Opération Bella Ciao.
Chapitre 9 — Opération Bella Ciao.
Le mystérieux quidam rejoint la timonerie, désormais plus besoin de se cacher.
– Hello cap’tain !
Lady Rochester accueille le nouveau venu sur la passerelle.
- Major Gouinov, may I introduce to you cap’tain Juvénal Plantin of deuxième bureau of France ! And the finest pilot for hydravion…
- Ah j’en avais ras le fion planqué dans ce foutu rafiot s’exclame ce dernier qui semble en effet heureux de retrouver lalumère du jour.
Cette fois c’est complet, voici que le deuxième bureau français s’invite à la fête.
Couic dans sa cachette a reconnu l’homme et il est interloqué… Juvénal Plantin n’est autre que le loufiat responsable du carnage à l’hôtel du Corps au Pied.
Sur la passerelle, le major Gouinov a pris la barre, le navire est passé devant Belém et continue de remonter le fleuve à pleine vitesse. Lady Rochester, le colonel de Bersagliere et le capitaine Plantin examinent une carte avec attention.
- Nous devrions arriver sur zone d’ici peu, ralentissons ! déclare Plantin en levant le nez.
- Ahow !!! look on starboard ! Lady Rochester très excitée désigne un point à tribord.
En effet dans une boucle de la rivière à quelques encablures de la rive un gros hydravion se balance mollement au mouillage.
Gouinov braille un ordre dans le cornet qui communique avec les machines :
– Stoppof machinof et il flanque un vigoureux coup de barre sur la droite.
Malheureusement on ne stoppe pas un cargo mixte comme une trottinette, le gros navire emporté par son élan frôle l’hydravion, continue sa course et monte sur la rive en écrabouillant les premiers arbres de la forêt faisant fuir une escouade de singes et s’envoler une nuée de perroquets.
Le choc est violent, le bâtiment prend un sérieux coup de gite et s’immobilise projetant équipage, passagers et cosaques motocyclistes du Don les uns sur les autres dans un fracas de verre et de bois brisés.
Sur la plage avant la porte de la soue du cochon vole en éclat et l’animal dans un grouic triomphant bondit par-dessus bord et disparait dans la forêt, suivi par Yvon le mousse qui s’était planqué avec le porc pendant l’arraisonnement.
Le commandant Le Merlec jure comme un charretier, son beau navire est bien mal en point. Échoué, il fume comme une vieille soupière.
Les KGBistes se relèvent en rouspétant. Une solide échelle de corde est déployée le long du bordé. Sous les ordres du major Gouinov, le détachement des cosaques motocyclistes du Don débarque et prend pied sur la plage. Lady Rochester, le colonel et capitaine Plantin suivent. La colonne se met aussi sec en marche et disparait engloutie dans la forêt.
Couic, s’extrait à son tour du coffre où il était dissimulé. Un examen rapide lui confirme que les pirates ont quitté le navire. Il court délivrer le capitaine que les cosaques ont ficelé à une manche à air et qui écume de rage en se tortillant comme un beau diable.
Tandis que le Merlec descend délivrer son équipage, Couic de son côté file ouvrir les portes du salon de pont où sont retenus les passagers, puis sans attendre, enjambant le bastingage, il s’élance à son tour sur les traces des cosaques.
Ceux-ci progressent en silence sous la canopée. L’atmosphère de la forêt est lourde et angoissante. Des cris d’animaux invisibles retentissent dans les fourrés et des nuées d’insectes attaquent les mollets des valeureux troupiers bolcheviques.
– Stoppof ! A plaventrof ! Ordonne soudain le major en tête de colonne.
– Quoi ? qu’est-ce qu’il dit ? demande le capitaine Plantin,
– Major dire : baisse you, traduit Lady Rochester…
En effet dans une clairière, une scène singulière se déroule. Les hommes se dissimulent dans la végétation et progressent en rampant.
Une troupe d’hommes en chemises noires avec à leur tête un grand escogriffe fait face à un groupe de sauvages à poil, vêtus de slips noirs.
Plantin donne un coup de coude au major Gouinov,
– Le grand type avec la chemise brune et le ridicule bonnet à gland c’est bien lui ?
– Da capitaine !
– Sacrebleu alors, nos renseignements étaient exacts…
Car c’est bien Benito Mussolini, le Duce, qui s’avance vers le chef Rascar Tofel le chef des Guarani Banana la seule tribu fasciste d’Amazonie.
Sur la foi de renseignements obtenus par leurs agents en poste à Belèm, les trois grands services secrets de France, Grande-Bretagne et URSS ont planifié la neutralisation du dictateur italien : c’est l’opération Bella Ciao.
Les deux chefs se donnent l’accolade et se congratulent sous les ovations de leurs troupes. Les fascistes italiens brandissent leurs fusils Carcano tandis que leurs homologues indiens font de grands moulinets avec leurs sarbacanes en tapant des pieds et en émettant des claquements bizarres avec leurs langues.
Les cosaques ne perdent pas une miette du spectacle mais ils ne sont pas au bout de leur surprise.
