Chapitre 1

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 William ouvrit les yeux, les pupilles serrées. Son dos collait au drap, de la sueur perlait sur son front. Il se frotta les yeux et reprit ses esprits. Encore cet horrible cauchemar qui le hantait toutes les nuits. Depuis son accident, il ne passait pas une seule nuit à revivre la scène encore et encore. Pourquoi avait-t-il eu, ce jour là, envie d’en finir ave sa vie. La mort de sa sœur ? La maladie de sa fille ? C’est ce que sa femme lui raconta. Lui ne savait plus. L’accident lui causa des dommages irréversibles sur sa mémoire. Il en oublia une partie de sa vie. Il regarda sa femme, qui dormait encore et l’embrassa dans le cou avant de se dégager des draps. Heureusement n’avait pas oublié sa famille, sa femme et sa fille qui lui permettait de tenir et de reprendre sa vie en main.

 Les rayons timide du soleil filtraient à travers les rideaux beiges et illuminaient deux verres en cristal posés sur le rebord de la fenêtre. Il se passa la main dans les cheveux et se frotta les yeux tout en descendant les escaliers. Un léger mal de tête le fit vaciller.

 Il n’avait plus vingt ans, les lendemains de réjouissances devenait de plus en plus compliqué à s’en remettre. Il eut un léger sourire et se remémora les jeunes années lorsqu’il passait les nuits à discuter, à boire et à danser avec la femme qu’il désirait. À cette époque il ne se souciait ni des effets de l’alcool ni des lendemains douloureux. William débordait de petites manies. Il aimait lorsque tout était rangé à une place bien précise. Chaque soir, il préparait l’eau et le café dans la machine, son petit journal et certain racontait qu’il beurrait ses tartines pour le lendemain. Au-delà des petites habitudes, il prêtait une attention particulière à son apparence. Il n’hésitait pas à se maquiller pour masquer les éventuelles rides ou les cernes et se parfumait d’odeur fruitée. C’était un homme très séduisant qui était aussi bien habillé que sa coiffure était irréprochable.

 Comme d’habitude il était levé en premier, et comme tous les samedi matin, il lisait son journal dans son jardin le café à la main et la cigarette au bord des lèvres.

 C’était un beau matin d’automne, le soleil rayonnait mais perdait de jour en jour son éclat d’été. Il feuilletait les pages du journal, quand il tomba sur un article déroutant. Il fronça les sourcils et le lut. Il était question de plusieurs personnes devenues malades dans le nord de la France plus tôt dans la semaine. Les médecins n’ont pas de réponse à donner pour le moment. Des citoyens auraient perdu la raison pour la folie, voilà un titre bien racoleur murmura William. Certain spéculait sur le lien entre l’utilisation des mutations génétiques sur le corps humain à forte dose par la population sans prendre en considération les effets néfastes sur leur santé. William soupira, hocha la tête et tourna la page sans même finir l’article.

— La folie humaine ne s’arrêtera donc jamais ?

 Alors qu’il écrasait sa troisième cigarette, il entendit du bruit dans le salon. Il n’en prêta pas attention et continua à lire à présent un article sur les différents concerts de ses groupes de rock préférés.La porte qui donnait sur le jardin derrière lui s’ouvrit. Il découvrit sa femme tenant sa fille dans ses bras. Les deux filles se ressemblaient en tous points. Leurs yeux bridés étincelaient du même brun clair, elles avaient le même grain de peau, leur voix était calme et douce. Elles avaient tous deux un sourire rayonnant à une différence prêt, quelques dents de lait manquaient sur celui de sa fille. Mise à part quelques détails, le seul caractère bien visible qu’avait hérité sa fille de sa part était la couleur noir d’encre de ses cheveux. Sa femme déposa l’enfant sur les genoux de William. Elle redressa et plaça une main sur sa tête en soupirant.

— Toi aussi tu n’assumes pas tes quarante ans ?

Elle sourit puis s’assit près de lui.

