Chapitre 2 : L'ombre du mystère
Le lendemain matin, les premiers rayons du soleil perçaient délicatement les rideaux de la chambre de Julia, peignant des motifs changeants sur le mur. Dehors, un coq chantait fièrement, son "Cocorico ! Cocorico !" déchirant le silence de l'aube, annonçant le début d'une nouvelle journée.
Julia se retourna dans son lit, les yeux encore mi-clos, un soupir d'épuisement lui échappant.
- Mmmh... Il est quelle heure ? murmura-t-elle, frottant ses paupières pour chasser les derniers vestiges du sommeil.
Elle se leva lentement, bailla profondément, et se dirigea vers la salle de bain. Tandis qu'elle finissait d'attacher ses cheveux, comme à son habitude quand elle savait qu'une journée de travail l'attendait, un doux coup retentit à la porte.
- Toc toc toc.
- Oui, entrez, c'est ouvert, répondit Julia, sa voix reprenant déjà son ton plus professionnel.
La porte s'entrouvrit et Julie entra, un large sourire illuminant son visage.
- Bonjour Julia ! Tu as bien dormi ?
- Bonjour, oui, très bien, et toi ? Un peu agitée par ce que Marianne et Gaël nous ont dit hier soir, mais au moins, nous avons une piste.
- Pareil, répondit Julie, visiblement plus légère. J’ai même rêvé qu’on avait résolu le mystère de ta mère !
Les deux amies rirent doucement, un rire qui dissipait un peu la tension palpable de la veille.
Un autre coup, plus insistant, retentit à la porte.
- Toc toc !
Colin passa la tête dans l'encadrement, un sourire contrit.
- Bonjour les filles. Je viens vous dire que le petit-déjeuner est prêt.
Julie croisa les bras, amusée, taquinant gentiment le jeune homme :
- Je pense surtout que tu veux qu’on sorte pour que les femmes de ménage puissent nettoyer les chambres. C'est ça, avoue !
Colin rougit légèrement, pris au dépourvu, mais son sourire s'élargit.
- C’est vrai... mais avouez que le petit-déjeuner, c’est le repas le plus important de la journée ! On ne veut pas que vous manquiez d'énergie pour vos... recherches !
- Oui, papa ! répondit Julie en riant, en lui donnant une tape amicale sur l'épaule.
Julia sourit à son tour, appréciant l'humour léger.
- Merci de nous avoir prévenues, Colin. Allez viens, Julie, allons manger.
Elles descendirent ensemble vers la salle à manger, l'esprit déjà tourné vers la journée à venir, prêtes à commencer une nouvelle journée de découvertes et de souvenirs. Le petit-déjeuner se déroula dans une ambiance chaleureuse, les discussions portant sur des sujets anodins avant de revenir naturellement à la quête de Julia. Une fois rassasiées, et le plan de la matinée établi, Julie proposa :
- Tu veux qu'on aille visiter le village avant d'aller au café ? Je t'ai promis qu'on irait voir le café de mes parents.
- Allons-y. Plus vite on commence, plus vite on trouvera des réponses, répondit Julia, son énergie d'enquêtrice déjà pleinement activée.
Elles quittèrent l'hôtel, longeant les ruelles pavées du village. Le marché battait son plein, les étals débordaient de produits frais, les voix des marchands se mêlaient aux rires des enfants. Les villageois souriaient à Julie, certains reconnaissaient Julia et la saluaient timidement, curieux de son retour après tant d'années. L'atmosphère était paisible, presque idyllique.
C'est alors qu'un changement subtil se fit sentir. Des murmures se propagèrent, et peu à peu, la foule commença à se densifier et à se diriger vers une même direction, comme attirée par un aimant invisible. Des sirènes lointaines se firent entendre. Intriguées et alertées par ce mouvement inhabituel, Julia et Julie s'approchèrent avec méfiance. Le cœur de Julia, habituée aux scènes de crime, se serra.
La police était sur les lieux, des barrières improvisées en ruban délimitant un périmètre. Une petite foule s'était déjà amassée, les visages tendus, les regards avides de comprendre ce qu'il se passait. Au centre de l'agitation, les gyrophares d'une voiture de gendarmerie illuminaient l'entrée d'un magasin de fleurs, ses rideaux tirés, une pancarte "Fermé" à peine visible.
Sans hésiter, Julia, son ancienne formation prenant le dessus, s'approcha du cordon. Elle identifia le gendarme qui semblait diriger les opérations, un homme d'âge mûr, le visage fermé.
- Monsieur le policier, pouvez-vous m’expliquer ce qu’il se passe ? demanda Julia d'une voix ferme et posée.
Le gendarme la toisa, son regard balayant sa silhouette élégante et déterminée.
- Ce n’est pas vos affaires, mademoiselle. La zone est bouclée.
Julia ne se laissa pas démonter. Elle sortit de sa petite pochette une carte finement gravée, son ancienne carte d’assistante de détective privé, qu'elle tendit discrètement.
- Je me présente, Julia Victoire. J'ai été l'assistante de Monsieur Henri Dubois à Paris pendant plusieurs années. Mon expérience pourrait peut-être être utile.
