Riffifi sur l’Amazone

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Chapitre 8 — Riffifi sur l’Amazone.


L’Amazone est le plus grand fleuve du monde. On ne devine pas, on sait que l’on approche de son embouchure à plus de trois cents kilomètres au large. Bien avant de distinguer les côtes, les eaux de l’océan ont changé de couleur et la salinité est différente

Belém est, situé à une centaine de kilomètres sur un de ses affluents, la rivière Guamá. 

Difficile de réaliser que l’on navigue dans le cours d’un fleuve tant les distances paraissent démesurées entre les deux rives. Le Judas des Épinettes se rapproche de la berge et l’immense forêt se dessine. Vu du bord elle semble impénétrable et angoissante, l’enfer vert n’est pas un vain mot.

Il fait grand jour mais le ciel est plombé, de gros nuages roulent au-dessus des eaux marron qui charrient des troncs d’arbres.

La chaleur est écrasante, moite, bestiale, les passagers sur le pont tentent de profiter d’un courant d’air qui les rafraichit à peine.

Le professeur Tutu est fort excité, il touche au but, même s’il ne retrouve pas ses malles à l’arrivée, il sait qu’il pourra compter sur les filets que Couic lui a confectionnés pour traquer ses chères bestioles ailées. Par contre il ne s’explique pas pourquoi ce dernier les a farouchement dissimulés dans sa cabine et ne veut plus les lui montrer après l’épisode triomphal du concours de pêche.

Dans le grand salon Lady Rochester qui ne semble pas souffrir de la chaleur, a subtilement manœuvré pour isoler Couic dans un coin tranquille et entamer une conversation avec lui.

Le jeune charcutier est intimidé et se demande bien ce que lui veut l’Anglaise.

- Mon tcher Tcharles Iouctave, il fao que je speak with you…

– Euh bon, oui Milady, bredouille Couic qui n’est pas habitué qu’on l’interpelle en utilisant son blase originel.

– My enfant, je doua dire à vous que nous sommes parents !

– Pardon ?

- Yes ! Je observe you doupuis le departure of the steamer,

– Oui, oui en effet, y m’semblait bien que vous vous me zieutassiez Maâmz, bafouille Couic qui risque le coup avec un subjonctif qu’il espère de bon ton.

– My dear boy, je souis votre grande aunt, votre tante ! Je souis la sister de votre grandmother maternelle ! Nos family sont unies doupouis la war, la gouerre de cent years !

Et là, bien sûr, Couic, percute ! Quand on est le rejeton d’une famille qui remonte aux croisades, comment s’étonner que l’on puisse faire partie du gotha européen !

Il avait bien entendu dans sa jeunesse son père évoquer à mots couverts cette branche anglaise de la parenté. Mais même entre gens de bonne compagnie, l’anglois représente un sujet de discorde qu’il vaut mieux ne pas trop aborder surtout s’il agit d’un grand-père qui s’était fait remarquer en engrossant la jeune fille de la famille chez qui ses parents l’avaient envoyé pour parfaire sa connaissance de la langue de Shakespeare…

– My dear boy, je doua dire à vous que des choses téribel se préparent. In the name of our family, je supplie vous de ne pas vous mayler de tout ça ! Please ! Keep calme !

Et là-dessus la douairière, se lève et disparait dans la coursive qui conduit aux cabines, laissant notre pauvre Couac dans la plus grande expectative.

Songeur et dubitatif, se grattant la tête, il retrouve son maître sur le pont.

À ce moment, un vrombissement de moteur se fait entendre. Dans le sillage du navire apparait un aéronef qui semble perdre de l’altitude. Il semble qu’il va se poser, pourtant il n’y a pas de terrain d’aviation en vue…

– Professeur, professeur, regardez c’est un hydravion ! Hourra ce sont nos malles qui arrivent ! Quand je vous disais que nous allions tout récupérer au port ! 

En effet un gros appareil pataud survole bientôt le Judas des Épinettes avant de s’éloigner et de disparaître à la cime des arbres, au loin vers l’amont du fleuve.

– Ah ce doit être le Latécoère des Bolcheviks Airlines !

– Mais non intervient Grigor Bellamou qui semble en connaitre un rayon côté aéroplane, ce n’est pas un Latécoère, c’est un Savoia Marchetti de l’Unione dei Transporti Italiani !

– Ah bon, vous croyez ? Bof…

La rive est toute proche et à travers la brume on commence à deviner la ville de Belém qui semble émerger de la forêt. 

Le commandant Le Merlec sur sa passerelle se prépare à entamer les manœuvres d’arrivée.

Dans le cornet de cuivre qui lui permet de communiquer avec la salle des machines, il donne l’ordre de réduire la vapeur au chef mécanicien.

Mais curieusement rien ne passe, il commence à s’énerver et beugle dans le cornet :

– Mais non de Dieu, Le Rouzic (c’est le nom du chef mécanicien, originaire du Guilvinec…), tu me la réduis cette vapeur, nom d’un cachalot ?

– Toujours rien…

Alors là, Le Merlec perd patience, il balance un coup de pied au cul au mousse et lui hurle dans les oreilles :

–Yvon file voir ce qu’ils foutent dans la machine, si je descends ça faire du suif !

