chapitre 3
Mathilde pleurait. Elle ne voulait pas y aller. À chaque fois, c'était pareil. Comment en était-elle arrivée là ? Elle n'avait plus 20 ans, ni 30 d'ailleurs ! On aurait dit une enfant qui faisait un caprice. Elle s'arrêta un instant, regarda son visage dans le miroir de poche qui ne la quittait jamais. Pas beau à voir. Elle aurait bien le temps de se refaire une petite beauté. C'était ridicule.
Du plus loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours détesté prendre le train. Rien que l'idée d'être assise dans ce cercueil d'acier, lui faisait monter en elle une panique incontrôlable. Quand elle montait le marchepied de son wagon, aussitôt l'impression de monter vers sa mort l'envahissait comme un brouillard noir et glacé. Une fois assise, elle était bloquée, prisonnière avec cette incapacité de pouvoir s'y soustraire. Bouffées de chaleur. Mais le pire, c'était quand le train s'ébranlait, et que l'instant d'avant elle avait entendu le sifflement annonçant le départ, les portes se fermer avec ce bruit affreux d'un couperet sur une chair tendre. Il lui arrivait de vomir pendant le trajet, de sentir son cœur cogner comme un forcené dans sa poitrine. Elle voudrait hurler.
Alors elle s'arrangeait pour ne plus prendre le train. Pas simple. Jusqu'à présent, elle y était parvenue. Mais demain... Demain, elle devait se rendre à Paris. 3 heures de trajet, en train. Elle allait mourir. Ils allaient retrouver son corps inerte assis sur ce siège, de la vomissure plein le menton...
N'importe quoi ! Elle se fustigeait. Tout va très bien se passer. C'est important que tu te rendes à Paris, c'est important pour toi, pour ta vie pour la France ! Et puis, tu n'as pas le choix. Ta voiture est en panne, juste au bon moment ! Un taxi ? Hors de prix ! Un blabla car ? Personne sur ce trajet de disponible. Un ami qui pourrait t'emmener ? Tout le monde est occupé. Seule au monde.
Grenoble – Paris 3 h en train. Au plus court, au plus direct. Il ne manquerait plus qu'il y ait des correspondances, des changements, des attentes sur des quais plein de courant d'air.
Et si le train s'arrêtait en pleine voie... Ou pire, dans un tunnel... La sueur se formait sur ses tempes, ses yeux s'arrondissaient à l'évocation de ce scénario d'horreur. Cette sensation d'irréalité. De voir flou, d'être au ralenti avec le monde qui l'entourait. Elle était en apnée.
Elle reprit sa respiration, juste avant de tomber. Elle continuait de pleurer, en se tordant les mains.
Que lui avait conseillé son thérapeute, ah oui, de respirer profondément. Plusieurs fois. En se concentrant sur sa respiration. Le calme revint peu à peu. La flamme de sa panique s'était rabougrie, moins intense, moins forte, moins envahissante. Toujours là quand même. Juste un voile sur elle. Prête à reflamber à la moindre sollicitation de sa voix intérieure qui lui racontait comment sera son futur voyage en train. Elle s'était assise sur un banc du parc. Le calme qui l'entourait lui faisait du bien. Elle reprenait ses esprits. Où était partie sa peur ? Mathilde s'en moquait. Elle était dans ce parc, sur ce banc. Elle entendait les oiseaux dans les branches, le vent dans les feuilles et au loin les bruits de la ville. Un vieil homme avec un manteau à capuche passa devant elle. Elle ne vit pas son visage, mais il lui semblait qu'il souriait et qu'il avait des dents jaunes et pointues. Un air frais et parfumé chatouilla ses narines.
Elle se redressa. Elle avait recouvré toutes ses capacités à présent. Elle allait prendre ce train, et tout aller se passer au mieux. Un bon livre, à l'histoire palpitante et le tour sera joué. Elle se leva, plus légère et se dirigea vers la gare.
Les portes de la gare s'ouvrirent devant elle. Elle prit une grande respiration et entra dans le hall. Quelques voyageurs attendaient leurs trains. Certains penchés sur leurs portables, d'autres sur un magazine. Elle repéra le guichet de vente de billets. L'homme derrière la vitre portait un badge avec son prénom inscrit dessus. Timéo. Va pour Timéo, se dit-elle. Il leva les yeux vers elle."Comment puis-je vous aider ?"Sa voix douce et profonde surprit Mathilde."Je voudrais, un billet pour Paris pour un voyage demain. Je souhaiterais ne pas avoir de correspondance s'il vous plaît.""Bien sûr "Son sourire était franc et sincère. Il pianota sur un clavier en fixant l'écran à côté de lui."Vous avez un départ à 7 h 45 et une arrivée à Paris à 10 h 46. Cela vous convient ?"Oui très bien dit elle dans un souffle. La flamme à l'intérieur avait pris de l'ampleur. Elle régla le prix du billet, remercia l'employé et quitta le hall en tenant dans sa main son billet pour l'enfer.
Une fois à l'extérieur, la tension retomba. Elle jeta un œil sur le billet qu'elle venait d'acheter. Il paraissait normal, cependant quelque chose attira son attention. En plein milieu, il était écrit en lettres dorées :"Qui serais-tu si tu n'avais plus peur ?"

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