Raoul et son confessionnal.

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Chapitre 7 — Raoul et son confessionnal.


Peu de mouvement de passagers à l’occasion de cette escale, seul est monté à bord un couple de Hollandais fortunés, Klaas et Geerta Van Popoten, accompagné de la femme de chambre de madame.

Côté fret, à peine quelques courriers et paquets postés en tarif lent à destination de Callao et c’est tout.

Après avoir descendu le fleuve jusqu’à son embouchure, le capitaine Le Merlec met le cap sur le Brésil et sa prochaine escale, Belém en Amazonie. 

Le navire navigue à vue des côtes de la Guyane sur une mer calme mais encombrée de pêcheurs pour le plus grand bonheur du maître timonier le Gonidec qui peut ainsi actionner la sirène du bâtiment tout son saoul.

Il faisait une chaleur étouffante à l’intérieur des terres et les passagers sont soulagés de retrouver un semblant de fraicheur océane. 

Pour distraire les voyageurs, le commissaire de bord organise un concours de pêche à la ligne. 

Les musiciens de l’orchestre de la République socialiste du Turkménistan que l’on a vu réapparaître peu après le départ du Paramaribo semblent les plus concentrés sur l’exercice.  

Alignés comme à la parade sur la plage arrière, ils se sont mis à l’aise en maillot de corps nonobstant leurs toques en astrakan qui les fond suer à grosses gouttes. 

Ils appâtent leurs lignes avec des filets de Chbouir, une espèce de hareng de la Caspienne, particulièrement nauséabonde. Les résultats sont étonnants, le deuxième trompette en particulier, remonte des quantités phénoménales de sardines. 

Toutes les prises sont soigneusement comptabilisées et mesurées par le commissaire le Mafflu assisté du mousse en vue de désigner le vainqueur du concours. 

Couic et le professeur Tutu ne sont pas les moins acharnés mais ils ne capturent que de la friture minable. 

Les musiciens se foutent de leur gueule en ricanant dans leurs grosses moustaches.

 Il faut dire que nos pauvres Français ne disposent que de croûtes de pain moisies pour amorcer et ça, qu’est ce que vous voulez, la sardine, c’est bien connu, elle préfère le filet de Chbouir au pain moisi mouillé à l’eau de mer. 

De son côté le colonel de Bersagliere ne s’en tire pas trop mal avec des boulettes de Gorgonzola qui attirent la sardine portée sur les plats étrangers.

Grigor Bellamou n’a guère plus de succès avec ses hosties orthodoxes. Il ne réussit à attraper qu’un vieux Saint Pierre suicidaire qui trainait par là, surement par hasard.

Pamela Mac Gregor qui s’abrite des rayons du soleil sous son parapluie en guise d’ombrelle, pose un regard mauvais sur son pasteur de mari. Celui-ci semble bigrement intéressé par les appâts, non pas des pêcheurs, mais de l’accorte petite bonne des Van Popoten qui glousse et bat des mains chaque fois qu’une prise est remontée.

On s’achemine vers un triomphe des musiciens turkmènes quand soudain le Judas des Épinettes est entouré d’une nuée de poissons volants qui survolent le navire en escadrilles serrée. 

« Chair cuitier, Saint Denis Mont Joie », hurle Couic histérique qui se précipite dans la cabine et en revient en trombe porteur des deux filets à papillons confectionnés avec la culotte de Lady Rochester. 

Le professeur Tutu est sidéré. Couic voulait lui faire la surprise à l’arrivée à Belèm avec ses instruments de secours ! Mais pas besoin de faire un dessin à l’expérimenté chasseur de papillons ! 

Le savant et son fidèle homme de main se lancent dans une razzias aux poissons volants effrénée. Le coup de poignet de l’entomologiste distingué fait merveille et les exocets capturés ne tardent pas à faire exploser le compteur de nos deux valeureux chasseurs de lépidoptères. 

En quelques minutes la situation est renversée et les Turkmènes commencent à moins la ramener.

Lorsque retentit le coup de sirène, merci Goni, qui annonce la fin du concours, Couic se hâte de planquer les instruments de capture. 

Fort heureusement Lady Rochester qui aurait pu reconnaître la royale culotte, ne se trouve pas dans les parages et le triomphe du professeur et de Couic est total. 

Le cuistot se frotte les mains, il dispose d’un stock considérable de sardines et de poissons volants pour agrémenter la suite des repas du bord.

Le troisième trombone de l’orchestre de la République socialiste du Tiurkenistan vient cependant l’entreprendre.

– Camarade cuisinier, moi pouvoir te montrer comment préparer filet de poisson… samolet, façon Chbouir (il ne sait pas dire « poisson volant » et traduit par « poisson-avion »). 

– Ah oui ? Tiens, mais pourquoi pas ? Voilà qui me permettrait de publier un article intéressant dans la Gazette des Cuisiniers Cap Hornier.

– Facile, poursuit le troisième trombone, toi prendre poisson samolet, faire manger au cochon, et tout de suite lui donner coup de pied au cul pour que svynia dégueule poisson. Toi alors ramasser bouillie de poisson, rouler sous les aisselles et mettre dans bocal avec vinaigre à cornichon.

– Euh, bon merci camarade troisième trombone, vive l’amitié des peuples soviétiques !

Lady Rochester ne se trouve pas sur le pont et pour cause. La douairière s’est faufilée au fond du navire et converse avec son mystérieux interlocuteur dans un recoin sombre de la cale. 

Il semble que des évènements importants se préparent.