Le garçon propulsé en avant par le coup de pompe du commandant dégringole l’échelle de la passerelle sur le cul en couinant et disparait dans l’écoutille qui conduit aux machines.

C’est à ce moment que le capitaine réalise qu’il est tout seul sur la passerelle, aucun de ses officiers, aucun de ses marins ne sont en vue.

Ah vingt diou, d’vingt diou… mais où qu’y sont passés tous ces jean-foutre ?

Il agite frénétiquement la cloche ! Branle-bas, branle-bas ! Tout l’monde à son poste !

Et voilà notre capitaine qui s’étrangle de fureur. Il braille dans son cornet, sort sur le pont avec son gueulard pour rameuter l’équipage, tape du pied, saute en rond, trépigne… Rien, personne ne répond à ses appels.

Alors là il commence à se douter qu’il y a de l’eau dans le gaz et quelque chose de louche se trame à son bord.

Ah non de diou, de non de diou mais ça va t’y pas finir ! Décidément cette traversée est maudite.

 Il ne peut lâcher sa barre et se tord le cou dans toute les directions pour tenter d’apercevoir quelque chose.

C’est alors que trois gaillards escaladent les échelons qui conduisent à la passerelle.

Le Commandant reconnait alors Magtymguly Pyragy le chef de l’orchestre de la république du Turkménistan accompagné du premier violon et du troisième trompette.

De manière étrange, les musiciens ne sont pas munis de leurs instruments mais brandissent de redoutables pétoires.

Mais qu’est-ce que, qu’est-ce que… bredouille le commandant qui réalise soudain qu’il est victime d’un acte de piraterie.

– Ah forbans ! Misérables !

– Le chef s’avance en lui pointant sur son bide une mitraillette graisseuse mais qui semble en état de marche.

– Camarade capitaine toi te rendrrrre sans fairrrre histoirrrrre !

– Ah ce moment Lady Rochester pénètre à son tour dans la timonerie du navire.

– Comment, vous Milady ? S’étrangle le Merlec qui décidément ne comprend plus rien.

- Yes Capitaine, keep quiet ! Je présente to you, major Gouinov du troisième direktorat des cosaques motocyclistes du Don, colonel du KGB.

– Da ! Et Lady Rochesterrrr du Secrrrret serrrrvice de rrrreine d’angletrerrrre ! (Le cosaque motocycliste du Don du KGB roule les r et c’est franchement horripilant).

L’infortuné capitaine au long court Le Merlec, effondré, s’affale sur une chaise,

– Merde alors…

Mais que diable signifie cette funeste alliance entre le MI5 et le KGB sur cet innocent vapeur croisant sur l’Amazone ?

En quelques minutes la paisible croisière du Judas des Épinettes semble avoir basculé dans une zone noire de la grande histoire.

Les pseudo musiciens ont laissé tomber le masque. La 25 ème section des cosaques motocyclistes du Don, unité d’élite du KGB vient de s’emparer du navire. L’équipage est rassemblé manu militari dans la cale où il est accueilli par un Raoul hilare.

Les passagers quant à eux sont regroupés dans le salon, l’émoi est grand et l’incompréhension totale. 

Dans la confusion qui règne, Couic s’est planqué dans une imposante caisse à gilets de sauvetage sur le pont et surveille en douce les opérations par le couvercle entrouvert. 

– Tiens donc, se dit-il, je pige mieux pourquoi ces fichus musicos ne se bousculaient pas au portillon pour donner de concert !

Depuis son poste d’observation, Couic ne perd pas une miette du spectacle qui se déroule sous ses yeux. 

Ça alors ! Mais le colonel de Bersagliere semble faire partie du complot !

En effet le fier militaire, plume au vent, rejoint d’un pas martial la passerelle de commandement du navire. Il retrouve Lady Rochester et le major Gouinov. 

Les cosaques motocyclistes du Don, arme à la bretelle, sont tous postés aux points stratégiques du bâtiment.

Des éclats de voix et un chambard du tonnerre montent de la cale où se trouve bouclé l’équipage.

– Mais tu vas fermer ton claque merde, bougre de couillon, arrête de te foutre de notre gueule, sale engeance…

Et pif, paf, c’est Le Mafflu qui flanque une salade de torgnoles à Raoul.

L’ex troisième trompette tambourine à la porte :

C’est pas un peu fini !!! Sinon, nous venirrr fouttrre tourrrrnée de coups de pied au cul générale.

– Falaud, Falaud glapit Raoul qui vient de cracher trois dents.

Le calme revient peu à peu à fond de cale. 

Dans le salon, seul l’éminent facteur d’instrument musical ethnique Aristide M’Boula Boula clame haut et fort son désespoir : 

– Ah ça me gaspille trrrop la tête, encorrrre des pirrrates…

Et c’est le moment où le mystérieux passager clandestin sortant enfin de sa cachette se découvre  laissant apparaître son visage en pleine lumière. Il passe devant le coffre où Couic et dissimulé.

– Ah ça alors ! Mais qu’est-ce qu’il fait là celui-là ???















 

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