Chapitre 1 : Un village étrange

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Paris, le 30 août 1935.

Dans un petit appartement du centre-ville, Julia s'affairait autour de sa valise. Le mouvement était mécanique, presque instinctif, résultat de ses années d'enquêtes où chaque déplacement exigeait une préparation méthodique. Elle y glissa ses papiers, referma la fermeture, puis attrapa un autre sac, y glissant cette fois son calepin de notes et son petit appareil photo, des outils devenus une extension d'elle-même.

- Alors il me manque plus que mes tickets de train et tout sera bon, murmura-t-elle, une pointe de nervosité mêlée à une détermination farouche dans la voix.

Une voix familière l'interpella depuis le salon.

- Julia, tu as fini ta valise ?

- Oui, c'est bon, j'arrive !

Elle descendit l'escalier, valise à la main. Son grand-père l'attendait au bas des marches, le regard attendri, mais aussi empreint d'une tristesse qu'il s'efforçait de dissimuler.

- Ah, dire que tu dois partir...

- Ne t’en fais pas, Grand-Père. Je sais que Françoise s'occupe bien de toi. Et puis, tu sais pourquoi je dois y aller.

Françoise, la gouvernante, intervint avec douceur :

- Julia, il est temps d'y aller. Votre train ne vous attendra pas.

- Au revoir, Grand-Père. Tu vas me manquer. Je t'écrirai des lettres pour te donner de mes nouvelles, et je te promets que cette fois, je reviendrai avec des réponses.

- Je te crois, mon cœur. Allez, file, sinon tu vas rater ton train. Fais attention à toi.

Elle lui embrassa la joue, sentant l'émotion monter, puis sortit. Le chauffeur l'attendait devant la voiture, la portière ouverte.

- Passez-moi vos valises et montez, dit-il en ouvrant le coffre.

- Merci. Au revoir, Françoise.

- Bon voyage, Julia. Tu vas me manquer aussi. Et bonne chance pour votre quête.

Une fois installée dans la voiture, le chauffeur engagea la conversation :

- C’a dû être difficile de dire au revoir à vos proches.

- Oui, surtout à mon grand-père. Il s’est occupé de moi depuis que j'ai douze ans, le jour où ma mère a disparu... C'est aussi pour cela que j'ai fait des études de journalisme, puis que je suis devenue assistante de détective. Je voulais apprendre à chercher, à comprendre. Mais aucun cas n'a jamais été aussi important que celui-ci.

Un silence s'installa, le chauffeur digérant l'information. Puis il demanda :

- Vous retournez dans votre ancien village, c’est ça ?

- Oui. J’y ai vécu jusqu’à mes douze ans. C’est là que ma mère a disparu. J'ai démissionné de mon poste la semaine dernière. Je veux comprendre ce qui s’est passé, trouver la vérité.

- Vous pensez pouvoir trouver des réponses, après toutes ces années ?

- Je ne sais pas... Mais je dois essayer. J'ai acquis de l'expérience, je sais comment interroger, comment chercher des pistes. Je compte interroger les habitants, ceux qui étaient là à l'époque. Peut-être que certains ont connu ma mère, se souviennent de quelque chose.

- Quel est le nom du village ?

- Saint-Sylvain. Un petit village d’environ mille habitants.

- C’est déjà pas mal. Mais comparé à Paris, ça doit faire un choc.

- C’est certain. Mais c'est là que tout a commencé.

Ils arrivèrent à la gare, la foule dense et bruyante contrastant avec l'isolement qu'elle allait bientôt retrouver. Le chauffeur sortit les valises du coffre.

- Bon voyage, mademoiselle. J'espère que vous trouverez ce que vous cherchez.

- Merci encore.

Une voix annonça l’arrivée du train pour Saint-Sylvain. Julia se dirigea vers le quai, son esprit déjà tourné vers la tâche qui l'attendait. Distraitement, elle bouscula un inconnu, ses pensées ailleurs.

- Oh non, je suis désolée !

- Ce n’est rien, vous allez bien ?