— Il fallait bien fêter nos 10 ans de mariage.

— 10 ans, s’étonna la fillette en ouvrant de grand yeux.

Elle regarda ses mains et compta à l’aide de ses petits doigts puis tourna sa tête vers son père.

— C’est le double de mon âge !

William lui ébouriffa les cheveux et rit.

Sa femme n’eut pas le temps de se lever.

— Reste assise. Je vais te ramener de quoi te remettre en forme. Tu m’accompagnes San ? Nous allons préparer une potion pour maman.

 Il chatouillait sa fille qui riait aux éclats. Il la prit dans ses bras et se dirigea vers un petit couloir donnant directement à la cuisine. San pouvait difficilement se déplacer à cause d’une malformation des jambes. Elle bénéficiait d’un fauteuil roulant pour aller à l’école mais le week-end elle préférait se débrouiller seule, enfin surtout se faire porter par ses parents.

William déposa sa fille sur une table en bois afin qu’elle puisse participer à la confection du cocktail.

— Je suis sûre que je dessine mieux que toi papa.

Elle inclina légèrement la tête et un sourire espiègle se dessina entre ses petites joues rosées.

— Je veux des preuves petit diablotin, fit William en taquinant le petit ventre replet de sa fille avec son index.

La petite fille se dandina, se pencha en arrière et allongea ses jambes pour atteindre le sol.

— je vais te montrer, dit-elle la langue dépassant de sa bouche.

 Ayant peur qu’elle se face mal en tombant brusquement sur ses jambes, William remplit rapidement le cocktail d’eau, le posa sur le bord de levier et aida sa fille à descendre de la table. D’un pas chaloupé la petite fille sortit de la cuisine et disparut. William savait où elle était allée. San adorait dessiner au coté de son père qui lui montrait l’exemple. À chaque fois que William travaillait pour un auteur, San restait là à contempler ses œuvres, admirative. Il récupéra le cocktail et avança vers la porte qui donnait à son bureau.

San était en train de récupérer ses propres dessins dans un coin de la pièce. Autour d’elle une multitude de crayons, de feutres, de pots de peinture et de feuilles de dessin étaient en désordre. William plissa les yeux, sa fille n’avait pas hérité de son organisation et de sa folie du rangement. Après tout elle était encore jeune et le principal était qu’elle partage la même passion que lui.

Du coté où travaillait William tout était en ordre, chaque crayon était rangé dans des pots par couleur et par type. Plusieurs de ses œuvres tapissaient les murs. On pouvait y voir des créatures issues du folklore japonais tel que le Kappa ou l’Oni.

William fit signe à sa fille. Il lui prit la main et rejoignirent le jardin.

— Merci mes chéris, dit Miyuki en buvant le délicieux breuvage sucré qui avait prit une teinte bleuté.

— Tu as vu l’article du journal ?

— Celui où les modifiés deviennent fou ?

— Oui, mais je t’ai dit de ne pas les appeler ainsi. C’est dégradant pour eux, rétorqua sa femme. C’est effrayant, déjà qu’ils subissent des raz de marrée incessants et maintenant des pauvres gens deviennent malades.

— Dans quelques années le nord de la France sera envahi par les flots, comme la Bretagne.

Il marqua une pause, aida sa fille à s’assoir puis reprit :

— Pour les personnes ayant eu recourt aux modifications génétiques sur leur corps doivent en accepter les conséquences. Cela fait des années que les Darwinistes les mettent en garde.

— Ils ont certes des différences par rapport à nous mais ce sont des humains qui n’ont pas demandé à souffrir.

— Oui des humains avec une queue de singe ou des ailes de chauve souris c’est classique.

Le ton commença à monter.

— C’est toujours pareil avec toi, tu les considères comme des étrangers ou plutôt comme des monstres depuis que …

William lui coupa la parole.

— Ne me parle pas de cela, elle n’y est pour rien dans ma façon de voir ces cinglés.