Italiens et Indiens se sont assis en cercle. Au centre est installée une sorte de table vers laquelle s’avance le Duce. Il vient d’enlever sa chemise.
Le chef Rascar Toffel pousse devant lui un petit homme tout peinturluré avec de superbes plumes de cacaotès dans le cul. C’est le grand sorcier acuponcteur Zarouflogrololo.
Benito vient de se coucher à plat ventre sur la table. Le chaman s’approche en psalmodiant un air lancinant tout en se trémoussant ce qui fait grelotter le collier de dents de chameau qu’il porte autour du cou. Il se penche sur son patient puis il commence à le piquer avec de minuscules aiguilles dans le dos et sur le derrière car Mussolini vient de se déculotter.
C’est que le Duce est venu ici pour soigner les terribles crises d’aérophagie qui le contraignent à grimacer de manière grotesque à chacun de ses discours pour contenir les immondes flatulences qui incommodent les premiers rangs. C’est son collègue Adolphe qui a beaucoup de contacts en Amérique du sud qui lui a refilé le tuyau. Zaruflogrololo le seul à pouvoir le dégazer de manière durable.
Mais alors que se déroule cette singulière curation, le calme apparent qui règne dans la clairière est troublé par une agitation soudaine.
Les cosaques pourtant bien planqués dans les buissons viennent de se faire prendre à revers par une escouade de sauvages qui leur flanquent des volées de leurs saloperies de fléchettes dans le fion. Les malheureux tentent en vain de se défendre mais ils succombent vite sous le nombre.
Le sorcier acuponcteur Zarouflogrololo est contraint d’interrompre son intervention. Le Duce, les fesses à l’air hérissées de petites pointes, ne peut se relever et braille en Italiens des insultes bien senties à l’encontre des perturbateurs.
Les cosaques sont rassemblés au milieu de la clairière sous la menace de lances et de grosses cuillères en bois très dures qui font un mal de chien sur la tête quand on s’en prend un coup derrière les oreilles.
Lady Rochester, le colonel de Bersagliere et le capitaine Plantin sont à leur tour cravatés. La situation semble désespérée, en quelques minutes l’opération Bella Ciao vient de virer au fiasco…
Mais coup de théâtre, un grand craquement de feuille et de bois brisé se fait entendre et voilà que surgit en trombe au milieu des sauvages un centaure effrayant.
C’est Couic debout sur le cochon, agrippé aux épaules d’Yvon chevauchant la bête, qui sème la panique dans la clairière en hurlant « Chair Cuitier Saint Denis Montjoye » !
A cette vision les Indiens se jettent à terre et se prosternent tout tremblants face contre terre en criant :
– El Cochonitto, el Cochonitto !
Le grand dieu mythique de la forêt provoque une terreur sans nom et la débandade chez les Indiens qui s’enfuient en courant dans la jungle.
Lady Rochester, se jette au cou de Couic qui vient de descendre de sa monture.
– Aow ! My dear boy : bon sang ne saurait mentir !
Plantin se tourne alors vers le colonel de Bersgliere et c’est d’une voix émue qu’il lui annonce :
Mon ami, vous allez pouvoir entrer dans l’histoire !
Mussolini est promptement débarrassé de ce qu’il lui reste de vêtements. On ne lui laisse qu’un slip noir. D’un magistral coup de pied au cul le major Gouinov le propulse dans la forêt.
– Va rejoindrrre copains à toi !
On entoure le colonel à qui le major remet l’uniforme du Duce que ce dernier enfile illico. Le Bersagliere, ému, réalise qu’il vient de prendre du galon…
Pas de doute c’est le sosie de Mussolini qui se dresse désormais au milieu de la clairière.
Ne moisissons pas ici ordonne Plantin, Gouinov rassemblez vos hommes et retournons au bord du fleuve, il faut regagner l’hydravion au plus tôt.
Les sbires de Mussolini, les bras liés dans le dos, sont encadrés par les cosaques qui leur flanquent des coups de crosse dans les côtelettes pour les faire avancer.
Une nouvelle garde fasciste est reconstituée avec une poignée de KGbistes qui revêtent à leur tour les uniformes noirs de leurs prisonniers.
Arrivés sur la plage, le capitaine Plantin salue ses compagnons et claque une bise à Lady Rochester : alors Milady, c’est qui le professionnel ?
Il embarque et s’installe aux commande de l’hydravion. Le nouveau Duce grimpe à son tour dans l’aéronef ainsi que sa garde prétorienne. Les moteurs grondent, les hélices tournent. L’appareil fait demi tour, puis s’élance sur le fleuve. Dans un tourbillon d’écume il s’arrache de la surface et s’élève lentement.Il rase la cime des arbres et disparait dans le lointain. Demain il sera de retour à Rome.
Les cosaques motocyclistes du Don enthousiastes lancent en l’air leurs toques en Astrakan, le major Gouinov salue et Lady Rochester agite un mouchoir.
L’opération Bella Ciao est un succès…
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