Différences 1/3

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Athéba s'accroupit près de l'arbre. Elle observa le kheme* qui avait maintenant coulé jusqu'aux racines de l'acacia. La mixture se mélangeait lentement à la terre qui, de l'humidité, devenait de plus en plus assombrie. Elle se leva et contempla les feuilles vibrant sur leur branche. Allait-elle ressentir un changement ? Comme à chaque fois, elle en doutait. Après tout, elle n'en avait jamais ressenti un. Cependant, si l'effet du rituel pouvait être étudié d'une quelconque façon, il n'y aurait probablement jamais une meilleure période pour le faire que celle-ci. De tout son vivant, elle n'avait jamais cru sentir une aussi grande baisse dans son lien*.
Un frisson lui parcourut l'échine. Il faisait bien froid dans la forêt. Ça aussi, ça avait changé. La température avait toujours été spécialement humide et fraîche ici, mais rarement au point qu'elle en frissonne.
Son haut panier caler entre son bras et sa hanche, elle ferma les yeux.
Dans le vide de son esprit se dessina une rivière d'où l'eau s'écoulait à toute vitesse. L'image était teintée d'un voile jaunâtre. Puis l'image se mit à bouger, comme si le spectateur se mouvait au bord de l'eau. Longeant ses côtes à la recherche de quelque chose. Soudain, deux mains poilues pénétrèrent le cadre et se saisirent d'un petit poisson dans l'eau.
Athéba rouvrit les yeux. Plus choquée que surprise. Elle ne s'attendait pas à ce que l'Ankié* fasse cela. Elle se frotta les paupières puis entra en grande concentration.
Cette fois, lui apparurent deux bébés singes grimpant difficilement un arbre. Le premier se hissa jusqu'à la première branche qu'il pu attraper et s'y installa. Le second chuta après avoir grimpé la moitié du chemin. Il recommença et chuta encore. Le premier lui tendit alors la main. Mais rien n'y faisait. Le malheureux n'arrivait pas à monter si haut. Le cadre de la vision s'avança d'un coup vers les deux bébés. Deux bras velus apparurent et aidèrent le petit à rejoindre son compagnon plus haut.
Une complainte inatendue sortit la prêtresse de sa projection. Elle examina les alentours. Pour ses rituels, elle choisissait toujours un quatrième jour*. C'était le plus calme et, surtout, à cette période de la journée, il était rare de tomber sur d'autres soeurs* dans le bois sacré.
Son regard finit par s'accrocher à une silhouette non loin, replié sur elle-même dans les grandes herbes. Athéba alla à sa rencontre.
— Eyoliié !
La petite fille tomba en arrière sur ses fesses. Elle releva la tête, un peu déconcertée.
— Ayiisha, ma tante ! salua-t-elle en retour.
Athéba la considéra un instant. Sa jolie frimousse arrondie, ses yeux, grands et pétillants, mais surtout, les deux grandes tresses qui, descendant de ses nattes à motifs triangulaires, venaient chatouiller sa joue potelée et ajoutaient un éclat de gaieté sur un visage déjà rayonnant.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? fini-t-elle par demander, tu es toute seule ?
Mais quand après plusieurs secondes de silence elle remarqua l'air perdu de son interlocutrice.
— Je suis née ainsi, ajouta-t-elle avec un léger sourire.
— Ah ! Pardon, ma tante, s'excusa la petite fille.
Dévisager ainsi quelqu'un était un manque de respect.
— Pardon. Je pratique, ma tante. Je ne voulais pas faire de bruit. Pardon, si je t'ai dérangé.
— Tu ne m'a pas dérangé, mais...
Elle considéra à nouveau les deux tresses descendant sa joue.
— Tu es trop jeune pour prier, non ?
La fille secoua la tête.
— Je saigne déjà, ma tante.
— Oh ! Tu es une grande fille alors.
Elle regarda à sa gauche, puis observa à sa droite.
— Et... ta tutrice n'est pas avec toi ?
—Non, ma tante. Nous n'avons pas apprentissage aujourd'hui. Mais ma tutrice fait beaucoup d'efforts pour moi. Je veux aussi faire de mon mieux pour la rendre fière. C'est pourquoi, je suis venue pratiquer. Seule... Ma tante.
