2. Rituel

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Athéba inspira profondément. L'air frais des bois gela ses narines et gonfla ses poumons.
Les premières fois, elle s'était dit qu'à force de le répéter, elle serait devenue insensible au rituel. C'était faux. Et cette insensibilité tant désirée n'était jamais venue.
Un frottement à son mollet la déconcerta. Baissant les yeux, elle arrêta son regard sur une peau écailleuse, jaunâtre, et à la texture qu'elle sentait contre sa peau, rugueuse.
Un serpent à petite tête s'enroulait autour de sa jambe. Il glissait ses écailles contre la peau de la prêtresse et s'engouffrait sous sa tunique. Les frottements contre son ventre la chatouillèrent. Elle entendit l'animal souffler sous son habit, comme si ça lui demandait des efforts de la grimper, puis, finalement sortir sa tête par le col de la tunique en raphia.
Tous deux se retrouvèrent tête à tête. Yeux dans les yeux. Elle observait la griffe bleutée dans sa pupille orangée, quand le serpent joua de la langue et lui lécha le nez. Athéba gloussa.
Le reptile sembla fier de cette réaction car il la lécha à nouveau. Elle gloussa encore.
— Arrête ! contesta-t-elle.
Et tout sourire, elle le considéra un instant.
— Tu es nouveau ici, non ? Je ne me souviens pas t'avoir déjà vu.
Le serpent l'examina à son tour, puis lui lécha subitement le nez.
— Ça suffit ! gloussa-t-elle. Ba-yé* ! Je suis en plein rituel, tu ne peux pas me déranger ainsi.
Et puisqu'il ne pouvait évidemment pas la comprendre, Athéba s'accroupit. Elle lui fit signe de descendre avec son doigt. Il ne bougea pas, fixé sur sa figure.
— Ce sont mes yeux, c'est ça ? Ou mes cheveux ?
L'animal ne réagissait pas. On aurait dit qu'il était envouté.
— Ba-yé ! se fâcha-t-elle cette fois.
Il lui lécha le nez, puis fila sous sa tunique avant de glisser sur ses jambes pour atteindre le sol. Il se mit à ramper plus loin.
Quelques secondes suffirent pour qu'il semble disparut à l'horizon. Pourtant, installé à l'ombre d'un buisson pour observer la prêtresse, il n'était qu'à une dizaine de mètres tout au plus.
Mais ici, la lumière filtrait avec maladresse au travers des grands arbres et de leurs feuillages. C'est pourquoi, les quelques faisceaux franchissant le dôme végétal donnaient aux bois une luminosité éparse, tamisée. Ce qui, dans l'esprit des interdits à qui la forêt avait rejeté tout accès, venait rajouter un voile de secret à la nature déjà mystique de ces lieux.
Athéba s'inclina par-dessus son panier. Des trois bocaux en bois, elle en sortit le plus grand dont elle ôta aussitôt le couvercle. À l'intérieur, un liquide originellement vert paraissait ébène du a la faible lumière. Elle s'accroupit pour récupérer aussi sa dague. Petite pièce d'argile à laquelle avait été habilement jointe une longue griffe de macassia. Du bout de cette griffe, elle tâta le creux de son coude gauche, serra les dents, et traça une entaille dans sa chaire.
Enfin, le bocal en main droite, Athéba se redressa et leva son bras blessé au-dessus de lui. Les gouttes de sang roulaient, chutaient, et s'écrasaient dans la mixture noirâtre depuis sa peau d'ébène. Quand elle jugea en avoir donné assez, elle posa délicatement le bocal par terre. Elle lia index et majeur, et les passa dans le creux de son coude. D'un côté comme de l'autre de la déchirure, la peau se mit à s'étirer. Elle commença à couvrir, ce qui bientôt, ne serait plus que le souvenir d'une plaie.
Athéba prit alors un balai brindille dans son panier. Elle le plongea dans bocal.
— Grande Prêtresse, ô mère de toutes les femmes. Accorde à mon sang une portion de tes charmes.
Pendant de longues minutes, elle répéta juste ces mots. Faisant tourner encore et encore son balai dans la mixture. Puis soudain, d'un geste brusque, elle balança son bras en avant. De nombreuses gouttes bondir des brindilles pour s'écraser sur le tronc de l'Acacia.
— Ô mère de toutes les femmes, accorde à mon sang une portion de tes charmes.
Au sommet de l'arbre, les branches se mirent à vibrer. Les feuilles dansèrent en rythme. Changèrent de couleur, passèrent du rose au jaune, puis revinrent au vert.
Athéba se mis à tourner autour de l'Acacia. Chaque trois pas avancée dans les herbes, elle lançait sur le tronc la mixture du bocal. Et sous le regard fasciné d'un petit serpent attentif, elle répétait et répétait encore :
— Accorde à mon sang une portion de tes charmes...

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*Ba-yé ! : Ouste ! Dégage ! Pars loin de loin moi

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