— Comment oses-tu employer ses mots devant San, dit Miyuki furieuse.

William n’avait pas fait attention au poids de ses mots dans l’oreille d’un enfant. Il regarda sa fille dans les yeux.

— Tu sais papa, la boulangère à des yeux et des moustaches de chat pourtant elle est très gentille avec moi, elle me donne toujours un gâteau en plus.

Il croisa le regard de sa femme qui inclina la tête en signe d’approbation.

— D’accord … ils ne sont pas tous cinglés.

Lui-même ne croyait pas vraiment ce qu’il venait de dire, il voulait simplement éviter une dispute un dimanche matin après une belle nuit d’amour.

William pensait que modifier son génome semblait aberrant et dangereux. Pour lui, l’héritage transmis de génération en génération pourrait être effacé à cause de cette pratique ce qui éloignerait les humains de plus en plus de leur propre humanité. Il méprisait les gens qui avaient eu recourt à cette expérimentation sans même apprendre à les connaître.

Il disait souvent des phrases comme : « les gens modifiés refusent leur nature humaine, heureusement que le domaine sportif interdit cette pratique sinon il n’y aurait plus aucune légitimité à la performance et à l’effort de l’humain », ou encore « je refuse de modifier les gènes que mes ancêtre m’ont légué ».

Modifier son patrimoine génétique était une pratique largement répandue dans le monde depuis plusieurs années même ici dans le petit village de Beaubois. Il suffisait aux gens d’acheter une gélule en pharmacie et de se la faire injecter par un médecin en intraveineuse. Chaque dose proposait un panel de mutations différentes allant des griffes de chat pour les personnes ne voulant plus casser leurs ongles, aux écailles de crocodile pour ceux qui souhaitaient être résistant et ne pas avoir de coup de soleil ?

Outre l’aspect esthétique, ces modifications étaient parfois difficiles à identifier. Elles pouvaient permettre aux gens de se sentir mieux au travail, ou bien d’accentuer un caractère en particulier. Une force accrue permettait à un maçon de se sentir moins fatigué tandis qu’un surcroit de sagacité permettait à un enseignant de mieux comprendre ses élèves.

Comme tout élément commercial bien présenté, il est amené à pousser à la consommation en excès. Dans les années 2020, les gens surconsommaient le plastique ou bien la viande. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard l’humain surconsomme les doses génétiques, appelées les « crispis », pour son plaisir toujours plus inlassable et égoïste.

L’utilisation de ces gélules avait soulevé bon nombre de débat entre les politiques et les scientifiques ; à telle point que deux mouvements distincts s’installèrent dans la population. Les eugénistes qui prônaient le changement de l’humain et son évolution par sa propre création. Tandis que les darwinistes défendaient l’évolution de l’homme par la sélection naturelle tout en alarmant les autorités publiques sur les conséquences de l’utilisation des « crispis ».

Tout le monde n’avait pas recourt à la modification de son patrimoine génétique. Les enfants avaient interdiction d’avoir recourt à cette expérience, non qu’elle était dangereuse pour eux mais plutôt qu’elle devait être utilisée après une réflexion et un choix conscient de l’individu. Il fallait donc être un adulte pour pouvoir l’utiliser sur son corps. Certaine personne comme William ou bien les Darwinistes avaient délibérément fait une croix sur cette pratique.

William s’accroupit devant sa fille, leur visage à la même hauteur. Elle lui prit les mains.

— La baby siter est arrivée ma chérie, avec maman nous allons à une réunion à la mairie. Nous en n’auront pour pas longtemps. Je t’ai mis ton cahier de dessin à disposition.

La petite hocha la tête. Tandis qu’il la sera contre lui.

William eut un pincement au cœur. Il enfila son long caban beige, la porte d’entrée s’ouvrit.

Ce jour là, c’était une belle journée d’automne ensoleillée, alors ils avaient décidé d’y aller à pied.

