Chapitre 3 : Le carnet mystère

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« ILS M’ONT TROUVÉE. »

Julia resta figée, le souffle coupé, les yeux rivés sur la dernière page du carnet de sa mère. Cette phrase, griffonnée à la hâte, presque arrachée au papier, résonnait en elle comme un écho glaçant venu d'un passé douloureux, réactivant l'alarme silencieuse de son instinct d'enquêteuse. Le sang de ses veines sembla se glacer. Ce n'était pas la fin attendue d'un journal intime, c'était un cri d'alarme, un point final terrifiant.

- Attendez... pourquoi aurait-elle écrit ça ? Et en majuscules ? Elle était terrifiée, murmura-t-elle, sa voix à peine audible, choquée par l'implication de ces mots.

Léo approcha, son visage reflétant son inquiétude.

- Julia, ça va ? Tu as l'air d'avoir vu un fantôme.

Elle lui montra la dernière phrase du carnet, le papier tremblant légèrement entre ses doigts.

- C’est une histoire étrange, répondit-il après avoir lu, son front se plissant. Pourtant, de ce que j'ai toujours entendu dire de ta mère, elle ne semblait pas avoir de problèmes avec quiconque. C'était une femme discrète, appréciée.

- Moi non plus, je n’aurais jamais cru qu'elle vivait dans la peur... Et regarde, Julie et moi avons trouvé ça aussi.

Elle lui désigna du doigt la gravure sur le mur en bois vieilli du confessionnal : une rose délicatement entrelacée de ce qui ressemblait clairement à un "L" et un "P".

- L et P... Ce ne serait pas les initiales de tes parents ? demanda Léo, ses yeux suivant le tracé.

- Si, je pense. Lucille et... Paul. Mon père. Mais pourquoi à cet endroit précis ? Un confessionnal ? C'est... insolite pour un tel souvenir. À moins que ce ne soit un lieu de rencontre, un repère ?

- Tu devrais lire le carnet en entier. Peut-être que tu trouveras d'autres indices, des noms, des dates, des lieux... Tout ce qui pourrait éclairer ce message final.

- Tu as raison. Je vais le faire en rentrant à l’hôtel, je pourrai analyser ça calmement.

- Non, fit Léo, un regard appuyé vers le silence de l'église. Lis-le ici. Tu seras tranquille. Personne ne vient jamais ici en dehors de la messe du dimanche. C'est le lieu le plus sûr et le plus discret du village en ce moment.

Julia acquiesça. L'isolement de l'église, la lumière tamisée et le calme ambiant étaient propices à la concentration. Léo lui adressa un dernier regard compréhensif avant de quitter l’église, la laissant seule avec les pensées de sa mère.

Elle s’assit sur un banc de bois, le carnet posé sur ses genoux, et l'ouvrit avec une révérence quasi religieuse. À chaque page tournée, la voix de sa mère sembla soudain résonner dans sa tête, le style d'écriture devenant de plus en plus familier, les émotions de Lucille lui parvenant par-delà les années.

Extraits du journal de Lucille Victoire :

22 octobre 1912 : Aujourd’hui, j’ai commencé à travailler au café. Depuis la mort de maman, j’avais besoin de changer d’air. Le village est petit, inconnu, mais Marianne, la propriétaire de l’hôtel, m’a accueillie avec bienveillance. C’est elle qui m’a recommandée pour ce poste. J’espère que cette nouvelle vie sera heureuse. [Julia sourit, reconnaissant la gentillesse de Marianne, une constante.]

22 novembre 1912 : Cela fait un mois que je vis ici. Armand, mon patron, est drôle et attentionné. Marianne m’aide à chercher une maison. Aujourd’hui, j’ai rencontré un homme de passage. Il est militaire, venu voir son père mourant. Il m’a touché par sa tristesse. Le cœur de Julia s'accélère, Paul, son père. L'histoire d'amour qui avait précédé sa propre existence.]

2 janvier 1913 : Il est revenu. Il m’a offert un bouquet de fleurs. Pour moi. Mon cœur bat si fort... Comme un coup de foudre. Il s'appelle Paul. [Une romance naissante, loin des ombres.]

10 avril 1913 : Je vis maintenant dans une petite maison. Paul et moi, nous sommes inséparables. La vie est merveilleuse. [Le bonheur avant la tourmente.]

14 août 1913 : Notre mariage était magique. Nous avons gravé une rose entrelacée de nos initiales sur le mur de l’église. Un geste symbolique pour nos enfants, un jour. Julia regarda la gravure, un lien tangible, un message pour elle. La Rose des Victoires, un symbole secret de leur amour.]

