04h12
Il arrête le réveil d’un geste machinal, puis son regard se fixe sur un portrait peint à l'huile qui repose à côté sur la table de nuit. Il sourit fièrement en plongeant son regard dans celui d'Émilie, mais je ressens sa tristesse cachée. Ses longs cheveux de jais, ses iris ébènes… Je l'ai indirectement connue, cette femme m'était chère d'une certaine manière.
— Bonjour maman. J’espère que le festival des Quinze t’a plu ?
Michel murmure d'une voix mélancolique, tandis que je constate que mon ERA a diminué d’un point. Cela s'est produit quand j'ai changé involontairement d'hôte. Je n'ai pas de consignes précises, donc j'agis visiblement par réflexe de recherche. C'est comme demander de bouger un doigt sans préciser lequel par avance.
— Merci d’avoir arrêté ton réveil !
La douce voix de Mizuki fait sourire Michel d'un ton presque rieur.
— De rien, petite sœur !
Il passe ses mains dans ses cheveux courts, tandis que son regard observe une pièce peu meublée. L’étagère est cependant remplie d’ouvrages variés. Il se lève d'un geste vif, puis marche d’un pas assuré vers son bureau, s'assoit calmement, saisit la carte posée sur le livre encore neuf et affiche un sourire en coin.
— Michel Ashura, félicitations pour ta majorité. Linda Mayer.
Il range la carte dans le tiroir du bureau, puis ouvre le livre avec douceur. Brusquement, la puissante voix de Mizuki résonne de nouveau au travers de la cloison qui sépare leurs deux chambres.
— Je parie que tu lis le livre que Linda t’a offert hier ?
— En effet.
— Tu as vu sa carte ?
— Oui.
— Elle a vraiment une belle écriture, je suis un peu jalouse.
Michel adopte rapidement un doux ton moqueur.
— Tu devrais aussi lire pour t’instruire.
— Tu sais bien que je n’aime pas la géographie !
— Connais-tu au moins le nom de notre pays ?
— Évidemment ! C'est Élidia !
— Est-ce qu’un sujet t’intéresse particulièrement ?
— L’exploration !
— Que dirais-tu que je te raconte ce que dit mon livre de notre village ?
— D’accord, je t’écoute !
Michel tourne les pages, puis s’arrête sur celle qui parle de Hanakaze.
— Entourée d’une forêt luxuriante aux arbres imposants, la faune et la flore s’épanouissent dans ce village pittoresque. En été, les ombres rafraîchissantes de la nature se reflètent dans la rivière cristalline qui serpente à travers les terres fertiles aux récoltes abondantes et savoureuses, le tout sous le regard protecteur de la chaîne de montagnes d’Alpina.
— C’est très beau, mais est-ce que tu n’aurais pas un peu arrangé le texte ?
— Les informations factuelles restent exactes.
Les firins éclairent la pièce depuis l'extérieur en virevoltant derrière la fenêtre close, tandis que sur le bureau, la bougie reste éteinte. Les aquinas nagent avec de petits clapotis sans que Michel soit distrait. Je constate également que je ne perçois que les pensées clairement formulées.
— J’aime ta façon de raconter, mais j’ai déjà exploré le village !
— Et si on changeait de sujet ?
— D'accord.
— Parle-moi de la tenue qu’Etsuko t’a confectionnée ?
— Je ne l’ai pas essayée, mais j’aime son style simple et sa couleur sombre.
— Est-ce que tu t’es amusée au festival ?
— C’était génial ! Alice et Chloé jouaient des rivales farouches !
Le rire soudain de Mizuki fait sourire Michel, qui continue de lire.
— Tom est venu me voir, mais s’est mis à rire nerveusement.
Michel bâille légèrement, puis se frotte les yeux sans se déconcentrer.
— C’est bizarre, il n’est nerveux qu’avec toi.
— Je sais, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi.
La voix de Mizuki indique une faible inquiétude dans l’intonation.
— Laisse-lui du temps, ça ira.
Il est peut-être amoureux de Mizuki ?
— Tu as sûrement raison, mais j'ai quand même voulu lui demander.
— Qu'est-ce qu'il a répondu ?
— Rien, Mike est venu me défier en duel à ce moment précis.
— Celui-là a le chic pour tomber au mauvais moment.
— Papa lui a dit que c’était inapproprié et qu’il devrait patienter. Et toi, tu t’es amusé ?
— Samuel m’a raconté une anecdote qui date d’il y a six mois.
— Raconte-moi tout, je veux savoir !
— Un homme travaillant pour la famille royale est venu le démarcher à la boulangerie.
— Quoi ! Samuel ne m’en a pas parlé, c’est injuste ! Continue !
— Il était prêt à payer une très grosse somme d’argent, mais Samuel a refusé en disant…
Michel sourit énergiquement, puis imite une voix bruyante et ferme.
— Je n’irai nulle part où ma femme n’est pas ! Veuillez m’excuser, j’ai des pâtisseries au four !
Le rire bruyant de Mizuki retentit soudain et cela incite Michel à l’imiter. Pendant plus d’une minute, tous deux se figent dans ce plaisir partagé.
— Ça ressemble tellement à Samuel, je l’imagine bien avec son air bougon.
— Moi aussi ! Au fait, j’ai vu qu’Henri t’avait portée sur ses épaules ?
— Exact, c’était cool. J’avais une vue imprenable du village.
Mes sensations avec Michel s’effacent en une fraction de seconde, comme une image fugace. Je me retrouve de nouveau connecté aux sens de Mizuki. Le changement d’hôte semble aléatoire, mais j'ai cette impression qu'il est en réalité guidé par une main invisible.
Pour le moment, je vais continuer d'observer… Après tout, rien ne presse et paniquer est inutile.
Annotations
Versions