— Tu l’as surprotèges beaucoup trop, elle est certes handicapée, donc fragile mais tu ne devrais pas lui montrer qu’elle est faible, dit Miyuki en prenant la main de son mari.

William ne répondit pas, il s’avait que sa femme avait touché un point sensible. Ce sentiment de surprotection venait du fait qu’il avait perdu sa sœur quelques années plus tôt. Il regarda sa femme, son sourire rayonnant lui chassa les mauvaises pensées de sa tête. Il alluma une cigarette.

— Tu as raison, il faut que je lui laisse de l’espace. Profitons de cette petite balade pour penser à nous. Tiens regarde !

Il indiqua un petit pont de pierre où l’eau de la rivière chantait en dessous.

— Cela me rappelle de beaux souvenirs, allons y !

Elle tira la main de son mari et tous deux cavalèrent sur la pelouse jusqu’au petit pont comme les adolescents fougueux qu’ils étaient.

La chaleur tiède du soleil caressait le visage des deux amoureux tandis qu’ils traversaient le cours d’eau mélodieux.

Elle courrait devant lui dans l’herbe fraîche, sa main tenant la sienne. Un parfum suave de fleur caressa les narines de William. Il souriait.

Ils s’étaient rencontrés lors d’une exposition sur les peintures asiatiques. Il la revoit vêtu de sa tunique en lin blanche au milieu de la foule en train d’admirer son tableau.

— Cette histoire d’épidémie me fait peur, ça n’a pas l’air d’être une maladie classique, dit Miyuki en baissant les yeux. Les prochains jours à l’hôpital vont être encore plus compliqués…

Ces paroles réveillèrent William qui songeait aux belles années passées.

— Ne t’inquiète pas, ce fléau ne s’étendra pas dans les petits villages comme celui-ci. Arrête de penser à ton travail, profite de ce beau matin d’automne.

Sur leur chemin se dressaient des jeunes hêtres aux couleurs de feu qui tapissaient la petite allée sableuse de leurs ombres fébriles. Le chant aigu d’une mésange les accompagnait tout le long de leur trajet.

Ils arrivèrent enfin. Très vite, une effervescence se manifesta au centre du village. Cependant elle n’était pas si chaleureuse qu’à l’accoutumée. Plusieurs boutiques étaient fermées et les derniers commerçants qui s’afféraient à leur travail semblaient fatigués. Le barman nettoyait les tables extérieures vides, l’épicier versait sur l’étalage un cagot de pomme abimées tandis que la boulangère servait son seul client.

Certaines personnes promenaient leur chien le long de la route le pas pressé, d’autres attendaient sur les bancs à l’ombre des platanes le regard éteint. William et sa femme s’approchèrent vers la place de la mairie où avait lieu la réunion. Un petit groupe de personne attendait devant les portes de ce bâtiment relativement ancien, construit sans étage avec un joli toit plat et végétalisé. Il était doté d’une salle de réunion de grande taille et d’un bureau plus modeste. De grandes fenêtres étaient insérées dans les murs de telle sorte à ce que la lumière du soleil puisse éclairer la grande salle. En face, le magnifique jardin où se tenait une belle fontaine avait perdu de son charme. Les arbres maculés de touches de couleur cuivrées et dorées paraissaient dépourvus de leurs éclats. Les oiseaux s’étaient tu et une ambiance maussade s’était installée.

Miyuki regarda sa montre.

— La réunion commence dans dix minutes, ça nous laisse le temps d’aller chercher du pain.

À l’idée de voir la boulangère, William se rembrunit.

— Je vais m’installer, je te garde une place, dit-il en tournant les talons.

— Comme tu peux être aigri, acheva Miyuki en se raclant la gorge.

William observa un moment le toboggan et le mur d’escalade abandonné où les enfants jouaient tous les week-ends puis entra dans la salle de réunion avec tous les invités.