Le gendarme prit la carte, son sourcil se levant légèrement.
- Ah oui, Dubois... Un grand nom. Mais vous ne travaillez plus pour lui, n'est-ce pas ? La date est expirée.
- Non, c’est vrai, j'ai démissionné il y a peu. Mais mes compétences, elles, ne sont pas périmées.
Le gendarme lui rendit la carte, le visage toujours aussi fermé.
- Je n’ai rien à vous dire. Nous avons la situation en main.
Julie, qui regardait la scène, tira doucement le bras de Julia.
- Julia, laisse la police faire. Tu sais, ici, on n'est pas à Paris.
Julia secoua la tête, son regard rivé sur l'entrée du magasin.
- Impossible, Julie. Chaque énigme doit être résolue, et celle-ci vient de tomber juste sous nos yeux. C'est peut-être lié, qui sait ?
- Je comprends, mais tu vois bien que la police ne va rien te dire, insista Julie, plus terre-à-terre.
- Quand c’est comme ça, on va attendre, répondit Julia, son esprit déjà en pleine analyse de la scène, des visages des gendarmes, de la configuration des lieux. Elle observait les mouvements, les moindres détails, cherchant un angle, une faiblesse.
Elles s'écartèrent légèrement, observant la scène de loin. Finalement, après de longues minutes, les gendarmes, leur travail préliminaire terminé, commencèrent à disperser la foule et à quitter les lieux, laissant derrière eux une atmosphère pesante. Une fois le périmètre levé et le calme relatif revenu, Julia saisit l'opportunité.
- J'y vais, dit-elle à Julie, son regard fixé sur la porte du magasin.
Elle se glissa discrètement à l'intérieur, le silence du lieu étant seulement rompu par les éclats de verre brisé et l'odeur entêtante des fleurs fanées. Dans l'arrière-boutique, une dame d'âge moyen était assise derrière une petite table recouverte de pots de fleurs vides, le regard vide et triste, les mains tremblantes. Elle semblait plongée dans un état de choc profond.
- Madame, désolée de vous déranger, commença Julia d'une voix douce mais ferme, s'approchant avec précaution. Puis-je vous poser quelques questions ?
La femme leva lentement les yeux, ses traits ravagés par le chagrin.
- Que me voulez-vous ?
- J’aurais voulu savoir... le contexte. Qu’est-ce qui s’est passé ici ?
La femme renifla, sa voix à peine audible.
- Ma sœur... ma sœur est morte cette nuit. C'était elle, la fleuriste.
Le cœur de Julia se serra d'empathie.
- J’en suis désolée pour vous, sincèrement. Avez-vous une idée de ce qui s'est produit ?
- J’aurais dû rester ici cette nuit... murmurait la femme, le regard perdu dans le vide. J'aurais dû la protéger.
- Vous étiez où ? demanda Julia, notant chaque mot, chaque hésitation.
- Chez une amie... dans le village voisin. C’est que ce matin, en rentrant, que j’ai découvert le corps de ma sœur... morte.
- Où ça précisément ?
- Dans la cuisine. L'arrière-boutique, là où elle préparait ses bouquets pour le marché du matin.
- M’autorisez-vous à regarder ? Je suis... j'ai une certaine expérience avec ce genre de situation.
La femme, comme anesthésiée par le chagrin, fit un signe de tête vague, incapable de protester.
- Oui... Allez-y.
Julia se dirigea vers l'arrière-boutique, son regard scannant chaque recoin, chaque détail. L'odeur du sang se mêlait à celle des pétales de roses écrasés. Sur le sol de la cuisine, les contours d'une forme humaine étaient encore visibles, tracés à la craie par la police. Elle s'agenouilla, examinant le carrelage, les éclaboussures sombres sur le mur près d'une pile de pots. Elle remarqua une petite marque sur le cadre de la porte menant à la cour arrière, comme si quelqu'un l'avait forcée. Son instinct de détective s'éveilla pleinement, chaque indice, si minime soit-il, étant une pièce du puzzle. Elle prit quelques photos rapides avec son appareil, un outil qu'elle utilisait rarement mais dont l'efficacité n'était plus à prouver. La scène du crime portait les marques d'une lutte, brève mais violente.
Satisfaite de ses premières observations, Julia rejoignit Julie qui l'attendait discrètement. Le meurtre était une affaire sérieuse, mais elle ne devait pas perdre de vue sa quête principale. Elles se dirigèrent ensuite vers le café.
- C'est ici, murmura Julie, désignant un bâtiment en pierre orné de jardinières fleuries. Ma mère y travaille encore parfois. Et Armand, le propriétaire, était déjà là quand ta mère servait. Il a des souvenirs précis.
Un homme trapu, le visage marqué par le soleil, balayait la terrasse avec une lenteur calculée.
- Bonjour monsieur Armand ! appela Julie avec un grand sourire.
Il leva la tête, ses petits yeux vifs se posant sur elles. Il s'approcha, posant son balai contre le mur.
- Julie... Et toi, tu dois être Julia Victoire. Tu ressembles à ta mère, la même lueur dans les yeux.