Sur la passerelle le maître timonier Le Gonidec scrute l’horizon, il vient d’apercevoir quelque chose qui l’intrigue et s’écrie :

– Saperlipopette, mais non, je n’ai pas la berlue…

Il attrape le mousse par le col, 

– Yvon, file chercher le commandant et au trot !

Le jeune matelot dégringole l’échelle en braillant :

– Capitaine, capitaine, y a M’sieur Gonidec qui vous d’mande !

Le Merlec qui s’apprêtait à décerner le premier prix du concours de pêche : un magnifique singe empaillé à Florimont Tutu, refile la bestiole au commissaire de bord.

– Tenez Le Mafflu, remettez de ma part ce ouistiti qui pue la naphtaline au professeur, je file voir ce qui se passe là-haut.

Il gagne à toute pompe sa passerelle où le Gonidec se tord le cou en srcrutant l’horizon avec des jumelles. Il trépigne.

– Commandant regardez !

– Quoi donc Goni ?

– Mais là, là, droit devant !

– Et bien quoi, c’est un pêcheur, la belle affaire !

– Mais non Capitaine voyez vous-même ! Et il lui tend les jumelles.

– Sapristi ! s’exclame le Merlec, nom d’un cachalot mais c’est, c’est…

– Oui commandant ! Un bagnard évadé !

Le Judas des Épinettes croise à ce moment au large de Cayenne non loin des côtes où se situe le sinistre bagne.

En effet, sur un misérable radeau constitué d’un tonneau grossièrement attaché à ce qui semble être un confessionnal, un grand escogriffe en costume rayé agite désespérément un ostensoir pour attirer l’attention du navire.

– Ah misère fulmine le commandant, c’est le pompon, manquait plus que ça… Ouh là ! Faisons comme si on ne l’avait pas vu…

Mais trop tard, les passagers viennent d’apercevoir le naufragé, et poussent de grands cris. Le professeur Tutu, grimpé sur un canot de sauvetage agite frénétiquement le singe au-dessus de sa tête et l’homme lui répond en faisant tournoyer un ostensoir comme un hélicoptère.

– Et merde… 

– Machines en arrière toute, tonne le commandant dans le cornet en cuivre qui lui permet de communiquer avec le chef mécanicien.

– Goni, barre à tribord toute !

 Il sort avec son geulard et transmet ses ordres d’une voix de stentor :

– Paré à préparer une baleinière, déployez l’échelle de coupée.

Le Judas des Épinettes dont l’hélice bat en arrière, ralentit et finit par s’immobiliser à quelques encablures de l’évadé qui saute comme un cabri dans son confessionnal au risque de disloquer le fragile esquif.

Un canot armé par trois solides marins est promptement mis à l’eau, file à grands coups d’aviron et aborde la singulière embarcation. 

Le gaillard hirsute bondit littéralement au cou de ses sauveteurs au risque de faire chavirer le canot.

Tous les passagers sont accoudés au bastingage et une clameur s’élève quand les marins reviennent avec le naufragé au costume rayé.

Le canot vient se ranger près du gros navire. Fort heureusement la mer est calme et l’homme peut escalader sans difficulté l’échelle de corde qui pend le long du bordé.

Le commissaire du bord Le Mafflu l’aide à franchir les derniers échelons et à se hisser sur le pont.

Le commandant blêmit en découvrant son nouveau passager.

Devant lui, hilare, se tient Raoul Cambouis le tueur de garagistes de l’est parisien.

– Saisissez-vous de cet homme, nom d’un cachalot ! Rugit le capitaine et collez-moi cette canaille à fond de cale.

Deux solides matelots alpaguent sans ménagement le bagnard qui pour sa part ne semble pas plus effrayé que cela et continue de rigoler.

– Le Mafflu, tonne le commandant cuisinez-moi ce lascar, comment diable ce particulier a-t-il fait pour se retrouver dans un confessionnal dérivant à dix miles des terres ?

L’explication était fort simple. 

Une escouade de forçats du bagne de Cayenne avait été mise à la disposition de moines trappistes par le directeur du pénitencier pour restaurer l’église de la mission du cap des Fumistes. Ce point éloigné sur la côte était notoirement connu pour sa redoutable tribu de pêcheurs cannibales-jacasseurs. 

Les bons pères les rééduquaient en leur serinant à longueur de journée des séances de chants grégoriens qui finissaient par les amadouer et les ramollir du bulbe. Assorti à un régime alimentaire à base de purée de carotte, les terribles sauvages devenaient doux comme des agneaux et végétariens comme des vaches normandes.

La forme hydrodynamique d’un confessionnal stocké sur la plage en attendant son installation dans la chapelle avait attiré l’œil avisé de Raoul. À la nuit tombée, échappant à la surveillance des matons qui se gobergeaient de purée de carotte avec les Trappistes, il avait mis à l’eau le mobilier ecclésiastique après l’avoir consolidé avec un tonneau vide d’eau de Javel et cap sur la liberté !

Au début, poussé par un vent favorable, un drap d’autel brodé par les sœurs du couvent de sainte Gudule de Cayenne en guise de voile, l’esquif s’était éloigné de la côte. 

Hélas, dans la nuit, le Bon Dieu appréciant modérément que l’on se serve de ses installations liturgiques pour faire le couillon sur l’eau et enfreindre la loi des hommes, avait envoyé une bourrasque soudaine qui avait arraché tout le gréement et manqué de provoquer le naufrage du confessionnal de haute-mer.

Le malheureux convict s’était retrouvé à l’aube, dérivant misérablement sur l’océan, avant que la grâce divine ne lui fasse croiser la route du Judas des Épinettes en route pour Belém. 













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