La pièce, dans laquelle ils se trouvaient, était décorée de diverses photos encadrées représentant les chefs d’état des différentes époques. Des bouquets de calla blanc et de centaurée étaient disposés ici et là. Une banderole tricolore encadrait un écriteau où on pouvait lire la devise de la France. Autour de lui, bon nombre de chaises demeuraient vides mise à part celles occupées par quelques personnes dont un homme gigantesque aux longs cheveux sombres. Il était assit et ses larges épaules empêchaient William de voir les gens devant lui.

— Encore un fou qui a eu recours aux modifications génétiques, songea t-il.

Les minutes passèrent, William se demanda pourquoi aussi peu de gens étaient présents. C’était intriguant de ne voir aucun enfant jouer, même le petit musicien qui jouait de la guitare n’était pas venu. Tous les samedis les citoyens profitaient du jardin ou des terrasses pour se retrouver entre amis. Il resta perplexe à regarder la vitre pour guetter le retour de sa femme.

La réunion allait bientôt commencer et Miyuki devait être là pour prendre la parole. Étant médecin elle devait présenter un discours. William et Miyuki avaient été invités par le maire quelques jours plus tôt pour participer à la réunion mensuelle. Elle permettait aux citoyens de débattre sur les différentes propositions proposées par les élus. Celles-ci avaient pour but de discuter des projets dans le développement de la génétique à mettre en place dans le village, c'est-à-dire les cultures OGM, les doses de crispis en vente libre en pharmacie ou bien les nouveautés technologiques et scientifiques. Une opportunité parfaite pour William, il pouvait aborder son point de vue sur ces questions et bloquer au maximum leur développement.

La porte du bureau s’ouvrit et le maire, un homme bedonnant ayant une calvitie très prononcée, entra d’un pas incertain accompagné d’un autre homme. Il regarda la salle frénétiquement de tous cotés, son visage ruisselant de sueur. Il prit la parole.

— Bon…bonjour à toutes et à tous, merci d’avoir répondu présents à mon invitation.

Il se gratta l’arrière du crâne et reprit.

— Oh mais je… je vois qu’il manque beaucoup de monde. Il eut un rire gêné. Je vous ai convié à cette réunion afin de discuter, échanger nos points de vue concernant les futurs projets du village. Et ce, plus particulièrement concernant les derniers progrès de la génétique. Bien … je suis conscient que ces sujets sont épineux mais les eugénistes ont gagné par vote l’année précédente alors nous devons suivre les directives nationale et introduire la génétique dans nos activités quotidiennes.

Il regarda sa montre, une goutte de sueur s’écrasa sur son pull verdâtre.

— Quelle mesures pouvons-nous mettre en place dans notre village et comment allons-nous les intégrer. Il se tourna vers son collègue et reprit.

— J’ai fait appel à deux professionnels qui nous aiderons dans ce projet. Je vous présente le professeur Rewel Durand. Il fit un signe de la main pour présenter son acolyte. C’est un professeur de génétique à la faculté de médecine de l’Université Paris Descartes et responsable du laboratoire Pasteur non loin d’ici. Il est reconnu pour ses nombreux travaux. Il se chargera de mettre en place les projets et il pourra répondre à vos questions, vos angoisses. Madame Allen n’est pas encore arrivée mais nous allons tout de même commencer la réunion. N’hésitez pas à prendre la parole quand vous le désirez, c’est un débat, pas un cours magistral…

Le professeur était le portrait totalement opposé à celui du maire. Il était fin, alerte, les traits aigus et les yeux gris rieurs alors que le maire était gros, joviale et les yeux tombant, soutenus par de larges cernes. L’un avait une belle moustache, une barbichette et des cheveux mi-longs sombres parsemés de quelques fils argentés alors que l’autre était quasiment chauve, avait un double menton et le teint violacé. Même dans la manière dont ils s’habillaient, ils étaient aux antipodes : le professeur portait un pantalon noir à pinces, une chemise blanche, une cravate grise et une blouse blanche tandis que les vêtements du maire étaient complètement dépareillés. Celui-ci avait un vieux jean, un pull vert bouteille trop court qui laissait dépasser son tee-shirt et de vieilles chaussures usées.