Julia sentit son cœur se serrer à l'évocation de Lucille.
- Vous la connaissiez ? Vraiment bien ?
- Bien sûr. Une femme douce, toujours polie. Elle venait souvent ici même après son travail, pour un café, une tisane. Attendez ici, ma femme Madeleine l'a vue le jour où elle a disparu. Elle vous en dira plus, elle se souvient de tout.
Il entra dans le café et revint un instant plus tard avec une femme âgée aux cheveux gris attachés en un chignon strict, mais au regard doux.
- Julia... Que le temps passe. Tu lui ressembles tant.
- Vous étiez la dernière personne à l'avoir vue ? Le gendarme qui enquêtait à l'époque n'avait pas réussi à vous interroger.
Madeleine acquiesça, un voile de tristesse passant sur son visage.
- Oui. Elle est venue prendre une tisane, comme souvent. Mais ce jour-là, elle était tendue. Pas comme d'habitude. Elle m’a dit qu’elle avait vu un homme inconnu près de la forêt, pas d'ici. Il la regardait avec insistance. Elle semblait très inquiète, elle n'avait pas l'air rassurée de rentrer seule.
- Elle a dit où elle allait ensuite ? Est-ce qu'elle vous a donné un indice sur ce qu'elle cherchait ou fuyait ?
- Elle a parlé d'un passage à l’église... un dernier arrêt, je crois. Elle avait l'air de vouloir y faire quelque chose de précis. Et puis... plus rien. Personne ne l'a revue.
Julia remercia la femme, le cerveau déjà en ébullition. Un homme inconnu. La forêt. L'église. Des pièces qui commençaient à s'assembler, même si l'image restait floue. Elle s'éloigna avec Julie, son carnet mental se remplissant de nouvelles données.
- On va à l’église ? proposa Julie doucement, comprenant l'urgence.
- Oui. Tout de suite. Chaque minute compte maintenant.
L’église de Saint-Sylvain se dressait en haut d’une colline paisible et silencieuse, dominant le village. Son clocher se découpait sur le ciel bleu. Elles poussèrent la lourde porte de bois, qui gronda sur ses gonds avec un son séculaire. À l'intérieur, la lumière filtrait par les vitraux colorés, peignant des halos de toutes les nuances sur les bancs de bois et le sol dallé. L'odeur d'encens et de pierre ancienne flottait dans l'air.
Julia marchait lentement, son regard scrutant les recoins sombres, l’esprit accaparé par les souvenirs de sa mère et les nouvelles informations. C'était un lieu de paix, mais aussi de mystère désormais.
- C’est ici que j’ai fait ma première communion, murmura-t-elle, une pointe de nostalgie dans la voix.
En s’approchant du confessionnal, un vieux meuble en bois sombre et massif, quelque chose attira son attention. Gravé sur le bois usé par le temps, à peine visible sous des décennies de patine, un petit symbole : une rose entrelacée de deux lettres, un "L" et un "P", si elle ne se trompait pas.
- Regarde Julie. Tu vois ce symbole ? murmura Julia, son doigt suivant les contours discrets. Il ne me dit rien. On dirait un message codé... ou une marque.
- Tu crois que ta mère l’a laissée ? C'est le genre de chose qu'elle aurait pu faire.
- Peut-être... ou quelqu'un qui la connaissait bien. C'est trop précis pour être un simple graffiti.
Des bruits de pas pressés firent sursauter les deux jeunes femmes, rompant le silence de l'église. Léo apparut, essoufflé, un vieux carnet relié de cuir à la main. Son visage était pâle, son expression grave.
- Julia ! Je vous cherche. Julie, tu veux bien nous laisser ? J’ai trouvé quelque chose... et c'est important.
Julie acquiesça, comprenant l'urgence dans la voix de son ami. Elle lança un regard à Julia, puis sortit en silence, refermant la lourde porte derrière elle.
Léo tendit le carnet à Julia, ses mains tremblantes.
- J’ai fouillé dans un vieux coffre chez ma mère, celui de grand-mère. Ce carnet... Il appartenait à Lucille Victoire. Ta mère.
Julia sentit ses mains trembler encore plus fort en prenant le cahier. La couverture était usée, mais l'écriture de Lucille, fine et précise, remplissait les pages. Des notes, des réflexions sur le village, des listes de courses, des rendez-vous étranges, quelques noms... Elle tourna les pages avec fébrilité, son cœur tambourinant.
À la toute dernière page, comme un ultime message gravé dans le temps, un seul mot était écrit, en majuscules, comme hurlé par le désespoir :
ILS M’ONT TROUVÉE.
Un frisson glacial parcourut l'échine de Julia. Le mystère de sa mère venait de prendre une tournure bien plus sombre. Ce n'était pas une simple disparition, c'était une fuite. Et apparemment, une fuite qui s'était mal terminée. La rose et les initiales. L'homme inconnu. Le meurtre de la fleuriste ce matin. Tout commençait à se lier de manière inquiétante. Le village de Saint-Sylvain, si charmant en apparence, cachait manifestement des secrets bien plus profonds et dangereux qu'elle ne l'avait imaginé.

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