- Oui, je n’ai rien. Excusez-moi.

- Permettez-moi de porter votre valise jusqu’à votre wagon, pour me faire pardonner.

- Ce n’est pas nécessaire... Je suis habituée à porter mon propre équipement.

- Si, j’insiste. Et puis je crois que nous prenons le même train.

- Merci, c’est très aimable à vous.

Une fois à bord, l’homme posa la valise sur le porte-bagage avec une force et une aisance qui n'échappèrent pas à l'œil exercé de Julia.

- Je m'appelle Léo Fairie.

- Enchantée. Moi, c’est Julia Victoire.

- Victoire... Ce nom me dit quelque chose. Vous allez à Saint-Sylvain depuis longtemps ?

- Non, j’y suis née, mais j’ai quitté le village à douze ans. C'était après... ma mère.

- Je comprends mieux. Ma famille vit là-bas depuis des générations. Le nom Victoire me rappelle une certaine Lucille. Ma mère en parlait parfois.

Le cœur de Julia fait un bond.

- Lucille Victoire était ma mère. Vous pensez que je pourrais parler à votre mère ? Toute information, même la plus petite, est précieuse pour moi.

- Bien sûr. Je peux même vous faire visiter le village.

- Ce serait parfait.

La suite du voyage se déroula paisiblement. Léo rejoint sa loge pour se reposer, tandis que Julia, malgré l'excitation, finit par s’assoupir, épuisée par la tension des derniers jours. Quand le train arriva à destination, Léo l’aida à récupérer sa valise.

Sur le quai, une jeune fille accourut vers eux, les bras ouverts.

- Léo, je suis ici !

- Nadia ! Tu as tellement grandi !

Elle se jeta dans ses bras, pleine de joie.

- Je suis trop contente de te voir ! Cinq mois sans te voir à cause de ton travail !

- Tu sais bien que je suis très pris par mon entreprise.

Nadia aperçut Julia et son regard pétilla de curiosité.

- Oh, tu as emmené ta petite amie ? Enchantée ! Moi, c’est Nadia, j’ai dix-huit ans et je suis sa sœur.

- Non, ce n’est pas ma petite amie, sourit Léo. Nous nous sommes rencontrés dans le train.

Julia expliqua rapidement les raisons de sa venue, sa voix professionnelle mais empreinte d'une émotion contenue. Nadia s’exclama, les yeux écarquillés :

- Mais alors tu vas à l’hôtel ? Ma mère en est la patronne !

- Vraiment ? Parfait !

Ils prennent ensemble la direction de l’hôtel. En chemin, Julia, l'observatrice née, séduite par le charme du village, observait les rues, les maisons fleuries, les passants, cherchant déjà des détails, des incohérences, des souvenirs.

- C’est vraiment très joli ici.

- Je te ferai une visite, proposa Léo.

- Non, c’est moi qui veux la faire ! protesta Nadia, pleine d'enthousiasme

- Vous pourriez la faire tous les deux, suggéra Julia en souriant, voyant déjà l'avantage d'avoir deux guides.

Ils rient tous les trois.

En arrivant à l’hôtel, l’odeur réconfortante de bois ciré et de fleurs fraîches enveloppa Julia, contrastant étrangement avec la nervosité qu'il étreignait. Marianne, la mère de Léo et Nadia, les accueillit chaleureusement. Julia observa attentivement le sourire bienveillant de la femme, notant son regard qui s'attardait sur elle avec une curiosité qui ne semblait pas intrusive, mais plutôt empreinte d'une certaine mélancolie. La propriétaire de l'établissement insista pour qu’elle loge gratuitement dans une chambre, une offre que Julia accepta avec gratitude, son esprit pragmatique d'enquêteur calculant déjà que chaque économie réalisée sur les frais de logement pourrait être réinvestie dans des recherches potentielles, des informations à acheter ou des déplacements imprévus.