Athéba sourit, touchée en plein coeur.
— Comment l'on t'a nommé ?
— Yaa, ma tante.
Athéba sourit.
— Montre-moi, Yaa.
L'interpelée hocha la tête. Elle s'accroupie et brandit ses mains en avant, au dessus d'une fleur mauve.
Athéba approcha son visage de la fleur. À sa gauche, la jeune fille maintenait ses paupières closes. Elle arborait un air grandement concentré sur visage rondouillet. Ses lèvres galbées frétillaient. Se mouvant, de haut en bas, au rythme de syllabes inaudibles, tandis qu'un collier, de perles d'ivoire ornées d'une agate rouge, s'agitait frénétiquement à son cou.
Athéba continuait à scruter. Elle était si investie, si appliquée, qu'elle ne remarquait même pas avancer sa tête vers les herbes.
— Je n'y arrive pas, se plaignit Yaa.
Athéba se stoppa. Coupée dans son élan.
— Mais si, répondit-elle.
Elle pointa du doigt une petite tache brunâtre qui était venue décolorer le mauve criard du végétal.
Yaa écarquilla les yeux.
— Normalement, je devais la faire grandir...
— Ce n'est pas grave, répondit Athéba en lui caressant les cheveux. C'est déjà très bien. On dirait que l'incantation t'aide, n'est-ce pas ? Demande à ta tutrice de t'en apprendre d'autres et récite-les à haute-voix pour l'instant.
Yaa hocha la tête, mais une moue triste resta accrochée à son visage.
— Prier juste n'est pas facile, renchérit Athéba. Entrer en communication avec la grande prêtresse demande du temps et un long apprentissage.
Elle lui pinça la joue avec affection.
— Tu viens seulement d'être bénit. Tu deviendras très vite meilleure, crois-moi.
— C'est vrai, murmura Yaa. Mais moi, je voulais être spéciale. Je voulais contrôler un éléphant et monter sur son dos.
Athéba leva les yeux au ciel.
— Tu dis des sottises ! Nos soeurs qui prit la matière sont bien plus utilent à la communauté que celles qui prient l'esprit. C'est aussi plus facile. Tu as de la chance d'avoir cette affinité alors soit en fière.
Après une courte pause, elle rajouta encore :
— Et puis, ce n'est même pas possible de contrôler un éléphant. Pourquoi vous avez toutes ça en tête ?
Yaa en fut toute amusée. Elle bondit pour se redresser à son tour. Quand elle se mit à épousseter sa longue tunique beige, elle réalisa que la terre et la verdure avaient pénétré le vêtement. En panique, elle essaya de gratter les traces pour les faire disparaître mais celles-ci semblaient bien incrustées.
Athéba s'accroupit et passa ses doigts sur le tissu. Quand elle la retira, toute saleté avait disparu. Yaa fit les gros yeux.
— C'était tellement rapide !
Athéba lui sourit, en se redressant.
— Allez viens, dit-elle en lui tendant sa main.
— Mais... je veux encore pratiquer un peu, ma tante...
— Pas toute seule. Tu reviendras demain, quand il y aura d'autres soeurs dans le bois sacré.
Yaa se rapprocha à contrecoeur.
— Ma tutrice à dit qu'on était en sécurité ici. Il ne se passe jamais rien de dangereux...
— C'est vrai, mais ils se passent beaucoup de choses inhabituelles ces derniers temps.
Et regardant le ciel à travers les feuillages, elle rajouta :
— Allez, dépêchons-nous, je pense que le bain ne va pas tarder à commencer.
Yaa lui saisit alors la main.


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*Kheme : Mixture à base d'herbes écrasées, liquéfiées, et de sang, que les prêtresses utilisent pour renouveler leur serment et leur lien à la grande prêtresse.
*Lien : Énergie spirituelle ressentie par les prêtresse. C'est un ressenti représentant à quel point elles se sentent en communion avec la grande prêtresse. Et sous-entendant plus où moins la facilité avec laquelle elles peuvent prier à l'instant
*Ankié : Animal qui sera décrit plus tard
*Un quatrième jour : Quatrième jour de leur système calendaire de 5 jours
*Soeurs : Plus ou moins noms de confrérie. Les prêtresses s'appellent ainsi entre elles.

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