10 août 1914 : La guerre... Paul a été rappelé à Paris. Nous nous sommes promis de nous écrire. [Le début de la fin.]

30 août 1914 : Il me manque terriblement. Dans sa dernière lettre, il m’a parlé d’un homme avec qui il avait eu des conflits importants. Il ne m’a pas donné son nom, juste qu'il était impliqué dans des affaires louches, des marchés noirs. [Les yeux de Julia s'écarquillèrent. Un conflit. Un homme dangereux. Un mobile ?]

2 janvier 1915 : Plus aucune lettre de Paul. Le village s’organise, les femmes comme moi travaillent pour soutenir l’effort de guerre. C’est très difficile. [La solitude, l'angoisse.]

15 novembre 1915 : Le village est attaqué. Des morts, des blessés. Marianne a failli mourir. Son fils, Léo, n’avait que trois mois. [L'horreur de la guerre, même loin du front. Cela expliquait la cicatrice de Marianne.]

26 décembre 1915 : Paul est revenu pour Noël. Méconnaissable. Barbu, fatigué, hanté. Il a vu des choses terribles. Il repart demain. Ça me brise le cœur. [Le traumatisme de la guerre. Était-ce lié à cet "homme" ?]

6 février 1916 : Je suis enceinte. Trois semaines. J’ai écrit à Paul pour le lui dire. Marianne me soutient, elle est un roc. [L'espoir dans le désespoir.]

5 juillet 1916 : L’armée m’a annoncé la mort de Paul. Je suis anéantie. J’ai failli perdre notre bébé en l’apprenant. Mais la lettre... Il m'a laissé un testament, une lettre où il me supplie d’éviter un homme dangereux. Cet homme pourrait me tuer. Il m’a dit de ne jamais faire confiance aux apparences. Il n’a jamais dit son nom, juste qu'il était puissant, influent. [La terreur. Un homme puissant. Le lien avec la disparition de sa mère devenait de plus en plus évident, sinistre.]

3 novembre 1916 : Ma fille est née. Julia. Mon ange. Elle ressemble à son père. Je ferai tout pour la protéger. Ce sera ma dernière écriture dans ce carnet. [La promesse d'une mère. Une protection qui a échoué.]

6 décembre 1928 : ILS M’ONT TROUVÉE. [Douze ans plus tard, le cri final de sa mère, signifiant que la menace l'avait rattrapée. C'était donc une traque, pas une simple disparition.]

Julia referma le carnet, le cuir froid contre ses doigts brûlants d'émotion. Le poids de ces révélations la submergeait. Elle sentit des larmes monter, mais son instinct la retenait. Il fallait être forte, lucide. Léo et Julie l'attendaient à l’extérieur, leurs visages empreints d'une inquiétude grandissante. Elle sortit de l'église, ses pas lourds, mais sa résolution plus forte que jamais.

- Julia, demanda Julie doucement, son regard balayant le visage bouleversé de son amie, tu as découvert quelque chose ?

- Oui... Bien plus que ce que j'imaginais. Mon père a été tué... Il est mort à la guerre, mais la cause était liée à un homme. Un homme dangereux qui le cherchait. Et ce même homme, ou des personnes liées à lui, cherchaient ma mère. C'est pour ça qu'elle a écrit "ILS M'ONT TROUVÉE" douze ans plus tard. Elle vivait dans la peur.

Léo blêmit, le souvenir de l'attaque du village par des "hommes" pendant la guerre lui revint.

- Tu penses qu’il aurait pu la tuer ? Cet homme mystérieux ?

- Non... On l’aurait su. Un corps, des traces. Mais il était dangereux. Très dangereux, d'après la lettre de mon père. Et son silence, ce manque de nom... cela implique une certaine puissance.

- Et s’il revenait pour toi ? dit Julie, sa voix tremblante d'inquiétude. Maintenant que tu es là, que tu fouilles...

- Douze ans plus tard ? Ce serait bizarre. Mais ce n'est pas impossible. Un détective m'a appris que les vieilles affaires sont souvent les plus dangereuses car les coupables se croient intouchables.

- Justement. On ne sait rien de lui. Il pourrait être n’importe où, n'importe qui. Un homme influent, comme tu disais.

- On devrait peut-être prévenir la police, proposa Léo, le visage grave. Au moins pour l'enquête sur ta mère, et le meurtre de la fleuriste. Qui sait si ce n'est pas lié ?