Alors que Colin, un jeune employé à l'air timide, montait ses affaires, les bagages lourds d'une vie condensée en quelques valises, Julia fut saisie par une silhouette familière dans le hall. Son cœur rata un battement. C'était Julie, son amie d'enfance, dont le visage n'avait que peu changé, si ce n'est par la maturité. L'émotion des retrouvailles était forte, une vague de nostalgie et de tendresse inattendue, un rare moment de légèreté et de chaleur humaine dans sa quête souvent solitaire. Elles se tombèrent dans les bras, les mots se bousculant, les souvenirs remontant à la surface comme des bulles d'eau. Julie, touchée par le récit de Julia – cette quête obstinée pour retrouver sa mère disparue – promit aussitôt de l'aider, un renfort inattendu et précieux.

Le soir venu, le restaurant de l’hôtel, baigné d'une lumière douce, offrait une ambiance intime. Julia y retrouva d’autres visages familiers de son enfance : Jules, dont la carrure robuste et le rire franc n'avaient pas changé, et puis Violette, cette jeune femme élégante dont Julie avait déjà évoqué le nom. L’ambiance était conviviale, les conversations s'enchaînaient, les rires fusaient, rythmés par la musique enivrante de Julie au piano. Mais la surprise fut totale lorsque, au milieu d'un morceau, une voix puissante et mélodieuse s'éleva : c'était Béatrice Hachier, une chanteuse de renom, dont le nom avait souvent fait la une des journaux parisiens. Sa présence inattendue ajoutait une touche de glamour et d'intrigue à cette soirée de retrouvailles.

Cependant, derrière les sourires et la musique, l'œil aguerri de Julia, forgé par des années d'observation en tant qu'assistante de détective, ne manquait pas de percevoir les subtilités des interactions. Béatrice, dont l'intérêt pour Léo était flagrant, observait Julia avec une curiosité qui ressemblait de plus en plus à de la suspicion, voire à de la jalousie mal dissimulée. Un regard aiguisé, une tension imperceptible dans ses épaules, un micro froncement de sourcils – autant de détails qui n'échappent pas à Julia. La discrète tension entre Béatrice et Julia ajoutait une couche supplémentaire au tableau déjà complexe de ce retour.

Plus tard dans la soirée, profitant d’un moment de calme relatif, Julia s'approcha de Marianne. Son cœur battait la chamade, sachant que ce moment était crucial. Elle interrogea la mère de Léo sur Lucille, sa propre mère. Marianne, les yeux embués de larmes et la voix empreinte d'une profonde émotion, lui raconta leurs promenades passées dans les chemins creux de Saint-Sylvain, évoquant l'étrange mine fatiguée de Lucille peu avant sa disparition, ses silences inhabituels, un changement de comportement qui l'avait frappée à l'époque. Julia nota mentalement chaque détail, chaque émotion, chaque mot, les rattachant aux fragments d'informations déjà en sa possession. Puis Gaël, le mari de Marianne, compléta le récit, ajoutant des souvenirs de l’époque : l’histoire d’amour entre les parents de Julia, le contexte d'après-guerre qui avait secoué le village, la mort du père de Julia, et l'enquête chaotique et sans réponse qui avait suivi la disparition énigmatique de Lucille.

Soudain, une information se détacha du flot de souvenirs, une étincelle dans l'obscurité. Julia tenait une première piste, concrète, la plus solide qu'elle ait eue en douze ans de questionnements incessants : la dernière personne à avoir vu sa mère était la femme du cuisinier du café du village. Une source potentielle, un témoin clé. Une détermination nouvelle l'envahit. Elle décida de s’y rendre dès le lendemain matin, avec Julie, ce renfort inattendu et si précieux.

La journée se terminait sur un mélange d'émotions fortes, des souvenirs douloureux ravivés, mais aussi l'espoir tangible de découvrir enfin la vérité. Julia savait que le chemin serait long, semé d'embûches et de déceptions. Mais son expérience d'enquêteur lui avait appris la persévérance, que la vérité, même enfouie sous des années de silence et d'oubli, finit toujours par refaire surface. Et elle était plus que jamais prête à la déterrer.

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