William avait l’impression de voir un épervier présent aux cotés d’un dindon, il se mit à sourire. L’homme à la blouse fit un pas en avant et prit la parole :

— Bonjour à toutes et tous, je suis Rewel Durand. Pour être tout à fait honnête avec vous je ne suis pas venu uniquement pour discuter des projets à dimension génétique. Il regarda le maire l’air désolé. Je dois vous mettre au courant de la situation dans laquelle nous sommes, c’est de toute évidence la moindre des choses. Vous l’avez sans doute entendu à la télé ou à la radio, nous subissons actuellement une épidémie massive qui touche divers endroits du monde.

Quelques chuchotements et exclamations étouffés se répandirent dans la salle. William se rappela de ce qu’il avait lu le matin même et l’angoisse de sa femme à ce sujet.

— Au début, uniquement les animaux étaient touchés, maintenant l’humanité est aussi victime de ce fléau, continua le professeur.

— Pas de panique, reprit le maire confus en esquissant un sourire. Les médias nous informent que certaines villes rencontrent des complications depuis quelques jours. Rien de grave rassurez-vous. D’autres informations nous indiquent que seules les villes situées au Nord de Paris sont touchées par cette épidémie, notre village se situe à plusieurs kilomètres du foyer d’infection. Nous ne courons absolument aucun risque.

— Quelques jours suffisent pour que l’infection nous atteigne, rétorqua un homme.

— Que devons nous faire, dit une femme qui portait un enfant dans ses bras.

— Calmez vous je vous prie, reprit le maire. Des gouttes de sueur coulaient de plus en plus le long de son visage violacé.

William se leva et demanda qu’on allume la radio ce que le maire fit sans attendre. Une voix d’homme était en train de parler :

— À Lille, c’est le chaos ! Les habitants s’efforcent de trouver de quoi se loger. En effet, il est impossible pour eux de regagner leurs foyers, l’armée a été déployée pour contenir la menace qui pèse sur cette ville. Nous ne disposons pas encore de toutes les informations, mais il semblerait que des animaux soient enragés. Pire encore d’après certains témoignages, des humains auraient perdu la raison et seraient devenus fous. La panique règne dans le centre de la ville. Écoutons Maurice Antonio pour un témoignage sur place. Une femme se mit à parler, elle sanglotait et hoquetait ; « tout s’est passé si vite, je faisais mes courses quand soudain j’ai entendu des cris et des personnes se sont mises à courir, puis le sol s’est mis à trembler.

Le pire, c’était cet enfant au milieu de la route qui titubait et tremblait. Il avait ce liquide qui commençait à sortir de ses oreilles ressemblait à » … la radio s’éteignit.

Pas un murmure ne brisa le silence. Personne n’osait parler. Une tension pesante régnait dans la salle à présent.

Le maire avait coupé la radio d’un coup bref.

Il rassembla son courage.

— Mes amis, voyons, vous savez tous que les médias ne font qu’affabuler les histoires en les rendant toujours plus tragiques qu’elles ne le sont en réalité… Je vous l’ai dit et redit, nous ne craignons aucune épidémie de ce genre dans notre village excentré des villes. Il s’épongea le front à l’aide d’un mouchoir en tissu.

— De nombreux témoignages et informations nous permettent de savoir aujourd’hui que les villes ne sont pas les seuls endroits touchés par cette épidémie ! Vous vous cachez derrière des mensonges vous n’avez pas honte ? S’exclama William d’un ton accusateur, sans colère.

— Oui, hélas personne n’est en sécurité, reprit le professeur calmement. C’est pour cela que j’ai demandé l’autorisation de faire cette réunion pour d’une part vous révéler le problème qui pèse sur nous et d’autre part pour trouver une solution ensemble afin de comprendre et combattre cette épidémie.

