux autres. répond Marcel
- Les autres... Tu n'as jamais pensé qu'on était aussi les "autres" pour eux.
- Que veux-tu dire ?
- T'as pas l'impression d'être manipulé, toi ? Tu t'es déjà demandé si les gars qui ont décidé cette guerre sont parmi nous ? Dans la boue?
- Ben...
Un artilleur se faufile au milieu d'eux, expliquant aux soldats que dans dix minutes on allait donner l'assaut final. Et que le général en personne superviserait l'attaque.
- Tu parles ! Les généraux c'est tous les mêmes; ils sont tout le temps au chaud avec le ventre plein, les poches remplies et les mains propres, repris Georges.
- Dans tous les cas faut qu'on y aille, c'est bientôt l'heure H. On a pas le choix.
Georges se tus. Marcel, troublé par cette conversation, regardait du coin de l'œil leur sergent lever son mégaphone. Dans quelques secondes, il allait hurler l'ordre d'assaut, et toute l'infanterie allait courir comme des dératés pour reconquérir le pont et se faire tailler en charpies. Les secondes s'écoulaient à un rythme terriblement long. Plus que cinq secondes pendant lesquelles des centaines de soldats, broyés par l'angoisse, retinrent leur respiration. Le sergent colla le micro à sa bouche et commença le décompte des secondes : Quatre... Trois... Deux... Un...
A table !!!
Oh non Maman! Attends encore une minute s'il te plait, le temps de lancer l'assaut final contre les Grubbls.
Tu descends manger immédiatement ou je débranche cet ordinateur !
C'est bon, c'est bon, j'éteins...
Dans le noir, Marcel attend…
Maximilien 3°3
Rédaction
(texte repris, beaucoup plus tard et en moins bon, par son pater)

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