Chapitre 25 - Neser

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« Vi offro fame, sete, marce forzate, battaglia e morte. »

« Je vous offre la faim, la soif, la marche forcée, la bataille et la mort. » (Giuseppe Garibaldi).

Neser regagna sa chambre, une vaste pièce au centre de laquelle ronflait un énorme feu de cheminée. Le lit d’acajou trônait dans un coin, sous une alcôve tendue de pourpre. Ici et là, de délicats trophées, savamment disposés, comblaient la vue : une grande et fine treille de verre, une étoile d’or ciselée, symbole de l’ordre des Yule auquel il appartenait, un lourd manteau de soie bleue...

– Maître, fit une voix grêle.

Le Primat se tourna, agacé, vers le Man qui avait l’audace de l’interrompre dans sa rêverie. Le vieux serviteur hésita, se dandina d’un pied sur l’autre, gêné.

– Eh bien quoi ? gronda Neser.

– Sveinn vous attend, Maître. Comme convenu...

Neser avait failli l’oublier. Il grogna, poussa un long soupir et signifia au Man, d’un geste sec de la main, de faire entrer le dénommé Sveinn dans son bureau, contiguë à la chambre du Primat.

Si cette dernière inspirait chaleur et confort, la pièce attenante qui lui servait de cabinet n’était que froideur, exiguïté et malaise pour ses visiteurs. Les murs nus, aux pierres grises, étrécissaient, réduisaient l’espace, le comprimant autour d’une simple table de bois brut et deux chaises malcommodes. Le Man fit entrer Sveinn par la porte donnant sur le corridor, tandis que Neser passait par une discrète tenture d’épais tissu noir, dissimulée par l’angle d’un mur. La chaleur de l’âtre fut instantanément soufflée par un courant d’air glacial.

– Sveinn, salua froidement le Primat, lui refusant ainsi sa caste, son rang ou son titre.

L’interpellé s’inclina en avant, les mains croisées sur la poitrine, murmurant poliment le « Primat Yule Inquisitor » d’usage, d’une voix affaiblie par la peur qui semblait suinter par tous les pores de sa peau.

– Notre... arrangement ne t’a pas convenu, lâcha Neser d’un ton neutre.

– Bien sûr que si, Primat... bredouilla l’homme. Vous...

– Ce n’était pas une question ! aboya-t-il. Tu as failli à mes ordres !

Une rage, froide, sourde, délicieuse, l’avait de nouveau envahi ; plaquant les mains sur le bureau de bois, le Primat plongea son regard dans celui de Sveinn, qui ne put détourner les yeux des prunelles soudain devenues violines. La pupille se réduisait à un point noir, presque invisible. L’étrange sensation, puissante, irrépressible, de vouloir tout dire le saisit à la gorge. Des entrelacs d’un froid cuisant rampèrent le long de ses bras, de son échine. La pression exercée par la capacité de l’Inquisitor s’effaça cependant, aussi soudainement qu’elle lui avait enserré l’âme. Sveinn, haletant, vit le Primat esquisser un drôle de sourire, avant de se diriger vers la porte et de disparaître dans le couloir. Les charnières mal huilées grincèrent en se refermant.

L’homme tenta de se rassurer, voulut se montrer patient ; mais les secondes s’égrenèrent, longues et tranquilles. Il se tordit nerveusement les mains, se lécha les lèvres, essuya du revers de sa manche la sueur qui perlait à son front. Sveinn souhaitait ardemment le retour du Primat, plonger dans ces singuliers yeux mauves et se libérer du poids mort des mots. Il voulait parler, avouer son échec – le Yule Inquisitor ne l’ignorait pas, bien sûr. Qui n’avait pas entendu parler de cet Exlimitus miraculeusement sauvé de la mort ? Peut-être que l’entendre de la propre bouche de l’exécuteur lui apporterait le pardon du Yule ? Et Sveinn sentait une étrange incompréhension le gagner : l’Exlimitus était bien mort lorsqu’il avait quitté les thermes. Si le Primat lui laissait le temps de lui expliquer...

Un courant d’air rabattit la toile de sa tunique contre ses cuisses. Sveinn se retourna, ne réalisant pas tout de suite pourquoi la porte n’avait pas grincé en s’ouvrant de nouveau. Un long frémissement le parcourut tout entier.

Il ouvrit la bouche pour hurler. Un étau incroyable se referma autour de sa gorge. Le désespoir le gagna, alors qu’il tentait vainement d’inspirer une goulée d’air afin de pouvoir parler.

Le masque le contemplait, son œil vide et froid et mort fixé sur lui. Derrière le Veilleur, dans les yeux mauves du Primat Yule Inquisitor, dansait une flamme malsaine.

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