— Mes amis, allons, pas de conclusion hâtive, dit le maire en ouvrant ses bras en direction des invités. Deux larges auréoles grandissaient sous ses bras. Notre village est en sécurité vous pouvez me faire confiance.

William vit enfin sa femme à travers la vitre. Elle avançait vers la porte d’entré de la mairie les bras balans. Dans sa main, elle tenait un sachet vide où était dessinée une baguette de pain doré. William ne comprenait pas. Il lui fit des signes lui indiquant de le rejoindre.

— Enfin, la voici nous allons pouvoir lui demander des conseils sur la sécurité sanitaire, fit le maire.

Tous les invités se tournèrent pour regarder Miyuki qui avançait le long de la fenêtre.

William continua les signes mais aucun succès, elle semblait les ignorer. Elle se figea devant eux seul le verre les s’éparaient à présent.

— Avec les reflets du soleil elle ne doit pas voir à l’intérieur, dit William en rigolant. D’autres personnes ricanèrent.

Puis il toqua sur la vitre pour l’insister à regarder à travers.

Soudain Miyuki tourna la tête et frappa de toutes ses forces sur la vitre avec son front.

Crack ! Un bruit de verre brisé retentit dans la salle. William ouvrit de grands yeux. Plusieurs gens sursautèrent et d’autres poussèrent des cris de stupeur, puis le silence tomba dans la salle. Une fissure parcourait toute la fenêtre. Du sang se mêlait au verre brisé de l’impact. À moitié assommée elle se redressa, et tourna la tête de coté. Le cœur de William se mit à battre de façon effrénée. Que lui arrivait-il ? Elle avait perdu connaissance ? Il s’empressa de quitter sa chaise pour la rejoindre.

Une femme s’approcha de la vitre et dit à haute voix.

— Ne vous inquiétez pas madame, ne bougeait pas nous arrivons pour vous …

Elle ne put finir sa phrase. Miyuki se rua sur la vitre à nouveau mais cette fois avec plus de force. Crack ! La fissure s’agrandit.

William courut, sortie de la mairie il se retrouva en face de sa femme. Elle tourna la tête. Une plaie béante au niveau de son font laissait s’écouler du sang le long de son visage. Son regard était si froid que toute la sensibilité et l’amour qu’elle dégageait auparavant avait disparue.

— Chérie que t’arrive-t-il ? Sa voix tremblait.

Miyuki bondit sur lui. Incapable de bouger, des milliers de questions traversèrent son esprit.

Deux hommes s’interposèrent et bloquèrent Miyuki contre le mur, puis ils la questionnèrent sur son état. Elle ne répondit pas. Elle gémit et grinça des dents. William ne reconnaissait plus sa femme.

— Miyuki comment vas-tu ? Répond moi, les larmes lui montaient aux yeux.

Elle se débattait et criait. Les deux hommes la maintenaient au sol.

— Elle doit faire une crise de panique, appelez vite une ambulance !

Rewel, qui l’avait rejoint sortit son téléphone la main tremblante.

— Les lignes sont occupées, impossible d’appeler les secours !

Tout était devenu gris, brumeux et humide. Au début on entendait les chiens aboyer puis des cris retentirent de tous cotés. Ensuite tout s’accéléra, deux enfants couraient dans leur direction et hurlaient.

— Fuyez ! Cachez vous ! dit l’un des enfants en faisant de grands gestes de la main.

Derrière eux une foule de personne les poursuivait.

William ne comprenait pas, tout était confus dans son esprit.

— Ils sont fous, ils nous veulent du mal ! dit l’autre enfant.

Des grognements et des vrombissements émanaient de la foule qui se rapprochait peu à peu comme un essaim de frelon.

L’homme qui retenait Miyuki hurla de douleur. Du sang jaillit de son cou et éclaboussa le visage de William.

— Elle l’a mordu ! fit le frère du blessé, des flammes brulaient dans ses yeux.