- Non. Pas encore, trancha Julia. La police a déjà prouvé ses limites dans l'affaire de ma mère. Et pour la fleuriste, ils n'ont pas l'air très ouverts à la collaboration. Je dois d'abord comprendre qui est cet homme, ce qu'il voulait. Et si le meurtre de ce matin est un message ou une coïncidence.

Le groupe rentre à l’hôtel, l'ambiance lourde de ces nouvelles révélations. Dans le hall, Béatrice les attendait, son visage tordu de fureur, l'air d'une lionne prête à bondir.

- Léo, tu étais encore avec cette fille ? Je ne comprends pas ce que tu lui trouves ! Elle est à peine arrivée et elle sème déjà le trouble !

- On n’est pas mariés, je te rappelle, répliqua Léo, son ton plus sec que d'habitude. Mes affaires personnelles ne te regardent pas.

- Tu le seras. Mon père attend toujours ta réponse. Les Fairie et les Hachier sont faits pour s'unir.

- Combien de fois dois-je te dire non ? Je n'épouserai personne par intérêt.

Marianne apparut à cet instant, son regard s'assombrissant face à la dispute.

- Alors, les enfants, comment se sont passées les recherches ? s'enquit-elle, tentant de détourner l'attention.

Julia, sans ménagement, fit face à Marianne et Gaël, son visage grave.

- J’ai découvert beaucoup de choses... Mon père a été tué par un homme dangereux. Un homme que ma mère craignait par-dessus tout. Et ce même homme, ou du moins une menace liée à lui, cherchait ma mère. C'est pour ça qu'elle a disparu.

Marianne posa une main sur son cœur, son visage pâle.

- Oh, Lucille... J’espère qu’il ne lui est rien arrivé de pire.

Gaël, arrivant derrière elle, le visage sombre, ajouta :

- Tu n’y es pour rien, ma chérie. La guerre a fait beaucoup de mal.

Soudain, une voix retentit depuis l'entrée du hall :

- Julia, tu es revenue !

C’était Violette, mais son visage, d'ordinaire si serein, semblait cette fois pâle et anxieux, ses yeux fixés sur Julia avec une intensité troublante.

- Tu vas bien ? demanda Julia, observant les signes de détresse de Violette.

Marianne s’approcha, le front plissé.

- C’est à propos de ton mariage, Violette ?

Tout le monde se retourna, l'étonnement peint sur les visages.

- Mariage ? s’exclamèrent Léo et Julie en chœur.

Violette hocha la tête, les larmes menaçant de perler.

- Oui... Mon père veut que j’épouse un militaire de Paris. Matt Caulfield. Le mariage est arrangé.

Julia sursauta. Le nom résonnait étrangement familier. Elle avait travaillé avec le bureau de son grand-père, elle connaissait les noms importants du milieu militaire.

- Matt Caulfield ? Je le connais. C’est le chef militaire qui a remplacé mon grand-père à la tête de son ancien régiment.

- Il est comment ? demanda Violette, inquiète, son regard implorant.

- Sérieux, travailleur, attentionné... mais strict. Un homme de devoir. Pourquoi ton père veut-il ce mariage ? Est-ce qu'il y a une raison particulière derrière cette alliance forcée ?

- Il dit qu'il veut protéger notre famille... qu'il prépare déjà la prochaine guerre. Il a des informations. Il veut des alliances militaires.

- Mais la guerre est finie, Violette... murmura Julie, incrédule.

- Le traumatisme... Ou peut-être pas. Certains disent qu'il y a des tensions qui couvent, dit Julie en baissant les yeux, un air grave.

- Quand est-ce qu’il arrive ? demanda Julia, son esprit déjà en train d'établir des liens complexes. Un militaire influent de Paris... Le même cercle que son grand-père... L'homme dangereux dont parlait son père...

- Dans quelques jours. Le temps de préparer la cérémonie.

- On est là pour toi, dit Julie, posant une main réconfortante sur l'épaule de Violette.

- Je vais essayer de parler à ton père, promit Julia, son regard déjà déterminé. C'est peut-être une piste inattendue.

- Tu peux essayer... mais il est très têtu, et son ambition dépasse souvent sa propre famille.

La tension monta d’un cran. L'ombre du passé s’allongeait sur Saint-Sylvain, et le présent commençait à se parer de nouvelles menaces. Un meurtre récent, la disparition inexpliquée d'une mère, un mariage arrangé avec un militaire de haut rang... et au cœur de tout cela, la figure énigmatique d'un homme dangereux. Julia sentait que toutes ces pièces du puzzle commençaient, d'une manière terrifiante, à s'assembler. La vérité, elle le savait, serait sans doute plus complexe et plus douloureuse qu'elle ne l'avait imaginé.

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