— Calmez vous, dit William prit de panique en voyant sa femme devenir folle. Elle n’avait quand même pas été infectée par l’épidémie ? Non pas elle, se répétait William qui essayait de dégager la tête de sa femme du cou de sa victime. Un frisson glaçant lui parcourra l’échine.

À présent la foule se trouvait à quelques mètres de la scène.

— Circulez, Il n’y a rien à voir ici s’interposa le maire.

Soudain, deux hommes de la foule bondirent sur le maire et lui lacérèrent le visage jusqu’au sang. Il hurlait en se débattant mais son assaillant le fit taire en lui arrachant la trachée. Les autres personnes du groupe se dirigèrent vers William.

Il cru un instant qu’ils allaient le tuer. Il agrippa le manteau de sa femme et tira dessus pour libérer le pauvre homme qui saignait.

Prit de panique le frère agrippa la tête de miyuki et l’écrasa violemment contre le sol. Aucun cris de sortit de la bouche de William. Il la voyait perdre connaissance. Il tomba à genou. Ses mains étaient couvertes de sang. Le temps s’était arrêté. Il ne faisait pas attention aux dizaines d’hommes et de femmes empreint par la folie qui se ruaient sur lui. Il entendait ni les cris ni les pleurs. Peu importe ce qu’il se passait autour de lui, il voulait rester là, à ses cotés. Une larme coula sur sa joue et tomba dans la main de sa femme. Il ressentit un vide immense l’envahir puis ferma les yeux.

Il entendait des hurlements au loin et des bourdonnements diffus, une main se posa sur son épaule.

— Je vais te mettre à l’abri, résonna une voix grave.

William restait immobile, ses membres engourdis par une force inconnu. Autour de lui une brume sombre l’engloutit. Il aperçu un papillon coloré qui voletait dans l’ombre oppressante. Ses ailes dessinaient des traits lumineux dans le noir. Bientôt, Il se posa sur un fauteuil roulant où une petite fille était assise. Elle souriait, ses yeux plissés la tête légèrement incliné. Elle le regardait et lui tendait la main.

« San » le prénom de sa fille résonna en éco dans sa tête. « San ! » il ne pouvait pas se morfondre sur lui-même, sa fille était seule à la maison et elle était en danger. Il ne pouvait pas se résoudre à errer dans l’obscurité.

— San ! cria-t-il.

Les ténèbres se dissipèrent, il ouvrit les yeux. Il était de nouveau dans la mairie. Deux énormes mains lui agrippaient les aisselles et le tirait en arrière. Au fond de la grande salle où le professeur Rewel faisait de grands gestes pour indiquer aux gens de venir se réfugier dans le bureau.

Les chaises renversées compliquaient la progression. William entendait derrière lui des gens courir, des cris et des bruits sourds, sans doute des échanges de coups de points entre les personnes. Il se releva avec difficulté. Le géant le lâchât et se dirigea vers l’entré où tous les fous s’agglutinaient et claquaient des mâchoires. Il attrapa deux chaises et les mit en opposition pour repousser les envahisseurs.

— Calmez vous je vous en prie, grondait-t-il.

Plus il haussait la voix, plus ses opposants gagnaient en rage et en folie meurtrière. Il reculait pas à pas, la sueur coulait de son visage. Il n’abandonna pas et continua à bloquer l’accès à la grande salle. D’autres hommes lui vinrent en aide mais l’effort était considérable.

— rejoignez nous, cria le professeur.

Bientôt les chaises se fracassèrent sous les coups de point et de tête des malades.

— Je ne pourrai pas les retenir davantage ils sont trop nombreux, fit le colosse d’une voix roque. Il laissa les chaises tomber et courut vers le professeur.

Dans un râle d’agonie les aliénés se lancèrent à sa poursuite. Certains se marchèrent dessus. Le géant atteignit enfin la porte que le professeur referma d’un coup sec derrière lui. Quelques bruits s’écrasèrent contre la porte puis s’évanouirent dans un silence pensant.

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